Achaque jour suffit sa peine. >Matthieu 6:25 C'est pourquoi je vous dis: Ne vous inquiĂ©tez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vĂȘtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vĂȘtement? >Matthieu 6:27 Qui de vous, par ses inquiĂ©tudes, peut ajouter une coudĂ©e Ă la durĂ©e de sa vie? >1 Pierre 5:7 et
28aoĂ»t 2008 . A chaque jour suffit sa peine PostĂ© par Paul dans la catĂ©gorie : Humeur du jour. A part les visiteurs quotidiens, rĂ©guliers, sĂ©rieux, attentifs, qui lisent un peu tout et ne commentent pas trop, surtout au mois dâaoĂ»t Ă cause de la chaleur, les sujets qui vous intĂ©ressent principalement, ĂŽ vous lecteurs occasionnels (passant par ici en excursion grĂące
Achaque jour suffit sa peine. ». En effet, aprÚs avoir enseigné dans les maisons de priÚre juives, aprÚs avoir guéri les gens de toutes leurs maladies et douleurs, des foules nombreuses se sont mises à suivre le Seigneur Jésus (Matthieu 4:23-25). Une grande soif pour plus, était née, et seul le Seigneur pouvait étancher cette soif.
Maisvotre PĂšre qui est au ciel sait que vous en avez besoin. PrĂ©occupez-vous d'abord du Royaume de Dieu et de la vie juste qu'il demande, et Dieu vous accordera aussi tout le reste. Ne vous inquiĂ©tez donc pas du lendemain: le lendemain se souciera de lui-mĂȘme. A chaque jour suffit sa peine.»
Onparle de luv Plupart du temps on parle de mauve Pas qu'on ai rien Ă dire, on reste concentrĂ© sur nos causes On veut la mĂ©daille sur la torse, prĂȘt
Ă chaque jour suffit sa peine" is a song by French rapper Nessbeal, and produced by Skread. It was released on 31 May 2010 as the second single from his third studio album NE2S. Video encyclopedia. Flashback Categories. Ă chaque jour suffit sa peine. 3:43. Nessbeal - A chaque jour suffit sa peine (Clip officiel) 3:39. Nessbeal - A Chaque Jour Suffit Sa Peine avec
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ŃŃŐ«. AKaw. COURS T A C T I Q ĂŒ E, p out G. 11 . DUFOUlt, ASCISĂ* IttSTRdCTSI H DU UhSIR ET J>K l.â;TT- M AiUH A l'ĂCOIB UJCITAIRB UK TlU/y, QU A R T 1ER -A J TR T OHSKAAL DE LA UOJf l'K DKH A TlOW , OFHCIIIR ]>K LAC TO N d'hORTI RIâR, ETC. PARIS, AD. CUEKHULIEZ ET COMP., LIimAUlES, RnIUNCn*ES DK STRATĂGIE. 1/ H est clair que ce plan doit se borner aux grandes dispositions stratĂ©giques et nâĂ©tre que le canevas des opĂ©rations, laissant ainsi une grande latitude pour les mouvements de dĂ©tail et dâexĂ©cution. Il serait absurde de prĂ©tendre dicter an gĂ©nĂ©ral ce quâil doit faire jour par jour ; car aprĂšs les premiĂšres marches, et dĂšs quâon est entrĂ© dans la sphĂšre dâactivitĂ© de lâarmĂ©e ennemie, on ne fait plus ce quâon veut, mais ce quâon peut ; les marches, les manĆuvres , les combats dĂ©pendent de circonstances impĂ©rieuses ; les dĂ©terminations sont soudaines et rĂ©sultent de lâattitude, des ressources, des forces et du moral de lâennemi. Le gĂ©nĂ©ral doit avoir carte blanche pour lâexĂ©cution du plan de campagne dont un conseil peut bien tracer les premiĂšres directions, mais quâil est encore mieux de laisser faire Ă celui qui est chargĂ© de la responsabilitĂ©, et qui est le plus intĂ©ressĂ© au succĂšs. C est ,n sâaidant des meilleures cartes dâun pays que lâon arrĂȘte le plan de campagne, cl pour cela, les cartes Ă petite Ă©chelle sont prĂ©fĂ©rables, en ce quâelles montrent tout le pays dans un cadre resserrĂ©. Il suffit, pour remplir leur objet, quâelles donnent exactement la position des lieux, les cours dâeau, les routes principales, la crĂȘte des montagnes, la limite des Etats. Les plus claires sont les meilleures, parce quâelles sont plus faciles Ă consulter. Les cartes h grande Ă©chelle, ou cartes topographiques, sont bonnes pour les questions de dĂ©tail ; mais le grand nombre de feuilles quâelles comportent empĂȘche de sâen servir pour les dispositions gĂ©nĂ©rales. Une carte gĂ©ographique de moyenne grandeur, par exemple lâEspagne en quatre feuilles, sera toujours prĂ©fĂ©rable aux cartes topographiques les plus dĂ©taillĂ©es, pour discuter ,,n plan de campagne. Si au contraire, il sâagissait dâasseoir un camp, de prendre une position, dâarrĂȘter un ordre de bataille, câest aux cartes topographiques quâil faudrait recourir. I- e plan de campagne indique les lieux de rassemblement des troupes, la base et la ligne d'opĂ©rations, les points stratĂ©giques quâil faut atteindre. -2 -18 PRINCIPES DE STRATĂGIE. Le choix des lieux de rassemblement nâest pas seulement dictĂ© par la facilite des subsistances, quoique cet objet soit toujours trĂšs-important, il I est aussi par la convenance dâoccuper des positions qui tiennent lâennemi dans lâincertitude du point oĂč on veut lâattaquer, et qui permettent de prendre une initiative prompte et foudroyante. On calcule la distance des diffĂ©rents points de rassemblement, de telle sorte que tous les corps puissent arriver en mĂȘme temps au lieu du rendez-vous gĂ©nĂ©ral pour franchir ensemble la frontiĂšre. Ainsi, en 4 815, NapolĂ©on ayant pris le parti dâattaquer les armĂ©es alliĂ©es, dirigea ses forces du cĂŽtĂ© de la Belgique, qui Ă©tait occupĂ©e par les Anglais et les Prussiens. Ceux-ci couvraient tout lâespace compris entre LiĂšge, Mons et Bruxelles, bordant la Sambre et la Meuse sur une Ă©tendue de vingt-cinq lieues; leurs quartiers Ă©taient principalement dissĂ©minĂ©s entre Mons et Namur. NapolĂ©on rassembla ses troupes Ăč Maubeuge, Beaumont et Pbilippeville, menaçant ainsi Mons, Bruxelles, Namur, et forçant lâennemi Ă rester sĂ©parĂ©. Il rĂ©solut de passer la frontiĂšre Ă Charleroi pour tomber sur le milieu des cantonnements ennemis; et calculant ses distances, il fit partir les diffĂ©rents corps aux heures convenables pour arriver tous ensemble sur Charleroi, dont ils sâemparĂšrent sans difficultĂ©. Ils passĂšrent la Sambre, et allĂšrent le mĂȘme jour, 15 de juin , camper en pays ennemi. Ce dĂ©but est intĂ©ressant Ă Ă©tudier; il montre lâinfluence dâun bon choix des lieux de rassemblement sur les premiers succĂšs, dont lâeffet moral est si grand. Le mĂȘme gĂ©nĂ©ral, deux ans auparavant, opĂ©rant sur une Ă©chelle infiniment plus vaste, obtint la mĂȘme prĂ©cision dans ses rĂ©sultats. Il avait rassemblĂ© ses corps sur le NiĂ©men ; il les fit partir Ă des Ă©poques et par des routes diffĂ©rentes pour les diriger sur Ostrowno, oĂč ils arrivĂšrent, aprĂšs de longues marches, au moment oĂč les deux armĂ©es allaient en venir aux mains. Le gĂ©nĂ©ral Barclay, aussi prudent que Fabius, Ă©luda lâeffet de celte terrible concentration, en abandonnant le terrain h son adversaire. principes de stratĂ©gie. 19 La base dâopĂ©ralions ne peut ĂȘtre un sujet de discussion dans le plan de campagne, que lorsquâon a le choix entre deux frontiĂšres et quâon hĂ©site sur celle quâon prendra. Par exemple, sâil Ă©tait question dâune guerre entre la France et lâAutriche, et que la France, comme câest assez sa coutume, voulĂ»t prendre lâoffensive, on pourrait discuter les avantages rĂ©ciproques de la frontiĂšre du Rhin et de celle des Alpes. Câest ici quâon prend en considĂ©ration la forme gĂ©nĂ©rale de la base, et quâon apprĂ©cie 'lâinfluence quâelle peut exercer sur lâobjet quâon a en vue. Est-elle concave ou en maniĂšre de tenaille, lâarmĂ©e, aprĂšs sâĂȘtre portĂ©e en avant, y trouvera un appui solide pour ses ailes et ses derriĂšres. Forme-t-elle au contraire un angle saillant, comme la SilĂ©sie dans les Ătats autrichiens, on y trouve lâavantage de tenir, par un seul rassemblement de troupes, lâennemi incertain sur le cĂŽtĂ© oĂč lâon veut attaquer, et de lâengager ainsi Ă dissĂ©miner ses forces dans toute la pĂ©riphĂ©rie quâil a Ă garder, ce qui ne peut ĂȘtre que trĂšs-fĂącheux pour lui. Mais dans le cas mĂȘme oĂč il resterait rĂ©uni, on a toute la facilitĂ© dâattirer son attention dâun cĂŽtĂ© et de se porter lout-Ă -coup de lâautre par le chemin le plus court, pour le prendre au dĂ©pourvu. Cette forme saillante est donc avantageuse pour le dĂ©but de la campagne, mais elle vous expose, en cas de revers, Ă vous voir sĂ©parĂ©s de votre base. Câest lâinverse pour la frontiĂšre do forme concave. Des deux frontiĂšres, il y en a nĂ©cessairement une qui est prĂ©pondĂ©rante ; câest de celle-lĂ quâil faut partir, en y rĂ©unissant tous les moyens dâattaque dont on peut disposer. On commettrait une faute si on poursuivait une double offensive, n partant Ă la fois des deux bases. Il vaut mieux garder simplement la dĂ©fensive sur une des deux frontiĂšres, pour porter sur lâautre plus de troupes et sâassurer de plus grandes clian- ces de succĂšs. Rarement on obtient un bon rĂ©sultat en partageant ses forces, et les mĂȘmes raisons qui rendent dangereuses les lignes doubles dâopĂ©rations, sâopposent Ă©galement 20 PRINCIPES DE STRATĂGIE Ă ce quâon se laisse aller Ă la tentation dâune double offensive. Il faut, au contraire , concentrer le plus possible ses efforts pour que les avantages quâon obtient soient dĂ©cisifs, et ils le seront toujours plus sur la frontiĂšre prĂ©pondĂ©rante que sur lâautre ; câest donc sur celle-' faut agir avec vigueur, en retirant de lâautre tout ce qui nâest pas indispensablement nĂ©cessaire Ă sa dĂ©fense, de mĂŽme que sur un champ de bataille on Lire de lâaile la moins menacĂ©e des renforts pour les porter sur celle qui doit dĂ©cider la victoire, La discussion des diverses lignes dâopĂ©rations quâon peut suivre est la partie essentielle du plan de campagne. Il y a tant de considĂ©rations Ă aborder, de motifs Ă peser, que le choix de la meilleure ligne est toujours fort dĂ©licat câest lĂ que lâhomme de guerre montre sa capacitĂ©. On ne peut guĂšre Ă©tablir dâautres rĂšgles Ă ce sujet que ce que nous avons dit plus haut en parlant des lignes dâopĂ©rations. Nous ajouterons que dans la discussion de ces lignes on calculera les distances effectives, câest-Ă -dire les temps quâon emploie Ă les parcourir, et non les distances sur la carte ; toutes choses Ă©gales dâailleurs, on prendra le chemin le plus court; on se dĂ©cidera aussi pour la meilleure route, quand deS motifs pressants nâengageront pas Ă en sortir; car une troupe marche toujours plus vite sur une route large et commode que par des sentiers Ă©troits et difficiles. La nature des villes quâon aura Ă traverser, les dĂ©filĂ©s, les obstacles peuvent forcer Ă prendre des chemins dĂ©tournĂ©s, quoique mauvais; car on surmonte plus facilement les difficultĂ©s de la marche quâon nâenlĂšve des villes ou qu'on ne force des dĂ©filĂ©s. Quand lâarmĂ©e, en sâavançant, aura la facultĂ© dâappuyer une de ses ailes Ă un obstacle naturel, la meilleure ligne dâopĂ©rations sera celle qui sâapprochera le plus de cet obstacle, parce quâelle sera mieux couverte par lâarmĂ©e dont le front, pendant la marche, occupe presque toujours quelques lieues dâĂ©tendue, du moins tant que la bataille nâest pas imminente. Quand les deux ailes de lâarmĂ©e sont sans appui, la ligne dâopĂ©rations doit passer PRINCIPES DE STRATĂGIE. Ăąi par le milieu du front, afin dâĂȘtre Ă©galement couverte de droite et de gauche, autant que cela est possible dans cette circonstance dĂ©favorable. RĂšgle gĂ©nĂ©rale dans la marche comme dans le combat, il ne faut jamais dĂ©couvrir sa ligne dâopĂ©rations; toutes les dispositions doivent tendre, au contraire, Ă la couvrir, Ă la dĂ©fendre le mieux possible. g 6. â Do Plan de DĂ©fense. Le plan de campagne pour la dĂ©fensive sâappelle plutĂŽt plan de dĂ©fense. Il consiste dâabord Ă dĂ©terminer le genre de guerre quâon veut soutenir, lequel dĂ©pend du caractĂšre national, des ressources du pays, de sa topographie , de son climat. Le français se dĂ©fend en attaquant; lâallemand soutient patiemment une guerre mĂ©thodique en arriĂšre de ses frontiĂšres ; lâespagnol fait en dĂ©tail une guerre dâextermination ; nous avons vu les Russes dĂ©vaster une province et mettre le feu Ă leur capitale pour priver lâagresseur de toute ressource. Un peuple courageux , mais qui nâest point accoutumĂ© aux privations, ne traĂźnera pas la guerre en longueur; il cherchera Ă en finir par des actions Ă©clatantes ; câest Ăš coups de massue quâil combattra; il prĂ©fĂ©rera une seule et grande bataille, oĂč, sâil doit succomber, ce sera du moins avec gloire , Ă une sĂ©rie de combats partiels qui Ă©puisent le pays sans amener de rĂ©sultat. Porter la guerre chez celui qui vient attaquer ou chez ses alliĂ©s, est un moyen sur de lui en faire partager le fardeau et de dĂ©jouer ses projets. Le moral des troupes est exaltĂ© par Ul >e action de cette nature, et les chances favorables en sont au gmentĂ©es. Mais pour rĂ©ussir, il ne faut pas ĂȘtre trop infĂ©rieur en forces, et la disposition des frontiĂšres doit sây prĂȘter. On ne s en Ă©cartera pas trop afin de ne pas se compromettre. C est la zĂŽne de terrain qui existe entre lâarmĂ©e et la fron- i 22 PRINCIPES DF. STRATĂGIE. liĂšrc qui fournira Ă vos besoins, et que vous dĂ©fendrez Ă oa- trance, en vous prĂ©cipitant avec toutes vos forces rĂ©unies sur les corps de troupes ennemies le plus Ă votre portĂ©e. Avez- vous des succĂšs, vous pouvez changer la constitution de la guerre en la tournant Ă lâoffensive. Etes-vous malheureux, vous vous concentrez toujours plus, vous choisissez des camps forts dâassiette, vous vous retirez sous lâappui de quelque place forte, vous vous couvrez de quelque riviĂšre, etc. Vous traĂźnez lâennemi aprĂšs vous et le promenez dans cette arĂšne dont toutes les dĂ©vastations sont h sa charge. MontĂ©euculi, dans ses MĂ©moires, se prononce hautement pour ce genre de dĂ©fensive sur les terres dâautrui, dit-il, on soulĂšve les mĂ©contents ; la source des hommes, de lâargent et des autres choses nĂ©cessaires ne se trouble et ne se tarit que dans le pays oĂč est le théùtre de la guerre. En combattant chez soi on a beaucoup Ă souffrir, il est vrai, mais il y a moins de dangers Ă courir; on a la population pour soi ; elle vous prĂȘte des secours de tout genre ; chacun y espionne lâennemi et vous instruit de ses dispositions; on combat sur des positions reconnues dâavance et quelquefois prĂ©parĂ©es de longue main, oĂč lâennemi est obligĂ© de venir vous chercher; on peut se mouvoir dans toutes les directions, parce que tout lâespace qui nâcst pas occupĂ© par lâennemi sert de base d'opĂ©rations ; on trouve ainsi de grandes facilitĂ©s Ăč menacer ses communications; on le force Ă faire des dĂ©tachements pour garder les villes dont il sâest rendu maĂźtre et assurer sa marche. Ces dĂ©tachements vous donnent beau jeu; vous pouvez les attaquer partiellement, les battre ou les envelopper. Lorsque la fortune couronne les efforts du dĂ©fenseur, ses victoires sont bien plus dĂ©cisives en deçà des frontiĂšres quâau delĂ , parce que lâennemi vaincu a des dĂ©lilĂ©s Ă repasser, une retraite Ă opĂ©rer au milieu dâune population irritĂ©e, prĂȘte Ă se jeter sur lui. La forme de la frontiĂšre convexe au dehors favorise la dĂ©fensive intĂ©rieure Ă son dĂ©but, et peut en dĂ©terminer lâadop- 25 l'RINCIPES DE STRATĂGIE. l on. En effet, dâ un point centrai quâon occupe en forces, on observe toute la pĂ©riphĂ©rie des frontiĂšres vulnĂ©rables et on est }>rĂ©t Ă se porter par le chemin le plus court sur le point menacĂ©. Câest ainsi que les PiĂ©montais peuvent, en prenant une position dans les environs de Turin, rĂ©pondre Ăźi toutes les attaques quâon dirigerait contre eux dans toute la ceinture des Alpes. Chez nous-mĂȘmes, un corps placĂ© entre Tusis, Coire etReichenau, observerait avec avantage toute la frontiĂšre des Grisons, de Saint-Luciensteig au SplĂŒgen, sur un dĂ©veloppement de quarante lieues. Le genre de guerre adoptĂ©, les dĂ©tails viennent ensuite, et câest ce qui compose, Ă proprement parler, le plan de dĂ©fense. La dĂ©termination des lieux oĂč il convient de faire rĂ©sistance, de ceux sur lesquels on doit se replier en cas de revers, et des chemins Ă suivre dans la retraite ; la disposition prĂ©alable des troupes dans lâattente de lâennemi, de maniĂšre Ă le prĂ©venir sur toutes les routes quâil peut prendre; lâindication des points de concentration en arriĂšre de la frontiĂšre, dĂšs que ses projets sont dĂ©masques ; la maniĂšre de soutenir les corps avancĂ©s et dâobservation, par des rĂ©serves centrales; enfin la dĂ©signation des points Ă fortifier par les moyens de lâart, des ponts h couper, des routes Ă amĂ©liorer, etc. ; tels sont les objets dont il faut sâoccuper dans un plan de dĂ©fense. Câest la topographie locale qui dicte les dispositions militaires quâil sera convenable dâadopter; on ne peut guĂšre prescrire de rĂšgle h cet Ă©gard; tout ce quâon peut dire câest quâune trop grande dissĂ©mination de scs forces est toujours dangereuse; quâen consĂ©quence, loin de songer Ă garder l °us les passages, il faut en abandonner quelques-uns pour 'âąDeux dĂ©fendre les autres, les plus importants, ceux qui sont * e plus menacĂ©s. Si lâennemi quitte ceux-ci pour se porter SUI cc ux-lĂ , câest par des mouvements analogues quâon sâoppose Ă scs projets, et on lĂąche toujours de se prĂ©senter Ă lui, par quelque route quâil arrive, avec le plus de troupes PKINCIIâKS DE STRATEGIE. sM quâil est possible dâen rĂ©unir. De lĂ vient que la l'orme des frontiĂšres, la direction et la nature des routes ont tant dâinfluence sur la dĂ©fense dâun Etat. Si elles vous permettent de suivre, par des ligues droites intĂ©rieures, les mouvements de lâennemi qui manĆuvre sur la circonfĂ©rence, vous aurez tous les avantages de la mobilitĂ©, et il vous sera toujours possible dâarriver avant lui sur les points menacĂ©s. Mais, mĂȘme dans le cas contraire, il ne vous est pas possible de fermer toutes les avenues; cela vous obligerait Ă former un cordon de troupes fort allongĂ©, et par lĂ mĂȘme trĂšs-faible dans toutes ses parties, que lâennemi forcerait inĂ©vitablement en quelque point quâil lâattaquĂąt. Vous devez plutĂŽt placer en arriĂšre de la frontiĂšre un corps principal dans la position la mieux choisie pour se porter, le plus promptement possible, sur les diverses routes ouvertes Ă l'ennemi. En avant de ce corps principal et sur ses flancs vous enverrez de simples dĂ©tachements, pour occuper momentanĂ©ment les passages et annoncer l'attaque. Ils disputeront le terrain en se repliant; ils retarderont la marche de lâennemi et vous donneront le temps dâarriver pour le recevoir. De cette maniĂšre tout le pays autour de vous sera suffisamment Ă©clairĂ© pour Ă©viter les surprises, et vous aurez vos forces assez rassemblĂ©es pour combattre. Telles sont les dispositions gĂ©nĂ©rales quâil est bon dâadopter dans un plan de dĂ©fense ; on conçoit quâelles laissent une grande latitude et doivent se plier aux exigeances des localitĂ©s; mais pourvu quâelles soient basĂ©es sur le systĂšme de concentration, elles seront toujours prĂ©fĂ©rables Ă un cordon sans soliditĂ©, dont les corps Ă©loignĂ©s les uns des autres ne se prĂȘtent aucun appui., Ă©chappent Ă lâautoritĂ© immĂ©diate du chef, qui ne peut pas ĂȘtre partout, et sont, en raison des distances, hors dâĂ©tat de se rallier quand la ligne est percĂ©e quelque part. FeuquiĂšres blĂąme le marĂ©chal de Ca- tinat de sâĂȘtre Ă©loignĂ© de ces principes. CĂąlinĂąt, dit-il, chargĂ© de dĂ©fendre contre Monsieur de Savoie, les passages des Alpes, se jeta dans un systĂšme de cordon, en dissĂ©minant PRINCIPES 1K STRATĂGIE. 25 toutes ses forces sur le grand cintre des montagnes, et donna Ă lâennemi, par celte disposition, la facultĂ© de prendre l'offensive quoique beaucoup infĂ©rieur en infanterie, qui es t lâarme principale pour la guerre des montagnes. Monsieur de Savoye, en se concentrant, Ă©tait supĂ©rieur Ă Monsieur de CĂąlinĂąt sur quelque point quâil se portĂąt, dâautant plus qu'occupant le centre de la grande circonfĂ©rence, il pouvait menacer sur plusieurs points Ă la fois, pour choisir celui qui lui semblait le plus avantageux. » Pour connaĂźtre promptement Ă lâintĂ©rieur les mouvements de lâennemi, il faut organiser un systĂšme de signaux dâalarme qui, du centre, se ramifie sur les divers points menacĂ©s. Ces signaux sont ordinairement des bĂ»chers quâon Ă©tablit sur les montagnes de maniĂšre Ă ĂȘtre visibles dâune sommitĂ© Ă lâautre, et quâon allume au moment du danger. Cela vaut mieux que des tĂ©lĂ©graphes, dont le jeu est empĂȘchĂ© par le brouillard. Il n'est pas indiffĂ©rent de dĂ©signer lâemplacement des signaux dâalarme dans le plan de dĂ©fense, et dâindiquer les prĂ©cautions dont il faut user pour Ă©viter les mĂ©prises qui occasionneraient de faux mouvements. Ce nâest pas toujours et uniquement en prenant des positions sur le chemin direct de lâennemi, quâon sâoppose Ă sa marche, mais aussi, et quelquefois avec beaucoup dâavantage, on occupant des positions de flanc, de maniĂšre h menacer sa ligne dâopĂ©rations sâil veut passer outre. Si ces positions de liane peuvent ĂȘtre occupĂ©es par des forces imposantes, il laut de toute nĂ©cessitĂ© que lâennemi quitte sa ligne directe Pour les enlever, car il ne peut pas se porter plus avant sans s exposer au danger dâĂȘtre sĂ©parĂ© de sa base. DĂšs lors, il est lorcĂ© Ă combattre sur un terrain que vous avez choisi et P^parĂ© d e longue main, que vous avez eu le temps de forti- âą Iei et oĂč tout favorise la rĂ©sistance. Câest ainsi que les Turcs, en se concentrant Ă Chumla, ont complĂštement arrĂȘtĂ© l'invasion des Pusses en 1810, et quâen agissant de mĂȘme dans la deiniĂšre guerre, ils ont prolongĂ© leur dĂ©fense de toute une 26 PRINCIPES DE STRATĂGIE. campagne. Si, en 1812, Kutusow, au lieu de couvrir Moscou en prenant position sur les plateaux de Mojaisck, se fut retirĂ© dans la direction de Kiow, il eĂ»t, de lâaveu mĂȘme de NapolĂ©on, attirĂ© b lui lâarmĂ©e française et eĂ»t Ă©pargnĂ© Ă la Russie lâimmense sacrifice de sa capitale. La recherche et la discussion des positions de flanc forme donc line partie essentielle du plan de dĂ©fense, qui se rattache Ă celle des points de concentration. Viennent ensuite les lignes de dĂ©fense successives que le pays peut offrir, et qui sont naturellement indiquĂ©es par les cours dâeau et par les chaĂźnes de montagnes ou de collines. Les avantages et les inconvĂ©nients de chacune dâelles doivent ĂȘtre soigneusement discutĂ©s. Les meilleures lignes sont celles dont les ailes sont appuyĂ©es h des obstacles naturels, tels que la mer, un grand lac, un fleuve large et rapide ; qui dominent le pays; ne sont abordables que par un petit nombre de routes faciles Ă garder ; dont la forme gĂ©nĂ©rale est convexe au dehors, et en arriĂšre desquelles sont de bons chemins qui permettent de se porter rapidement, et par les directions les plus courtes, sur les points attaquĂ©s. Les fameuses lignes de Torres Vedras, construites par Wellington en 1809 pour couvrir Lisbonne, satisfaisaient Ă la plupart de ces conditions elles formaient un grand arc de cercle de plusieurs lieues dâĂ©tendue, dont une des extrĂ©mitĂ©s Ă©tait appuyĂ©e Ă la mer et lâautre au Tage; elles prĂ©sentaient une chaĂźne de sommitĂ©s, la plupart couronnĂ©es de fortifications, derriĂšre lesquelles lâarmĂ©e anglaise pouvait manĆuvrer sans ĂȘtre vue, et se porter en masse aux diffĂ©rents points de la circonfĂ©rence par des chemins quâon avait amĂ©liorĂ©s ou mĂȘme percĂ©s Ă cet effet. Ces lignes, devenues cĂ©lĂšbres, ne purent ĂȘtre forcĂ©es par les Français, bien quâelles ne fussent couvertes par aucune riviĂšre. On a Ă examiner dans un plan de dĂ©fense les avantages quâon peut tirer des villes fortifiĂ©es, soit pour mettre Ă l'abri les tentatives de lâennemi les approvisionnements de tous 27 PRINCIPES DE STRATĂGIE. genres nĂ©cessaires aux armĂ©es, soit pour la dĂ©lense de certains points quâil est essentiel de conserver le plus longtemps possible. Une ville entourĂ©e dâune simple muraille et dâun fossĂ©,. qui la mettent Ă lâabri du coup de main, peut ĂȘtre de la plus grande utilitĂ© suivant la position quâelle occupe ; et il n'en faut quelquefois pas davantage pour faire Ă©chouer une attaque. La rĂ©sistance que les remparts de Morat opposĂšrent Ă la formidable armĂ©e du duc de Bourgogne, prĂ©para la cĂ©lĂšbre victoire que nos ancĂȘtres remportĂšrent devant cette ville. Elle fut investie le 27 du mois de Mai de lâannĂ©e 1476, et le 12 de Juin, le duc ayant vu le peu dâeffet de son artillerie, fit sommer le baron de Bubenberg, qui en Ă©tait le commandant, et le menaça de le faire pendre en cas de refus. Le baron de Bubenberg rĂ©pondit que les portes de Moral restaient ouvertes pour recevoir le duc, quâil nâavait quâĂ se prĂ©senter. Et en effet elles restĂšrent ouvertes pendant tout le siĂšge, tant Ă©tait grande la confiance de la garnison dans son chef et dans sa propre valeur. Le duc, aprĂšs avoir fait plusieurs brĂšches aux murailles, lit donner le 20 de Juin un assaut gĂ©nĂ©ral, qui fut repoussĂ© et lui coĂ»ta plus de 1500 hommes. Enfin parut, le 21 au soir, lâarmĂ©e suisse, et le lendemain eut lieu cette sanglante et glorieuse bataille qui dĂ©livra notre pays du plus grand danger quâil ait jamais couru, et valut aux anciens Suisses une haute rĂ©putation de bravoure. Ne perdons pas de vue lâexemple que nous ont donnĂ© nos ancĂȘtres; sachons, comme eux, dĂ©fendre au besoin nos murailles aussi bien que nos rochers, et gardons-nous de porter une main imprudente sur les fortifications qui protĂšgent encore quelques-unes de nos villes; ne fussent-elles capables que dâune rĂ©sistance de vingt-quatre heures, elles sont encore utiles. Il ne faut s °nvent pas plus de temps que cela pour changer la face des Ă©vĂ©nements et sauver un Ătat du plus grand des malheurs, in perte de son indĂ©pendance. Si, en 1814, la ville de Sois- sons eĂ»t fer m Ă© ses portes et eĂ»t fait seulement un semblant de rĂ©sistance, lâarmĂ©e de Bllicher nâeut pas Ă©chappĂ© a 1 ac- 28 PRINCIPES IE STRATĂGIE. tive poursuite de NapolĂ©on, et peut ĂȘtre la France eĂ»t-elle Ă©tĂ© sauvĂ©e. Ce sont principalement les villes placĂ©es sur les riviĂšres qui peuvent jouer un beau rĂŽle dans la dĂ©fense, pour peu quâelles soient en Ă©tat de repousser une attaque de vive force. En assurant la possession des ponts, elles donnent la facilitĂ© de manĆuvrer Ă son grĂ© sur une rive ou sur lâautre, de se couvrir du fleuve ou de le franchir, suivant quâon se trouve trop faible pour marcher ii lâennemi, ou quâil se prĂ©sente une occasion favorable de le prendre sur le temps en profitant d'un faux mouvement de sa part. Si vous vous ĂȘtes portĂ©s au delĂ du fleuve, ces villes'sont autant de tĂȘtes de pont qui assurent votre retraite et appuient vos opĂ©rations, quand vous ĂȘtes derriĂšre ; ce sont autant dâissues dâoĂč vous pouvez dĂ©boucher Ă chaque instant, qui tiennent lâennemi sur le qui- vive et lâobligent Ă diviser ses forces. En un mot les villes fortifiĂ©es ajoutent beaucoup Ă la valeur des lignes de dĂ©fense que prĂ©sentent les fleuves et les grandes riviĂšres ; elles font mĂȘme quâun fleuve, qui est perpendiculaire Ă la frontiĂšre , peut encore ĂȘtre pour lâarmĂ©e envahissante un objet dangereux, par la facilitĂ© que trouve le dĂ©fenseur Ă se placer du cĂŽtĂ© opposĂ© Ă celui que suit cette armĂ©e, et Ă menacer ses communications. Il faut alors quâelle sâarrĂȘte dans sa marche, et sâempare des villes qui maĂźtrisent le cours du fleuve. Mais cette opĂ©ration, faite en prĂ©sence dâun ennemi dĂ©terminĂ© Ă se bien dĂ©fendre, nâest pas sans de grandes difficultĂ©s. Si, pour la faciliter, lâattaquant sâavance par les deux rives, son armĂ©e est sĂ©parĂ©e en deux parties. Le dĂ©fenseur, maĂźtre des ponts, peut donc rassembler toutes ses forces et les diriger contre celle des deux moitiĂ©s quâil lui plaira de choisir. Il est Ă prĂ©sumer quâil la battra. Lâattaquant doit donc rester rĂ©uni et se retourner contre le fleuve dont les tĂȘtes de ponl le menacent , comme il le ferait Ă lâĂ©gard dâune position de flanc fortement occupĂ©e, qnâil ne saurait laisser en arriĂšre sans sâexposer aux plus grands pĂ©rils. Sans la circonstance des PRINCIPES DE STRATĂGIE. 29 places fortifiĂ©e, ce mĂŽme fleuve , qui lui prĂ©sente ces obsta- cles > a ppuyerait une de ses ailes dans sa marche et facilite- rait ses transports. H est donc vrai que les villes qui commandent les cours dâeau peuvent ĂȘtre dâune grande importance, et quâelles mĂ©ritent toute lâattention de celui qui sâoccupe dâun plan de dĂ©fense ; et lors mĂȘme que ces villes ne seraient que trĂšs-im- parlaitement fortifiĂ©es , il ne renoncera pas lĂ©gĂšrement aux avantages quâelles peuvent offrir; il apprĂ©ciera au contraire ce quâil y aurait Ă faire pour les amĂ©liorer et en rendre la dĂ©fense plus sĂ»re. Les trois villes de Zurich , Berne et So- leure peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme les trois portes principales du vaste camp retranchĂ© que les Alpes , lâAar et la Linnnal forment au centre de la Suisse. Câest dans ce camp que se dĂ©ciderait probablement notre sort, si nous avions Ă subir une invasion. 11 y aurait donc bien de lâinconsĂ©quence Ă dĂ©truire les fortifications des villes que nous venons de nommer, sous le prĂ©texte quâelles sont insuffisantes, mal entendues, commandĂ©es, peu en rapport avec lesmoyens puissants de lâattaque * . Telles quâelles sont, elles nâont point Ă redouter une attaque de vive force , elles sont Ă lâabri du coup de main. 11 nâen faut pas davantage pour nous avec leur secours nous pouvons espĂ©rer de repousser un ennemi supĂ©rieur qui chercherait Ă pĂ©nĂ©trer au cĆur de la Suisse ; sans elles, os lignes naturelles de dĂ©fense seront aisĂ©ment forcĂ©es, par- oc que leurs ponts seront h dĂ©couvert et que nous nâaurons ni le temps ni les moyens de les protĂ©ger par des retranche- nients de campagne, qui d'ailleurs ne valent jamais de hautes Murailles et de larges fossĂ©s. Nous avons encore les places de GenĂšve et de BĂąle quâil faut tenir fermĂ©es , pour ĂŽter Ă etranger la tentation de profiter des commoditĂ©s quâel- de ces vâĂźf eta l cr l availt lâĂ©poque oĂč lâon a dĂ©moli les remparts dâune n ° S ^ leu veu 'd e que nous nâayons jamais Ă nous repentir conlrair eSUre ^ ue rĂ©clamait peut-ĂȘtre lâindustrie, mais qui est bien aux intĂ©rĂȘts militaires de la ConfĂ©dĂ©ration. 30 PRINCIPES DE SThATĂGIĂ. les donnent pour franchir les obstacles que le RhĂŽne et le Rhin opposent aux opĂ©rations militaires. Elles sont Tailleur tellement exposĂ©es par leur position excentrique Ă ĂȘtre pillĂ©es ou rançonnĂ©es, si nous avions le malheur dâĂȘtre en guerre avec quelque voisin, que, mĂȘme dans leurseul intĂ©rĂȘt, il est nĂ©cessaire de conserver leur enceinte. Les positions proprement dites, c'est-Ă -dire les localitĂ©s oĂč une armĂ©e peut se placer avantageusement pour le combat, doivent ĂȘtre indiquĂ©es dans le plan de dĂ©fense. Les avantages et les inconvĂ©nients que ces positions peuvent offrir seront soigneusement discutĂ©s, afin que, le cas Ă©chĂ©ant, on profite des uns et l'on Ă©vite les autres, autant que les circonstances le permettront. On arrĂȘtera ses idĂ©es sur ce quâil y aurait Ă faire pour augmenter la force de ces positions par tous les moyens que lâart des fortifications enseigne , et pour faire disparaĂźtre les obstacles que les localitĂ©s opposent aux mouvements des troupes et Ă leur dĂ©ploiement; on Ă©valuera approximativement le nombre de soldats de chaque arme quâon pourrait y placer, et l'on indiquera les endroits oĂč ils seraient logĂ©s ou campĂ©s et les ressources qu'offrent les environs. Dans la prĂ©vision dâun revers, on cherchera quelles sont les meilleures lignes de retraite pour l'armĂ©e ; quels sont les endroits oĂč lâon peut tenter de la rallier; quelles sont les parties de ces lignes quâon disputera pied Ă pied; quelles sont celles quâil faut, pour ainsi dire, franchir au pas de course, ferons connaĂźtre les conditions dâune bonne position militaire, quand nous parlerons des batailles. Un complĂ©ment du projet de dĂ©fense consiste dans la dĂ©signation des chemins quâil faudrait dĂ©grader pour les rendre impraticables Ă lâennemi, et de ceux quâil faudrait au contraire amĂ©liorer pour faciliter la dĂ©fense. On ne saurait trop porter son attention sur ces objets, qui semblent dâabord bien secondaires, mais qui ont tant dâinfluence sur le plus ou le moins de rapiditĂ© des marches et par consĂ©quent sur lâexĂ©cution du plan arrĂȘtĂ©. Un Etat bien organisĂ© veillera donc Ă ce Principes de stratĂ©gie Si l^c > dans l'Ă©tablissement des canaux et des routes, les avan- tages quâon donne au commerce ne soient pas trop chĂšre- ment achetĂ©s en cas de guerre. La plus belle route dans les montagnes sera sans danger, si on a le soin de la fermer par quelque ouvrage dĂ©fensif h lâendroit qui sây prĂȘle le mieux. Si, par exemple, on construisait un petit fort casematĂ© un peu en deçà du Pont-du-Diable , sur la belle route du Saint- Gotthard quâon vient dâouvrir, cette route ne compromettrait plus notre sĂ»retĂ© et elle ne serait pas moins commode aux voyageurs. Sans doute quâon peut toujours, surtout dans les montagnes, couper les routes et les rendre momentanĂ©ment impraticables, en dĂ©truisant les ponts, les soutĂšnements, les corniches ; mais, indĂ©pendamment de la facilitĂ© plus ou moins grande que peut avoir lâennemi de rĂ©parer les dĂ©gradations , ou Ă©prouve toujours de la rĂ©pugnance h prendre ces mesures de destruction ; on les remet au dernier moment , et souvent il est trop tard pour les effectuer. Le plus sĂ»r est donc de construire dâavance les forts dont nous avons parlĂ© ; câest pourquoi le plan de dĂ©fense doit dĂ©signer leurs emplacements. En marquant les points oĂč lâon peut faire rĂ©sistance, il indiquera la maniĂšre de couper les chemins en avant et dâamĂ©liorer ceux qui sont en arriĂšre pour atteindre le double but de retarder la marche de lâennemi et de faciliter autant que possible lâarrivĂ©e des secours. Toutes les routes qui rĂ©unissent deux positions ou qui, en arriĂšre dâune ligne de dĂ©fense , courent parallĂšlement Ă cette ligne, doivent ĂȘtre rĂ©parĂ©es; car câest au moyen de ces routes que lâon pourra se porter rapidement dâun point Ă lâautre pour secourir les endroits menacĂ©s, ou tomber en f °rce sur des dĂ©tachements de lâennemi. Le plan de dĂ©fense do,t descendre jusquâau dĂ©tail de ces opĂ©rations. sont les objets essentiels dont on a Ă sâoccuper dans un plan de dĂ©fense. Il en est dâautres non moins importants qui se rattachent Ă la partie administrative, tels que les hĂŽpitaux , l es manutentions, le logement des troupes dans PRINCIPES DE STRATĂGtKi 32 les endroits dĂ©signĂ©s pour leur concentration, les subsistances, les fourrages, le service des postes et autres moyens de correspondance, etc., etc. Ces objets doivent aussi ĂȘtre, discutĂ©s dans un plan de dĂ©fense ; mais les dĂ©tails quâils exigent nous Ă©loigneraient trop de notre sujet pour quâil nous soit permis de les aborder. § 7. â Des OpĂ©rations stratĂ©giques. Câest par des mouvements prĂ©paratoires, par des marches habilement conduites en vue dĂ© se placer sur les parties vulnĂ©rables des lignes ennemies; câest, en un mot , par des opĂ©rations stratĂ©giques que se prĂ©parent ces immenses rĂ©sultats que donne quelquefois une seule victoire. Une bataille gagnĂ©e est toujours une belle chose, mais les consĂ©quences en sont bien diffĂ©rentes suivant quâon sâest placĂ© de maniĂšre Ă en profiter pour couper les communications de lâennemi, le. sĂ©parer de. sa base, le disperser, etc., ou quâon se trouve dans lâimpossibilitĂ© de troubler sa retraite. Dans le premier cas, la victoire est dĂ©cisive , si on met de lâactivitĂ© Ă poursuivre les vaincus; dans le second, on doit sâattendre h les voir bientĂŽt se rallier pour livrer une nouvelle bataille. Quand, en 1805, NapolĂ©on leva son camp de Boulogne pour aller Ă marches forcĂ©es combattre lâarmĂ©e autrichienne , qui dĂ©jĂ avait envahi la BaviĂšre et sâavançait entre le Danube et le lac de Constance, il dirigea les diffĂ©rents corps de son armĂ©e sur le flanc droit et les derriĂšres de lâennemi, en prenant pour base le Bliin au-dessous de Strasbourg, et le Meyn dont il Ă©tait maĂźtre ; il contourna les montagnes de la ForĂȘt-Noire, dans les dĂ©filĂ©s desquels il prĂ©senta quelques tĂȘtes de colonnes , pour faire croire h Mack qu'il marchait Ă lui par la vallĂ©e du Danube. Quand Mack reconnut son erreur, il Ă©tait dĂ©jĂ trop lard; le coup Ă©tait portĂ©. Il se vit coupĂ© de ses PRINCIPES DE STRATĂGIE. 33 communications, battu dans plusieurs rencontres et obligĂ© de renfermer dans Ulm, oĂč il capitula et se rendit prisonnier ave c toute son armĂ©e. Ce furent bien plus les marches savantes et rapides qui prĂ©cĂ©dĂšrent les combats de Gunzbourg, Elchingen, etc., que ces combats eux-mĂȘmes, quoique brillants, qui valurent Ă NapolĂ©on un pareil succĂšs. Toute retraite fut interdite aux Autrichiens; ils furent enveloppĂ©s et forcĂ©s Ă mettre bas les armes avant que les secours quâils attendaient fussent arrivĂ©s *. Le marĂ©chal de Saxe Ă©tait persuadĂ© que les marches contribuent encore plus que les batailles au gain dâune campagne, et il posait comme axiĂŽme que les succĂšs de la guerre sout dans les ĂŻambes des soldats. L'histoire de tous les temps justifie celte assertion. Nous allons donc rassembler quelques prĂ©ceptes relatifs aux marches ou plutĂŽt aux mouvements stratĂ©giques. Marches en avant. â Une armĂ©e nombreuse est toujours partagĂ©e en plusieurs corps qui marchent sur des chemins diffĂ©rents, soit pour se procurer plus facilement leur subsistance, soit pour faciliter les dĂ©ploiements et tous les prĂ©parais de la bataille. Toutes ces colonnes doivent se rapprocher dâautant plus les unes des autres que les entreprises de lâen- uemi sont plus il redouter si son attaque est possible, les colonnes resteront Ă portĂ©e de se secourir mutuellement; elles ne laisseront cnlr'clles aucun obstacle qui les empĂȘche de se rejoindre et de se rassembler sur le champ de bataille. Mais Il ne faudrait pas, en exagĂ©rant ce principe, faire marcher les colonnes cĂŽte a cĂŽte et parallĂšlement, leur ouvrant avec la hache et la pioche des chemins quand il nây en aurait pas dâassez rapprochĂ©s. Cette pratique mettrait des obstacles insurmon- l abfĂ©s Ă la rapiditĂ© des mouvements et laisserait h un adver- saip e moins circonspect tous les avantages. Depuis Turenne, Luxembourg , Villars , les marches rapides Ă©taient oubliĂ©es ; Voyez les dĂ©tails de ces marches au Cliap. III, § 3. 3 34 PRINCIPES DE STRATĂGIE. une faible armĂ©e se partageait en nombreuses colonnes qui se frayaient pĂ©niblement des routes au travers des bois et des ravins , sans se perdre de vue les unes les autres, pour ainsi dire ; il en rĂ©sultait un embarras extrĂȘme et une pesanteur souvent funeste. Mais la rĂ©volution française a dĂ©truit tout cet Ă©chafaudage dâune tactique trop timide ; on est revenu aux marches dĂ©gagĂ©es, promptes et hardies des Romains. Tant quâon ne manĆuvre pas sous le canon de lâennemi, on peut mettre entre les colonnes qui exĂ©cutent des mouvements prĂ©paratoires plus ou moins dâintervalle, suivant les localitĂ©s ; la seule limite Ă poser, câest que ces intervalles ne soient pas assez grands pour empĂȘcher les corps dâarriver le mĂȘme jour sur un mĂȘme champ de bataille. Chacune des colonnes doit user de prĂ©cautions pour ne pas se laisser surprendre par l'ennemi ; elle fait Ă©clairer sa marche par une avant-garde. Toute nĂ©gligence Ă cet Ă©gard peut amener une catastrophe lâhistoire en fournit bien des preuves. La dĂ©faite de Flaminius Ă TrasimĂšne est lâexemple le plus cĂ©lĂšbre quâelle nous rapporte. Cet imprudent gĂ©nĂ©ral sâengage dans le dĂ©filĂ© que forme le lac * avec les montagnes, sans y faire Ă©clairer sa marche par une avant-garde et sans reconnaĂźtre les hauteurs. Il se hĂąte de joindre Annibal qui mettait le pays Ă contribution , et sa presse est si grande quâil ne se donne pas le temps dâattendre son collĂšgue, qui arrivait de Rimini avec une armĂ©e. Mais il trouve dans le fond du dĂ©filĂ© le rusĂ© Carthaginois qui lui barre le chemin; lâaction sâengage, et des hauteurs environnantes les Romains voient descendre des troupes nombreuses qui les prennent en flanc ; en mĂȘme temps la cavalerie, non loin de laquelle ils avaient passĂ© sans lâapercevoir, arrive par derriĂšre. ObligĂ©s de combattre de tous les cĂŽtĂ©s h la fois, les Romains succombĂšrent, les Carthaginois en firent un affreux massacre. Pour assurer la marche contre les entreprises de lâennemi, Lac de TrasimĂšne, actuellement lac de Peruggia. 3f> PRINCIPES DE STRATĂGIE. t>n doit autant que possible, et ainsi que nous lâavons dĂ©jĂ dit, la diriger le long dâun fleuve qui couvre le flanc de la colonne; mais il faut toujours, mĂȘme dans ce cas, faire occuper les avenues par lesquelles il pourrait dĂ©boucher. On dĂ©tache Ă cet effet quelques troupes qui prennent position et couvrent la marche jusquâĂ ce que la colonne soit assez Ă©loignĂ©e pour nâavoir plus rien Ă craindre. Alors cette troupe, faisant un crochet, ou prenant le mĂȘme chemin que l'armĂ©e, vient rejoindre au premier camp. De toutes les marches, celles qui peuvent amener les plus grands rĂ©sultats, sont celles que lâon parvient Ă cachera lâennemi, et que, pour celte raison, on appelle marches dĂ©robĂ©es. Câest par de semblables marches que lâon parvient Ă se placer sur le flanc de lâadversaire, Ă menacer sa base, Ă le surprendre dans ses cantonnements, etc. Les pays les plus difficiles sont ceux qui favorisent le plus les marches dĂ©robĂ©es , soit par la facilitĂ© quâen a de les masquer, soit parce que lâennemi, trop confiant dans les obtacles quâoffrent les localitĂ©s, nĂ©glige les prĂ©cautions ordinaires et ne va pas aux informations. Or, avec de la patience , du travail et de lâopi- nialretĂ© , on parvient toujours Ă surmonter les obstacles matĂ©riels quand on nâest pas empĂȘchĂ© par la prĂ©sence de l ennemi. On peut, Ă cet Ă©gard, dire quâil nây a rien dâimpossible aux hommes. TĂ©moin la marche extraordinaire dâAnnibal au travers du marais de Clusium. 11 avait deux chemins pour sâavancer sur Rome lâun par les dĂ©filĂ©s des Apennins, facile , mais plus long et occupĂ© par lâarmĂ©e romaine ; lâautre , plus court, au travers de grands marais jugĂ©s impraticables. Anni- bal, aprĂšs avoir fait sonder ces marais et sâĂȘtre assurĂ© que les difficultĂ©s quoique trĂšs-grandes nâĂ©taient cependant pas msumiontables, se dĂ©cida pour ce dernier chemin. Sachant point, le lendemain il Ă©tait Ă dix ou douze lieues de distance, marchant Ă un autre ennemi Ă©tonnĂ© de tant de rĂ©solu- l,0n t de cĂ©lĂ©ritĂ©. CĂ©sar, entourĂ© de peuples rĂ©voltĂ©s au milieu des Gaules, se tire de celte position critique par des mouvements pareils. Il est partout oĂč le danger lâappelle ; il 40 PRINCIPES DE STRATĂGIE. ne laisse aux Gaulois ni le temps, ni les moyens de se rĂ©unir; il les combat les uns aprĂšs les autres et les dĂ©fait partiellement. Peu de semaines lui suffisent pour terminer cette mĂ©morable campagne. Retraites. â Dans les marches en retraite, on doit, autant que dans les marches en avant, suivre la ligne simple, afin de rassembler autant que possible ce quâon a de forces h opposer Ă l'ennemi. Les retraites dites divergentes ou excentriques , qui sâopĂšrent h la fois par plusieurs routes pour donner le change au vainqueur et rendre sa poursuite incertaine, sont extrĂȘmement dangereuses. En se partageant pour prendre ces directions diverses, on sâaffaiblit partout les corps isolĂ©s, livrĂ©s h eux-mĂȘmes, courent la chance dâĂȘtre enveloppĂ©s, acculĂ©s Ă des obstacles, dispersĂ©s, anĂ©antis, comme cela est arrivĂ© aux corps prussiens aprĂšs la bataille de IĂ©na. L'ennemi, sans se laisser distraire, peut sâattacher Ă lâun de ces corps pour lâĂ©craser; il ne sâinquiĂ©tera pas des autres, sachant quâil en aura bon marchĂ© quand il se retournera contre eux ; il se contente de les tenir sĂ©parĂ©s. Il nâest permis de se partager quâa celui qui vient de remporter une victoire Ă©clatante ; il est en prĂ©sence dâun ennemi dĂ©sorganisĂ©, qui a perdu ses communications, que la force morale abandonne. Il se jette au milieu des corps Ă©pars ; il nâa quâa se montrer pour dĂ©terminer leur fuite. Dans cette situation il peut tout oser ; tout est bon exceptĂ© ce qui est trop lent et trop mĂ©thodique. Mais câest ici une exception que lĂ©gitime lâĂ©tat de dĂ©sorganisation cl dâabattement dans lequel se trouve une armĂ©e dĂ©faite. Restez donc rĂ©unis dans une retraite encore plus que dans une marche offensive , quand mĂȘme votre vitesse en serait ralentie; car, avant tout, il faut songer Ă votre sĂ»retĂ©. Marchez avec ordre , autant que les circonstances vous le permettent, ou du moins marchez ensemble, prĂ©sentez encore h lâennemi un front imposant, et, sâil vous poursuit avec trop PRINCIPES DE STRATĂGIE. ^ de tĂ©mĂ©ritĂ© , sachez lâen punir, osez mĂȘme retourner sur lui quand il se met en prise ou qu'il est nĂ©gligent dans sa marche. On peut retirer plus dâhonneur dâune retraite bien conduite que dâune bataille gagnĂ©e oĂč la fortune a quelquefois tant de part. Il est trcs-avantageux de diriger la retraite parallĂšlement a la frontiĂšre , lorsque la chose est possible, parce que de cette maniĂšre lâennemi qui vous suit ne fait aucun progrĂšs. INous en avons dĂ©jĂ dit un mot en parlant des lignes dâopĂ©rations accidentelles. La retraite parallĂšle se fait-elle en pays Ă©trangei, lâarmĂ©e vit aux dĂ©pens de lâennemi ; les flĂ©aux de la guerre pĂšsent sur lui; il est presque aussi mal placĂ© que s il avait le dessous. Se fait-elle derriĂšre la frontiĂšre, on traĂźne aprĂšs soi lâarmĂ©e victorieuse; on lui fait faire du chemin, sans que pour cela elle gagne un pouce de terrain dans lâintĂ©rieur ; on ne lui abandonne que la lisiĂšre , et on la met dans la situation de prĂ©senter le flanc aux forces de lâintĂ©rieur. Mais il faut prendre garde de ne pas sâexposer soi-mĂȘme en entreprenant une marche parallĂšle dans un pays dĂ©pourvu d'obstacles, qui laisserait Ă lâennemi la facilitĂ© de vous couper de votre base. On couvrira donc cette marche de quelque fleuve ou de quelque chaĂźne de montagnes, c'est-Ă -dire qnâon nâentreprendra une retraite parallĂšle quâaulant quâun obstacle respectable la favorisera. La route du Sintplon , couverte par les Alpes du cĂŽtĂ© de lâItalie , nous offre cet avantage une armĂ©e ennemie, venant du midi, peut y marcher trois Ă quatre jours sans faire chez nous aucun progrĂšs, et elle se trouverait ntĂȘnte h la fin pins Ă©loignĂ©e du centre du pays, quâau moment oĂč elle aurait passĂ© la frontiĂšre. En sorte que, pour peu quâon lui oppose de rĂ©sistance, elle court le risque de pĂ©rir de mi- sĂšre dans la vallĂ©e du RhĂŽne , oĂč les ressources sont insuffisantes pon r une arm i e nombreuse. Du cĂŽtĂ© opposĂ© , 1 Aar peut aussi couvrir efficacement une retraite parallĂšle Ă la frontiĂšre du Jura. Ce sont lĂ des avantages de notre position qui compensent en partie les inconvĂ©nients qui y sont atta- 42 PRINCIPES IE STRATĂGIE. chĂ©s avantages que nous devons reconnaĂźtre, et qui peuvent, avec l'Ă»pretĂ© de notre sol, concourir h fortifier nos espĂ©rances dans le cas dâune invasion. Si la retraite parallĂšle est couverte par un fleuve, il faut avoir soin de rompre tous les ponts afin de se garantir'de toute attaque de flanc. De mĂȘme si elle est favorisĂ©e par une chaĂźne de montagnes, on fera occuper les passages latĂ©raux jusquâĂ ce que lâarmĂ©e ait dĂ©filĂ©, et lâon se disposera Ă tomber en masse sur ceux des corps ennemis qui, malgrĂ© ces prĂ©cautions, seraient parvenus'^ forcer les passages ou Ă les tourner, et qui essaieraient de barrer le chemin. On ne doit pas sâeffrayer dâun faible corps qui se prĂ©sente sur les derriĂšres, tout le pĂ©ril est pour lui. On conçoit quâune retraite parallĂšle ne peut sâopĂ©rer efficacement que sur une frontiĂšre dâune assez grande Ă©tendue. Si donc cette frontiĂšre est difficile Ă garder Ă cause de son dĂ©veloppement, elle vous offre dâun autre cĂŽtĂ© lâavantage que nous venons dâindiquer, et qui nâest pas le seul si l'on sait tenir une dĂ©fensive attaquante. Car ce quâon ne pourrait faire pour la dĂ©fense dâune frontiĂšre Ă©troite, sans courir le risque dâen ĂȘtre sĂ©parĂ© ou de se laisser acculer aux obstacles qui la resserrent, en mĂŽme temps quâils sont lâappui de ses ailes, on peut lâentreprendre avec succĂšs sur une frontiĂšre Ă©tendue offrant de longues bases dâopĂ©rations. On peut donc opĂ©rer de ces retours offensifs que la fortune se plaĂźt souvent Ă couronner dâun brillant succĂšs, et se livrer Ă ces brillantes entreprises que le courage et lâaudace savent inspirer. Diversions. Marches combinĂ©es. â Ce que nous avons dit jusquâĂ prĂ©sent pour montrer la nĂ©cessitĂ© de rassembler ses forces et de rester rĂ©uni, prouve assez que les diversions, les marches combinĂ©es, les dĂ©tachements sont des opĂ©rations quâen gĂ©nĂ©ral on ne peut pas approuver. On fait une diversion quand on envoie un corps opĂ©rer a loin une suite de mouvements indĂ©pendants de ceux de lâai- le 1e IX h ss PS lit II'- fi- e. an S e on ait le les es ,re ne ;nt tes us- ses as, ans âą au PRINCIPES DE STRATĂGIE. 43 mĂ©e. On opĂšre une marche combinĂ©e lorsque les mouvements de ce corps sont en corrĂ©lation avec ceux de lâarmĂ©e et tendent au mĂȘme but. Dans lâun et lâautre cas, le corps sĂ©parĂ© de Iâ armĂ©e forme un dĂ©tachement. Les diversions sont dangereuses parce que lâarmĂ©e est affaiblie de toutes les forces quâon y emploie ; elles dĂ©tournent du but principal et partagent lâattention du chef ; elles donnent plus de prise aux accidents; elles compliquent les Ă©vĂ©nements , multiplient les ressorts intermĂ©diaires et sont presque toujours une source de catastrophes. LâarmĂ©e, si elle remporte une victoire, ne lâobtiendra quâincomplĂšte et ne pourra que difficilement en profiter; si, au contraire, elle est vaincue , elle sera exposĂ©e Ă une ruine totale, ne pouvant tirer aucun secours du corps qui sâen est si mal h propos sĂ©parĂ©. Cependant il nây a rien dâabsolu dans la science difficile de la guerre; il nâest aucune rĂšgle qui n ait de nombreuses exceptions. 11 se prĂ©sente donc des cas oĂč les diversions peuvent non-seulement se justifier, mais oĂč elles deviennent nĂ©cessaires. Par exemple, vous devez forcer une position formidable, et vous ne pouvez en venir Ă bout quâen dĂ©tournant lâattention de lâennemi ; vous ĂȘtes Lien alors forcĂ© de dĂ©tacher une troupe plus ou moins nombreuse , qui aille, par un circuit, occuper des sommitĂ©s dominantes, ou menacer la ligne de retraite de lâennemi. Ces cas sont frĂ©quents dans la guerre de montagnes; le dĂ©tachement est alors commandĂ© par la nĂ©cessitĂ© ; la diversion devient une rĂšgle Ă laquelle il faut sâastreindre sous peine d Ă©chouer; mais on sâarrange de maniĂšre Ă la faire durer le tnoins possible et Ă rentrer, aussitĂŽt que les circonstances le Permettront, dans le principe de lâunitĂ© dâaction et de la concentration des forces. Au reste , les marches combinĂ©es et les âą'eisions sont beaucoup moins dangereuses dans les monla- b nes , parce que lâennemi ne peut que bien difficilement se jeter entre les colonnes. Les corps sĂ©parĂ©s trouvent dans chaque vallĂ©e des espaces resserrĂ©s, oĂč leurs ailes sont ap- U PRINCIPES DE STRATĂGIE. puyĂ©eset oĂč elles ne courent aucun risque dâĂȘtre enveloppĂ©es, oĂč mĂȘme il serait quelquefois plus dangereux qu'utile de sây trouver en plus grand nombre. Il suffit, dans ce cas, que les corps sĂ©parĂ©s soient assez forts pour pouvoir, chacun de son cĂŽtĂ©, dĂ©fendre la vallĂ©e dans laquelle il opĂšre, et que les communications en arriĂšre restent libres. La rĂšgle nâest violĂ©e ici que dans la forme ; au fond elle ne lâest pas, puisquâon ne s'est partagĂ© quâautant que le terrain lâa exigĂ©, que les diffĂ©rents corps ne sont point exposĂ©s b ĂȘtre forcĂ©s, et quâils peuvent toujours se rejoindre par les chemins en arriĂšre. Le gĂ©nĂ©ral Lecourbe a donnĂ© un bel exemple de pareilles marches, dans son attaque du Saint-Gotthard en 1799. On peut se permettre une diversion lorsquâon a des forces trĂšs-supĂ©rieures h celles de lâennemi et quâon Ă©prouve de la difficultĂ© Ă les faire subsister ou Ă les faire marcher ensemble. Alors il y a de lâart Ă se partager pour porter un corps sur les flancs ou les communications de lâennemi, en mĂȘme temps quâon lui prĂ©sente toujours de front des forces Ă©gales aux siennes; Ă faire diversion dans ses provinces les moins gardĂ©es ou les moins dĂ©vouĂ©es, oĂč lâon puisse soulever les mĂ©contents; Ă jeter inopinĂ©ment dans sa capitale, ou dans ses villes les plus riches, des troupes qui les mettent Ă contribution, etc. Le corps dĂ©tachĂ© doit alors agir avec vigueur, faire des marches forcĂ©es pour se multiplier aux yeux de lâennemi, lui donner une plus grande inquiĂ©tude ou lui faire un dommage plus rĂ©el. Le caractĂšre indĂ©cis et irrĂ©solu du chef de lâarmĂ©e ennemie est encore un motif quâon peut allĂ©guer en faveur dâune diversion. Hors ces cas, il vaut beaucoup mieux rĂ©sister Ă la tentation et sâen abstenir; câest toujours le plus sĂ»r. En condamnant les diversions, on nâentend point parler de celles qui peuvent changer tout b coup lâĂ©tat de la guerre, de ces diversions qui consistent b abandonner le pays b lâennemi pour allersoi-mĂ©me envahir le sien. Elles ne ressemblent en rien aux autres; car lâarmĂ©e ne se partage pas; elle marche tout entiĂšre et ensemble vers un seul but bien dĂ©terminĂ©. PRINCIPES DE STRATĂGIE. 45 De telles rĂ©solutions sont marquĂ©es du sceau du gĂ©nie, et bien loin dâĂȘtre blĂąmables elles sont dignes dâĂ©loges, quel que soit d'ailleurs leur rĂ©sultat ; car un homme de cĆur ne peut r *en entreprendre de plus honorable pour sauver sa patrie, quand il lâa vainement tentĂ© par les moyens ordinaires. Aga- thoclĂšs, roi de Syracuse, Ă©tait assiĂ©gĂ© par les Carthaginois ; aprĂšs avoir usĂ© toutes ses ressources dans la dĂ©fense de la place et se voyant prĂȘt h succomber, il prend la forte rĂ©solution de passer en Afrique. Il ne laisse Ă Syracuse que la garnison strictement nĂ©cessaire Ă sa dĂ©fense, emmĂšne avec lui ses meilleures troupes, brĂ»le sa Hotte sur le rivage africain pour se placer dans la nĂ©cessitĂ© de vaincre, et sâavance vers Carthage. 11 culbute lâarmĂ©e quâon lui oppose, se mĂ©nage des alliances et met la capitale Ă deux doigts de sa perte. Syracuse fut sauvĂ©e. Certes voilĂ une diversion qui amĂšne un bien grand rĂ©sultat; ce serait abuser des mots que de condamner une opĂ©ration qui porte le mĂȘme nom, quoique dans le fond elle soit si diffĂ©rente de celles dont nous avons parlĂ©. Pour ĂȘtre faites sur une Ă©chelle plus petite, ces sortes de diversions n'en ont pas moins des suites heureuses, quand du reste elles sont bien conduites et que les localitĂ©s les justifient. 11 y a toujours de lâavantage Ă faire ce Ă quoi 1 ennemi nâest pas prĂ©parĂ©, parce qu ainsi on bouleverse toutes ses combinaisons, que de lâoffensive on le fait passer subitement Ă la dĂ©fensive. Turenne, dans sa derniĂšre campagne, nous donne un bel exemple dâune semblable conduite. 11 ne se âąaisse point intimider par lâattaque de son adversaire, le cĂ©- , lĂšbre MontĂ©cuculli, qui avait franchi le Rhin; mais, insensible cette initiative, il passe lui-mĂȘme le fleuve sur un autre P°int, et force le gĂ©nĂ©ral de lâempereur Ă quitter les terres de F'ance pour le suivre et dĂ©fendre son propre pays. entreprend ordinairement les marches combinĂ©es dans l intention dâarriver par deux cĂŽtĂ©s sur une position occupĂ©e par 1 ennemi, ou de prendre de front et Ă dos une armĂ©e qu on veut combattre, de la mettre , comme on dit, entre PRINCIPES DE STRATĂGIE. 46 leux feux. Mais il nây a rien de plus chanceux que ces mou-* vements excentriques; indĂ©pendamment de lâaffaiblissement momentanĂ© quâils occasionnent, un rien suffit pour les faire manquer et renverser les plans en apparence les mieux concertĂ©s une troupe est Ă©garĂ©e par ses guides, de mauvais chemins retardent sa marche, elle est surprise par les orages, un fleuve dĂ©bordĂ© lâarrĂȘte, elle rencontre lâennemi oĂč elle ne croyait pas le trouver, enfin mille accidents surviennent qui font manquer lâopĂ©ration. Dâun autre cĂŽtĂ© l'armĂ©e peut, dans lâintervalle, avoir Ă©tĂ© attaquĂ©e ou forcĂ©e Ă la retraite; on ne la trouve pas au lieu du rendez-vous; alors le corps isolĂ© est extrĂȘmement compromis; il court le danger dâĂȘtre enveloppĂ© et obligĂ© demeure bas les armes. Plus les mouvements excentriques ont dâĂ©tendue plus ils sont chanceux, et par consĂ©quent plus il faut les Ă©viter. Ainsi, sur un champ de bataille , câest dĂ©jĂ une faute que dâenvoyer un corps sur les derriĂšres de lâennemi pour le prendre Ă dos ou couper ses communications, parce quâon peut ĂȘtre battu pendant que ce corps fait son dĂ©tour; mais câen est une bien plus grande quand le corps dĂ©tachĂ© doit faire une marche de plusieurs jours pour se porter en un point de rendez-vous occupĂ© par l'ennemi, car la rĂ©ussite dĂ©pend de circonstances quâon ne saurait maĂźtriser. Les dĂ©tachements qui se font soit pour opĂ©rer une diversion ou une marche combinĂ©e, soit pour tout autre motif, sont condamnĂ©s par tous ceux qui ont Ă©crit sur lâart de la guerre. Il y a bien des exemples Ă citer pour montrer leur danger. Le grand FrĂ©dĂ©ric, si sage dâailleurs et si habile, eut Ă se repentir dâavoir fait, prĂšs de Dresde, un grand dĂ©tachement de 18,000 hommes, dans lâintention de couper lâarmĂ©e autrichienne de ses communications avec la BohĂȘme. Ce dĂ©tachement fut enveloppĂ©, et tomba en entier au pouvoir de l'ennemi aprĂšs avoir combattu avec beaucoup de vaillance contre des forces triples, espĂ©rant toujours que lâarmĂ©e arriverait pour le dĂ©livrer. Cette affaire eut lieu Ă Maxen, dans le mois PRINCIPES DE StRATĂGIĂ. 47 1 octobre 1759 ; elle montre tout h la fois, et le danger des 1 dĂ©tachements, et celui de vouloir couper la retraite h une e armĂ©e qui, bien que vaincue, nâest cependant pas entiĂšre* ' ment dĂ©sorganisĂ©e. Le dĂ©tachement, commandĂ© par le gĂ©nĂ©- s ral Fink, parvint il est vrai Ă sâĂ©tablir sur les derriĂšres de ââą lâarmĂ©e autrichienne et a lui barrer le chemin ; mais il nâĂ©lait e pas assez fort pour empĂȘcher le passage. Au reste on peut » reprocher Ă ce gĂ©nĂ©ral de sâĂ©tre laissĂ© enveloppets car il est is possible , avec des forces aussi considĂ©rables que cellfts quâil e commandait, de se faire jour en enfonçant quelque partie du st cercle enveloppant. Fink eĂ»t dĂ» tenter ce moyen, et tout ou 'Ă© partie de son dĂ©tachement se fĂ»t sauvĂ©. ĂŒ* Fresque sur les mĂȘmes lieux, le corps du gĂ©nĂ©ral Van- Ăź- damme, qui dĂ©bouchait de Pirna, aprĂšs la bataille de Dresde i, en 18lĂŽ, sâĂ©tait avancĂ© jusquâĂ TĆplilz en BohĂȘme, pendant es 1 u e le gros de lâarmĂ©e française Ă©tait encore sous les murs a- de Dresde. Ce dĂ©tachement eut, prĂšs de Knlm, le mĂȘme dt sort que celui de FrĂ©dĂ©ric. Cependant Vandamme essaya de ps se faire jour, et une partie de son corps sâĂ©chappa en passant se sur le ventre de lâennemi. NapolĂ©on se priva par ce dĂ©tache- av ment d'une partie de ses forces pour la bataille , ou du moins lĂź- pour les opĂ©rations qui devaient la suivre et complĂ©ter la victoire ; il perdit dix Ă douze mille hommes de bonnes trou- on pes; et, ce qui Ă©tait plus fĂącheux encore, le moral de lâarmĂ©e mt fut sensiblement affectĂ© par cet Ă©chec. Si lâhistoire nâoffrait âąe. ffue de semblables exemples, on ne serait jamais tentĂ© de Le faire des dĂ©tachements devant un ennemi qui nâest pas entiĂš- , n . fetnent dĂ©fait ; mais elle en prĂ©sente aussi qui ont Ă©tĂ© coude r onnĂ©s du succĂšs, et câest lĂ un appĂąt auquel il est difficile de Lr j. rĂ©sister. 1 n ây a en e ĂŻ et r j en d e p us b r ji an t que de couper la ie , ° ne de retraite Ă un ennemi. Cependant, si lâon nây peut â n ' PU nen ir q u en se divisant, il doit suffire Ă un homme prudent tre d ' C infanterie lĂ©gĂšre, y paraissant plus propre, on lây emploie de prĂ©fĂ©rence ; en sorte que les olliciers de ligne , Ă©ternelle- mer t enchaĂźnĂ©s Ă leurs bataillons, ne peuvent apprendre de la guerre que ce quâelle a de moins relevĂ©. Câest lĂ un-immense inconvĂ©nient qu'on Ă©viterait en donnant Ă toute lâinfanterie la mĂȘme instruction. Et certes , ce ne serait pas trop exiger du soldat, qui le plus souvent mĂšne dans les garnisons une vie dâoisivetĂ©, bien plus propre Ă ruiner sa santĂ© quâĂ exciter en lui les vertus guerriĂšres. Cependant des militaires dâun haut mĂ©rite persistent, malgrĂ© ces considĂ©rations, Ă vouloir deux infanteries pour que chacune soit mieux exercĂ©e au rĂŽle quâon lui destine. Au fait, cette question ne peut pas se traiter dâune maniĂšre absolue ; le problĂšme ne peut se rĂ©soudre que par les qualitĂ©s propres Ă chaque peuple et les circonstances particuliĂšres dans lesquelles il s Français feraient se trouve. Je crois pouvoir affirmer que les une imitation maladroite deb> t ac tlrĂ©- ivi- en- He, lâen . de ua- jsse ava- , se ira- Ću- c la me. ed ; ; les peu iers ;ais- plus ser- st I e galop; elle manĆuvre avec la cavalerie , dont elle Ă©gale la vitesse et qui lui sert de soutien. Lâartillerie de ligne, au contraire , coordonne ses mouvements Ă ceux de 1 infanterie et doit toujours ĂȘtre soutenue par elle. Outre cela , on distingue la grosse artillerie, ou artillerie de siĂšge, nĂ©cessaire h lâattaque et Ă la dĂ©fense des places de guerre; elle ne suit les armĂ©es que de loin, ou reste dans les parcs; on ne la fait venir que lorsquâon en a besoin. Les principes dâorganisation, appliquĂ©s a lâarmĂ©e federale,^ prĂ©sentent quelques. circonstances particuliĂšres que nous e rons connaĂźtre, en indiquant la rĂ©partition qui fut adoptĂ©e en 1831, lorsque la Suisse , dans l'attente des Ă©vĂ©nements que semblait devoir amener la rĂ©volution de Juillet, mit sur pie les Ă©tats-majors et tint lâarmĂ©e en disponibilitĂ©. Celle armĂ©e, en n y comprenant pas la rĂ©serve, Ă©tait composĂ©e de 74 bataillons d infanterie, 40 compagnies de carabiniers, 12 compagnies de cavalerie, 40 compagnies dâartillerie, dont trente pour le service de 120 bouehes Ă feu attelĂ©es, et les dix autres pour les piĂšces de position. Il y avait en outre un nombre suffisant de soldats du train, deux compagnies de sapeurs et une compagnie de pontonniers. On forma cinq divisions de force Ă peu prĂšs Ă©gale, composĂ©es chacune de quatre brigades, de huit ou dix compagnies de carabiniers, de deux compagnies de cavalerie et de quatra batteries dâartillerie. La division n° 5 nâĂ©tait pas sur le mĂȘme pied que les autres, destinĂ©e quâelle Ă©tait Ă jouer, au moins dans le premier moment, un rĂŽle tout particulier sur un des points les plus importants de la frontiĂšre; elle ne comptait que Sl x bataillons, quatre compagnies de carabiniers, une batterie al telĂ©e, deux compagnies dâartillerie de position et une compagnie de cavalerie. Les brigades qui entraient dans la composition des autres divisions Ă©taient toutes Ă©gales et de la force de quatre bataillons; les divisions n os 5 et 4 avaient dix compagnies de carabi- niets; les deux autres nâen avaient que huit; cnlin la divisiou ORGANISATION. ARMEMENT. 00 n° 1 nâavait que deux batteries attelĂ©es au lieu de quatre. Avec celle rĂ©partition, il restait encore les troupes du gĂ©nie, trois compagnies de cavalerie, soixante bouches Ă feu et quatre bataillons, pour ĂȘtre employĂ©s suivant le besoin. Le tableau ci- joint donne le rĂ©sumĂ© de cette organisation. Division n° 1 âą Infanterie partagĂ©e en 4 Brigades Carabiniers formĂ©s en compagnies Cavalerie formĂ©e en compagnies Artillerie formĂ©e en batteries de 4 piĂšces . Division n° 2. § J o a 3 s m ^ Comp. de Carabin. Comp. de Cavalerie. S A 0 .y S 0 *o . &! distance , placerait son troisiĂšme rang derriĂšre quelque pli de terrain, soit debout, soit assis ou couchĂ© , pour n e pas lâexposer inutilement. Le troisiĂšme rang sert encore Ă enlever les blessĂ©s, dont les douleurs et les cris produisent nn effet dĂ©moralisant quâil faut Ă©viter autant que possible. Enfin, si, pendant le combat, il est nĂ©cessaire de renforcer les tirailleurs, ou dâenvoyer inopinĂ©ment quelque dĂ©tachement sur le flanc de lâennemi ou sur quelque point important a occuper, on peut le'faire sans rien dĂ©ranger h la ligne de bataille, en y employant les hommes du troisiĂšme rang. Si maintenant nous considĂ©rons le bataillon en lui-mĂ©me, nous verrons que lorsquâil dĂ©passe en Ă©tendue certaines proportions , il marche et manĆuvre mal, soit par la difficultĂ© de lâensemble dans les mouvements , soit par lâimpossibilitĂ© dâentendre la voix du chef dâun bout Ă lâautre. Une longue ligne est toujours flottante et plus ou moins dĂ©sunie dans la marche en bataille, qui, de toutes les maniĂšres de gagner du l errain sur lâennemi, est la plus naturelle et la plus simple. En bataillon de mĂ©diocre Ă©tendue marche plus aisĂ©ment et Plus longtemps sans se dĂ©ranger, ĂŒn estime que la bonne l°ngucur dâun bataillon est de 100 Ă 120 mĂštres. Si donc on 'eut renfermer dans ces limites un bataillon formĂ© sur deux r;, ngs, il sera trop faible en hommes ; car il nâaura guĂšre que deux cents files; et si, pour Ă©viter cet inconvĂ©nient, on le ^'it plus nombreux, il acquiert alors trop dâĂ©tendue. Or il fa ut le mĂȘme nombre d'officiers pour un bataillon faible en s °ldats que pour un fort ; donc le premier coĂ»tera plus propor- l °nnellement que le second. Deux armĂ©es, lâune de 90,000 Sommes, formĂ©e sur trois rangs, et lâautre de 00,000, for- 72 ORGANISATION. ARMEMENT. niĂ©e sur deux , feraient la mĂȘme dĂ©pense en officiers et sous- ofliciers. grades auraient pins de prix , les sous-officieis jouiraient dâune plus grande considĂ©ration dans la premiĂšre que dans la seconde, parce quâils y seraient proportionnellement moins nombreux. Rien ne dĂ©prĂ©cie tant une chose que de la rendre commune. A ces motifs gĂ©nĂ©raux de donner la prĂ©fĂ©rence Ă lâordre sur trois rangs, sâen joignent de particuliers pour les Suisses. Ils sont tirĂ©s de la nature mĂȘme du pays quâils ont Ă dĂ©fendre. La Suisse , mĂȘme dans ses parties les plus ouvertes , est entrecoupĂ©e de bois, de collines, de ruisseaux; rarement y trouve-t-on un espace suffisant pour y dĂ©ployer plusieurs bataillons; il nâest pas de prairie qui ne soit flanquĂ©e de bois ou dâautres obstacles naturels. DĂšs lors, il vaut mieux que les bataillons aient moins de longueur et soient plus solides, pour nâen ĂȘtre pas embarrassĂ© dans un pays si variĂ©, et pour mieux fermer les ouvertures. Ce sont, en effet, les seuls points oĂč lâennemi puisse percer , les seuls oĂč sa cavalerie soit Ă craindre. On admettra, jâespĂšre, que les bois et les rochers seront assez bien dĂ©fendus par nos carabiniers et nos chasseurs pour les rendre inabordables. Moyennant cela nos lignes seront toujours assez dĂ©veloppĂ©es, et nous devons bien plus viser Ă les restreindre pour les renforcer, qu'Ă les Ă©tendre. Je ne pense pas que ce soient des feux prolongĂ©s qui fassent pencher la balance en notre faveur. Les tirailleurs seuls, bien embusquĂ©s, peuvent soutenir ce genre de dĂ©fense. Mais les bataillons, une fois dĂ©masquĂ©s et en action, ne doivent pas rester exposĂ©s trop longtemps Ă des pertes dĂ©moralisantes ; il faut quâils marchent en avant et se prĂ©cipitent sur lâennemi. Câest ainsi que les Suisses ont toujours vaincu Ă Rolhenlhurm, Ă Neueneek , comme dans les plus glorieuses journĂ©es de lâancien temps , ils ont combattu corps Ă corps et avec succĂšs. Le feu ne doit donc pas ĂȘtre lâunique moyen de nos bataillons ; nous ne devrions pas tout sacrifiera la facilitĂ© de ce feu ; il faudrait aussi son- OIlGAPilSATION. AUMEMliNT. 75 ^â e, Ă la soliditĂ© des ligues et aux moyens de donner h nos s °ldats cette confiance en eux-mĂȘmes, sans laquelle on ne P eut pas espĂ©rer de les voir rĂ©sister longtemps Ă des attaques ^''euses de la part de troupes plus exercĂ©es et plus nom- re uses. La formation sur trois rangs nous fournirait ces â ll0 ens; mais le RĂšglement auquel, avant tout, il faut se con- °fmer, prescrit, au contraire, la formation sur deux rangs. ^ es l donc Ă cette formation quâil faut nous tenir. On peut toutefois, sans rien changer Ă lâesprit du RĂšgle- apporter une modification qui, tout en laissant au des avantages que lâordre sur deux rangs lui donne Pour exĂ©cuter les feux et faire commodĂ©ment certains niou- ' ei ients, lui pi ocurerait, au moins en partie et dans les cir- c °nstances les plus urgentes, les avantages de la formation sur ifois rangs. Ce serait de ne conserver en ligne, dans chaque ataillon, q lle quatre compagnies au lieu de cinq, et d'en >tV0ir deux en arriĂšre pour le service de tirailleurs. Quand ces deux compagnies ne seraient pas en action , elles se tien- 'hâuient rĂ©unies derriĂšre celles des ailes du bataillon , pour es appuyer dans la marche en ligne , les garantir dâune ^aque par derriĂšre , former au besoin le crochet, la po- te *ice , etc., suivant les circonstances. Le bataillon a-t-il momentanĂ©ment une attaque violente Ă repousser, les deux j^topagnies de chasseurs peuvent se dĂ©doubler et former un 0,s iĂšnie rang sur toute lâĂ©tendue du front ; elles sont juste- "jent de la force quâil faut pour cela. Dans le carrĂ© simple, es fourniront Ă©galement un troisiĂšme rang aux quatre divi- ° s qui en formeront les quatre cĂŽtĂ©s , et lâon pourra alors oĂč quâelle soit employĂ©e; sâil est mal composĂ©, câest le c °ntraire qui arrive. On comprend donc toute lâimportance ^ on doit mettre Ă la formation et Ă lâinstruction des cadres, SUl 'tout dans les milices. Lâescadron ne peut pas avoir lâĂ©tendue qu'on donne au paillon, parce quâil ne serait pas assez maniable, et que la V ? lx du chef serait couverte par le cliquetis des armes et le P lel >nenient des chevaux. LâexpĂ©rience a fixĂ© sa longueur Ă ^ lv ' r on la moitiĂ© de celle du bataillon, ou de GO Ă 70 mĂštres. r > °n compte que chaque cavalier occupe un mĂštre dans le ^ n S; la force de lâescadron sera donc de 120 Ă 140 chevaux; 0,1 1° fait plus fort, ce ne peut ĂȘtre quâen vue de supplĂ©er a * ,x absents, qui sont quelquefois nombreux, soit Ă cause des dessur es des chevaux h la suite des marches, soit parles services hors de rang auxquels les cavaliers sont appelĂ©s. Lâescadron fĂ©dĂ©ral est de 128 chevaux, tout compris; il y aurait de la convenance Ă en augmenter un peu la force. Lâescadron se partage en deux compagnies, et chaque c ompagnie en deux pelotons. La subdivision en sections nâest Pas usitĂ©e, la cavalerie ayant des moyens de se rompre en fractions plus petites lorsque la largeur des chemins lâexige. Lu des deux capitaines est chef de lâescadron ; il se place ^ ev ant le front; lâautre est derriĂšre, pour surveiller le second ran g et les serre-files. Les deux lieutenants commandent les Protons des ailes; les deux sous-lieutenants ceux du centre ; es deux marĂ©chaux des logis chefs encadrent lâescadron, et s nt prĂȘts Ă prendre la place des officiers qui viendraient h n 'anquer. On retrouve encore ici la mĂȘme symĂ©trie qui existe a,ls les compagnies dâinfanterie; mais câest peut-ĂȘtre un mal car lâanciennetĂ© ne suffit pas toujours pour assurer la subordination. Ă 78 organisation, armement. LâunitĂ© de force pour lâartillerie est la compagnie. LaCon- fĂ©dĂ©ration ne reconnaĂźt ni rĂ©giments, ni bataillons dâartillerie, non plus que pour les carabiniers et les troupes du gĂ©nie. Une compagnie dâartillerie sert un certain nombre de piĂšces, qui composent une batterie. En France, la batterie est de six bouches Ă feu; en Suisse, elle nâest que de quatre trois piĂšces de canon et un obusier. Les petits obusiers vont avec les piĂšces de six, les gros avec celles de douze. II rĂ©sulte de ce mĂ©lange quâil faut, dans chaque batterie, des projectiles de deux espĂšces , et des caissons pour chaque espĂšce. Câest une complication, qui, dans certains cas, peut avoir de fĂącheuses consĂ©quences. On prĂ©fĂ©rera donc souvent rĂ©unir les bouches Ă feu de mĂȘme espĂšce dans une mĂȘme batterie, faire ainsi des batteries de canons et des batteries dâobusiers. En gĂ©nĂ©ral, il faut aux armĂ©es composer les corps divers dâĂ©lĂ©ments similaires , tant sous le rapport du personnel que sous celui du matĂ©riel, pour faciliter les remplacements. Ainsi, on ne mettra pas des piquiers parmi les fusiliers, des hommes armĂ©s de carabines dans les chasseurs, des fantassins avec des cavaliers; on ne donnera pas des fusils de diffĂ©rents calibres Ă une mĂȘme troupe , ni des sabres de diffĂ©rentes longueurs Ă un mĂȘme escadron, etc. Câest depuis quâon a assujetti le matĂ©riel dâartillerie Ă la plus rigoureuse uniformitĂ© quâon en a extrĂȘmement facilitĂ© lâusage. Lâintroduction du systĂšme anglais, qui nâadmet quâune seule espĂšce de roues, est, Ă cet Ă©gard, un dernier degrĂ© de perfectionnement quâil sera difficile de dĂ©passer. 11 faut compter en bataille 15 mĂštres par piĂšce; cette distance est nĂ©cessaire pour faire passer les attelages , lorsquâon tourne les piĂšces; cependant, quand la place manque, on peut serrer les piĂšces jusquâau tiers de cette distance; mais alors il faut les manĆuvrer a bras. Il nây a pas de raison de mettre plus dâintervalle entre deux batteries que dâune piĂšce Ă lâautre; ainsi le front dâune batterie, intervalle compris, est de CO mĂštres; câest le front dâun escadron. On peu 1 ORGANISATION. ARMEMENT. 79 J°nc Ă©tablir en rĂšgle gĂ©nĂ©rale que lâescadron et la batterie aer ale occupent le mĂȘme espace. A chaque piĂšce est attachĂ© un caisson. En bataille, la ligne es caissons est parallĂšle Ă celle des piĂšces , et Ă 50 mĂštres en PriĂšre. Cependant on fait varier celte distance, quand on Peut placer les caissons dans quelque pli de terrain qui les Nantisse des boulets ennemis. § 3. â Armement des Troupes. Bi quâii âąen que les armes en usage soient assez connues pour s °it Superflu de sâarrĂȘter longtemps sur ce qui les con- Cerne > il nâest pas hors de propos, dans un cours comme c eliii-ci , dâen rappeler les principales propriĂ©tĂ©s et dâen Montrer les effets, avant dâentrer dans les dĂ©tails de la science qui enseigne Ă en faire usage. Armes d'infanterie. âCe qui fait la supĂ©rioritĂ© dufusil sur les ar nies dont on se servait autrefois dans lâinfanterie, câest quâil est Ă la fois arme de jet ot arme de main. Aussi, lorsque Vau- 1>an e ut inventĂ© la baĂŻonnette Ă douille , les armĂ©es de toutes les hĂątions quittĂšrent la pique et la hallebarde pour prendre e fusil. On reconnut quâun feu bien mĂ©nagĂ© sullisait pour ar- etep Ju meilleure cavalerie ; et une longue expĂ©rience a p, °uvĂ© dĂšs lors que la baĂŻonnette , malgrĂ© les dĂ©fauts quâon ^ ut l u j reprocher, est tout ce quâil faut pour se dĂ©fendre M ns tes cas rares oĂč lâon arrive Ă se joindre corps Ă corps, ^ulgrĂ© cela quelques militaires ont proposĂ© de revenir Ă la la* 1 ? 6 â * GS UnS V0l, te nt en armer le troisiĂšme rang , les autres a ° hner Ă des rĂ©serves qui viendraient appuyer lâinfanterie Moment dâune*charge. Sans doute il serait commode de Pouvoir fraiser une bataillon de longues piques dans un ino- 80 ORGANISATION. ARMEMENT. ment aussi solennel que celui oĂč il reçoit le choc dâun corps Ăźle cavalerie. Ces piques, de douze Ă quinze pieds de longueur, dĂ©passeraient de beaucoup les deux premiers rangs. et arrĂȘteraient les chevaux qui pousseraient jusque-lĂ . Mais la cavalerie ne hasarde guĂšre une charge contre une troupe dâinfanterie qui se maintient en ordre et lui prĂ©sente des rangs serrĂ©s; elle attend que quelque trouble sây manifeste, que le canon y ait fait des brĂšches; alors elle saisit le moment et se prĂ©cipite sur lâennemi avec la rapiditĂ© de lâĂ©clair. Ce ne sont pas les piques qui lâarrĂȘteront, si le feu sâest ralenti et ne lâintimide plus. Et une fois quâelle a fait une trouĂ©e , elle a bien meilleur marchĂ© de ces hommes avec leurs longues perches, que de ceux qui peuvent encore lui lĂącher des coups de fusil ou se dĂ©fendre avec leurs baĂŻonnettes. Toutefois, admettons que les piquiers se trouvent toujours lĂ , bien serrĂ©s, quand la cavalerie se prĂ©sentera que feront-ils, que deviendront-ils quand l'affaire se rĂ©duira, comme cela arrive le plus souvent, Ă des feux plus ou moins prolongĂ©s de part et dâautre? lisseront passĂ©s par les armes, sans pouvoir rĂ©pondre. En reconnaissance , dans les montagnes, dans les bois, ils ne seront dâaucun secours. Le service le plus pĂ©nible roulera donc exclusivement sur les fusiliers, qui, Ă juste titre, pourront se plaindre. De lĂ des mĂ©contentements qui peuvent ĂȘtre funestes un jour de combat. Plus on rĂ©flĂ©chit aux inconvĂ©nients qui rĂ©sulteraient de ce mĂ©lange, plus on est surpris de le voir proposer et dĂ©fendre par des militaires qui ne sont pas sans mĂ©rite. Câest vouloir faire faire Ăź* lâart un pas rĂ©trograde. Le fusil est donc, Ă juste titre, lâarme de prĂ©fĂ©rence poiUâ lâinfanterie. Lâintroduction rĂ©cente des batteries Ă percussion laisse peu Ă dĂ©sirer. La baĂŻonnette Ă douille , la baguette de fer et lâamorce Ă capsule sont les trois inventions qui, successivement, ont assurĂ© au fusil sa supĂ©rioritĂ©. La bonne portĂ©e du fusil de munition est de 100 Ă mĂštres; mais Ă 200 mĂštres ou 500 pas on ajuste enco il lance un obus du poids de vingt-quatre livres, mais Parce que son projectile peut ĂȘtre tirĂ© avec la piĂšce de On ne voit pas lâavantage d'avoir en campagne deux calibres aussi rapprochĂ©s, si ce nâest quo les obusiers peu- Ve nt se placer sur les affĂ»ts des canons de 12 et de 8 , quâils accompagnent dans les batteries. La longueur de lâame des canons est fixĂ©e Ăč dix-sept calibres, celle des obusiers Ă environ dix calibres, non com- P r *s la chambre. Il en rĂ©sulte que les obusiers français sont P re sque doubles en longueur des obusiers fĂ©dĂ©raux, et quâon ^ e peut plus, comme ceux-ci, les charger avec le bras ; mais '! s ° nt un tir plus juste, et cette arme est trĂšs-redoutable. Toutes choses Ă©gales d'ailleurs, l'artillerie française aurait bt supĂ©rioritĂ© sur la nĂŽtre par la force de son calibre pour les petites piĂšces et la longueur de ses obusiers. La formation des batteries pour le combat est de six bouches h feu, dont quatre canons et deux obusiers. Les unes sont servies par des canonniers h cheval, les autres par des canonniers Ă pied montant sur les coffrets de lâavant-train et des caissons dans les manĆuvres rapides. Jâajouterai que tous les canonniers sont armĂ©s du mousqueton , mesure que je voudrais voir adopter par la ConfĂ©dĂ©- r aiion ; car il est des cas oĂč les artilleurs doivent eux-mĂȘmes garder leurs piĂšces ; il en est oĂč, forcĂ©s de les abandonner uiomentanĂ©ment pour se retirer avec leurs caissons, ils pour- r aient rĂ©unir utilement leur feu de mousqueton h celui de ' bifanterie pour chasser lâennemi. Que peuvent faire des ca- n °uniers, dans des cas semblables, sâils nâont que leur sabre ? L'artillerie de campagne autrichienne est composĂ©e de piĂšces de 3 fiv., de 6 liv., de 12 liv. et de 18 liv., et de deux especes dâobusiers dĂ©signĂ©s par 7 et 10 livret Stein, nombres qui ORGANISATION. ARMEMENT. 88 expriment le poids de deux globes de pierre qui pourraient entrer dans les obusiers. Quant aux calibres des canons , ils sont dĂ©signĂ©s , comme en France et chez nous, par le poids de leurs boulets de fer. Les piĂšces de canon ont seulement seize calibres de Ion- gueur dâĂąme. Les Autrichiens affectent particuliĂšrement les piĂšces de 6 et les obusiers de 7 liv. Stein Ă la cavalerie , et pour que les canonniers puissent en suivre les mouvements, on les fait monter sur un ivurst que porte Fallut. Câest une caisse allongĂ©e dont le couvercle est arrondi et doublĂ© en cuir; des planches Ă©troites et suspendues latĂ©ralement servent de marche-pied Ravichio de Perctsdorf, Notice sur f organisation de lâarmĂ©e autrichienne. Une partie des munitions est renfermĂ©e dans ce vvurst; -le reste est dans des sacs de cuir portĂ©s par des chevaux de bĂąt. Il y en a deux par piĂšce, sous la conduite dâun soldat du train montĂ©. Chaque cheval porte vingt coups Ă boulet. Il y a en outre, Ă la suite de la batterie lĂ©gĂšre, un caisson pour chaque piĂšce. Ces caissons restent Ă une assez grande distance pendant le combat, parce que les piĂšces qui ont les chevaux de bĂąt prĂšs d'elles, ne sont jamais au dĂ©pourvu. Les munitions des piĂšces de bataille ordinaires sont renfermĂ©es dans des caissons qui suivent partout les piĂšces, et dans des coffrets adaptĂ©s aux affĂ»ts, comme dans lâancienne artillerie française du systĂšme de Gribeauval. Des fusĂ©es., â II est un genre nouveau * de projectiles, dont lâusage a Ă©tĂ© rĂ©cemment introduit dans presque toutes les armĂ©es et qui, par leur nature, sont du ressort de lâartillerie ; ce sont les fusĂ©es ou roquettes. Elles offrent lâavantagĂ© dĂ©porter en elles-mĂȘmes leur force dâimpulsion et dâaugmen- ' Nouveau en Europe, car il parait trĂšs-ancien en Orient I e fameux Tamerlan, dans scs guerres de lâInde, eut Ă soutenir I er feu des fusĂ©ens, prĂšs de Delhi, en 1409. ORGANISATION. ARMEMENT. 89 ler de vitesse h mesure quâelles sâĂ©loignent de leur point de Ue part; bien diffĂ©rentes en ceci des autres projectiles, dont la V fĂ©sse, et par consĂ©quent la force de clioc, va en diminuant ^ a Pidenient par le fait de la rĂ©sistance de lâair. Mais le tir des USe es est trĂšs-incertain ; on nâest point encore parvenu Ă en re 8ulariser complĂštement la direction. Cela nâempĂȘche pas l u ° n ne puisse les employer avec avantage partout oĂč les Io- ^ a litĂ©s permettent dâen tirer plusieurs a la fois et de maniĂšre a ttiser fĂ© sol. Elles peuvent ĂȘtre trĂšs-ellicaces pour la dĂ©- nse de dĂ©filĂ©s longs et Ă©troits, et de certains pas de mon- la 8'ies ou lâon ne porterait que difficilement du canon. Le ae rvice en est facile, tout homme un peu intelligent peut en etre chai 'gĂ©; elles ne sont point embarrassantes; elles ap- P l, 'ent avantageusement les dispositions dĂ©fensives contre la Ca 'iilerie; leur choc ne le cĂšde guĂšre Ă celui dâun boulet de ni 5nie poids ; et lâon peut, par leur moyen, lancer de la mi- ! r aille Ă de grandes distances, ce qui est absolument imposable avec le canon. On se sert encore des l'usĂ©es pour donner des avis Ă des corps Ă©loignĂ©s, lancer une balle lumineuse Ă parachute et Ă©clairer une vaste Ă©tendue de terrain, porter nne corde de lâautre cĂŽtĂ© dâune riviĂšre, etc. On fait des fusĂ©es de tout calibre, mais celles de 2 pouces 011 de 2 1/2 pouces paraissent les plus propres au service de guerre; elles nâont pas un pied de longueur; elles pĂšsent respectivement 5 livres et 4 1/2 livres, sans leurs baguettes , consĂ©quent un seul homme peut en porter une dixaine, nt ĂȘnie des plus grosses, et on en chargerait sur un mulet, 60 premier calibre et 90 du second. Les baguettes seraient PotĂ©es par un autre mulet. Le lieutenant-colonel dâartillerie Pictet a perfectionnĂ© la Imposition cl le tir des fusĂ©es de guerre. En diminuant leur ° n gueur, il les a rĂ©duites Ă un volume moindre quâon ne lâa- Va ' 1 luit jusqu'Ă lui. La proportion quâil a adoptĂ©e pour la lon- mur du cartouche est de quatre calibres et demi ainsi les s es de 2 pouces ont neuf pouces de long, et celles de ORGANISATION. ARMEMENT. 90 2 1/2 pouces ont onze pouces et trois lignes. Les baguettes on 1 trente-deux calibres de longueur et un demi-calibre de gro^ seur. Une commission dâexperts a constatĂ© lâexcellence d e ces nouvelles fusĂ©es et en a fait Ă la Haute DiĂšte un rappo rl circonstanciĂ©, en proposant leur introduction dans lâarme 8 fĂ©dĂ©rale et en indiquant les diffĂ©rents cas oĂč elles peuvefl 1 ĂȘtre dâune vĂ©ritable utilitĂ©. l ps ha fri ne foi ra ol CHAPITRE III. Hes Marches et Ăźles ManĆuvres. Ne armĂ©e est destinĂ©e h marcher et Ă combattre. Câest P ar des marches rapides et savamment dirigĂ©es quâun gĂ©nĂ©ral f r - P p Ă©pare les succĂšs dâune campagne , quâil recueille les dâune victoire, ou quâil Ă©chappe Ă la poursuite dâun en- qui a acquis de la supĂ©rioritĂ©. La conduite des marches i ^ nie donc une partie essentielle de lâart de la guerre. Nous lS emblerons dans ce chapitre tout ce qui a rapport Ă cet 'ass, ob 'Jet. § LâRĂšgles a obsehveh dams les Marches. On doit dâabord distinguer les marches loin de lâennemi de Ce lles qui se font dans son voisinage. Dans les premiĂšres on ^cherche principalement la commoditĂ© ; on se met en haie Ur les deux cĂŽtĂ©s du chemin, Ă des distances telles quâun °mnie ne soit gĂȘnĂ© ni par celui qui le prĂ©cĂšde, ni par celui u ' le suit. De la sorte le milieu du chemin reste libre et la cir- ^laiion nâest point interrompue , les chariots trouvant encore I es Pace suffisant pour se croiser, du moins sur les routes de ^eup ordinaire. On a de plus lâattention de ne pas faire mar- Ensemble des corps trop nombreux, afin qu'en arrivant ^stine ville la troupe y trouve plus facilement des logements, prĂ© f I uarl ers " ma ' lres et * es f° l, rriers vont dâavance leur Pas Pa ' er â Gt P 0UI ^ tre ^ uc * CS su f* s l stances ne manqueront , s ' Quand il y a une trop grande affluence dans une ville , il Hoelquefois bien difficile de pourvoir en peu de temps Ă 92 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. tous les besoins; les soldats qui ne sont pas logĂ©s ou qui a 1 ' tendent trop longtemps leurs distributions de vivres, se plu*' gnent h juste titre , et il en peut rĂ©sulter de grands dĂ©sordreâ Cependant il nâest pas toujours possible dâĂ©viter complĂšte' ment ces inconvĂ©nients , mĂȘme en prĂ©venant les autoritĂ© locales du passage qui doit avoir lieu. Il faut donc que les n»' litaires sachent supporter ce genre de privations et se co»' tenter dâun abri dans une grange, dans un vestibule, sous U 11 hangar, etc. , Ă dĂ©faut dâun lit ou de paille fraĂźche. Câest l J pierre de touche des bons soldats. Il y a plus do mĂ©rite & sĂčuiĂŻrir toutes les incommoditĂ©s inhĂ©rentes au pĂ©nible rnĂ©tie de la guerre, quâĂ braver la mort dans le combat. Lorsque la troupe quâon dirige sur un point est trop noi»' breuse, on la subdivise, et on fait partir Ă des jours diffĂ©rent* les divers dĂ©tachements, quâon Ă©chelonne ainsi sur la rouff 1 Si deux chemins conduisent au mĂȘme endroit, on dirige part' 6 de la troupe sur lâun et partie sur lâautre, en faisant en sorte q» { les colonnes nâarrivent pas en mĂȘme temps au point de rĂ©union 1 Tout comme aussi il faut soigneusement Ă©viter que des c0 lonnes se croisent en chemin , parce qu'il en rĂ©sulte un i' e ' tard considĂ©rable pour celle qui est obligĂ©e dâattendre q» 8 lâautre ait dĂ©filĂ©. Il peut mĂȘme en rĂ©sulter de dangereuse contestations, si les officiers dâĂ©tat-major qui sont chargĂ©s $ la direction des marches nâont pas prĂ©vu le cas, ni rĂ©glĂ© ^ maniĂšre dont le croisement doit sâopĂ©rer. Sans un ordre sp c ' cial une colonne ne sâarrĂȘte pas pour en laisser passer u 1,e autre. La premiĂšre arrivĂ©e sur un point continue sa marcb Cl lâautre fait halte. On doit dresser des tableaux pour rĂ©gler I e * marches et rĂ©partir les logements de maniĂšre Ă ce que de ll> troupes ne soient pas dirigĂ©es sur un mĂŽme lieu qui ne po» f â rait pas les recevoir. Il y a moins dâinconvĂ©nient Ă loger une troupe nombre» 5 * dans un village si elle appartient au mĂȘme corps, quâ»"* moindre de deux corps diffĂ©rents. Les officiers d'Ă©tat-m»/ doivent mettre tous leurs soins Ă Ă©viter ces dĂ©sordres par 1,11 bonne rĂ©partition des logements. * DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 93 , ne peut pas conduire les soldats tout dâune traite dâune ta Pe Ă la suivante, surtout quand la distance est grande. ne halte au milieu du chemin est donc nĂ©cessaire ; on la fait Peu longue pour que les hommes aient le temps de se re- P° s er et de prendre quelque nourriture. Il convient, outre s â arr Ă©ter quelques minutes toutes les heures pour les s °ins de la troupe. Ayez l'attention de laisser derriĂšre quel- ^ es hommes de confiance pour ramasser les traĂźneurs et em- P ec her la maraude. Parlez de grand malin , surtout en Ă©tĂ© ; ma ' s ne prenez pas sur le sommeil nĂ©cessaire Ă lâhomme 111 de minuit Ă trois ou quatre heures est le meilleur, celui dĂ©lasse le plus. Câest une mauvaise mĂ©thode que de mar- er de nuit. On a fait h cet Ă©gard une expĂ©rience dĂ©cisive pai' r ^' ments > lâun marchant le jour et lâantre la nuit, ont ° Ur u le mĂȘme espace dans la belle saison ; le premier a , ni °ins de malades et de traĂźneurs que le second. Câest ttla,n lenanlun principe consacrĂ© par lâhygiĂšne militaire que la lr °Upe ne doit pas marcher de nuit. Il faut de tout autres dispositions pour les marches en pays e nnemi. On doit ici sacrifier lâaisance et la commodilĂ© Ă la s j>retĂ© , sâastreindre Ă des gĂšnes indispensables pour ne pas Exposer aux dangers des surprises, et ĂȘtre toujours prĂȘt Ă s °utenir une attaque. La nĂ©gligence Ă cet Ă©gard nâest jamais Ensable, car lâennemi peut se prĂ©senter au moment oĂč lâon y s °nge le moins. j La premiĂšre rĂšgle est de marcher en colonne et sur le front Phts large possible , afin dâoccuper moins dâĂ©tendue , et ^ e 'i cas dâattaque les troupes de la queue aient le temps ap river pour soutenir celles de la tĂȘte. On marchera donc en ^°J°nne par sections, par pelotons et mĂȘme par divisions, ,v ant [ a ] ar g eur d e [ a route. Si la marche a pour objet un m Ple dĂ©placement, pour opĂ©rer quelque rassemblement ou U Ce ntration de forces, avant dâen venir aux mains ; si, en donner le change Ă lâennemi, dĂ©tourner son attention , diviser ses forces , menacer sa ligne de retraite , lui donner de lâinquiĂ©tude sur ses dĂ©pĂŽts, etc. Les marches manĆuvres sont ainsi nommĂ©es parce que ce sont des manĆuvres faites Ă une grande Ă©chelle, hors de la portĂ©e du canon, et quâelles nâont pas pour unique objet de gagner du terrain , comme les marches de route , mais de se placer convenablement sur le terrain oĂč la bataille va se livrer. Elles sâexĂ©cutent dans le voisinage de lâennemi, et, pour ainsi dire, Ă sa vue , il faut donc quâil y rĂšgne beaucoup dâordre, et y employer le moins de temps possible. Plus la bataille devient imminente et plus la troupe doit ĂȘtre prĂȘte Ă un dĂ©ploiement rapide. Elle est alors formĂ©e en colonne serrĂ©e par divisions, soit sur la route mĂȘme , soit Ă cĂŽtĂ©. Câest ce quâon peut appeler l'ordre prĂ©paratoire au coin' bat. Il nây a quâun seul cas oĂč lâon doive conserver la distance entiĂšre dans une marche manĆuvre, câest lorsquâon prĂ©sente le flanc Ă lâennemi, parce quâalors la colonne peut se mettre en bataille par un simple Ă droite ou Ă gauche des subdivisions. Mais ces mouvements de liane sont toujours dangereux; on les Ă©vite autant que possible. En gĂ©nĂ©ral on arrive sur le champ de bataille par la tĂȘte de la colonne! dĂšs lors on comprend la nĂ©cessitĂ© de faire serrer, pour faciliter et abrĂ©ger les dĂ©ploiements. Une colonne de marche sera toujours prĂ©cĂ©dĂ©e dâun avant-garde , qui fouille et explore le terrain , ouvre la route ou la rĂ©pare, si cela est nĂ©cessaire, dĂ©joue les projets de lâennemi pour surprendre la colonne ou lui dresser des en 1 ' buscades, etc. Elle annonce lâarrivĂ©e de lâennemi, soutien 1 ses premiĂšres attaques, et donne ainsi au corps principal I 8 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 95 â*ps de se mettre en mesure. L'avant-garde elle-mĂȘme se fa,t PrĂ©cĂ©der Par le gauche d 'l'ours par de petits dĂ©tachements fort bien dĂ©signĂ©s n om dâĂ©c/aireurs. Elle envoie encore de droite et de dans autres dĂ©tachements qui portent le nom de flan- Pour faire le tour des villages, des bouquets de bois ^ lesquels lâennemi pourrait se cacher, dĂ©couvrir le revers ^ collines qui longent la route, passer derriĂšre les grandes les > fouiller les ravins, les blĂ©s, etc. La colonne a en ^tre ses propres flanqueurs, surtout dans le cas oĂč elle mar- ^ ^ isolĂ©e ; car il est possible que quelque chose ait Ă©chappĂ© , 'gilance des premiers. 11 vaut mieux user de trop de precmi âą 1 1 Ul, °ns que dâen nĂ©gliger une seule 1702 l enti Le i ..- duc de VendĂŽme fut plus heureux que sage lorsquâon d vint Ă Luzara, sur la rive droite du PĂŽ, dresser ses P°Uvoi r qui enl ^n face de toute lâarmĂ©e du prince EugĂšne, qui Ă©tait !, lle et cachĂ©e derriĂšre une digue. On ne la croyait point plĂ» Cfi S ° rte que lâavant-garde , une fois arrivĂ©e , nâalla pas l°'u reconnaĂźtre les environs, et lâon en Ă©tait Ă dresser uidcm! teS quand un hasard sauva lâarmĂ©e de VendĂŽme. Un ' n â a jor, chargĂ© de placer la garde du camp, ne crut pas mieux faire que de mettre une sentinelle sur la digue, ri e eia '* *' 0rt rapprochĂ©e. En y arrivant il dĂ©couvrit lâinl'anle- d an e t n . neniie . qui se tenait couchĂ©e derriĂšre la digue en alten- loin s '8 na l de lâattaque , et la cavalerie, qui Ă©tait plus n> ^ bataille. AussitĂŽt il donne lâalarme, et les troupes, qui l> aVa â ent pas encore rompu leurs rangs, purent repousser que. Dix minutes de plus, VendĂŽme perdait son armĂ©e et 5ans ar,s les guerres de la RĂ©volution , un gĂ©nĂ©ral rĂ©publicain dâi f ex P Ă©, ' cnce i avait sous ses ordres une longue colonne v ant atlte, ' e qU ' su l ya ' tun c l ,em ' n bordĂ© de haies. Point dâa- da bar de - point de flanqueurs, et une grande nĂ©gligence ^ ns la colonne, qui sâĂ©tait considĂ©rablement allongĂ©e. Tout n U P * e c hef vendĂ©en Charrette tombe sur le flanc de la co- > ta coupe par le milieu et la disperse en un moment. Ici 96 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. la bravoure ne peut rien ; il nây a de ressource que dans la fuite. Tel est le rĂ©sultat de lâimpĂ©ritie ou de lâimprudence dâun chef. Une arriĂšre-garde est encore nĂ©cessaire pour fermer la marche, empĂȘcher les dĂ©sordres que les traĂźneurs pourraient commettre, et se prĂ©munir contre toute attaque inopinĂ©e par derriĂšre. Le corps principal est ainsi entourĂ© de corps secondaires qui'veillent Ă sa sĂ»retĂ©. Les Ă©quipages ne doivent jamais ĂȘtre entremĂȘlĂ©s avec les troupes, parce que dans un engagement fortuit ils mettraient obstacle au prompt rassemblement des diffĂ©rents corps, et, quâen tout cas , ils allongeraient inutilement la colonne. On les fait donc marcher, serrĂ©s et en ordre, Ă la suite des troupes, en les disposant sur deux files quand la largeur des chemins le permet, afin de rĂ©duire Ă moitiĂ© lâespace quâils occupent, lequel est toujours trĂšs-considĂ©rable. 11 faut une escorte aux bagages, pour les mettre Ă lâabri des insultes des partisans qui pourraient se glisser sur les derriĂšres de lâarmĂ©e. On distribuera des travailleurs en tĂȘte de la colonne pour applanirles obstacles, combler les fossĂ©s et les orniĂšres, raccommoder les ponts, ou les soutenir quand ils sont trop faibles, etc. De cette maniĂšre la marche de la colonne pourra bien ĂȘtre quelquefois ralentie , mais elle ne sera jamais entiĂšrement arrĂȘtĂ©e. Ces travailleurs auront avec eux quelques charriots sur lesquels seront chargĂ©s les outils , les bois , Ie s cordages et autres objets nĂ©cessaires. Un autre soin, trĂšs-minutieux en apparence, mais en rĂ©alitĂ© fort important, câest de modĂ©rer le pas Ă la tĂȘte de la colonne , pour Ă©viter quâelle ne sâallonge. Pour atteindre ce but on peut mettre en tĂȘte les plus mauvais marcheurs ou les troupes les plus lourdes, de mĂȘme quâen tĂȘte des Ă©quipages on met quelquefois des voitures attelĂ©es de bĆufs. Lorsquâon est encore loin de lâennemi, on laisse quelquâintervalle entr e les diffĂ©rents corps qui composent la colonne; alors les fluc- DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 07 limions de lâun ne se propagent pas jusquâĂ lâaulre , et cha- l'iin de ces corps marche Ă peu prĂšs aussi commodĂ©ment que s il Ă©tait seul. Il en rĂ©sulte un grand soulagement pour le sol- ^at qui, sans cela, et pour peu quâil soit en arriĂšre, est °bl'gĂ© de sâarrĂȘter toutes les fois que , pour une cause quelconque, ceux qui le prĂ©cĂšdent en font autant, et ensuite de regagner les distances perdues au pas accĂ©lĂ©rĂ©. Cette inĂ©galĂ© dans la vitesse du pas fatigue extrĂȘmement. On lâĂ©vite dâtant que possible en employant le moyen indiquĂ© , mais au quel il huit pourtant renoncer dans les marches manĆu- Vres et aussitĂŽt quâil y a quelque chance dâĂȘtre attaquĂ©. des marches ordinaires sont de six Ă huit lieues. Les der- ,er es sont dĂ©jĂ fortes; cependant il est des circonstances 'âąSpĂ©cieuses oĂč il faut faire jusquâĂ dix lieues et mĂŽme davan- lt *8e, a u risque de laisser beaucoup dâhommes et de chevaux ?" arriĂšre. H faut quâĂ des marches forcĂ©es succĂšdent des âątours ] e repos, si on ne veut pas voir lâarmĂ©e se fondre en P e u de temps. Les lieues dont if est iei question sont des lieues militaires, de 4,000 mĂštres ou 0,000 pas. dâinfanterie fait une lieue Ă lâheure, sans compter les hal- tes * ensorte que, tout compris, il lui faut environ dix heures P°' ,r faire huit lieues ; toujours en supposant quâelle marche lieu°'° nnR dn cavalerie fait une lieue et quart au pas, et deux es au p ei j t trot . ct; conime e n e soutient cette allure plu- ' eurs heures; on voit quâelle peut, au besoin , franchir lâĂ©- .P e 0r dinaire en trois ou quatre heures. Cependant les mar- â. es forcĂ©es sont encore plus nuisibles Ă la cavalerie quâĂ l 'nlanterie. Iiah ° nS ' GS n,arc * ies d 11 ' sc fr ,llt P rRS 1 ennemi la grande ^ e est mise Ă profit pour cuire la soupe. Lorsque les hom- j, et les chevaux se sont repus, ils font plus facilement s qj Utre mo 'tiĂ© de lâĂ©tape, et ont des forces pour combattre iff 1 ^ Ue 'd uc engagement dans la soirĂ©e, cire aUt ^ ° nC â ^ moins que des ordres contraires ou des oostances particuliĂšres ne sây opposent, prolonger assez 7 98 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. la halte pour donner aux soldats le temps de faire la cuisine. A lâĂ©tape ils sont nourris par les habitants chez lesquels ils sont cantonnes. Mais on conçoit que , pour peu que la troupe soit nombreuse, il nâest pas toujours possible de la loger dans les maisons particuliĂšres; car la prudence ne permet pas de se dissĂ©miner; il faut alors quâelle bivouaque, et câest aux commissaires des guerres Ă pourvoir Ă sa subsistance. A cet effet, ils font suivre la colonne par des bestiaux et par des chariots remplis de pain, quâils se sont procurĂ©s dans les Ă©tapes prĂ©cĂ©dentes par la voie des rĂ©quisitions. Quand la troupe sĂ©journe, ces rĂ©quisitions sâĂ©tendent plus nu loin , et lâon a de plus la ressource de faire arriver des vivres des magasins quâon aura antĂ©rieurement créés dans le pays dont on est maĂźtre. Cependant ces ressources peuvent manquer ou rester insuffisantes; câest donc un usage utile Ă introduire que celui de faire porter aux soldats des vivres pour quelques jours, et de les habituer Ă nây toucher quâaulant quâil y a une rĂ©elle nĂ©cessitĂ©. Dans la campagne de Russie, le marĂ©chal Davoust avait fait arranger les sacs de ses soldats de maniĂšre Ă ce quâon y put mettre sur les cĂŽtĂ©s quatre biscuits dâune livre, et dessous, un petit sac de farine pesant environ dix livres. Que la troupe soit cantonnĂ©e ou quâelle bivouaque en route , elle ne rompra jamais ses rangs quâau prĂ©alable les dĂ©tachements qui doivent veiller Ă sa sĂ»retĂ© nâaient fait la reconnaissance des environs, et ne se soient Ă©tablis en avant- postes tout autour des villages occupĂ©s ou des bivouacs. La vigilance est la mĂšre de la sĂ»retĂ©. Il faut donc quâune troupe, quelque nombreuse quâelle soit, sâastreigne h prendre des mesures de prĂ©caution, non-seulement quand elle sâĂ©tablit pour passer la nuit, mais mĂȘme dans ses haltes. Voyez, pour ce qui concerne les avant-postes, le chap. IX, qui traite du repos des troupes. Donnons maintenant quelques dĂ©laiissur le service des Ă©claireurs, sur la composition de lâavant-garde et sur la force numĂ©rique dâune colonne de marche. DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 80 tics Ă©claireurs. âAucune marche en pays ennemi ne doit se faire sans ĂȘtre Ă©clairĂ©e. En plaine, ce sont principalement les cavaliers, et en terrain coupĂ© , les fantassins qui font ce service. Les Ă©claireurs se portent en avant et sur les cĂŽtes Par petites troupes. Il est inutile de donner de la force aux Ă©claireurs, leur fonction nâĂ©tant point de combattre lâennemi, mais seulement de le dĂ©couvrir. Dâailleurs le service en est PĂ©nible ; il faut donc s'arranger de maniĂšre Ă ce que le tombe revienne pas trop souvent. Les Ă©claireurs sont en tĂȘte de lâavant-garde et sur ses ^ncs. Les uns sont les Ă©claireurs proprement dits, les autres s °nt les flemqueurs. lis marchent Ă deux ou trois cents pas de ^avant-garde , quâils ne perdent jamais de vue , non plus que les Ă©claireurs voisins avec lesquels ils doivent toujours rester °b communication. A cet elfet, le dĂ©tachement de la tĂȘte env oie trois petits groupes, lâun en avant sur la route et les fleax autres il droite et Ă gauche. Ces groupes marchent rĂ©u - nis > ou du moins les quelques hommes qui les composent ne Se sĂ©parent jamais assez pour se perdre de vue ou ne plus ^entendre. Les dĂ©tachements de flanqueurs seront quelque- f °is obligĂ©s de marcher Ăźi une assez grande distance de la route P°ur dĂ©couvrir le pays ; chaque dĂ©tachement sâentoure donc aussi de petits groupes, dont lâun marche en avant et les au- ll es du cĂŽtĂ© de lâennemi. Quand le pays est trĂšs-couvert on doit augmenter le nombre des Ă©claireurs. Trois hommes suffisent Ă chaque dĂ©couverte câest ains ES MARCHES ET DES MANOEUVRES. Les Ă©claireurs cherchent toujours, en marchant, Ă se couvrir des haies, des bois, des broussailles, ou des Ă©minences qui sont sur leur chemin, pour voir, autant que possible , sans ĂȘtre vus eux-mĂȘmes. AussitĂŽt quâils dĂ©couvrent une troupe ennemie, ils sâarrĂȘtent, se cachent, et lâun dâeux vient avertir le commandant du dĂ©tachement auquel ils appartiennent. Ils enverront de nouveaux avis Ă mesure quâils dĂ©couvriront de nouvelles choses ; et tout cela sans bruit. Les Ă©claireurs fouilleront les ravins et les bois avec le plus grand soin ; ils ne passeront jamais prĂšs dâune chaussĂ©e, dâune forte haie, dâun mur, dâune haute moisson, sans voir ce quâil y a derriĂšre. Ils visiteront les maisons dans lesquelles lâennemi pourrait ĂȘtre cachĂ© ; un seul des trois Ă©claireurs y entre, les autres restent dehors pour donner lâalerte sâil y a lieu. Ils doivent Ă©galement visiter les carriĂšres et tous les endroits on lâennemi pourrait se cacher. Avant dâentrer dans un village, lâavant-garde fait une halte pour donner aux Ă©claireurs le temps de le fouiller et de prendre quelques informations sur les partis que lâennemi peut avoir dans le voisinage. Les Ă©claireurs parcourent les rues, entrent dans les cours et les jardins clos de murs; ils se font ouvrir quelques maisons et visitent lâĂ©glise. Pour abrĂ©ger ces formalitĂ©s, ils se partagent la besogne. Tout cela doit ĂȘtre terminĂ© en quelques minutes. Si lâennemi est tout prĂšs et que le village soit suspect, le dĂ©tachement dâĂ©claireurs sây arrĂȘte plus longtemps pour le mieux fouiller. Au surplus, pour peu que lâavant-garde soit nombreuse, elle se fait elle-mĂȘme prĂ©cĂ©der dâune extrĂȘme avant-garde , en sorte que les retards de la marche ne sont supportĂ©s que par ce corps avancĂ© qui regagne sa distance par une marche plus rapide , aprĂšs avoir passĂ© le village. Câest alors lâextrĂȘme avant-garde qui fournit les Ă©claireurs. Les dĂ©tachements de flanqueurs sont fournis directement par lâavant-garde ; ils marchent parallĂšlement, lâun Ă droite , lâautre h gauche de la route. Les flanqueurs, pouvant se trouver quelquefois hors de 1KS .UAUCUES ET DES MANOEUVRES. 101 vue, ou Ă©tablit la liaison avec des patrouilles ou petits dĂ©tachements intermĂ©diaires. La dĂ©couverte qui marche sur la 'oute en tĂšte des Ă©claireurs doit ĂȘtre un peu plus forte que 'es autres; on peut la composer de cinq hommes, afin dâen envoyer deux en avant pour ouvrir la marche et commencer I exploration. La ligure 6 e donne une idĂ©e de ces dispositions. Dans cette *'gnre, A reprĂ©sente lâavant-garde, 11 le dĂ©tachement qui fournit les trois groupes dâĂ©claireurs qui la prĂ©cĂšdent, celui milieu ayant lui-mĂȘme deux Ă©claireurs en avant ; CG re- P'Ă©scntent les dĂ©tachements qui marchent parallĂšlement Ă la r °ute et fournissent les tlanqueurs que nous supposons mar- c Ler aussi en trois groupes , lâun en tĂȘte du dĂ©tachement se haut avec ] es Ă©claireurs , et les deux autres en dehors sur s °n liane ; DD sont les patrouilles intermĂ©diaires qui Ă©tablisse l la liaison avec les flanqueurs, et, au besoin, leur donnent 1111 Premier secours sâils sont attaquĂ©s. Dans une marche de nuit, tous ces dĂ©tachements doivent ĂȘtre extrĂȘmement rapprochĂ©s de lâavant-garde, si mĂȘme il ne feut pas renoncer entiĂšrement aux flanqueurs. Ils garderont Un rigoureux silence, prĂȘtant lâoreille au moindre bruit. De les yeux doivent ĂȘtre remplacĂ©s par les oreilles, dit XĂ©n °Phon. , Savant-garde. â Si elle nâĂ©tait jamais destinĂ©e quâĂ airer lâarmĂ©e et Ă escarmoucher, on nây emploierait abso- mnt q Uc j] cs troupes lĂ©gĂšres ; mais elle doit quelqucfoissâem- rer ^ postes avantageux, et sây maintenir contre des forces ĂŒ PĂ©ricuresjusquâĂ ce que le corps dâarmĂ©e arrive; elle a des * es â forcer, des villages retranchĂ©s Ă emporter; elle est don' a ^ Ue â uslanl ex P 0S ^ e Ă des attaques sĂ©rieuses. 11 faut de r ° Ulre * es ll 'oupes lĂ©gĂšres de toutes armes, lui donner de , ,n ^ anler e f° ligne , de la grosse cavalerie et du canon nier '* l0Ut ^ ans ^ cs P r0 P 0rl ' l0,ls convenables et de ma- e a ce que les diverses armes puissent se prĂȘter un mu- U,el secours. ĂĂ3 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. Sâil est vrai quâune avant-garde ne doit pas ĂȘtre exclusivement composĂ©e de troupes lĂ©gĂšres, il ne faut pas non plus , par un dĂ©faut contraire , nây envoyer que des grenadiers , comme quelques Ă©crivains militaires lâont proposĂ© ; parce quâalors lâavant-garde perdrait de sa mobilitĂ© et sâĂ©clairerait mal. Dâailleurs les bataillons quâon forme momentanĂ©ment de compagnies de grenadiers rĂ©unies qui ne se connaissent point, sous un chef nouveau pour elles, ne valent pas plus que les bataillons ordinaires; et, ceux-ci, privĂ©s de leurs compagnies dâĂ©lite, doivent perdre de leur confiance morale et par consĂ©quent de leur force. Voulez-vous rĂ©unir les grenadiers, que ce soit en corps de rĂ©serve et pour frapper de grands coups. Alors le sentiment du service quâils vont rendre Ă lâarmĂ©e enflamme leur courage ; ils veulent ĂȘtre brillants sur le champ de bataille ; ils ont Ă cĆur de soutenir leur rĂ©putation de bravoure ; ce sont vraiment alors des soldats dâĂ©lite. Mais les employer h tout et constamment, les prodiguer, exiger quâils soient toujours Ă lâavant-garde, câest les fatiguer et compromettre leur honneur par les revers partiels auxquels on les expose ; câest les dĂ©pouiller de cette haute considĂ©ration qui fait leur force. On arrivera donc Ă la meilleure composition de lâavant- garde en en faisant rouler le service sur les bataillons et les escadrons de toute lâarmĂ©e. Et comme câest Ă lâavant-garde que les militaires de tout grade apprennent le mieux la guerre, on trouvera encore dans cette rotation lâavantage de faire passer tous les corps Ă une bonne Ă©cole. Composer lâavant- garde de dĂ©tachements pris dans tous les corps est aussi une mauvaise mĂ©thode; cela complique le service et tue lâĂ©mulation qui doit exister entre les diffĂ©rents corps. La discipline en souffre nĂ©cessairement parce que les soldats ne se trouvent plus sous leurs chefs habituels. Câest pourquoi nous avons dit que le service doit rouler entre les bataillons et les escadrons. Si lâavant-garde Ă©tait plus faible, il faudrait y employer des compagnies entiĂšres, mais jamais de fractions. DES MARCHES ET 1E MANOEUVRES. 105 Le commandant de lâavant-garde doit ĂȘtre muni des meilleures cartes, etavoir auprĂšs de lui quelques habitants du pays Pour lui servir de guides et lui donner les renseignements lont il pourrait avoir besoin. A chaque station il prend de n ouveaux guides quâil fait marcher sous bonne escorte pour H 11 ils ne lui Ă©chappent pas. La connaissance de la langue lui Csl dâune grande utilitĂ© ; sâil ne la possĂšde pas , il faut de l oute nĂ©cessitĂ© quâil y ait dans son Ă©tat-major quelques olll- C ers auxquels elle soit familiĂšre, et de prĂ©fĂ©rence des officiers 1 l Ul aient voyagĂ© ou dĂ©jĂ fait campagne dans le pays. Il interrogera les voyageurs, les dĂ©serteurs et les prison- ni f rs , sur la position et les forces de lâennemi, sur ce quâon Sait 0u prĂ©sume de ses projets, sur la situation morale des l [ 0,l Pcs , le caractĂšre des chefs, etc. 11 nâobtiendra, sans . ute . de chaque individu isolĂ©ment que des notions fort ltlients antĂ©rieurs, etc. Toutes les rĂ©ponses faites par ces l, lividus aux questions qui leur sont adressĂ©es doivent ĂȘtre touchĂ©es par Ă©crit pour ĂȘtre communiquĂ©es au gĂ©nĂ©ral en le > aussi souvent quâelles offrent quclquâintĂ©rct ou quel- 'l 110 lumiĂšre sur les projets de lâennemi. AussitĂŽt que le commandant dâavant-garde arrive dans un Cu ° Ăč il doit sâarrĂȘter, il fait venir auprĂšs de lui les autoritĂ©s 1 personnages les plus Ă©clairĂ©s pour les interroger et ob- ^ tlâeux tous les renseignements quâils sont capables de ° n uer, sur la nature et la direction des chemins, lâĂ©tat des P°uts, ] es g U i s q U â on p eu t avoir Ă traverser, lâĂ©tendue des ^ ls > la longueur des dĂ©lilĂ©s, la profondeur des marais, etc. p suv ent quelque chose de la position et des projets de 1 unerni, câest avec adresse bien plus que par dĂšs menaces l 11 on les engagera Ă le communiquer. Il faut se mĂ©lier de ce lu 'l s disent des ressources du pays; ils sont intĂ©resses Ă les 0llei ail -dcssous de ce quâelles sont rĂ©ellement; cependant 104 DES ARCHES ET DES MANOEUVRES. câcst un point essentiel sur lequel le commandant de lâavant- garde doit insister pour avoir des indications certaines. Pendant quâil sâoccupe de ces dĂ©tails, qui exigent de sa part beaucoup dâactivitĂ© et de tact, il envoie quelques-uns de ses ofli- /iers faire la reconnaissance des environs et principalement dans la direction de la roule Ă parcourir le lendemain ; il fait fouiller le pays Ă une assez grande distance par des patrouilles qui circulent sur tous les chemins et visitent tous les lieux qui pourraient servir dâabri h lâennemi et favoriser une surprise. La troupe ne pose les armes et nâentre en logement ou nâĂ©tablit son bivouac que lorsque les patrouilles sont rentrĂ©es, que les gardes sont Ă©tablies et quâon sâest assurĂ© quâil nây a rien Ă craindre. Un des soins principaux du commandant de lâavant- garde est de requĂ©rir des vivres, afin que les soldats ne se dĂ©bandent pas pour en aller chercher. Lâavant-garde, n'Ă©tant ordinairement pas trĂšs-nombreuse et pouvant avoir affaire Ă des forces trĂšs-supĂ©rieures, il est trĂšs-essentiel qu'elle reste rĂ©unie. Il faut des vivres pour le jour mĂȘme; il en faut aussi pour le lendemain ; on les chargera sur quelques voitures du pays. La prĂ©voyance nâest jamais nuisible. Faites, dit Monlluc, que vous ayez toujours des provisions et principalement du pain et du vin pour donner quelque rafraĂźchissement au soldat, car le corps humain nâest pas de fer. » Quand lâavant-garde rencontre un village sur la route , elle le tourne, si cela est possible, plutĂŽt que de le traverser, surtout sâil a quelque longueur, parce quâil faut, en gĂ©nĂ©ral, Ă©viter les dĂ©filĂ©s, oĂč une attaque est toujours Ă redouter. Dâailleurs il pourrait arriver que les Ă©claireurs, ayant mal explorĂ© le village, lâennemi se trouvĂąt dans les maisons, dâoĂč il ferait beaucoup de mal avant quâon put le dĂ©loger. Quoique peu probable , il suflit que cet Ă©vĂ©nement soit possible pour justifier une mesure de prudence. Aux croisĂ©es des routes l'avaul-gardc jalonne avec des branches dâarbres, ou avec de la paille , celle quâelle a prise, DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 103 1 "* l ue ' e corps principal qui la suit h une distance plus ou Woins grande , et qui, presque toujours, est hors de vue, ne e gare pas. On peut encore y laisser quelques cavaliers pour ctquer le chemin. Cela dĂ©pend du temps que'le corps prin- cl Pal doit mettre h arriver. Si elle trouve quelque pont rompu ° u e n mauvais Ă©tat, des fossĂ©s coupant la route, des fondriĂš- res ou autres obstacles qui pourraient arrĂȘter la marche de la °Ionne, les sapeurs et les ouvriers se mettent immĂ©diatement . aire les rĂ©parations nĂ©cessaires avec toute la diligence pos- e ! ils rejoindront lâavant-garde Ă la premiĂšre halte, der an ^ * e P a J s est l, 'Ăšs-couveri, lâavant-garde se fait prĂ©cĂ©- tl , * e ^ e ' ni cme de quelques Ă©claireurs qui se lient avec lâex- ° ,lle av ant-garde et les flanqueurs. Câest pour le cas oĂč les 1er llei S ^ c I a ' reu, s auraient laissĂ© quelque partie sans la fouil- jeter ennei11 '» , 'aii sâĂ©ti-e placĂ© dans lâintervalle, lfĂ©pĂ©tons-le Ă la les fe 011 ,le saura it u ser de trop de prĂ©cautions pour Ă©viter 'icnio ^ IS ° S â laul eu niarc * ,e quâau camp et dans les canton- l ''ĂšnD> nS * es P assa 8 cs de dĂ©fdĂ©s quâon ne peut Ă©viter, lâex- ;Ve ^ av ani-garde doit, aprĂšs les avoir franchis, explorer l>ar- U " ,e d°ublemenl dâattention le terrain environnant; $âei ^ U ° c ' cst dans de semblables localitĂ©s que lâennemi , l,Sf l 1 era de prĂ©fĂ©rence pour attaquer la colonne avant d 0 C a' 1 Pu se dĂ©ployer. LâextrĂȘme avant-garde sâarrĂȘtera et e 6 * mUl ° cĂŽtĂ© du dĂ©lilĂ©, se dĂ©ploiera mĂȘme en bataille P°ssibp! ra ' pouvant reconnaĂźtre Ă quelles forces il a affaire, doit ĂȘtre extrĂȘmement circonspect. Le corps principal a donc le temp 5 dâarriver au secours de son avant-garde, Mais, comme no s lâavons dĂ©jĂ dit, on fait le moins quâon peut des marches i c nuit ; elles fatiguent extrĂȘmement le soldat ; elles sont I 9 cause de dĂ©sordres que les chefs ne peuvent pas rĂ©primerâ enlin câest pendant la nuit que de cruelles mĂ©prises peuven 1 avoir lieu. Entre les nombreux exemples que lâon peut cil cl de troupesâ amies se tirant les unes sur les autres dans lâ°' r scurilĂ©, je mĂ©contentĂ© du suivant, extrait du partisan du prW' de liesse Uhifels, LâarmĂ©e française, divisĂ©e en deux colonne»â pour faire une marche de nuit sur Landau, un partisan enn* 5 ' mi se glissa avec cinquante hommes entre ccs deux coloun cĂź â 107 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES, H 11 ' Ă©taient sĂ©parĂ©es par un ravin. Il fit faire feu des deux cd- l Ă©s h la fois, et se retira paisiblement. Chaque colonne, se v °yant attaquĂ©e subitement, rĂ©pondit au feu, et les deux es restĂšrent acharnĂ©es lâune contre lâautre jusquâau olonn jour. ^our l a g ra nde halte lâavant-garde cherchera quelquâen- dg 01 , 1 ' avanta geux et, autant que possible , couvert aux vues e * ennemi, comme le revers dâune colline. On place des sen- les GS SUI scmmet P 0111 â dĂ©couvrir au loin ; on en met sur lo ,C ^ Cni â ns P ar lesquels lâennemi pourrait venir. Sâil y a un ls dan * le voisinage , on le fait visiter par les Ă©claireurs et PoJ ^*' SSc quelques hommes qui, se tenant dans le fourrĂ© , une r ° nt SUns dlre a P er O ,s voa â ce 1 u ' se P asse au dehors. Si , atla luc est imminente , une moitiĂ© de la troupe restera Paut Jl ° P^ te a combattre , lâarme au pied, pendant que j- a j e moitiĂ© fera son repas. Ce sera ensuite Ă celle-ci de ^ la garde pendant que la premiĂšre se reposera. . ^ l, and on aura un bois de quelquâĂ©tendue h traverser on s J a la halte avant dây entrer, et le commandant renforcera I ex h'Ă©me avant-garde pour que celle-ci puisse augmenter Nombre des Ă©claireurs. u es ta mbours de lâavant-garde sâabstiennent de battre, pour P as donner lâĂ©veil Ă lâennemi ; et, en gĂ©nĂ©ral, on fait peu vilig 3 ^ 6 du lam bour cn route, si ce nâest pour traverser une faille, tan^ U °" C quand on prĂ©voit quâelle aura quelque choc Ă soutenir, Position Ă enlever et h conserver; mais en gĂ©nĂ©ral on nây Pas plus du cinquiĂšme de la force totale du corps ! ,"!âP° ur arriver au camp, ou pour entrer sur un câ _ de a ne 0lll Ploie 108 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. dâarmĂ©e, et le plus souvent on reste au-dessous de cette proportion. Sâil Ă©tait permis de poser un principe Ă cet Ă©gard . on pourrait dire que la force de lâavant-garde varie entre le cinquiĂšme et le dixiĂšme de celle de lâarmĂ©e. La faire plus forte serait fatiguer les soldats par un service pĂ©nible qui reviendrait trop souvent; et, dâun autre cĂŽtĂ©, ce serait lâexposer Ă ĂȘtre dĂ©truite ou enlevĂ©e que de la composer dâun trop petit nombre de troupes. Se voyant si faible, elle nâoserait bazarder un coup de vigueur quand les circonstances lâexigeraient, et sa timiditĂ© pourrait ĂȘtre funeste Ă lâarmĂ©e. Pour ce qui est de la distance Ă laquelle lâavant-garde doit marcher, on conçoit quâelle est plus grande pour un corps nombreux que pour un faible, et quâelle dĂ©pend en grande partie de la longueur mĂȘme de la colonne. Car lâavant-gardc Ă©tant destinĂ©e Ă annoncer lâennemi et Ă retarder sa marche , doit ĂȘtre assez Ă©loignĂ©e pour que le corps principal, lu moment oĂč il reçoit lâavis, ait le temps de se dĂ©ployer pour recevoir l'attaque. Ainsi, par exemple , si la colonne occupe une lieue, il faudra plus dâune heure Ă la queue pour arriver en ligne. Il est donc nĂ©cessaire que lâavant-garde soit au moins Ă cette distance de la tĂȘte de la colonne; car, sâil est vrai quâelle retarde par sa rĂ©sistance lâarrivĂ©e de lâennemi, il y a eu aussi du temps perdu pour reconnaĂźtre le vĂ©ritable Ă©tat des choses, et expĂ©dier lâestafette. 11 semble donc quâon pourrait dire, en gĂ©nĂ©ral, que ce qui fixe le minimum dâĂ©loignement de lâavant-garde, câest la longueur mĂȘme de la colonne quâelle est destinĂ©e Ă couvrir. Pour une colonne dâune lieue de longueur lâavant-garde sera au moins Ă une lieue de distance. Pour un corps qui nâoccuperait que quatre Ă cinq cents mĂštres lâavant-garde pourrait en ĂȘtre rapprochĂ©e jusquâĂ cette distance. Mais souvent lâavant-garde est portĂ©e plus loin. LâurriĂšrc-t/anle est disposĂ©e Ă peu prĂšs comme lâavant-garde ; mais elle est naturellement plus faible, car on a moins * I>ES MARCHES DES MANOEUVRES. 109 C amdre par derriĂšre quâen tĂšte. Un corps particulier la com- T 1 ' dĂ©tache en arriĂšre et sur les cĂŽtĂ©s une extrĂȘme ar- rterc-garde et des llanqueurs. Ces dĂ©tachements Ă©parpillent s groupes de deux ou trois hommes qui doivent se retour- lâ er s °uvenl pour voir si lâennemi ne suit point la marche de c °lonne. Ces groupes arrĂȘteront les dĂ©serteurs et les ma- r ' lu ee en plusieurs corps qui forment autant de colonnes mar- a " 1 sur des routes parallĂšles. Lâavantage quâon y trouve est ^"-seulement de rendre lâarmĂ©e plus mobile, mais encore e ^ border l'ennemi quand il rĂ©siste quelque part, se j. °curer plus facilement des subsistances. On ne peut point ^""ler le nombre des colonnes ; il dĂ©pend des chemins que , Pays prĂ©sente et, en gĂ©nĂ©ral, on les multiplie quand on a Pproche du champ de bataille, afin de rendre les dĂ©ploie- n,e *ils p] us prompts. A cet effet, on partage la colonne de ^ ap che en plusieurs colonnes de manĆuvre, qui prennent leur ^ re ciion Ă travers la campagne quand il nây Ă pas de chemins "ombre suffisant. Mais il est une limite Ă la force dâune °""e de marche au-dessous de laquelle il est toujours con- "able de se tenir. Câest cette limite quâil est bon dâĂ©ta- b »'ici. HO DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. Supposons donc quâun corps nombreux marche sur une seule route. Ce corps sera composĂ© de toutes armes dans des proportions convenables. Il aura une forte avant-garde qui le prĂ©cĂ©dera dâune demi-marche ou dâenviron trois lieues. Les estafettes mettront environ une heure h franchir cet intervalle ; le gĂ©nĂ©ral en chef aura donc deux heures pour donner ses ordres et faire dĂ©ployer sa colonne, en admettant, ce qui peut arriver, que lâennemi, trĂšs-supĂ©rieur en forces , refoule lâavant-garde sur le corps principal. Ainsi la longueur totale de la colonne ne doit pas ĂȘtre de plus de deux lieues, pour que les derniers bataillons aient le temps dâarriver avant que lâaction soit sĂ©rieusement engagĂ©e. Or lâexpĂ©rience a prouvĂ© quâun corps dâarmĂ©e de 25 Ă 50 mille hommes est dans les conditions Ă©noncĂ©es ci-dessus , et câest ce [ue lâon peut dĂ©terminer pat 1 un calcul assez simple, Le corps de 50 mille hommes, opĂ©rant dans un pays ouvert, nâaura pas moins de 4000 chevaux et dâun millier d'artilleurs pour le service des piĂšces et du parc. Il faut encore compter un millier dâhommes pour les troupes du gĂ©nie , les pontonniers, les soldats attachĂ©s a lâadministration de* vivres , etc. Faisant la dĂ©duction , il reste 24 mille hommes dâinfanterie , quâon petit partager en quatre divisions, chacune de 0000 hommes. D'aprĂšs le principe quâune colonne formĂ©e h distance entiĂšre occupe le mĂȘme espace que la troupe en bataille , 1 division en colonne occupera 1,200 mĂštres, car la mĂȘm c division, formĂ©e sur trois rangs et dans un ordre continu, aurait un front de 1,000 mĂštres, et en ajoutant 200 mĂštre* pour les intervalles des brigades, on aura le nombre ci-des- sus. Ainsi, les quatre divisions en colonne, y compris leur* intervalles supposĂ©s de 200 mĂštres, occuperont sur la route une Ă©tendue de 5400 mĂštres, ou une lieue et un tiers. L cS allongements, presque inĂ©vitables dans une longue marche > sont compensĂ©s par une moindre longueur de la colonne, rt. Mais ceci est compris dans la marge que nous nous sommes donnĂ©e en portant Ă une lieue et demie la longueur totale Je la colonne. Les autres voitures dâartillerie, telles que forges, caissons Su PplĂ©mentaircs, chariots dâoutils, etc., sont rĂ©unies aux au- lr es bagages de lâarmĂ©e. Et tous ces embarras doivent rester Cn arriĂšre pendant la bataille, soit pour ne pas gĂȘner les mou- Ve mcnts des corps, soit pour ĂȘtre hors de prise dans le cas J un revers. Ainsi donc, pour une armĂ©e qui se forme sur trois rangs, le c ° r Psle plus nombreux qui puisse marcher sur une seule route, est de 50 mille hommes, y compris artillerie et cavalerie. Câest Ce quâon appelle un corps dâarmĂ©e il peut ĂȘtre, et il est sou- Ve nt plus faible ; mais on ne pourrait, sans embarras ni dan- ^ er > dĂ©passer de beaucoup cette limite. Ln appliquant les calculs prĂ©cĂ©dents h une troupe formĂ©e aur deux rangs, on verra que la force du corps dâarmĂ©e, Ă©ga- ^ e nt composĂ© des trois armes, ne devrait pas dĂ©passer 20 ni Jle hommes. Ainsi toute lâarmĂ©e fĂ©dĂ©rale pourrait se parta- 112 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. ger convenablement en quatre corps dâarmĂ©e, de la force de 16 Ă 17 mille hommes. Bien quâen calcul strict, une colonne, marchant h distance et mĂȘme ayant souffert quelques allongements, ait le temps de se dĂ©ployer pour recevoir lâattaque , il sera toujours convenable de serrer la distance pour les marches manoeuvres faites dans la sphĂšre dâactivitĂ© de lâennemi. On peut marcher commodĂ©ment Ă demi-distance ; la colonne se trouve ainsi rĂ©duite h peu prĂšs de moitiĂ©. Mais ce nâest pas une raison dâen augmenter la force, câest seulement une facilitĂ© quâon se donne pour un plus prompt dĂ©ploiement. Tout comme il convient de rompre la colonne en plusieurs autres pour sc prĂ©parer au combat ; on les serre et on les conduit chacune sur son terrain avant de les dĂ©ployer. §2. â Des Marches offensives et des Combats QU'ELLES ENTRAINENT. AprĂšs avoir indiquĂ© quelles sont les prĂ©cautions Ă prendre et les rĂšgles Ă suivre dans une marche en pays ennemi, nous entrerons dans quelques dĂ©tails plus particuliĂšrement relatif 5 aux marches offensives. Ordre de marche d'une division fĂ©dĂ©rale .âNous prendrons dâabord un exemple, pour appliquer les rĂšgles prĂ©cĂ©dentes et mieux arrĂȘter nos idĂ©es sur la formation dâune colonne destinĂ©e Ă marcher en avant. Nous supposerons quâune division fĂ©dĂ©rale, dont la composition serait la mĂȘme que cell° qui est indiquĂ©e au tableau de la page 60 , soit appelĂ©e Ă fo r ' mer une colonne de marche sur une seule route. Cette division est composĂ©e comme suit DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 113 16 Bataillons dâinfanterie, 12,000 hommes. 10 Compagnies de carabiniers, 1,000 2 Compagnies de cavalerie, 128 4 Batteries, environ, 4o0 1 Compagnie de sapeurs, 71 1 Compagnie de pontonniers, 71 13,700 hommes. Nous avons ajoutĂ© une compagnie de sapeurs et une com- P a gnie de pontonniers Ă la formation indiquĂ©e par le tableau , a n quâil y eut de toutes armes dans la colonne. Il est facile de calculer que ces troupes, dans leur ordre bataille, occuperaient environ une lieue dâĂ©tendue, en les Apposant dĂ©ployĂ©es sur une seule ligne et formĂ©es sur deux 1 aT DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 117 quâil occupe dans le fond de la vallĂ©e. Ce nâest que lorsque ces colonnes de flanqueurs ont rĂ©ussi Ă enlever les hauteurs et on le fait savoir par des signaux convenus, tels que des fusĂ©es tirĂ©es a intervalles Ă©gaux, des feux sur les rochers, etc., que le reste de lâarmĂ©e pĂ©nĂštre dans le dĂ©filĂ©. Sâil est trĂšs- resserrĂ© , elle n'y peut marcher que sur une seule colonne ; il est alors convenable de mettre quelque distance entre les diffĂ©rents corps, afin que si celui de la tĂȘte Ă©tait refoulĂ©, le dĂ©sordre ne se propageĂąt pas aux corps suivants. Quand la vallĂ©e est large et que ses berges nâont pas beaucoup de pente, on peut envoyer Ă droite et Ă gauche des colonnes intermĂ©diaires pour longer les hauteurs h mi-cĂŽte. Alors on leur laisse prendre quelque avance avant de sâengager dans le bas, et toute la troupe est Ă©chelonnĂ©e depuis les hauteurs de droite et de gauche jusque dans le fond , les deux ailes en avant et le centre en arriĂšre, comme on le voit dans la figure 7 e . Cela suppose toutefois que les cours dâeau, qui existent presque toujours dans de semblables localitĂ©s, ne sont pas assez considĂ©rables pour intercepter toute communication dâune rive Ă lâautre. Car alors il y aurait du danger Ă se partager ainsi avec un pareil obstacle entre les deux ailes, lâennemi pouvant se porter avec toutes ses forces rĂ©unies contre une des deux moitiĂ©s. Il faut alors rester dâun cĂŽtĂ© , Ă moins quâil nây ait plusieurs ponts sur la riviĂšre qui Ă©tablissent de nombreuses communications entre les deux rives. Au reste, quâon sâavance par une seule berge, ou en suivant les deux, la rĂšgle de conduite est toujours la mĂŽme. Si le dĂ©filĂ© est court, et si lâennemi ne lâoccupe pas avec beaucoup de monde, câest lâavant-garde qui le force ; elle confie Ă son infanterie lĂ©gĂšre le soin de balayer les hauteurs, et lâinfanterie de ligne sâavance dans le fond avec tâarlillerie et la cavalerie. Lâartillerie prend la tĂšte de la colonne, afin de nâĂȘ- tre pas masquĂ©e, si elle doit entrer en jeu. La cavalerie, au contraire, passe Ă la queue, parce quâelle ne peut pas ĂȘtre dâun grand secours dans cette circonstance. Les carabiniers x 118 DES MARCHES ET LES MANOEUVRES. sâil y en a, forment de petites colonnes intermĂ©diaires Ă droite et Ă gauche de lâartillerie; sâil nây en a pas, on les remplace par des compagnies dâinfanterie. Si le dĂ©filĂ© est dâune certaine longueur et fortement occupĂ© , lâavant-garde sâarrĂȘte h son entrĂ©e pour attendre le corps principal ; et, avec toutes les troupes rĂ©unies on prend des dispositions analogues Ă celles qui viennent dâĂȘtre indiquĂ©es. Les rĂšgles Ă suivre sont les mĂȘmes pour un corps nombreux et pour un corps faible, il nây a de diffĂ©rence que dans lâĂ©chelle des manĆuvres. Il faut toujours sâemparer des hauteurs avant de sâavancer dans le bas. Câest un principe quâon ne viole pas impunĂ©ment. Dans la guerre de Savoie , le comte de Belle-Isle vint attaquer h Exilles les PiĂ©mon- tais, qui lâattendaient derriĂšre des retranchements. Il nâavait que sept piĂšces de canon, quâon ne put guĂšre placer dâune maniĂšre avantageuse. Lâaction dura deux heures et Ă©choua les Français perdirent plus de trois mille hommes, et les PiĂ©- montais seulement une centaine , tant ils Ă©taient bien postĂ©s. Le comte de Belle-Isle mĂ©prisa trop ses adversaires par le souvenir de ses succĂšs antĂ©rieurs ; il nĂ©gligea de sâemparer des hauteurs et voulut forcer le dĂ©filĂ© par le bas ; il marcha dĂ© front contre la position et vint sây briser. Lâattaque du dĂ©filĂ© de Saint-Luciensteig par MassĂ©na, en 1799., ne put rĂ©ussir quâaprĂšs que les Français se furent Ă©tablis sur des rochers en apparence impraticables. JusquâĂ ce quâils eussent gravi ces rochers , tous leurs efforts dans le bas furent infructueux; mais aussitĂŽt que leurs dĂ©tachements de flanqueurs se montrĂšrent sur les pics Ă©levĂ©s qui dominent la vallĂ©e, les Autrichiens se repliĂšrent. Dans les hautes montagnes , les dĂ©filĂ©s sont trop faciles Ă dĂ©fendre contre des attaques directes, pour que celui qui doit les franchir ne cherche pas plutĂŽt Ă les tourner quâĂ les enlever de vive force; et cela est presque toujours possible , parce quâon trouve des sentiers qui, par des dĂ©tours plus ou DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 1 i 9 moins grands, conduisent sur le flanc ou sur les derriĂšres de lâennemi. On envoie alors par ces sentiers un dĂ©tachement assez fort pour dĂ©busquer les dĂ©fenseurs , pendant quâon fait mine dâenlever de front le passage. La difficultĂ© mĂȘme des lieux assure le succĂšs de la colonne latĂ©rale. Câest ainsi que Souvvarovv, pendant quâil attaquait la forte position du Saint- Gotlhard, envoya le gĂ©nĂ©ral Rosenberg par le Luckmanier et le Crispait, pour dĂ©boucher sur Anisteig, et couper la communication de lâaile droite de lâarmĂ©e française avec Altorf. Quelquefois lâennemi nâoccupe quâun des cĂŽtĂ©s de la vallĂ©e. On peut alors, si lâattaque des hauteurs olfre trop de difficultĂ©s, essayer de faire glisser sur lâautre cĂŽtĂ© un nombre suffisant de tirailleurs et mĂȘme de lâartillerie pour prendre en flanc la position, pendant quâon lâaborde de front avec le reste des troupes formĂ©es en colonne sur la chaussĂ©e. Les Français forcĂšrent de cette maniĂšre le dĂ©filĂ© de Calliano. Câest une gorge de montagnes trĂšs-Ă©troite au fond de laquelle coule lâAdige. Elle est fermĂ©e sur la rive gauche par une muraille et un vieux chĂąteau. Le gĂ©nĂ©ral Autrichien qui dĂ©fendait la position y fit placer son artillerie. Les montagnes Ă©taient inaccessibles , on ne pouvait donc pas envoyer lâinfanterie lĂ©gĂšre sur la droite les Français remontaient la vallĂ©e; mais le gĂ©nĂ©ral Dammartin, qui commandait la colonne, fit avancer sur la rive opposĂ©e, qui nâĂ©tait pas gardĂ©e, huit piĂšces dâartillerie de petit calibre, et, profitant dâune trouĂ©e, il parvint Ă prendre en Ă©charpe la muraille. En mĂȘme temps le gĂ©nĂ©ral Pigeon passa de ce cĂŽtĂ© avec trois cents tirailleurs qui filĂšrent sur le bord de lâAdige et prirent par derriĂšre les troupes qui dĂ©fendaient la muraille. Lâennemi, Ă©branlĂ© par le feu vif de lâartillerie et la hardiesse de ces tirailleurs, ne put rĂ©sister Ă la masse de la colonne française , qui sâavança lâarme au bras et força ainsi le dĂ©filĂ©. Lâennemi ne dĂ©fend pas toujours le passage dans le dĂ©filĂ© mĂȘme ; il se place quelquefois Ă son dĂ©bouchĂ© pour envelopper la colonne quand elle cherchera Ă en sortir. Le comman- 120 LES MARCHES ET DĂS MANOEUVRES* dant en chef, prĂ©venu de cette circonstance, se porte en toute hĂąte Ă l'avant-garde , et, montant sur quelque colline dâoĂč il puisse dĂ©couvrir la position de lâennemi, il arrĂȘte son dispositif et envoie ses ordres Ă la colonne qui est encore en arriĂšre. Ce quâil y a Ă faire alors se rĂ©duit en gĂ©nĂ©ral Ă Ă©carter les troupes qui sont immĂ©diatement devant le dĂ©filĂ©, par le feu de quelque batterie avantageusement placĂ©e , et, aussitĂŽt quâon y est parvenu, Ă faire avancer une portion des troupes pour les dĂ©ployer dans lâespace libre. Ces premiĂšres troupes , toujours protĂ©gĂ©es par lâartillerie qui croise ses feux en avant d'elles, sâefforcent de gagner du terrain pour faire place Ă celles qui les suivent. Les tirailleurs, et surtout les carabiniers, sâĂ©tendent de droite et de gauche sur les derniers contreforts des hauteurs , et sâattachent Ă dĂ©sorganiser les batteries ennemies, qui, par leurs feux convergents , sont extrĂȘmement meurtriĂšres pour lâattaquant. Cependant de nouveaux bataillons, serrĂ©s en masse dans le dĂ©filĂ©, et conservant entrâeux quelque distance, dĂ©bouchent et se dĂ©ploient h droite et b gauche des premiers; puis arrivent au galop quelques escadrons pour gagner les ailes. Et quand enfin les troupes qui ont passĂ© sont en nombre suffisant, elles abordent lâennemi b la baĂŻonnette et le forcent b abandonner dĂ©finitivement le terrain. Dans ce passage de dĂ©filĂ© en avant, la cavalerie peut avoir b se former en bataille, par un mouvement processionnel, aussi bien dâun cĂŽtĂ© que de lâautre ; il faut donc quâelle soit accoutumĂ©e b manĆuvrer par inversion , afin de ne pas hĂ©siter dans une occasion aussi importante, oĂč le succĂšs dĂ©pend dâune rapide exĂ©cution. Les manĆuvres par inversion, quâon Ă©vite autant quâon le peut dans lâinfanterie , doivent ĂȘtre familiĂšres a la cavalerie, qui est appelĂ©e b se former avec la rapiditĂ© de lâĂ©clair, en avant et sur les cĂŽtĂ©s, quâelle ait la droite ou la gauche en tĂȘte. Elle perdrait tousses avantages si elle Ă©tait retenue par les lĂ©gers inconvĂ©nients qui peuvent DĂS MARCHĂS ET DES MANOEUVRES. 121 rĂ©sulter de lâinversion. Si, par exemple , au sortir du dĂ©filĂ© elle nâavait de place pour se dĂ©ployer quâĂ la droite de lâinfanterie, elle devrait, pour se former le plus promptement possible, exĂ©cuter la manĆuvre par inversion sur la gauche en bataille, en supposant quâelle arrivĂąt la droite en tĂȘte. Mais , si elle nâest pas habituĂ©e Ă celte manĆuvre , il serait dangereux de lâexĂ©cuter pour la premiĂšre fois sous le feu de lâennemi ; le commandant de la cavalerie devrait donc continuer sa marche jusquâĂ ce que toute sa colonne fĂ»t dĂ©masquĂ©e, et se former ensuite Ă gauche en bataille; et, sâil a sur son flanc une batterie ou de la cavalerie ennemie, il est Ă craindre quâil nâachĂšve pas sa manĆuvre sans dĂ©sordre ; en tout cas, il aura perdu du temps, ce qui est toujours fĂącheux. Il est donc extrĂȘmement essentiel que la cavalerie soit exercĂ©e Ă se former en bataille par inversion tout aussi facilement que dans Vordre naturel. Bien des troupes ont reçu de notables Ă©checs pour nâavoir pas su combattre dans lâordre inverse. Quelles que soient les circonstances qui sâoffrent dans un passage de dĂ©filĂ©, et quelque parti quâon prenne, on ne doit jamais laisser les bagages sâengager dans le dĂ©filĂ© avant de sâĂȘtre rendu maĂźtre du dĂ©bouchĂ© , ou du moins avant dâavoir gagnĂ© beaucoup de terrain , afin que dans le cas dâun revers la retraite des troupes ne soit pas interceptĂ©e. On conçoit, en effet, quel Ă©pouvantable dĂ©sordre sâintroduirait dans une colonne qui, refoulĂ©e par la tĂȘte et harcelĂ©e sur ses flancs parles tirailleurs ennemis, rencontrerait au fond de la vallĂ©e un amas de chariots occupant toute la largeur du passage , et dont les conducteurs auraient pris la fuite et dĂ©telĂ© leurs chevaux. On laissera donc les bagages Ă lâentrĂ©e du dĂ©filĂ© jusquâĂ ce que lâarmĂ©e, ou le corps quelconque dont la colonne est composĂ©e, lâait dĂ©passĂ©; ou , si le dĂ©filĂ© est dâune grande longueur, on les fera suivre Ă plusieurs lieues de distance. Avec cette prĂ©caution on pourra toujours, en cas de mouvement rĂ©trograde , faire retourner les voitures assez Ă temps pour que la marche des troupes nâen soit pas arrĂȘtĂ©e. 122 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. Le passage dâun dĂ©filĂ© de quelquâiniportance exige de la part de lâavant-garde un redoublement de vigilance et de prĂ©cautions, mĂȘme lorsquâon croit que lâennemi ne sây trouve pas ; car il peut revenir par des chemins latĂ©raux et tomber sur vous Ă lâimproviste. Lâavant-garde fera donc reconnaĂźtre le dĂ©filĂ© en se faisant prĂ©cĂ©der Ă bonne distance par un dĂ©tachement de cavalerie, et en faisant soigneusement fouiller les bois de droite et de gauche par ses llanqueurs. Elle nây entrera elle-mĂȘme que par corps sĂ©parĂ©s, Ă une certaine distance les uns des autres, afin que sâil arrivait malheur au premier, les autres ne fussent pas enveloppĂ©s dans sa disgrĂące, mais pussent au contraire lui porter du secours. Tous ces corps se rĂ©uniront au dĂ©bouchĂ© ; ils y stationneront jusquâĂ ce que les Ă©claireurs aient suffisamment battu le terrain environnant pour ĂȘtre bien sĂ»r quâil nây a Ă craindre aucune attaque. Il y a Ă©galement des prĂ©cautions Ăą prendre lorsquâon franchit un dĂ©filĂ© en le prenant par le travers. Cela a lieu, par exemple, lorsquâun chemin descend au fond dâun ravin, pour remonter de lâautre cĂŽtĂ© , dans une direction plus ou moins oblique au cours dâeau. Si le plateau que lâon quitte est plus bas que celui vers lequel on se dirige, lâennemi pourrait y ĂȘtre en bataille sans quâon le vĂźt, tout comme aussi il pourrait avoir dressĂ© quelquâembuscade dans le ravin mĂȘme , quand les localitĂ©s s'v prĂȘteraient. Il faut donc, avant dâengager lâavant-garde dans un bas-fonds, fouiller le ravin en dessus et en dessous du passage, jusquâĂ une assez grande distance, pour ĂȘtre bien sur quâil nây a rien Ă craindre par lĂ . Et les dĂ©tachements qui ont fait cette exploration doivent rester sur place jusquâĂ ce que toute la troupe aitdĂ©lilĂ©, afin de couvrir les lianes de la colonne contre toute attaque inopinĂ©e. Ils passeront les derniers et viendront rejoindre l'avant-gĂ rde sur lâautre plateau. Pendant que les flanqueurs se rĂ©pandent dans le ravin , on envoie de lâautre cĂŽtĂ© quelques Ă©claireurs qui sâavancent avec beaucoup de prudence , surtout quand le pays est fourrĂ©. Ces Ă©claireurs sont suivis DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 125 par lâextrĂȘme avant-garde qui sâarrĂȘte sur le bord du ravin jusqu'Ă ce quâelle sache Ă quoi sâen tenir sur lâennemi. On lâappuie par un Ă©chelon intermĂ©diaire, pendant que le reste de lâavant-garde attend en deçà du dĂ©filĂ© que toutes les formalitĂ©s soient remplies avant de sây engager. Sur ces entrefaites , les premiĂšres troupes se sont portĂ©es en avant, celles Ă©chelonnĂ©es les ont rejointes, et les flanqueurs ont fouillĂ© le ravin Ă une distance suffisante; alors lâavant-garde traverse promptement le dĂ©filĂ©, et arrive sur le plateau opposĂ©, oĂč elle trouve les premiers dĂ©tachements qui se sont dĂ©ployĂ©s et lâattendent. Si le terrain offre quelque localitĂ© avantageuse pour battre le fond du ravin ou le bord opposĂ© , on y met les piĂšces en batterie et on les y laisse jusquâĂ ce que la colonne ait traversĂ© le dĂ©filĂ© ; elles sây engagent aprĂšs et sont suivies de la troupe qui leur est plus particuliĂšrement attachĂ©e comme escorte, puis enfin des flanqueurs qui, ainsi que nous lâavons dit, restent dans le bas jusquâĂ ce que tout ait passĂ©. A mesure que ces troupes arrivent de lâautre cĂŽtĂ© , elles se rangent en bataille pour reprendre ensuite leur ordre de marche. Lorsque la colonne principale arrivera au mĂȘme endroit, elle se fera Ă©galement prĂ©cĂ©der dâun petit dĂ©tachement, et elle ne traversera le ravin que lorsquâelle le verra de lâautre cĂŽtĂ©. Mais pour Ă©viter le retard qui doit en rĂ©sulter lorsque le ravin est large et profond , lâavant-garde laissera un poste de quelques hommes sur le bord pour faire signe que lâon peut passer sans danger. La colonne sâengagera aloĂ©s dans le ravin et le franchira sans autre formalitĂ©. Passage des ponts .âLes ponts sont des dĂ©filĂ©s dâune moindre longueur, mais qui exigent aussi quelques prĂ©cautions de la part de toute troupe, grande ou petite, qui doit sây engager; ils prĂ©sentent des difficultĂ©s sĂ©rieuses lorsquâils sont dĂ©fendus et quâil faut en forcer le passage. Lorsque lâennemi ne se trouve pas lĂ pour faire rĂ©sistance, 124 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. les mesures Ă prendre sont les mĂȘmes que pour tout autre dĂ©filĂ© de peu de longueur l'extrĂȘme avant-garde sâarrĂȘte en deçà , en se couvrant autant que possible par les accidents de terrain que peuvent offrir les localitĂ©s, jusquâĂ ce que ses Ă©claireurs aient suffisamment battu les environs sur la rive opposĂ©e. Les cavaliers chargĂ©s de cette tĂąche traversent le pont au grand trot, et, Ă sa sortie , ils se partagent en trois groupes, dont le premier continue Ă marcher avec prĂ©caution sur la route, en faisant le tour des maisons, des jardins, des bouquets de bois qui la bordent ; et dont les deux autres se portent Ă droite et Ă gauche pour explorer la campagne. Lors- quâaprĂšs quelques minutes dâattente, rien nâannonce la prĂ©sence de lâennemi, lâextrĂȘme avant-garde traverse le pont et va rejoindre rapidement ses Ă©claireurs. Pendant ce temps lâavant-garde a fait halle Ă quelque distance du pont; ses flanqueurs de droite et de gauche qui sont arrivĂ©s sur les bords de la riviĂšre, en suivent le cours, soit pour dĂ©couvrir ce quâil peut y avoir de lâautre cĂŽtĂ©, soit pour gagner le pont. Ils passent les premiers, Ă la suite de lâextrĂȘme avant-garde, pour reprendre leur rĂŽle de flanqueurs de lâautre cĂŽtĂ© de la riviĂšre. Ce nâest que lorsquâils sont Ă leur distance ordinaire que lâavant-garde peut continuer sa route; et toujours doit-elle franchir le pont au pas accĂ©lĂ©rĂ© et en serrant autant que possible, afin de mettre moins de temps Ă passer le dĂ©filĂ©. Il est bon de laisser quelque intervalle entre les troupes qui prĂ©cĂšdent et celles qui suivent lâartillerie, pour faire passer celle-ci au trot quand son tour est venu. Plus vite elle sera dĂ©gagĂ©e et mieux cela vaudra, en tout Ă©tat de cause. AussitĂŽt que le passage est effectuĂ©, le commandant de lâavant-garde doit envoyer son rapport au gĂ©nĂ©ral, afin que celui-ci sache Ă quoi sâen tenir. Alors, quand le corps principal arrive sur les lieux, il peut franchir le pont sans dĂ©lai; il fera seulement une halte de quelques minutes pour donner le temps Ă ses Ă©claireurs et Ă ses flanqueurs de passer et de reprendre leurs postes respectifs. DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 125 Quand lâennemi occupe le pont, il est quelquefois fort difficile de le dĂ©loger. Câest lorsque le pont est long, que la rive opposĂ©e est plus haute que celle quâon occupe, quâon a affaire h une troupe nombreuse et pourvue dâartillerie. Le passage du pont de Lodi par lâarmĂ©e française, en 1796, devant dix mille Autrichiens, est cĂ©lĂšbre dans les fastes militaires et a Ă©tĂ© un des premiers fondements de la gloire de lâempereur NapolĂ©on. Lâartillerie joue un rĂŽle important dans lâattaque dâun pont, parce quâavant dâengager les troupes dans le dĂ©filĂ©, il faut Ă©loigner lâennemi de son dĂ©bouchĂ© par un feu supĂ©rieur. Si la rive opposĂ©e est basse, on fait usage de tout ce quâon peut rĂ©unir de bouches Ă feu ; mais si elle est Ă©levĂ©e, on en est rĂ©duit Ă nâemployer que les obusiers, et, pour peu que la rĂ©sistance soit sĂ©rieuse, il y a peu de chances de succĂšs. Dans ce dernier cas il faut avoir recours Ă la ruse, et aprĂšs avoir fait faire des dĂ©monstrations dâattaque par lâavant-garde, diriger la colonne sur un autre point et passer la riviĂšre soit Ă guĂ©, soit sur un pont. Mais cette opĂ©ration devant faire le sujet dâun article spĂ©cial, nous nâen parlerons point ici; nous nous renfermerons dans lâattaque directe du pont qui arrĂȘte la marche de la colonne. Lâavant-garde suffira peut-ĂȘtre h le forcer, sâil a peu de longueur et quâil ne soit gardĂ© que par peu de troupes. Dans le cas contraire, elle fait halte, et les officiers dâĂ©tat-major reconnaissent le terrain, cherchent des guĂ©s ou dâautres ponts dans le voisinage, en attendant le corps principal. Quoiquâil en soit, les rĂšgles Ă suivre sont toujours les mĂȘmes. On emplace, comme il vient dâĂȘtre dit, le plus avantageusement possible et de maniĂšre Ă croiser les feux sur le dĂ©bouchĂ© du pont, toute lâartillerie du corps en marche. On la fait appuyer par une chaĂźne de tirailleurs qui bordent la riviĂšre et cherchent h dĂ©monter les batteries ennemies. Câest lĂ que des carabiniers exercĂ©s rendront dâutiles services, surtout lorsque la riviĂšre est assez large pour rendre incertain le tir de la 126 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. mousqueterie. Pendant que durent ces attaques prĂ©alables et indispensables, les troupes dâinfanterie dĂ©signĂ©es pour forcer le passage prennent leurs dispositions en se couvrant autant que cela est possible, des plis de terrain, des habitations, des bois ou des broussailles qui se rencontrent au bord de la riviĂšre. Il faut sâarranger de maniĂšre que celte infanterie puisse traverser rapidement le pont et charger lâennemi avec impĂ©tuositĂ©. On la met donc en colonne serrĂ©e dans chaque bataillon et sur un front aussi large que le permet le dĂ©filĂ©. Le premier bataillon ainsi formĂ© sâavance, passe la ligne des tirailleurs, se prĂ©cipite sur le pont, le traverse au pas de course, culbute le peu de soldats ennemis qui se trouveraient encore Ă lâautre bout et se dĂ©ploie Ă quelques pas du dĂ©bouchĂ©. Si cette premiĂšre masse rĂ©ussit, une seconde accourt Ă son soutien , se place Ă cĂŽtĂ© dâelle , et toutes deux gagnent du terrain; une troisiĂšme est bientĂŽt lĂ pour les appuyer, et le reste de la troupe vient successivement se mettre en ligne. Mais il peut arriver que la premiĂšre troupe soit repoussĂ©e ; alors les chefs la rallient et la lancent de nouveau contre lâennemi si elle hĂ©site câest le moment de payer de leur personne; un drapeau Ă la main, ils courent aux premiers rangs ; leur prĂ©sence ranime les les plus braves soldats se rallient Ă eux, les autres les suivent, et le passage est forcĂ©. 11 est Ă©vident que sans de puissants motifs, sans un intĂ©rĂȘt majeur attachĂ© Ă la marche rapide du corps, on nâentreprendrait pas une opĂ©ration aussi pĂ©rilleuse ; on prĂ©fĂ©rerait perdre un peu de temps pour chercher un passage sur quel- quâautre point. Quoiquâil en soit, et dĂšs que lâinfanterie a pris position sur la rive opposĂ©e, lâartillerie Ă©largit son champ de tir et bat les ailes de lâennemi, jusquâĂ ce quâelle soit masquĂ©e et quâil y ait du danger pour nos propres troupes Ă continuer le feu. Alors elle se forme en colonne, quitte la rive et passe le pont au trot pour aller occuper de lâautre cĂŽtĂ© quelque position dâoĂč elle puisse saluer les troupes ennemies qui sont DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 127 dĂ©jĂ en pleine retraite. La cavalerie nâa point attendu ce moment pour se porter en avant; aussitĂŽt quâelle a vu jour Ă se placer et quâelle a pu compter sur un appui suffisant de lâinfanterie , elle sâest Ă©lancĂ©e au galop et est venue menacer les flancs de lâennemi. Ou bien, profitant de quelque guĂ©, elle aura tournĂ© la position pendant que lâinfanterie lâattaquait de front. Le reste des troupes qui, pendant l'affaire, sâĂ©taient tenues hors de la portĂ©e du canon et avaient pris quelques dispositifs pour le cas dâun revers, se reforment en colonne et traversent le pont poursuivre les premiĂšres qui dĂ©jĂ se sont remises en route. Passage des bois. â Lorsquâune colonne de marche a de grandes forĂȘts Ă traverser, elle ne peut sây engager quâaprĂšs quâelles ont Ă©iĂ© convenablement fouillĂ©es, tant sur les cĂŽtĂ©s que sur le front et Ă une distance telle quâon nâait plus de crainte de voir arriver inopinĂ©ment lâennemi en grandes forces. Dans cette circonstance, câest lâinfanterie qui doit Ă©clairer lâarmĂ©e ; la cavalerie ne reprendra son rĂŽle que lorsquâon sera sorti de ces forĂȘts oĂč elle ne peut rien , et que le pays sâouvrira de nouveau. Câest ici le cas de renforcer les flan- queurs dâune ou de plusieurs patrouilles intermĂ©diaires pour Ă©tablir leur liaison avec la colonne. Si le bois a peu dâĂ©tendue, lâavant-garde attend pour le traverser que ses Ă©claireurs soient parvenus de lâautre cĂŽtĂ© ; mais, dans le cas contraire, cela la retarderait trop ; elle ne fera quâune halte dâun quart- d'heure ou dâune demi-heure avant de pĂ©nĂ©trer dans la forĂȘt, et elle se fera prĂ©cĂ©der de deux ou trois petits dĂ©tachements qui formeront comme autant dâĂ©chelons pour soutenir lâextrĂȘme avant-garde dans le cas oĂč elle serait attaquĂ©e ; alors ils se replieraient les uns sur les autres jusquâĂ ce quâils fussent en force de rĂ©sister. Si le bois est occupĂ© par lâennemi, on envoie les tirailleurs qui, Ă la faveur des couverts que le terrain peut offrir, sâapprochent insensiblement de la lisiĂšre, par la droite et par la 128 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. gauche. Lâarlillerie les suit h une certaine distance; elle se place au centre, dirige ses feux obliquement, et oblige les dĂ©fenseurs Ă chercher un abri dans le fourrĂ©. Alors les tirailleurs courent sâemparer des premiers arbres. Ce pas fait, et quand lâavant-garde est ainsi maĂźtresse de la lisiĂšre , lâennemi ne peut plus tenir longtemps, Ă moins quâil nâait fait des abatis dans lâintĂ©rieur. Mais ces espĂšces de retranchements ne sâĂ©tendent pas bien loin, et il est dâautant plus facile de les tourner, que la forĂȘt elle-mĂȘme masque le mouvement quâil faut faire pour cela. Ainsi on ne lardera pas Ă ĂȘtre dĂ©finitivement maĂźtre du bois. On en chassera plus promptement les dĂ©fenseurs, sâil est accessible Ă de petites colonnes qui, tout en soutenant les tirailleurs, se prĂ©senteront partout oĂč il v aura de la rĂ©sistance et croiseront le bois dans toutes les directions , au bruit des fanfares. Si le bois est susceptible dâĂȘtre tournĂ© , la cavalerie, qui ne peut rendre aucun service dans lâintĂ©rieur, ira se porter au delĂ pour menacer les communications de lâennemi et prĂ©cipiter sa retraite. On peut encore , lorsque le bois a Ă©tĂ© balayĂ©, lancer quelques escadrons au galop sur la route qui le traverse , lesquels, dĂ©bouchant dans la plaine pĂȘle-mĂȘle avec les fuyards , changeront leur retraite en pleine dĂ©route. Passage des riviĂšres. â Le plus grand obstacle quâon puisse rencontrer dans les marches, câest une riviĂšre non guĂ©a- ble, dont les ponts sont rompus, et derriĂšre laquelle lâennemi est postĂ©. Il y a toujours lĂ une perte de temps dâautant plus considĂ©rable que les difficultĂ©s Ă surmonter sont dâune nature plus grave et quâon a plus de peine Ă se procurer les bateaux nĂ©cessaires pour le passage et pour lâĂ©tablissement des ponts. Lorsque la colonne est suivie d'un Ă©quipage de pontons, cela peut suffire pour traverser une petite riviĂšre ; mais lorsque le fleuve Ă franchir est large, il faut avoir recours aux rĂ©quisitions et chercher dans le pays mĂȘme les bateaux et tous les DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 129 bois nĂ©cessaires. Mais , de façon ou d'autre , en petit comme en grand, quâil sâagisse dâun seul corps ou dâune armĂ©e entiĂšre , lâopĂ©ration doit toujours ĂȘtre conduite dâaprĂšs les mĂȘmes principes que nous allons dĂ©velopper ici. Le passage se fait par ruse , ou de vive force , et le plus souvent en employant les deux moyens rĂ©unis; il ne peut ĂȘtre tentĂ© quâaprĂšs que les olliciers de l'Ă©tat-major ont fait la reconnaissance de la riviĂšre pour trouver lâendroit le plus favorable, lequel doit, en gĂ©nĂ©ral, offrir une rive dominante enveloppant par un circuit bien prononcĂ© la rive opposĂ©e, et se trouver dans le voisinage de quelquâallluent qui permette de faire arriver facilement les bateaux. On cherche Ă dissimuler scs projets et Ă donner le change Ă lâennemi; on fait des prĂ©paratifs en tout autre endroit que celui oĂč lâon veut jeter le pont; et, quand tout est prĂȘt pour lâopĂ©ration , on sâapproche tout il coup du vĂ©ritable point de passage. A lâaube du jour, des batteries, avantageusement placĂ©es sur des parties dominantes de la rive quâon occupe , croisent leurs feux de lâautre cĂŽtĂ©, balayent les environs, chassent ou forcent Ă se cacher les dĂ©tachements qui sây trouvent. Je dis les dĂ©tachements, car une pareille opĂ©ration ne se tenterait pas impunĂ©ment devant de grandes forces. Pendant ce temps des bateaux descendent le cours de lâaffluent oĂč ils Ă©taient dâabord cachĂ©s; ils arrivent et se remplissent de soldats. Ces premiĂšres troupes se portent rapidement sur la rive ennemie, et sây Ă©tablissent du mieux quâelles peuvent, en profitant des plis de terrain, des broussailles , haies ou clĂŽtures quâoffrent les localitĂ©s. Lâartillerie croise ses feux en avant dâelles et les met Ă meme de rĂ©sister Ă des forces bien supĂ©rieures. Pendant que ces troupes combattent et cherchent h se maintenir, les bateaux en vont chercher de nouvelles. Il y a un double avantage Ă ces transports successifs on augmente lâaudace des soldats qui ont dĂ©jĂ passĂ©, en leur ĂŽtant momentanĂ©ment toute pensĂ©e de retraite et en leur donnant lâassurance dâun prompt secours. A chaque 9 i50 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES, dĂ©barquement, la position de lâattaquant sâamĂ©liore ; vient enfin le moment oĂč, dĂ©cidĂ©ment supĂ©rieur, il bat la charge , pousse vivement lâennemi et va prendre position en avant. Lâartillerie cesse son feu quand il offre du danger pour les troupes qui sont sur lâautre rive ; elle va, en appuyant Ă droite ou Ă gauche, se placer sur quelque plateau dâoĂč elle dĂ©couvre au loin et dâoĂč elle puisse balayer la campagne de lâautre cĂŽtĂ© du fleuve. Quand les choses en sont Ă ce point et quâon est dĂ©cidĂ©ment maĂźtre des deux rives , on fait arriver les bateaux ou les pontons destinĂ©s Ă la construction du pont et on les jette avec la plus grande cĂ©lĂ©ritĂ©, sans toutefois que le passage par bateaux soit interrompu un seul moment. En mĂȘme temps, les officiers du gĂ©nie tracent les ouvrages de fortification qui couvriront le pont et en assureront la possession pour le cas dâune retraite, jusquâau moment oĂč les Ă©vĂ©nements del a guerre permettront de supprimer cette communication. Une telle mesure de prudence nâest jamais de trop, quelle que soit la supĂ©rioritĂ© dont on jouisse. Le pont doit sâĂ©tablir en amont de lâaffluent, pour nâĂȘtre point exposĂ© aux avaries qui pourraient rĂ©sulter du choc des bateaux quâun accident aurait privĂ© de leurs conducteurs et que le courant entraĂźnerait. Ceci est pourtant contraire Ă ce qui se pratique dans la ConfĂ©dĂ©ration; le rĂšglement des pontonniers prescrivant de faire descendre les bateaux pour les mettre en place ; mĂ©thode plus prompte , il est vrai, bonne pour un exercice, mais chanceuse Ă la guerre. Quand le pont est achevĂ© , lâartillerie, la cavalerie et le reste de lâinfanterie, dĂ©filent en colonne et vont se poster au delĂ . Nous appuierons ces prĂ©ceptes de lâexemple suivant, extrait de la relation du passage de la Limmat par Dedon. En 1799, le gĂ©nĂ©ral MassĂ©na occupait la rive gauche de cette riviĂšre et celle du lac de Zurich. De lâautre cĂŽtĂ© Ă©tait le gĂ©nĂ©ral Korsakoff Ă la tĂȘte de lâarmĂ©e russe, qui ne tenait pas une DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 131 ligne moins Ă©tendue. ConformĂ©ment aux principes, MassĂ©na, voulant marcher en avant et reprendre lâoffensive pour sâopposer Ă la jonction du marĂ©chal Souwarovv qui descendait des Alpes, dirigea ses efforts sur le centre de la ligne ennemie, et choisit pour cela le point deDielikon, Ă©galement Ă©loignĂ© de Zurich et de Baden. La riviĂšre forme en cet endroit un repli considĂ©rable dont la convexitĂ©, tournĂ©e vers la rive gauche, permettait dâĂ©tablir des batteries Ă feux croisĂ©s. La rive droite est basse et commandĂ©e par la rive gauche; les postes ennemis qui lâocupaient une fois repoussĂ©s, les bois quâon y trouve Ă©taient tout Ă lâavantage de lâattaquant. La plaine oĂč lâennemi avait son principal poste pouvait ĂȘtre balayĂ©e dans tous les sens par le canon. Tels Ă©taient les avantages de ce point de passage ; voici quels en Ă©taient les inconvĂ©nients. Il nây avait aucune Ăźle protectrice pour dĂ©charger les bateaux et les lancer Ă lâeau, ni confluent oĂč on put les rassembler et donner un abri pour rembarquement des premiĂšres troupes. A ces difficultĂ©s se joignait celle de faire venir les bateaux sur chariots, depuis Bremgarten, par un chemin trĂšs-Ă©troit, mauvais et presque partout encaissĂ© , au travers des collines qui sĂ©parent la Reuss de la Limmat. Il avait fallu tirer ces bateaux de la premiĂšre de ces deux riviĂšres, la seconde nâen pouvant point fournir sans donner l'Ă©veil Ă lâennemi qui Ă©tait campĂ© par dĂ©tachements tout le long de ses bords. Il y avait, en particulier, tout prĂšs du point de passage, un corps de 2,000 grenadiers quâil fallut repousser avant de commencer les ponts. On ramassa donc des bateaux et des nacelles sur la Reuss et le lac de Zug; on alla mĂȘme en chercher jusquâau lac de NeuchĂątel ; avec beaucoup de peine on nâen put rĂ©unir que trente-sept, qui furent portĂ©s en deux convois jusquâĂ DiĂ©- likon et cachĂ©s derriĂšre un petit bois de sapins situĂ© Ă quelque distance de la riviĂšre. Quant aux bateaux destinĂ©s Ă la construction du pont, on les prit Ă Rottenschwyll oĂč on les laissa jusquâau dernier moment. L32 I> MARCHES T>ES MANOEUVRES. Pendant quâon s'occupait de ccs prĂ©paratifs Ă DiĂ©tikon , le gĂ©nĂ©ral Soult se disposait Ă passer la Linth, non loin de son embouchure dans le lac de Zurich. Ce passage devait aussi ĂȘtre vĂ©ritable ; mais, pour diviser et dĂ©tourner lâattention de lâennemi, on fit Ă Brugg,prĂšs du confluent de la Limmat et de lâAar, les prĂ©paratifs les plus ostensibles. LĂ , tous les ouvriers Ă©taient en mouvement; on Ă©quipait en forme de ponts volants deux des plus grands bateaux du lac de Lucerne ; on construisait des radeaux; on faisait des rĂ©quisitions dâagrĂšs , de rames, etc. Enfin j on rĂ©ussit complĂštement Ă donner le change Ă lâennemi. La veille du jour fixĂ© pour le passage, le colonel Dedon fit replier le pont de RotlenschWyll et descendre les bateaux jusquâĂ Bremgarten, oĂč ils furent chargĂ©s sur des voilures et conduits par terre jusquâĂ DiĂ©tikon ; ils y arrivĂšrent Ă lâentrĂ©e de la nuit et restĂšrent chargĂ©s jusquâau moment de lâattaque. Quant la nuit fut bien close, les barques destinĂ©es au passage des troupes furent portĂ©es silencieusement Ă bras dâhommes jusquâau bord de la riviĂšre, et les canons distribuĂ©s sur le bord de maniĂšre Ă protĂ©ger efficacement lâopĂ©ration et Ă porter des obus dans le camp ennemi. Le commandant de lâartillerie, le colonel Foy, le mĂȘme qui sâest acquis depuis une si grande cĂ©lĂ©britĂ© Ă la tribune , avait en outre placĂ© une forte batterie en face du village dâOilwyll, pour intercepter le chemin de WĂŒrenlos Ă Zurich, par lequel les secours pouvaient arriver aux deux mille grenadiers. Lâartillerie avait pris ses dispositions avec tant dâordre et de silence que non-seulement les postes russes, mais encore les troupes françaises en bataille Ă la rive gauche ne lâaperçurent pas. Les troupes destinĂ©es au passage sâĂ©taient de mĂȘme rangĂ©es en silence et dans le plus grand ordre, Ă cinquante pas du rivage. Une forte rĂ©serve Ă©tait placĂ©e entre DiĂ©tikon et Schlieren, pour sâopposer au retour offensif que la garnison de Zurich aurait pu tenter pendant lâopĂ©ration du passage. DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 133 Tous ces dispositifs nocturnes Ă©tant achevĂ©s , chacun Ă©tant Ă son poste, et le crĂ©puscule commençant Ă poindre, les bateaux furent lancĂ©s Ă lâeau malgrĂ© la hauteur du rivage; les troupes dâavant-garde abordĂšrent promptement la rive droite au nombre de six cents hommes et chassĂšrent deux cents cosaques qui Ă©taient sur le bord de la riviĂšre en avant-poste. Le canon se fit entendre , mais son feu ne dura pas longtemps parce quâil aurait pu incommoder les troupes qui gagnaient du terrain et se portaient en avant en battant la charge. DĂšs lors on se borna Ă accĂ©lĂ©rer le passage successif de lâinfanterie dans les barques. DĂšs que le succĂšs du dĂ©barquement fut assurĂ© et que les troupes furent assez en forces de lâautre cĂŽtĂ© pour se maintenir contre les deux mille hommes quâelles avaient en tĂȘte, on fit avancer au grand trot lâĂ©quipage de pont qui, jusque-lĂ , Ă©tait restĂ© au village de DiĂ©tikon, et les travaux du pont furent commencĂ©s aussitĂŽt; la lĂ©gion helvĂ©tique y fut employĂ©e et sây distingua. En deux heures et demie le pont fut terminĂ©, ainsi que le chemin et la rampe qui y conduisaient ; et dĂ©jĂ huit mille hommes dâinfanterie Ă©taient de lâautre cĂŽtĂ© , parce que les transports nâavaient pas cessĂ© pendant toute la durĂ©e de la construction du pont. Lâartillerie lĂ©gĂšre, la cavalerie et le restant de lâinfanterie dĂ©filĂšrent promptement sur ce pont; et, quatre heures aprĂšs lâavoir commencĂ© , toutes les troupes se trouvaient rĂ©unies sur le plateau de Fahr, qui domine la rive droite. Il nây a rien de plus instructif que la relation de ce passage de riviĂšre, qui a si bien rĂ©ussi pour avoir Ă©tĂ© trĂšs-bien conduit. Câest pourquoi je lâai rapportĂ© avec quelques dĂ©tails ; et je lâai fait d'autant plus volontiers que la scĂšne sâest passĂ©e sur un théùtre qui nous est connu. La tĂȘte de pont que les Français construisirent alors, existe encore maintenant. Ce nâest pas toujours avec des bateaux que lâon passe des riviĂšres, des radeaux peuvent suffire Ă cet effet Annibal sut bien s en contenter pour franchir le RhĂŽne dans sa plus grande 154 des marches des manoeuvres. largeur ; et il avait dans son armĂ©e un grand nombre dâĂ©lĂ©phants qui, indĂ©pendamment de leur masse, offraient encore, par leur rĂ©sistance Ă monter sur les radeaux, une difficultĂ© de pins Ă surmonter. Les radeaux ont cela dâavantageux, que les boulets de lâennemi ne peuvent pas les couler h fond, et que lâon trouve toujours du bois pour leur construction, soit dans les forĂȘts voisines , soit dans la dĂ©molition de quelques habitations. Et dâailleurs, si lâon Ă©tait obligĂ© de faire venir de loin les bois nĂ©cessaires, leur transport sur des voitures est plus facile et sujet Ă beaucoup moins dâaccidents que celui des bateaux. La main-dâĆuvre est peu de chose pour monter les radeaux il suffit de lier ensemble des poutres ou des troncs de sapins ou de peupliers bois lĂ©gers et de les recouvrir de planches. Cependant, on cherchera toujours Ă se procurer quelques bateaux, ou nacelles, pour faire passer des troupes plus promptement sur la rive ennemie et faciliter lâĂ©tablissement des radeaux. Le pont se construit aussi avec des chevalets ; câest lorsque la riviĂšre nâa pas un cours bien rapide et que le fond nâen est pas trop inĂ©gal. Le fameux pont de la BĂ©rĂ©zina en 1812, Ă©tait sur des chevalets. Les Suisses, dans leurs guerres dâItalie , se servirent quelquefois de ponts suspendus, en cordes, pour franchir les nombreuses riviĂšres dont ce pays est coupĂ©. Il est assez curieux de trouver dans des opĂ©rations de guerre et chez un peuple agreste , la premiĂšre idĂ©e dâun genre de construction rĂ©putĂ© nouveau, et qui sâest si fort rĂ©pandu depuis quelques annĂ©es. On peut quelquefois employer des moyens, imaginer quel- quâartifice , pour rendre le passage moins meurtrier quand .les forces considĂ©rables sont employĂ©es Ă le dĂ©fendre. Ainsi Charles XII, voulant passer la Dwina devant les Russes qui venaient de sâaffaiblir parun gros dĂ©tachement, fit construire des barques d'une nouvelle invention , dont les bords trĂšs-Ă©levĂ©s servaient, Ă la fois, de parapet pour couvrir les soldats pendant la traversĂ©e, et de pont-levis pour aborder DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 135 plus facilement sur la rive. Il fit en outre , avant de tenter le passage, allumer une grande quantitĂ© de paille mouillĂ©e, dont lâĂ©paisse fumĂ©e , chassĂ©e sur lâennemi par un vent favorable , devait masquer en grande partie le mouvement des nacelles, et cacher le point d'abordage. Cela lui rĂ©ussit complĂštement; il nâeut que trĂšs-peu Ă souffrir du tir incertain de lâartillerie russe ; il sâempara de la rive et en chassa les dĂ©fenseurs. Ce passage fut suivi de la conquĂȘte de la Courlande et de plusieurs autres pays. Si la riviĂšre est guĂ©able, ce quâon a de mieux Ă faire est de la passer sans pont, et le plus tĂŽt possible. Ce mouvement audacieux rĂ©ussit presque toujours, mĂȘme contre des forces imposantes, parce quâil intimide lâennemi et donne du montant aux assaillants. Lors de lâinvasion du Portugal par le gĂ©nĂ©ral Junot, la route se trouvait coupĂ©e par un ravin large et profond, avec une petite riviĂšre dans le bas, dont le pont avait Ă©tĂ© rompu le gĂ©nĂ©ral Labordc sâapercevant que ses soldats hĂ©sitaient et commençaient Ă murmurer, descend de cheval et se prĂ©cipite au milieu de lâeau Apprenez mes enfants, leur dit-il, comment on passe les riviĂšres sans pont. Câest la meilleure leçon quâon puisse donner pour des cas semblables; cependant il ne faudrait pas non plus aller se jeter en Ă©tourdi dans des difficultĂ©s si grandes quâon ne pĂ»t pas en sortir. Car il ne suffit pas que la riviĂšre soit guĂ©able pour sây prĂ©cipiter, il faut encore que la rive opposĂ©e soit abordable ; si elle est trĂšs-escarpĂ©e et fortement marĂ©cageuse, vous ĂȘtes singuliĂšrement compromis pour peu que lâennemi conserve de sang-froid et sache apprĂ©cier les avantages de sa si. tuation. Dans ce cas, il est prĂ©fĂ©rable de faire halte pour reconnaĂźtre la riviĂšre et chercher quelquâautre passage en amont et en aval, tout en ayant lâair de vouloir lâeirectuer Ă lâendroit oĂč lâon se trouve. Lâennemi, incertain , se divise pour garder les diffĂ©rents points menacĂ©s, et rend par-lĂ lâopĂ©ration moins chanceuse. Il nâest pas non plus sans importance de consulter le temps il est des riviĂšres torrentueuses qui, 156 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES, Ă la moindre pluie, se gonflent si rapidement, que vous courriez le plus grand danger de voir vos soldats entraĂźnĂ©s et engloutis par le courant, ou vos colonnes coupĂ©es en deux , si vous hasardiez un semblable passage par un temps de pluie. Il est bien essentiel de songer h prendre ce genre d'informations avant dâarriver sur les lieux. Quoiquâil en soit, ces passages se font en colonne plutĂŽt que dans lâordre dĂ©ployĂ©, dâabord parce que les guĂ©s nâont quâune Ă©tendue limitĂ©e, ensuite parce quâil sâagit bien plus dâaborder lâennemi que dâĂ©changer avec lui une fusillade qui serait sans rĂ©sultat. Cependant, quand la riviĂšre est partout guĂ©able, on peut, comme NapolĂ©on auTagliamento, en 1797, embrasser plus dâespace, et mettre quelques bataillons dĂ©ployĂ©s entre les colonnes il donna lâordre que chaque rĂ©giment formĂąt deux colonnes serrĂ©es avec les bataillons des ailes et dĂ©ployĂąt celui du centre pour nourrir le feu et se prĂ©senter Ă lâennemi sur un plus grand front. Mais, en gĂ©nĂ©ral, le passage Ă guĂ© dâune riviĂšre, comme toute autre attaque de vive force , se fait en colonne. Plus le guĂ© a de largeur et plus le passage devient facile , parce quâon forme un plus grand nombre de colonnes et quâon aborde lâennemi sur un front plus Ă©tendu. Les dĂ©ploiements sont alors prompts et la crise abrĂ©gĂ©e. La cavalerie doit passer en amont pour rompre le courant; et câest encore une excellente prĂ©caution de faire une seconde chaĂźne de cavaliers en aval du passage, pour arrĂȘter et sauver les hommes que le courant pourrait entraĂźner. Si lâennemi a pris quelques mesures pour embarrasser le guĂ© avec des abalis, des herses de laboureurs, etc. , on se fait prĂ©cĂ©der par quelques hommes qui, armĂ©s de fourches, de grilles en fer ou autres instruments, et sous la protection dâun feu vif, purgent le guĂ© de ces obstacles quâune reconnaissance prĂ©alable a signalĂ©s. On recommande encore de traverser le guĂ© en Ă©charpe pour se prĂ©senter obliquement au courant et lui donner moins de prise, mais la colonne ne peut pas ĂȘtre DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 157 comparĂ©e h une digue ; les hommes qui la composent laissent entre eux des intervalles par lesquels lâeau sâĂ©chappe. DĂšs lors, chaque individu a Ă soutenir Ă peu prĂšs le mĂȘme effort que si la colonne traversait la riviĂšre perpendiculairement. Il nây a peut-ĂȘtre dâautre avantage rĂ©el Ă prendre cette direction oblique que de faciliter le dĂ©ploiement sur lâautre rive. Câest une vĂ©ritable attaque de front dans lâordre oblique, telle quâAlexandre lâa employĂ©e dans son fameux passage du Granique. Lâhistorien dit quâil avait disposĂ© trĂšs- habilement ses troupes pour le passage , eu Ă©gard Ă la nature du lieu il les avait conduites Ă travers le fleuve en biaisant, pour ne pas trouver lâennemi prĂȘt Ă les assaillir au moment oĂč elles toucheraient lâautre bord. ArrivĂ©e de la colonne levant lâennemi .âLe gĂ©nĂ©ral, aussitĂŽt quâil est prĂ©venu de la prĂ©sence de lâennemi, se porte rapidement Ă lâavant-garde pour reconnaĂźtre ses forces et sa position, ainsi que le terrain sur lequel il doit lui-mĂȘme manĆuvrer et combattre. Il a avec lui le commandant de lâartillerie, et au moins un officier supĂ©rieur de chacun des corps qui composent la colonne; en sorte quâaprĂšs avoir arrĂȘtĂ© ses dispositifs, en consĂ©quence de ce quâil a vu, il peut donner Ă chacun directement les ordres concernant leurs propres corps, et leur faire connaĂźtre sommairement les dispositions de la bataille et le rĂŽle quâils y joueront. Cependant les troupes qui composent la colonne font halte sur la route, aprĂšs avoir envoyĂ© quelques bataillons pour renforcer lâavant-garde, si cela est nĂ©cessaire; et, en attendant les ordres, elles se serrent en masse pour occuper le moins longueur possible. Les bagages restent en arriĂšre, et la cavalerie qui les escortait file Ă cĂŽtĂ© du chemin et vient se place Ă la queue de lâinfanterie. Lâartillerie de bataille est dans le centre de la colonne, et les caissons de rĂ©serve sâen approchent assez pour quâon puisse y recourir en cas de besoin. Le commandant du parc en a la surveillance , et il les rassemble dans lâendroit oĂč ils seront le moins exposĂ©s. 158 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES, Ainsi formĂ©e et nâoccupant plus quâun espace considĂ©rablement diminuĂ©, la colonne peut sâavancer encore, soit sur la route, soit en prenant telle autre direction plus ou moins oblique qui lui serait indiquĂ©e; et, si la bataille ne doit pas se livrer le mĂȘme jour, elle arrivera ainsi sur le terrain oĂč elle bivouaquera; elle sây dĂ©ploiera, allumera ses feux et attendra le lendemain. Mais quand le gĂ©nĂ©ral envoie lâordre de se prĂ©parer au combat, la colonne sâarrĂȘte de nouveau et se subdivise en plusieurs autres colonnes partielles qui vont se placer Ă droite et Ă gauche de la route Ă distance de dĂ©ploiement. Supposons, pour fixer les idĂ©es, quâil s'agisse de la division fĂ©dĂ©rale que nous avons formĂ©e en colonne de marche dans lâart. 1 de ce chapitre les deux bataillons restants de la brigade qui fait tĂȘte de colonne se sont portĂ©s rapidement en avant pour soutenir lâavant-garde. Il reste donc trois brigades en colonne serrĂ©e sur la route, avec douze piĂšces dâartillerie entre la seconde et la troisiĂšme. Pour prendre lâordre prĂ©paratoire au combat, la premiĂšre de ces brigades se portera par le flanc Ă droite de la route jusquâĂ la distance de 800 mĂštres, qui est celle nĂ©cessaire au dĂ©ploiement, comme on le voit Ă la figure 8 e . Lâartillerie restera sur la roule formĂ©e par batteries. La seconde brigade fera par le flanc gauche et ira prendre sa place de lâautre cĂŽtĂ© du chemin, aussi Ă 800 mĂštres de distance. Câest plus quâil ne fauta 1âarlillcric pour se mettre en bataille, puisquâĂ 60 mĂštres par batterie il lui suffirait de 180 Ă 200 mĂštres, y compris les intervalles; mais, outre que la seconde brigade pourra aussi bien se dĂ©ployer Ă droite quâĂ gauche sâil est nĂ©cessaire de boucher un vide, il convient de laisser de lâespace Ă lâartillerie pour quâelle puisse choisir la place oĂč son effet sera le mieux assurĂ©. La troisiĂšme brigade restera aussi sur la route derriĂšre lâartillerie, soit pour se dĂ©ployer en seconde ligne, soit pour se tenir prĂȘte Ă renforcer une des ailes. Enfin le peloton de cavalerie, sâil vaut la peine dâen faire mention, se placera en rĂ©serve derriĂšre celte brigade qui sera rejointe plus tard par le bataillon quâelle avait laissĂ© Ă lâarriĂšre-garde. DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. IĂŽ0 La division se portera en avant lorsque ces dispositions seront terminĂ©es, et elle entrera sur son champ de bataille dans cet ordre prĂ©paratoire. Elle y trouvera la brigade dâavant- garde dĂ©jh en position. Il ne lui faudra pas plus dâun quart dâheure pour se former en bataille, chaque brigade faisant sa manĆuvre isolĂ©ment et ne devant pas mettre plus que cela Ă dĂ©ployer ses quatre bataillons. Nous venons dâindiquer le dernier terme de la marche offensive ; les mouvements qui se font ensuite constituent les manĆuvres proprement dites; en tant quâelles sâexĂ©cutent par des marches, elles se rattachent indirectement au sujet que nous traitons dans ce chapitre ; mais nous en parlerons ailleurs, et nous nous contenterons de dire pour le moment quâelles doivent ĂȘtre simples, rapides, et ne jamais exposer la troupe qui les exĂ©cute Ă ĂȘtre attaquĂ©e avant d'ĂȘtre en mesure de se dĂ©fendre. En rĂ©sumĂ©, nous dirons encore que câest par les marches de roule quâon exĂ©cute les plans de la stratĂ©gie sur le grand théùtre des opĂ©rations, que ce sont les marches-manĆuvres qui prĂ©parent la victoire et les manĆuvres proprement dites qui la dĂ©cident. §3. â Ses Marches de Flahg. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, il ne faut jamais prĂȘter le flanc ; mais il est des circonstances oĂč non-seulement on ne peut pas lâĂ©viter, mais oĂč une marche de flanc est ce quâil y a de plus convenable, et oĂč il faut se prĂ©senter ainsi momentanĂ©ment pour atteindre un but important. Tel serait le cas oĂč un corps ne pourrait opĂ©rer sa jonction avec dâautres quâen longeant les positions de lâennemi, et oĂč il y aurait urgence Ă ce quâil arrivĂąt promptement et par le plus court chemin pour prendre part Ă une grande bataille. Ce serait appliquer faussement la rĂšgle que de faire un long dĂ©tour pour ne pas prĂȘter 140 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. le flanc, car lâinconvĂ©nient dâarriver trop tard est pire que celui quâon aurait Ă©vitĂ©. A la guerre il nây a aucun principe absolu, toute rĂšgle a ses exceptions, et, bien quâen gĂ©nĂ©ral on ne doive pas exĂ©cuter des mouvements de flanc, il arrive ce* pendant quelquefois dans les marches-manĆuvres quâune colonne se trouve dans cette position. Il faut donc dire ici quelles sont les prĂ©cautions dont elle doit user pour se mettre Ă lâabri de tout Ă©vĂ©nement fĂącheux. Le plus grand danger que la colonne ait h courir Ă©tant dâĂȘtre attaquĂ©e sur son flanc pendant sa marche, on doit placer du cĂŽtĂ© de lâennemi un fort dĂ©tachement qui suivra la colonne parallĂšlement h sa direction et Ă une distance assez rapprochĂ©e pour rester continuellement en rapport avec elle et ne pas se compromettre. Il faut quâil puisse ĂȘtre promptement renforcĂ© ou soutenu, suivant le besoin. Une distance dâune demi-lieue serait dĂ©jĂ considĂ©rable ; cependant on ne peut en fixer la limite , parce quâelle dĂ©pend des circonstances et de la nature des localitĂ©s. Câest ordinairement lâavant-garde qui devient corps flanquant dans une marche de flanc; mais il est bon de lâaugmenter de quelques bataillons, parce quâelle court plus de chances dâĂȘtre attaquĂ©e que dans une marche en avant, et quâil est encore plus nĂ©cessaire quâelle puisse maintenir sa position contre une attaque sĂ©rieuse. Ainsi, par exemple, pour notre division fĂ©dĂ©rale, nous mettrions une brigade entiĂšre d'infanterie au corps flanquant, tandis que la moitiĂ© nous a suffi pour lâavant-garde ; nous y laisserions lâartillerie et la cavalerie dans les mĂȘmes proportions. Le corps flanquant aura son avant-garde , son arriĂšre- garde et ses propres flanqueurs, chacun de ces dĂ©tachements envoyant en avant de lui et sur le cĂŽtĂ© un nombre suffisant dâĂ©claireurs pour que toute surprise soit impossible. La colonne principale nâa plus besoin que dâune petite avant-garde, qui marche Ă quelques centaines de pas de la tĂȘte ; elle est suivie de son arriĂšre-garde ordinaire qui, toutefois, sâen est rapprochĂ©e davantage. j'V *-*L't .3&WĂ$' *v sbÂŁ& âĂŻrsĂŠ^srsirac . 4 ' ^ ' "âąâą?,âą '**&*- i*^*rc ^T-ttC,.- ,-W^ /'/ /U DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 141 Les bagages sont encore plus embarrassants dans cette circonstance que de coutume il faut, ou les renvoyer sur les derriĂšres de lâarmĂ©e par un dĂ©tour qui les Ă©loigne de lâennemi , ou, si cela est possible , les faire cheminer parallĂšlement h la colonne, du cĂŽtĂ© opposĂ© Ă celui oĂč une attaque est Ă craindre et de maniĂšre Ă ce quâils soient toujours couverts. Telles sont les dispositions gĂ©nĂ©rales de la marche de flanc elles sont retracĂ©es dans la ligure 9 e , oĂč M indique la position de lâennemi supposĂ© Ă©tabli sur quelque hauteur ; Ă est la colonne principale , avec son avant-garde a , et son arriĂšre- garde a'; B est le corps flanquant, ayant aussi une avant-garde particuliĂšre b , et une arriĂšre-garde b 1 , avec un dĂ©tachement de flanqueurs b" du cĂŽtĂ© de lâennemi. Les Ă©claireurs ne sont que sur le flanc droit, parce quâil nây a pas de motif dâen avoir h gauche. Les bagages D sont censĂ©s marcher sur une route parallĂšle Ă celle que suit la colonne. Pour ce qui est des dispositions particuliĂšres et intĂ©rieures, il faut quâĂ chaque instant la colonne, aussi bien que le corps flanquant, soient en mesure de recevoir lâattaque; et pour cela il est indispensable que les colonnes soient formĂ©es Ă distance entiĂšre pour que, par un simple Ă droite de toute les subdivisions la ligne de bataille soit promptement formĂ©e. Marcher dans un ordre parfait et conserver ses distances comme Ă la manĆuvre,sontlesconditionsnĂ©cessairesdes marches de flanc, et câest ce qui les rend dâune exĂ©cution difficile. Ce serait un contre-sens dans cette occasion de marcher en colonne serrĂ©e, ou seulement Ă demi-distance comme dans les autres marches manĆuvres , puisquâil faudrait, pour recevoir lâennemi, changer de direction et se dĂ©ployer sur la tĂȘte des colonnes , ce qui prendrait nĂ©cessairement beaucoup de temps. En gĂ©nĂ©ral, marche-t-on droit Ă l'ennemi, il faut se serrer autant que possible sans cependant que les manĆuvres en soient gĂȘnĂ©es; le cotoye-t-on, il faut, au contraire , se former Ă distance entiĂšre et garder soigneusement ses intervalles. 142 UES MARCHES ET DBS MANOEUVRES» Si le corps flanquant trouve en chemin quelque dĂ©filĂ© latĂ©ral, par lequel lâennemi pourrait dĂ©boucher, et qui nâexige pas trop de monde pour le garder, tel que serait un pont, une chaussĂ©e entre marais, un village, etc., il y laisse un dĂ©tachement qui reste lĂ jusquâĂ ce que la colonne ait dĂ©filĂ© et vient ensuite rejoindre ou remplacer lâarriĂšre-garde. Cette mesure de prĂ©caution serait inutile dans un pays ouvert, puisque ces petits dĂ©tachements ne suffiraient pas Ă leur objet, et que lĂ dâailleurs les surprises ne sont pas aussi Ă craindre que dans un pays coupĂ©. C'est surtout dans les montagnes et en cĂŽtoyant les riviĂšres que les dĂ©bouchĂ©s latĂ©raux doivent ĂȘtre convenablement occupĂ©s. Il va sans dire que si on peut dĂ©rober une marche de flanc, soit Ă la faveur dâun brouillard ou de la nuit, soit en profitant de quelque accident de terrain qui empĂȘche lâennemi de sâapercevoir de ce mouvement, cela vaudra toujours mieux que de la faire Ă dĂ©couvert. Toutefois il nâen faut pas moins protĂ©ger la marche par un corps dĂ©tachĂ©; et si celui-ci rencontre les patrouilles ennemies, il doit prendre ses mesures pour soutenir une attaque vigoureuse de maniĂšre Ă faire croire que tout le corps dâarmĂ©e est lĂ . Pendant ce temps, la colonne gagne du terrain sans se laisser dĂ©tourner de son but, et, lorsquâelle est assez Ă©loignĂ©e pournâĂȘtre plus en prise, le dĂ©tachement abandonne sa position et se retire lestement en suivant, sâil le faut, une autre direction que la colonne, pour aller, plus tard, la rejoindre par un dĂ©tour. Lâennemi ne le poursuivra pas bien loin, parce quâil prĂȘterait lui-mĂȘme le flanc aux troupes qui lâont dĂ©passĂ©. Câest surtout dans les marches de flanc quâil est nĂ©cessaire dâavoir des renseignements exacts sur la qualitĂ© des routes et sur la nature des obstacles quâon y rencontrera ; car dans ces marches le moindre retard peut devenir fatal. Si donc on apprend quâil y a quelque dĂ©filĂ© Ă passer, on envoyĂ© dâavance ce quâil faut de troupes pour lâoccuper et empĂȘcher lâennemi de sâen emparer. Sans cette prĂ©caution la colonne pourrait DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 143 ĂȘtre arrĂȘtĂ©e h ce dĂ©filĂ©, et le combat quâelle serait obligĂ©e de livrer .pour le forcer, indĂ©pendamment du temps qu'il lui ferait perdre, lâexposerait encore Ă attirer sur elle des forces considĂ©rables. Lorsquâen 1809 lâempereur NapolĂ©on, voulant concentrer son armĂ©e sur la rive droite du Danube entre Ratisbonne et Augs- bourg, fit exĂ©cuter ces belles marches manĆuvres qui seront Ă©ternellement admirĂ©es, le marĂ©chal Davoust dut, avec un corps de 30,000 hommes environ, faire une marche de flanc pour se diriger de Ratisbonne Ă Neustadt, devant les Autrichiens qni Ă©taient dans les environs de Rohr en grandes forces et commandĂ©s par lâarchiduc Charles. Il exĂ©cuta cette marche pendant la nuit ; son corps Ă©tait composĂ© de quatre divisions dâinfanterie et de deux divisions de cavalerie, une de cuirassiers, lâautre de chasseurs ; il fit marcher celle-ci sur sa gauche pour couvrir le mouvement, et il la renforça de quelques bataillons dâinfanterie. Les quatre divisions de cette arme furent partagĂ©es en deux colonnes qui marchĂšrent parallĂšlement Ă la chaussĂ©e , Ă environ une demi-lieue de distance , la plus Ă©loignĂ©e de lâennemi dĂ©bordant lâautre et formant Ă©chelon, de maniĂšre Ă pouvoir lâappuyer si elle Ă©tait attaquĂ©e, ou opĂ©rer avec les troupes postĂ©es Ă Neustadt la jonction qui Ă©tait le but de la marche. Les cuirassiers Ă©taient rĂ©partis entre ces deux colonnes pour Ă©clairer le pays. Les bagages et le parc de rĂ©serve suivirent la chaussĂ©e qui longe la rive droite du Danube ; ils Ă©taient ainsi couverts par les deux colonnes et par lâavant-garde. Le dĂ©filĂ© dâAbbach, par lequel les bagages devaient passer, avait Ă©tĂ© occupĂ© dĂšs le soir par un bataillon dâinfanterie. Et, comme l'ennemi se montrait aussi en forces sur la rive gauche, le marĂ©chal avait laissĂ© une forte arriĂšre-garde dans Ratisbonne pour en dĂ©fendre les portes aussi longtemps que possible. Au matin ces colonnes furent attaquĂ©es, et, aprĂšs avoir combattu vaillamment Ă Tann, elles se rĂ©unirent aux troupes de la ConfĂ©dĂ©ration germanique qui formaient le centre de 1 ar- 144 DES MARCHES et des MANOEUVRES. mĂ©e, pendant que lâaile droite, sous les ordres de MassĂ©na , marchait dâAugsbourg sur le mĂȘme point, en menaçant le flanc gauche et les derriĂšres de lâarmĂ©e autrichienne. Ce que le marĂ©chal Davoust a fait dans celte circonstance doit ĂȘtre imitĂ© toutes les fois que le corps appelĂ© Ă exĂ©cuter une marche de flanc est nombreux, et que le pays est assez ouvert pour quâon puisse former deux colonnes. La plus Ă©loignĂ©e de lâennemi marchera la premiĂšre, et les autres viendront ensuite, de maniĂšre Ă s'Ă©chelonner et h se prĂȘter mutuellement secours. Si lâennemi sâavance contre la premiĂšre, il est pris en flanc par les autres ; sâil attaque la derniĂšre, celles qui prĂ©cĂšdent sont en mesure de la soutenir. Câest ce que montre clairement la figure 10 e , dans laquelle M,M reprĂ©sente lâarmĂ©e ennemie en position ; A est lâavant-garde ou corps flanquant; B, C, D trois colonnes dans lesquelles on suppose que le corps dâarmĂ©e a pu se subdiviser. Ces colonnes se dĂ©bordent dâenviron toute leur longueur, et elles sont censĂ©es avoir la gauche en tĂȘte , de maniĂšre que par un Ă droite en bataille, elles se trouvent formĂ©es en Ă©chelon face Ă lâennemi; et, au premier moment, il nây a que lâĂ©chelon de droite qui soit engagĂ©. 11 peut ou tenir ferme si sa position est bonne, en attendant que le second le rejoigne, ou se retirer Ă la hauteur de celui-ci. Les bagages E peuvent filer sur la mĂȘme route que la colonne D , ou suivre, si cela est possible, une ligne encore plus Ă©cartĂ©e. La distance dâune colonne Ă lâautre peut ĂȘtre fixĂ©e dâun quart de lieue h une demi-lieue. Le premier Ă©chelon serait trop compromis si les autres en Ă©taient plus Ă©loignĂ©s. La marche de flanc en plusieurs colonnes est un de ces cas oĂč il peut convenir de se frayer un chemin avec la hache et la pioche, afin de les tenir Ă une convenable distance. CâĂ©tait autrefois une chose trĂšs-commune que dâouvrir des marches de cette maniĂšre, parce que les colonnes restaient trĂšs-rapprochĂ©es pour manĆuvrer; mais depuis que les armĂ©es ont repris la mobilitĂ© qui leur convient, on y a presque t I ât B 3 Ă j ĂBaUSSOiJĂAĂG 'tIU f i j 113 3 S j ^lamasoii TICS MARCHES ET DES MANOEUVRES. 1 A' entiĂšrement renoncĂ©. On voit cependant NapolĂ©on Ă lĂ©na faire pratiquer, pendant la nuit qui prĂ©cĂ©da la bataille, plusieurs chemins pour transporter son artillerie et faciliter le dĂ©ploiement des troupes. Le roi de Prusse, qui avait affaire Ă une armĂ©e peu man- ĆuvriĂšre , avait coutume dâarriver sur elle par une marche de flanc, H formait la sienne en deux colonnes rompues par pelotons, de telle sorte que par un Ă droite ou un Ă gauche en bataille, toute lâarmĂ©e se formait sur deux lignes en un clin dâĆil. A cet effet, il changeait de direction dans le voisinage de lâennemi, Ă la faveur de quelque rideau et couvert par son avant-garde. Ces longues colonnes couraient le risque dâĂȘtre attaquĂ©es en tĂȘte, et elles l'auraient Ă©tĂ© souvent si les armĂ©es adverses eussent Ă©tĂ© plus lestes. Le roi de Prusse, pour remĂ©dier Ă ce grave inconvĂ©nient, a quelquefois doublĂ© ses lignes et en a fait quatre colonnes disposĂ©es par centre et par ailes, chacune de ces colonnes faisant partie des deux lignes, comme lâindique la ligure 11 e . Les deux colonnes du centre A,Ă sont composĂ©es en entier dâinfanterie ; une moitiĂ© de chaque colonne est pour la premiĂšre ligne, lâautre moitiĂ© pour la seconde ligne. La colonne B de cavalerie et la colonne C de la mĂȘme arme, Ă©galement partagĂ©es en deux parties pour former les deux lignes, occuperont les deux ailes de lâordre de bataille. Une avant-garde D couvre la tĂȘte des colonnes et masque leur mouvement ; une arriĂšre-garde E vient Ă la suite pour se placer en rĂ©serve derriĂšre les deux lignes. Quand il est question de dĂ©ployer les colonnes, on leur fait faire un changement de direction Ă droite ou Ă gauche, suivant le plan qui a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© ; il est Ă droite dans la figure. Les deux moitiĂ©s de la colonne B de cavalerie tournent donc Ă droite pour se porter en B',B' et former lâaile droite, chacune sur son terrain. Les autres font halte. Lorsque la colonne B a dĂ©fdĂ©, la premiĂšre colonne A du centre tourne aussi Ă droite, chaque moitiĂ© se portant dans la ligne quelle 10 146 MARCHES Et DES MANOĂCVftfĂźS. doit occuper en A',A'. Viennent ensuite lâautre colonne du centre, et lâaile gauche C qui va se placer en C',C'. LâarriĂšre-garde prend la diagonale pour aller occuper la place E'; et lâon dispose de lâavant-garde D pour renforcer une des ailes quand le mouvement quâelle doit couvrir est achevĂ©. Cette maniĂšre dâentrer sur un champ de bataille, quoique impraticable devant un ennemi entreprenant, a eu trop de cĂ©lĂ©britĂ© par les victoires du Grand FrĂ©dĂ©ric, pour nâen pas parler ici, en tant quâelle se rattache aux marches de flanc. g 4. â Des Marches en retraite. Une retraite se fait, ou volontairement lorsque lâarmĂ©e est encore intacte ; ce nâest alors quâune simple marche en arriĂšre, qui nâexige pas dâautres prĂ©cautions que les marches ordinaires ; ou bien elle se fait aprĂšs une bataille perdue, et exige de la part de celui qui la dirige toute lâexpĂ©rience et la fermetĂ© dâun militaire consommĂ©. Nous ne parlerons que de ce dernier cas. Lâessentiel dans une retraite câest de gagner du terrain pour se soustraire Ă la poursuite de lâennemi. Il faut donc faire des marches forcĂ©es et profiter de la nuit pour prendre de lâavance. Les marches de nuit sont sans inconvĂ©nient dans cette circonstance, parce que les embuscades ne sont pas Ă craindre pour celui qui se retire, puisquâil traverse un pays dont il est maĂźtre. Le marĂ©chal de Turenne', aprĂšs avoir Ă©tĂ© battu Ă Mariendal, se dĂ©fendit jusquâĂ la nuit Ă la faveur du terrain ; et, profitant de lâobscuritĂ©, il continua sa marche sans ĂȘtre suivi de prĂšs, parce que les ImpĂ©riaux, dans la crainte des embuscades, voulurent attendre le jour. On rĂ©ussit quelquefois Ă cacher le dĂ©part en laissant dans la position quâon vient de quitter des feux allumĂ©s avec quel- DES MARCHES IiT DES MANOEUVRES. 147 Jues hommes pour les entretenir et faire croire que le bivouac est encore occupĂ©. Ces faibles dĂ©tachements se mettront eux-mĂȘmes en route Ă la pointe du jour et Ă©chapperont aisĂ©ment par leur lĂ©gĂšretĂ©. Quand on a le projet de gagner ainsi quelques heures par une marche de nuit, il faut, autant que possible, Ă©tablir le bivouac derriĂšre quelque rideau qui en masque la vue h lâennemi, et ne laisser en Ă©vidence sur les collines que les troupes nĂ©cessaires pour montrer quâon est lĂ . En les Ă©tendant plus que de coutume et en doublant les feux, elles paraĂźtront plus nombreuses et le stratagĂšme rĂ©ussira. Lorsque par un moyen quelconque on a pris de lâavance, il faut la conserver, mĂȘme quand on devrait faire le sacrifice de quelques bagages pour marcher plus lestement; dans un tel moment câest moins aux voitures quâaux hommes quâon doit songer. Cependant on ne nĂ©gligera rien pour sauver le matĂ©riel et surtout celui de lâartillerie. DĂšs que le gĂ©nĂ©ral sâest dĂ©cidĂ© Ă opĂ©rer sa retraite, il envoyĂ© lâordre Ă lâollicier qui est chargĂ© de la direction des bagages, de prendre les devants par telle route quâil lui indique, et de hĂąter sa marche autant que possible. Et, comme ces bagages ont dĂ» se tenir Ă une certaine distance, ils peuvent aisĂ©ment faire quelques lieues avant que le mouvement gĂ©nĂ©ral soit en pleine activitĂ©. En effet, ce nâest pas sans avoii; Ă surmonter de grandes difficultĂ©s quâune armĂ©e peut commencer sa retraite en prĂ©sence de lâennemi, surtout si elle a beaucoup souffert dans le combat. Il faut quâelle se maintienne du mieux quâil lui est possible en repoussant les attaques du vainqueur et en ne cĂ©dant le terrain que pied Ă pied, jusquâĂ ce quâelle ait trouvĂ© quelque position qui la favorise et quâelle puisse dĂ©fendre jusquâĂ la nuit. Il faut que le gĂ©nĂ©ral profite du premier rĂ©pit, pour rassembler ses troupes dĂ©sorganisĂ©es, leur faire prendre quelque nourriture, un peu de repos, pendant qu il expĂ©die ses ordres pour la formation de la colonne de marche 148 DĂS MARCHES ET DES MANOEUVRES; et quâil compose son arriĂšre-garde. 'Il faut enfin, malgrĂ© lâobscuritĂ©, que chaque corps prenne sa place sur la route assignĂ©e, aprĂšs sâĂȘlre procurĂ© les moyens de transport pour ses blessĂ©s. Ainsi ce ne sera guĂšre quâau milieu de la nuit que le mouvement rĂ©trograde pourra commencer. Si lâon se trouvait dans la dure nĂ©cessitĂ© dâabandonner des blessĂ©s, on les rassemblerait dans une ou plusieurs maisons, avec un officier de santĂ© et quelques hommes pour les Soigner, et on les recommanderait Ă la gĂ©nĂ©rositĂ© du vainqueur. Mais on ne doit prendre un tel parti quâaprĂšs avoir fait tout le possible pour les sauver. Les anciens Suisses, dans leurs nombreuses guerres, emportaient les blessĂ©s sur des hallebardes plutĂŽt que de les laisser sur le champ de bataille, et se relayaient sous un si noble fardeau. 11 est bien des occasions oĂč lâhumanitĂ©, autant que lâhonneur, peut engager Ă les imiter. DelâarriĂšre-garde .âElle doit ĂȘtre composĂ©e des meilleures troupes, ou de celles qui ont le moins soulfert. Elle doit ĂȘtre forte en artillerie, parce quâil nây a que cette arme pour tenir en respect les corps poursuivants et les obliger Ă des dĂ©ploiements qui leur font perdre du temps, en mĂȘme temps quâils donnent Ă la troupe qui se retire celui de gagner du terrain, ou dâoccuper quelque position avantageuse pour combattre . LâarriĂšre-garde est appelĂ©e Ă tenir ferme partout oĂč le pays lui est favorable, et, comme le gros de la colonne continue sa route, elle doit souvent en ĂȘtre sĂ©parĂ©e ; il faut donc que sa composition la mette en Ă©tat de se suffire Ăč elle-mĂȘme en toute situation , et de combattre sur toute espĂšce de terrain, Sans quâon puisse prĂ©ciser sa force , on dira cependant quâen gĂ©nĂ©ral une arriĂšre-garde est plus nombreuse quâune avant- garde, et que ce ne serait pas trop dây employer jusquâau cinquiĂšme, etmĂȘme au quart du corps-dâarmĂ©e auquel elle appartient; car, indĂ©pendamment des combats journaliers quâelle est appelĂ©e Ă livrer , le service quâexige sa sĂ»retĂ© est extrĂȘmement pĂ©nible, parce que les mĂȘmes troupes, par la difficultĂ© UES MARCHES ET UES .MANOEUVRES. 149 quâil y aurait Ă les renouveler, sont souvent obligĂ©es de rester Ă lâarriĂšre-garde jusquâĂ ce que la retraite soit accomplie. En marche, lâarriĂšre-garde se subdivise en trois parties qui sont le gros de lâarriĂšre-garde restant rassemblĂ© autant que possible ; lâextrĂȘme arriĂšre-garde qui lâavertit des mouvements de lâennemi, et lui donne le temps de se disposer Ă le recevoir; et un dĂ©tachement intermĂ©diaire pour former la liaison avec le corps d'armĂ©e et occuper les dĂ©filĂ©s que lâon doit traverser. En outre, elle est coloyĂ©e par de petits dĂ©tachements de flanqueurs qui la garantissent des surprises et qui amortissent la vivacitĂ© des attaques de la cavalerie ennemie. Le gĂ©nĂ©ral , autant que ses fonctions nombreuses et les soins dont il est chargĂ© le lui permettent, se tient Ă lâarriĂšre-garde , comme au poste le plus important. Car le salut de son armĂ©e dĂ©pend de la conduite de cette arriĂšre-garde ; et ce nâest que de lĂ quâil peut reconnaĂźtre les forces rĂ©elles de lâennemi et juger de ses intentions ; ce nâest que de lĂ non plus quâil peut donner Ă temps les ordres convenables pour dĂ©jouer ses projets. On voit dans la vie du chevalier Bayard, combienâce hĂ©ros tenait Ă honneur de figurer Ă lâavant-garde dans les mouvements offensifs , et de couvrir lui-mĂȘme, et souvent aux risques de sa personne, la retraite des corps auxquels il Ă©tait attachĂ©. Pour que lâarriĂšre-garde soit toujours prĂȘte Ă faire front Ă lâennemi et Ă le repousser lorsquâil sâapproche de trop prĂšs , elle doit marcher en ordre, autant, toutefois, que les circonstances le lui permettent, les diffĂ©rents corps conservant entre eux leurs distances et leurs positions- respectives. Que la troupe soit en colonne ou en bataille , serrĂ©e ou Ă distance entiĂšre, câest toujours en marchant par le second rang face en arriĂšre quâelle se relire, quel que soit lâespace Ă parcourir. Ainsi, chaque fois quâon se remet enroule aprĂšs une halte, la colonne se forme comme sâil Ă©tait question de marcher du cĂŽtĂ© opposĂ©, et elle ne s'Ă©branle quâaprĂšs avoir lait face en loO DES MAUCUES ET DES MAJfOĂUVIlĂS. arriĂšre. De mĂȘme lorsquâon lâarrĂȘte, on commande face eti tĂȘte, avant de la former en bataille. Cette recommandation , toute simple quâelle paraisse, nâest pas sans utilitĂ©, pourĂ©viter la confusion qui pourrait rĂ©sulter de ce que les uns marcheraient conformĂ©ment au principe et les autres dans un ordre contraire. Mais ceci ne sâapplique quâaux troupes de lâarriĂšre- garde appelĂ©es Ă combattre Ă tous les moments ; celles du corps principal peuvent marcher dans lâordre naturel. Lorsque le pays est ouvert, lâarriĂšre-garde doit marcher sur plusieurs colonnes, Ă©chelonnĂ©es de maniĂšre Ă donner le moins de prise possible. Ainsi, par exemple, s'il y a quelque dĂ©filĂ© en arriĂšre de lâaile droite, ce sera la colonne de ce cĂŽtĂ© qui cĂ©dera le plus de terrain pour se rapprocher de ce dĂ©filĂ© quâil faut occuper; celle de la gauche, se retirera plus lentement et repoussera les coureurs ennemis. Dans les dĂ©filĂ©s, au contraire, toute lâarriĂšre-garde marche sur une seule colonne, h lâexception des flanqueurs qui cherchent toujours Ă tenir les hauteurs. Les colonnes de lâarriĂšre- garde se forment en carrĂ©s vides ou pleins, lorsquâayant Ă traverser de grandes plaines, elles sont harcelĂ©es par une cavalerie nombreuse ; les carrĂ©s sont vides sâils sont exposĂ©s Ă lâartillerie, et pleins dans le cas contraire. Mais, de maniĂšre ou dâautre, ces carrĂ©s doivent toujours ĂȘtre disposĂ©s de maniĂšre Ă se flanquer mutuellement, et câest ce qui arrivera tout naturellement si les colonnes sont convenablement Ă©chelonnĂ©es. LâextrĂȘme arriĂšre-garde qui, dans ce cas, forme le dernier Ă©chelon et couvre la marche, doit ĂȘtre composĂ©e de la meilleure cavalerie et dâartillerie lĂ©gĂšre, pour manĆuvrer offensivement contre les corps ennemis qui sâapprochent de trop prĂšs. Si elle a affaire Ă des forces trop considĂ©rables, elle se retire au galop et va se placer sous la protection des colonnes dâinfanterie ou dans les intervalles de leurs carrĂ©s. Dans les pays coupĂ©s et fortement accidentĂ©s, câest au contraire lâinfanterie qui couvre la marche , parce quâelle seule peut y ĂȘtre employĂ©e utilement. Alors la cavalerie prend les DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 151 devants, jusquâĂ ce quâelle trouve un terrain qui lui soit propre et oĂč elle puisse reprendre son service ordinaire. Passage d'un pont en retraite. âSâil se rencontre un pont sur la route, le corps principal, aprĂšs lâavoir traversĂ©, y laissera le nombre de troupes nĂ©cessaire pour le garder jusquâĂ lâarrivĂ©e du dĂ©tachement intermĂ©diaire dont nous avons parlĂ©. Celui-ci sây Ă©tablira et fera ses dispositions pour repousser tout corps ennemi qui sây prĂ©senterait. Lorsque lâarriĂšre- garde, prĂ©venue de ces dispositions, est Ă une certaine distance du dĂ©filĂ©, elle se dĂ©ploie pour arrĂȘter le plus longtemps possible lâarmĂ©e que nous supposons toujours ĂȘtre Ă sa poursuite ; et, aprĂšs une rĂ©sistance suilisammenl prolongĂ©e, elle fait une retraite en Ă©chelons ou en Ă©chiquier ; puis elle passe le dĂ©lilĂ© par les deux ailes , et va sâĂ©tablir sur la rive opposĂ©e, oĂč dĂ©jĂ une partie de lâartillerie, qui a pris les devants, a Ă©tĂ© occuper les emplacements les plus favorables. LâextrĂȘme arriĂšre-garde fait un dernier effort pour dĂ©fendre lâentrĂ©e du pont, pendant que les sapeurs prĂ©parent tout ce quâil faut pour le brĂ»ler ou le couper. On place quelques piĂšces pour balayer le pont; on en met dâautres Ă droite et Ă gauche pour croiser de feux son avenue. Les tirailleurs, rĂ©pandus sur le bord , contrarient lâĂ©tablissement des batteries ennemies, et les bataillons cherchent, Ă la faveur des plis de terrain, Ă prendre quelque position oĂč, tout Ă la fois, ils se soustraient aux feux si dangereux de celle artillerie , cl enveloppent le dĂ©bouchĂ© du pont. Un chef qui a du coup-dâĆil peut, dans ce cas, Ă©pargner bien des pertes Ă sa troupe. Si lâon parvient Ă couper le pont, lâennemi sera arrĂȘtĂ© plus eu moins longtemps suivant la nature des difficultĂ©s que la riviĂšre peut offrir. Sinon lâarriĂšre-garde, aprĂšs une rĂ©sistance poussĂ©e aussi loin quâil lui est possible sans se compromettre, se remettra en marche. Le commandant fera dâabord partir les bataillons les plus Ă©loignĂ©s du pont, puis il enverra une partie de son artillerie prendre plus loin de nouvelles b K S MARCHES ET DES MANOEUVRES'. positions d'oĂč elle puisse battre efficacement les environs et surtout la route, et il placera sa cavalerie sur les flancs pour charger les premiĂšres troupes qui voudront se mettre Ă sa poursuite. Les tirailleurs sont dĂ©ployĂ©s pour couvrir la retraite , Ă la faveur des haies , des fossĂ©s et de tous les obstacles quâils peuvent trouver ; ils forment un long rideau qui masque et protĂšge le mouvement des colonnes. Ces tirailleurs se retirent Ă mesure que lâennemi sâavance, mais toujours en disputant le terrain. Lorsque la nuit est venue, et que la poursuite de lâennemi a cessĂ© , lâarriĂšre-garde allume scs feux , et se livre au repos ; mais elle nâattend pas que le jour ait paru pour se remettre en route ; quelles quâaient etc les fatigues de la veille, il faut, pour en Ă©viter de plus grandes encore , sâĂ©loigner de lâennemi, en partant quelques heures avant lui. Dans un moment pressĂ© on peut traverser le pont Ă la course et sans conserver rigoureusement ses rangs, pourvu quâon ait soin dâenvoyer de lâautre cĂŽte les drapeaux et les guides des diffĂ©rents bataillons avec des officiers dâĂ©tat-major, pour indiquer aux troupes , Ăč mesure quâelles arrivent, lâemplacement quâelles doivent occuper. Il est cependant nĂ©cessaire quâun pareil mouvement ne se fasse pas tout Ă fart en tumulte, et que les bataillons sachent dans quel ordre ils doivent passer. En 1811, le marĂ©chal Ney a fait une pareille manoeuvre au combat de Redinha en Portugal. Mais sâil arrivait quâil y eĂ»t de lâencombrement sur le pont, et que lâartillerie de lâennemi pĂ»t en mĂȘme temps y diriger ses coups, les pertes seraient Ă©normes et la dĂ©route sâensuivrait indubitablement. La manĆuvre que nous indiquons ne peut donc ĂȘtre regardĂ©e que comme un pis-aller, et on ne lâentreprendra, ainsi que le fit le marĂ©chal Ney, que lorsquâil nây aura plus autre chose a faire, et que pourtant on ne sera pas disposĂ© Ă mettre bas les armes. Passage des dĂ©files eu relraue .â Si l'extrĂȘme arriĂšre-garde DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 155 sc trouve pressĂ©e par lâennemi lorsquâelle est engagĂ©e sur une chaussĂ©e entre des marais, ou des murs qui ne laissent aucun moyen de prendre des mesures dĂ©fensives sur les cĂŽtĂ©s, elle ne peut, Ă©tant composĂ©e de cavalerie, se tirer dâembarras qu'en prenant le trot pour aller rejoindre le gros de lâarriĂšre-garde, et sc mettre sous la protection de son canon. On profile de quelque rĂ©largissement de la chaussĂ©e pour y mettre une ou deux, piĂšces qui balayeront âąes approches aussitĂŽt que cette cavalerie aura dĂ©filĂ©, et la suivront elles-mĂŽmes dĂšs quâelles auront produit leur effet. Mais quand lâextrĂȘme arriĂšre-garde est composĂ©e dâinfanterie elle ne peut, au contraire , dans le cas supposĂ© , se retirer que trĂšs-lentement, en employant le feu de chaussĂ©e pour amortir lâardeur des poursuivants, jusquâĂ ce que les localitĂ©s permettent dâautres dispositions. Si les cartouches viennent Ă manquer en ce moment la position est critique; il ne reste dâautres ressources que dans les charges Ă la bayon- nelte que tentent les derniĂšres troupes pour le salut des autres. Un long dĂ©filĂ© de montagnes est trĂšs-propre Ă arrĂȘter lâennemi dans sa poursuite ; mais il faut y entrer avant lui pour y prendre position ; et câest lĂ le difficile quand on est suivi de prĂšs. Car ce qui fait votre sĂ»retĂ© quand une fois le gros de la troupe n passĂ©, vous est contraire si lâennemi vous talonne ; on se prĂ©cipite en foule Ă lâentrĂ©e du dĂ©filĂ©, et il sây forme un grand dĂ©sordre dont on ne se dĂ©brouille pas facilement. Cependant ce danger est plus Ă craindre Ă lâentrĂ©e dâun pont quâĂ celle dâun dĂ©filĂ© de montagnes, parce que le rĂ©trĂ©cissement y est plus brusque. Le passage du pont de la BĂ©rĂ©sina, dans la retraite de Moscou, est un terrible exemple des dangers quâune troupe vivement poursuivie peut rencontrer Ă lâentrĂ©e du dĂ©filĂ©. LâarriĂšre-garde doit donc tenir ferme en avant, jusquâĂ ce que le corps intermĂ©diaire y ait pĂ©nĂ©trĂ© et sc soit mis en mesure dâen dĂ©fendre lâentrĂ©e. Les bataillons de lâarriĂšre-garde sây acheminent ensuite les uns aprĂšs les autres, et par intervalles; ils y prennent des positions succĂšs- lo4- DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. sives pour protĂ©ger la retraite des derniĂšres troupes et arrĂȘter lâennemi pour ainsi dire Ă chaque pas. La cavalerie, qui a dĂ» se retirer des premiĂšres, se hĂąte de passer le dĂ©filĂ© pour aller se former en bataille h son dĂ©bouchĂ© ou dans les petites plaines quâon y rencontre quelquefois. Lâartillerie sâĂ©chelonne sur la route en profitant de tous les circuits oĂč elle peut se placer sans ĂȘtre trop exposĂ©e , et dâoĂč elle a un bon champ de tir. LâextrĂȘme arriĂšre-garde se retire en disputant le terrain, sous la protection des corps qui ont occupĂ© lespositions de droite et de gauche ; et quand elle arrive aux batteries et quâelle les a dĂ©masquĂ©es, celles-ci entrent en jeu et suivent, aprĂšs quelques volĂ©es, le mouvement de retraite. LâarriĂšre-garde profite des instants oĂč lâennemi est repoussĂ© pour abattre des arbres et les jeter en travers du chemin ; un dĂ©tachement de sapeurs est utile pour cela. Quand le dĂ©filĂ© est trĂšs-resserrĂ© , que dâun cĂŽtĂ© sont les abĂźmes et de lâautre des rochers escarpĂ©s, comme cela se voit presque partout dans nos Alpes, on trouve dans la destruction des ponts et les coupures de la route un excellent moyen de retarder la poursuite de lâennemi , si ce nâest de lâarrĂȘter complĂštement. On peut encore , dans certains cas , se tirer dâembarras en mettant le feu aux broussailles ou herbes sĂšches quâon vient de traverser; le vent chassant la flamme du cĂŽtĂ© de lâennemi, celui-ci devra reculer ou sâarrĂȘter jusquâĂ ce quâelle ait tout consumĂ©. Deux ou trois charrettes rompues sur la route rempliront quelquefois le mĂȘme objet. Enfin, câest dans de telles localitĂ©s quâon doit avoir recours aux embuscades et essayer de ces stratagĂšmes dont les anciens faisaient un si frĂ©quent et si heureux usage. Peut-ĂȘtre ces moyens sont-ils un peu trop dĂ©daignĂ©s de nos jours ; il nây a point de honte Ă recourir Ă la ruse quand on est obligĂ© de cĂ©der Ă la force. A ce sujet je dois recommander la lecture de la retraite des dix mille par XĂ©nophon, comme un des livres les plus instructifs et les plus intĂ©ressants. Si le dĂ©filĂ© dans lequel la retraite sâopĂšre est en communication avec quelque vallĂ©e qui donne Ă lâennemi le moyen de DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 155 vous couper le chemin, il est indispensable de faire occuper le dĂ©bouchĂ© de ce dĂ©lilĂ© latĂ©ral jusquâĂ ce que les derniers corps lâaient dĂ©passĂ©. Et, en tout cas, ce doit ĂȘtre un motif de ne pas prolonger la rĂ©sistance au delĂ du temps nĂ©cessaire pour assurer la retraite du corps principal, alĂźn de ne pas donner Ă lâennemi celui de vous tourner. Les villages, les bois, sont aussi des dĂ©filĂ©s dont une arriĂšre- garde peut profiter pour gagner du temps ; mais elle ne doit pas sâobstiner Ă les dĂ©fendre parce quelle finirait par ĂȘtre enveloppĂ©e et sĂ©parĂ©e du corps principal. Elle doit se borner a faire bonne contenance pour obliger lâennemi Ă dĂ©ployer ses moyens. Le commandant fait occuper les maisons et les clĂŽtures, ou la lisiĂšre du bois, par une partie de sa troupe, pendant quâil envoyĂ© le reste au delĂ pour assurer sa communication avec le corps principal. Sa cavalerie est employĂ©e Ă balayer le pays Ă droite et Ă gauche; elle chasse les patrouilles ennemies et ĂŽte toute inquiĂ©tude de se voir tournĂ©s Ă ceux qui dĂ©fendent le village ou le bois. Lâartillerie trouve ordinairement de bons emplacements dans ces localitĂ©s, oĂč il nâest pas facile de la dĂ©loger. Cependant le commandant ne se laissera pas sĂ©duire par ces avantages et il ordonnera la retraite quand il verra lâennemi en mesure dâattaquer; il a obtenu ce quâil voulait en lâobligeant aux lenteurs de ces formalitĂ©s; il retire donc les troupes les plus exposĂ©es et les envoyĂ© prendre des positions plus en arriĂšre, pendant que les autres barricadent les avenues et entravent la marche de lâennemi, pour suivre ensuite le mouvement gĂ©nĂ©ral. On conçoit que le commandant de lâarriĂšre-garde doit souvent se trouver dans des positions bien difficiles. Il faut donc, pour ĂȘtre Ă la hauteur de sa mission, quâil dĂ©ploie tout Ă la fois beaucoup de fermetĂ© de caractĂšre , de ressources dâesprit et de talents militaires. Il finit quâil ait la confiance du soldat et que sa bravoure soit apprĂ©ciĂ©e de lâennemi mĂȘme. Sâil nâest pas de poste plus dangereux que celui de lâarriĂšre-garde, câest aussi le plus honorable le marĂ©chal Ncy sâest acquis une 156 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. gloire immortelle en couvrant la marche de lâarmĂ©e française dans la funeste retraite de Russie. Pendant plusieurs semaines, il fut tous les jours aux prises avec lâennemi, et plus dâune fois il combattit comme un simple grenadier. Les soldats se raconteront longtemps dans leurs bivouacs les hauts faits de celui qui rentra le dernier sur une terre amie, aprĂšs avoir supportĂ©, avec quelques braves, tout ce que la fortune peut accumuler de dangers et de privations sur les dĂ©bris dâune troupe dĂ©sorganisĂ©e, anĂ©antie par les frimais. § 5. â Marche simultanĂ©e de plusieurs Colonnes. JusquâĂ prĂ©sent nous nâavons eu en vue quâune seule colonne, ou un seul corps dâarmĂ©e marchant sur la mĂȘme route. Nous allons maintenant nous occuper de la marche simultanĂ©e de plusieurs corps composant une grande armĂ©e, en supposant que lâennemi soit dans le voisinage. Nous dirons dâabord que chacune de ces colonnes, pouvant ĂȘtre attaquĂ©e isolĂ©ment et avoir Ă lutter plus ou moins de temps jusquâĂ ce que les autres arrivent Ă son secours, doit sâastreindre aux mĂȘmes rĂšgles de prudence et se conduire dâaprĂšs les mĂȘmes principes que si elle marchait seule. Ainsi tout ce qui est contenu dans les articles prĂ©cĂ©dents lui est encore applicable elle aura son avant-garde particuliĂšre, scs Ă©claireurs; elle se subdivisera en autant de colonnes partielles que les circonstances pourront le nĂ©cessiter ou les localitĂ©s le permettre; elle choisira ses positions, ses cantonnements, ses bivouacs dans les limites de lâespace dont elle peut disposer; elle frappera les rĂ©quisitions indispensables Ă la nourriture et Ă lâentretien de la troupe; elle aura son administration Ă elle, etc. mais aux conditions de rester toujours en corrĂ©lation avec les autres colonnes et de manĆuvrer vers le mĂȘme but. DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 157 indĂ©pendamment des avant-gardes particuliĂšres dont les diverses colonnes sont prĂ©cĂ©dĂ©es, il y aura un des corps qui prĂ©cĂ©dera les autres et formera comme Favant-garde gĂ©nĂ©rale de toute lâarmĂ©e, de mĂȘme quâun autre peut rester en arriĂšre comme rĂ©serve ou arriĂšre-garde gĂ©nĂ©rale. En sorte que la disposition dâune grande armĂ©e, partagĂ©e en plusieurs corps et marchant sur plusieurs routes est sommairement indiquĂ©e par la figurĂ© 12 Ă , dans laquelle on a supposĂ© que lâarmĂ©e est partagĂ©e en cinq corps et sâavance sur trois directions parallĂšles. La route du milieu est occupĂ©e par trois corps A, B, C, le premier formant lâavant-garde gĂ©nĂ©rale, le second le centre de lâarmĂ©e et le troisiĂšme lâarriĂšre-garde gĂ©nĂ©rale, quâon appellera plutĂŽt rĂ©serve dans cette circonstance. Les deux autres routes sont suivies, chacune par une colonne D ou E , jouant, par rapport Ă lâarmĂ©e entiĂšre, Ă peu prĂšs le mĂŽme rĂŽle que les flanqueurs dans la marche dâune seule colonne isolĂ©e. Toute lâĂ©tendue de terrain embrassĂ©e par les colonnes, câest- Ă -dire la distance DE, est ce quâon appelle le front de ta marche. Il est ordinairement de plusieurs lieues, en sorte que toutes espĂšces de circonstances de terrain peuvent sây rencontrer. Câest cependant une rĂšgle dont on ne doit pas sâĂ©carter, d'Ă©viter de laisser entre deux des obstacles, tels que riviĂšres, lacs, grands marais, chaĂźnes de rochers impraticables, qui empĂȘcheraient les corps de communiquer entre eux et de se secourir en cas dâattaque. Si donc de semblables obstacles se prĂ©sentent en chemin, ou bien lâarmĂ©e entiĂšre fait un circuit pour les Ă©viter , ou bien celle des colonnes que cet obstacle sĂ©parerait des autres si elle continuait Ă marcher dans la mĂŽme direction, appuie Ă droite ou Ă gauche pour lâĂ©viter, et vient se placer derriĂšre les corps voisins, jusquâĂ ce que, le pays sâĂ©largissant de nouveau, elle puisse reprendre sa place. La figure indique quâil y a une avant-garde particuliĂšre en tĂšte de chaque corps, et que de plus ceux des ailes ont dĂ©tachĂ© extĂ©rieurement des flanqueurs pour Ă©clairer le pays Ă 1S8 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. droite et Ă gauche. En sorte que si on a Ă©gard h ces dĂ©tachements , lâarmĂ©e sâavance rĂ©ellement sur cinq colonnes. Mais dans la dĂ©signation gĂ©nĂ©rale de la marche , on nâindique que la direction suivie par les corps principaux, et, dans lâexemple actuel, on dit que lâarmĂ©e marche en trois colonnes. La distance entre les colonnes qui suivent des routes diffĂ©rentes ne doit pas dĂ©passer deux Ă trois lieues, sauf les cas dâexception dans lesquels on se trouve quelquefois forcĂ©ment. Ainsi, lorsquâon peut disposer de plusieurs chemins Ă peu prĂšs parallĂšles, il ne faut pas que les corps latĂ©raux D et E soient Ă©loignĂ©s de plus de trois lieues du corps central B. Ă une plus grande distance ils se trouveraient compromis si, Ă©tant attaquĂ©s subitement par des forces trĂšs-supĂ©rieures, ils Ă©prouvaient de la dillicultĂ© Ă se replier sur les corps en arriĂšre; leur canon ne serait pas entendu, et les autres corps, trop Ă©loignĂ©s, nâauraient pas le temps dâarriver Ă leur secours. Quant Ă lâavant-garde gĂ©nĂ©rale A, marchant ordinairement sur la grandâroule et ayant ses derriĂšres bien dĂ©gagĂ©s, elle peut, au besoin, opĂ©rer plus facilement sa retraite sur les corps qui la suivent, elle peut donc aussi se porter Ă une plus grande distance en avant; je dis plus, elle le doit, puisque sa tĂąche est de dĂ©couvrir rennemi, de reconnaĂźtre ses forces et sa position ; elle se portera donc jusquâĂ une marche, huit ou dix lieues, du corps B, ou du moins elle pourra sâavancer jusque-lĂ sans inconvĂ©nient, sa distance ne pouvant Ăštre[fixĂ©e dâune maniĂšre invariable. La rĂ©serve C restera au moins Ă trois ou quatre lieues en arriĂšre du corps central, de maniĂšre que celui-ci ait le temps de se dĂ©gager des dĂ©filĂ©s quâil aura Ă traverser dans sa marche, avant que lâautre y arrive. La rĂ©serve dâartillerie , le parc, les bagages sont rĂ©unis Ă la suite de celle des colonnes qui a le moins de probabilitĂ© de rencontrer lâennemi. Ils sont placĂ©s en F dans la figure. Cependant chaque colonne conserve avec elle ce qui lui est indispensable, en fait de bagages, et le place Ă la queue sous IES MARCHES ET DES MANOEUVRES. 150 escorte; plus on les en dĂ©barrasse, mieux cela vaut; il en l'este toujours trop. Le gĂ©nĂ©ral en chef se tient habituellement au corps central , parce que câest de lĂ quâil a plus facilement des nouvelles des autres corps et quâil peut expĂ©dier plus promptement ses ordres. Cela ne lâempĂȘchera pourtant pas de se porter de sa personne au corps dâavant-garde, quand il devra Ă©tudier le terrain avant que lâarmĂ©e entiĂšre y arrive, ou voir de prĂšs les dispositions de lâennemi. Pour que la marche sâexĂ©cute rĂ©guliĂšrement, il est nĂ©cessaire que le commandant de chaque colonne soit instruit sommairement du but que se propose le gĂ©nĂ©ral en chef, et quâil sache quels sont les corps voisins, qui sont ceux qui le prĂ©cĂšdent ou le suivent, par qui il sera appuyĂ© en cas dâattaque, sur qui il doit se replier sâil rencontre des forces trop supĂ©rieures. Il faut de plus quâil y ait un Ă©change continuel dâestafettes entre le grand quartier-gĂ©nĂ©ral et les quartiers- gĂ©nĂ©raux des corps dâarmĂ©e, pour que, dâune part., le major- gĂ©nĂ©ral , qui expĂ©die les ordres de marche, sache Ă chaque instant comment ils sâexĂ©cutent, et que, de lâautre, les commandants des corps soient tenus au courant de ce qui se passe et informĂ©s des modifications qui peuvent ĂȘtre apportĂ©es Ă lâensemble de lâopĂ©ration. Les ordres transmis aux diffĂ©rents corps de lâarmĂ©e française par le marĂ©chal Berthier , dans les marches qui ont prĂ©cĂ©dĂ© les grandes batailles des derniĂšres guerres, sont Ă cet Ă©gard dâune haute instruction. Il est maintenant facile de comprendre que la disposition que nous venons dâindiquer rĂ©pond Ă tous les cas qui peuvent se prĂ©senter dans la marche , et donne Ă lâarmĂ©e entiĂšre la facilitĂ© de se concentrer promptement pour livrer bataille. Si elle rencontre l'ennemi en tĂȘte, ce qui est le cas ordinaire, le corps dâavant-garde A fait un mouvement de retraite pour se rapprocher des corps qui le suivent; Ă moins quâil ne soit arrivĂ© sur une position importante Ă garder, auquel cas il fait son possible pour sây maintenir. Les corps F et E changent 100 DES MARCHES ET DES MANOEUVRES. de direction Ă droite et h gauche pour se rapprocher du centre , tout en continuant h marcher en avant. Le corps central B se hĂąte dâarriver pour appuyer et doubler le corps A. Les corps latĂ©raux D et E se joindront pour former la seconde ligne. La rĂ©serve C arrivera ensuite et sera employĂ©e Ă telle destination que le gĂ©nĂ©ral jugera convenable. Ces dispositions sont les plus naturelles, mais elles peuvent ĂȘtre modifiĂ©es de plusieurs maniĂšres ; par exemple, la premiĂšre ligne peut ĂȘtre formĂ©e par un des corps D ou E se joignant Ă lâavant-garde Ă, et la seconde ligne par le corps central B et lâautre corps latĂ©ral. On peut mettre trois corps en premiĂšre ligne et deux en seconde, ou deux en premiĂšre et trois en seconde , etc. Cela dĂ©pend des projets ultĂ©rieurs du gĂ©nĂ©ral et du plus ou moins de facilitĂ© quâil trouve Ă rĂ©unir dâabord tel ou tel corps h lâavant-garde, en raison des distances , de la nature des chemins , ou de telles autres circonstances qui sâopposent Ă ce quâon adopte Ă la guerre une maniĂšre dâagir uniforme. Et ceci, bien loin dâĂȘtre un inconvĂ©nient , prĂ©sente un avantage rĂ©el par lâignorance oĂč lâennemi se trouve, jusquâau dernier moment, des dispositifs qui seront pris contre lui. Lâennemi se montre-t-il en forces sur le cĂŽtĂ© et menace-t-il dâattaquer lâarmĂ©e par un de ses flancs, tous les corps font tĂȘte de colonne de ce cĂŽtĂ©, et la disposition gĂ©nĂ©rale nâest point changĂ©e il y a toujours un corps dâavant-garde , un dâarriĂšre-garde, un corps central et deux corps pour couvrir les flancs. Si, par exemple , lâarmĂ©e doit changer de direction Ă droite, le corps D forme lâavant-garde , B reste au centre, A et G deviennent corps flanqueurs, et E fait la rĂ©serve. Pour un mouvement de retraite , ou pour attaquer un ennemi quâon a sur ses derriĂšres, le revirement est complet le corps C devient avant-garde, A arriĂšre-garde ou rĂ©serve, les corps E et D restent flanqueurs, et B corps central. En un mot cette disposition est telle que de quelque cĂŽtĂ© fto/S. 00 mĂštres, ses coups doivent se succĂ©der 188 DES BATAILLES. sans interruption, pour inquiĂ©ter continuellement lâennemi. De plus prĂšs, on ne tire plus quâĂ mitraille. Le plus petit .calibre se met dans les parties les plus avancĂ©es du champ de bataille; le plus gros sâemplace au contraire dans les positions les plus Ă©loignĂ©es, dans les ailes refusĂ©es, sur les hauteurs, partout oĂč il est le moins en prise; sa grande portĂ©e, la justesse de son tir, font quâon peut ainsi sâen servir et produire les mĂŽmes effets quâen tirant de plus prĂšs avec un calibre infĂ©rieur. Il y a donc de lâavantage Ă avoir au moins deux calibres Ă lâarmĂ©e, dâautant plus que sâil se prĂ©sente quelque redoute Ă enlever, une muraille Ă abattre, une barricade, un abatis Ă forcer, on en vient plus aisĂ©ment a bout avec le gros canon, parce que dans ces cas les effets produits sont en raison des masses multipliĂ©es par les vitesses ; or, les gros boulets ont Ă la fois plus de masse et plus de vitesse. Il est une autre arme quâon peut regarder comme une artillerie trĂšs-portative, je veux parler des carabiniers, dont lâusage est dâune excellence si bien reconnue pour un pays de bois et de montagnes, tel que le nĂŽtre. Câest Ă la faveur des arbres et des rochers que le carabinier ajuste son coup avec sĂ»retĂ©, quâil charge son arme avec soin ; il faut donc quâil ne craigne pas dâen ĂȘtre dĂ©busquĂ© par de simples tirailleurs qui, plus lestes que lui Ă recharger leurs armes, pourraient avoir de lâavantage. Si le carabinier se voit trop exposĂ©, il tire avec prĂ©cipitation , ajuste mal, et nâest plus alors quâun fantassin ordinaire ; peut-ĂȘtre mĂŽme vaut-il moins quâun voltigeur, en raison de la lenteur de ses coups. Si le carabinier sâagite trop, sâil est obligĂ© de courir, le seul mouvement de son pouls Ă©levĂ© suffit pour dĂ©truire la justesse du tir. Il rĂ©sulte de lĂ que les carabiniers, loin d'ĂȘtre employĂ©s comme troupes lĂ©gĂšres , doivent en quelque sorte ĂȘtre mis en position et soutenus par des tirailleurs, comme lâartillerie est appuyĂ©e par des bataillons ou par des escadrons. Alors les carabiniers feront un mal extrĂȘme Ă lâennemi, en dirigeant leurs coups de prĂ©fĂ©rence sur les officiers, comme firent les Suisses des pe- DĂS BATAILLĂS; 189 lits Cantons quand les Français violĂšrent leur territoire. Rien ne dĂ©sole plus lâadversaire que cette mĂ©thode; rien nâest plus propre Ă jeter le dĂ©sordre dans ses rangs. La portĂ©e des cĂąrabines Ă©tant plus considĂ©rable que celle du fusil de munition , câest aux carabiniers 11 engager l'action; ils sont encore hors de prise, iis batailles. 209 lâennemi quelques boulets, elmque fois quâelles ont aperçu ses masses. Le combat des tirailleurs se soutient ainsi plus ou moins longtemps, jusquâĂ ce quâils soient repoussĂ©s, ou quâĂ un ordre donnĂ©, leurs chaĂźnes se replient pour se rapprocher de la ligne de bataille qui sâest formĂ©e pendant ce temps. Les batteries partent au trot pour aller se rĂ©unir Ă celles qui sont dĂ©jĂ en position. Les chasseurs relĂšvent les carabiniers, qui vont se rallier derriĂšre eux; une moitiĂ© forme la chaĂźne , lâautre les soutient, et, dans cet ordre, toute la chaĂźne des tirailleurs opĂšre sa retraite en rĂ©pondant aux tirailleurs ennemis et en se dirigeant vers les intervalles des bataillons. Ils dĂ©masquent dâabord les batteries qui entrent aussitĂŽt en jeu. Les carabiniers se placent en Ă©chiquier, comme il leur est prescrit ; les chasseurs, en sâĂ©coulant, viennent donbler les ailes des bataillons, et lâordre de bataille est complĂ©tĂ©. Alors les deux premiĂšres divisions entrent en action; elles ouvrent leur feu, si lâennemi est Ă bonne distance , ou marchent Ă lui lâarme au bras. Quant Ă la troisiĂšme, elle se borne Ă canonner devant elle et Ă faire montre de scs forces ; elle nâentrera en action quâaprĂšs les autres et quâautant que cela sera nĂ©cessaire pour contenir la droite de lâennemi. La figure 25° montre ces dispositions et de quelle maniĂšre les commandants des divisions se sont conformĂ©s Ă lâesprit de leur instruction le commandant de la premiĂšre a retirĂ© de chaque ligne un bataillon pour se former une petite rĂ©serve dont il puisse disposer au besoin , et lâa placĂ©e derriĂšre le centre; il sâest prĂ©parĂ© Ă aborder lâennemi, dans lâordre parallĂšle. Le commandant de la seconde division a formĂ© sa premiĂšre ligne en deux Ă©chelons, mais il a doublĂ© le bataillon de la droite pour renforcer cette aile qui doit agir ; il a mis tous ses carabiniers en premiĂšre ligne ; sa seconde ligne ne prĂ©sente dâautre particularitĂ© sinon que les trois bataillons de droite sont plus rapprochĂ©s les uns des autres que ceux de gauche , toujours dans la mĂȘme intention dâagir vigoureuse- 14 ĂES IWTArĂLES. 210 ment par le roi Charles I aux troupes parlementaires , le prince Robert culbuta celles quâil avait devant lui et les poursuivit avec acharnement. Mais Cromwel, qui de son cĂŽtĂ© , avait battu les troupes royales qui lui Ă©taient opposĂ©es, les laissa fuir, Ăšt, se repliant sur celles qui combattaient encore, il les prit en flanc et dĂ©cida la victoire. Il lit ce quâaurait dĂ» faire le prince Robert qui remporta les premiers avantages, et qui, sâil eut eu autant de prudence que de valeur, eĂ»t peut-ĂȘtre conservĂ© la couronne Ă son Roi. An- tiochus perdit la bataille de RapliĂ©e par une faute semblable. Il poursuivit Ă la tĂȘte de sa cavalerie celle de PtolĂ©mĂ©e quâil avait mise en dĂ©route , laissant son infanterie aux prises avec lâennemi. Mais EchĂ©cates, qui commandait lâautre aile des Egyptiens, fit, Ă la faveur de la poussiĂšre quâĂ©levaient les Ă©lĂ©phants et la cavalerie , un mouvement latĂ©ral qui le porta I DUS BATAILLES. 213 sur le flanc des troupes opposĂ©es , et dĂ©cida la victoire en sa faveur. Antiochus, vainqueur de son cĂŽtĂ©, et dĂ©jĂ bien loin du champ de bataille , ne sâaperçut que trop tard de la dĂ©faite de l'autre moitiĂ© de son armĂ©e. Dans lâĂ©tat oĂč il se trouvait lui-mĂȘme il ne put point lui porter de secours, et fut trop heureux de se retirer dans RaphĂ©e. Ainsi, dans tous les temps, les mĂȘmes fautes amĂšnent les mĂȘmes rĂ©sultats. 11 faut donc, aprĂšs un premier succĂšs, nĂ© poursuivre lâennemi quâavec circonspection , se rallier, reformer ses rangs pour ĂȘtre en Ă©tat de soutenir de nouvelles attaques, prendre momentanĂ©ment position, jeter un regard autour de soi pour tĂącher de voir au juste ce qui se passe. Quand les troupes se sont ralliĂ©es, quâelles ont repris haleine et quâon sâest assurĂ© qu'il nây a aucun danger Ă marcher en avant, on recommence la poursuite en la dirigeant de maniĂšre Ă sĂ©parer les corps ennemis, et Ă leur ĂŽter toute possibilitĂ© de se rĂ©unir. Pendant que les bataillons reformĂ©s manĆuvrent dans ce but, les troupes lĂ©gĂšres harcĂšlent lâennemi dans sa retraite , lâartillerie le suit et ne lui donne aucun repos , la cavalerie se prĂ©cipite sur les corps qui conservent quelquâapparence dâordre, elle les taille eu piĂšces ou leur fait mettre bas les armes. Mais en suivant le principe que lâordre doit se rĂ©tablir dans les rangs quand on a enfoncĂ© lâennemi sur quelque point, il faut aussi se garder de perdre son temps Ă rectifier trop rigoureusement des alignements. Ce nâest pas dans la rectitude parfaite des lignes que consiste lâordre, mais dans le tact dâhomme Ă homme. Restez serrĂ©s et poussez en avant, il nâen faut pas davantage pour culbuter de nouveau un ennemi qui a dĂ©jĂ pliĂ©. Perdez au contraire votre temps Ă redresser vos lignes comme sur une plaine dâexercice, et vous laisserez Ă lâennemi celui de se reformer et de vous prĂ©senter une seconde fois la bataille. Câest ainsi que souvent Ă la guerre la perfection de lâordre est intempestive, bien que lâordre en lui-mĂȘme soit une excellente chose. UES BATAILLES. 216 On voit donc quâil y a deux extrĂȘmes Ă Ă©viter quand on a fait plier lâennemi quâon a devant soi. Trop de circonspection rendrait inutile votre premier succĂšs, trop de fougue vous perdrait. Ce nâest que devant un ennemi entiĂšrement en dĂ©route quâon peut tout se permettre, car alors, selon lâexpression Ă©nergique du marĂ©chal de Saxe, on le chasserait avec des vessies. Il est peu dâactions de guerre oĂč un chef nâait pas ainsi deux Ă©cueils h Ă©viter; câest pourquoi il faut tant de tact et de sang-froid pour sâarrĂȘter au meilleur parti. Dans le cas actuel, un mĂ©lange de prudence et dâaudace est nĂ©cessaire pour sâavancer autant quâil faut et pas plus quâil ne faut. Un chef ne doit pas seulement regarder devant lui, mais souvent de cĂŽtĂ© et quelquefois derriĂšre. J1 doit savoir ce qui se passe dans les corps voisins, sâil est soutenu, si la ligne dont il fait partie se maintient, si les rĂ©serves sont engagĂ©es, sâil ne peut plus compter que sur lui-mĂȘme, etc. pour se conduire en consĂ©quence. VoilĂ pour ce qui concerne les corps particuliers. Quant Ă lâarmĂ©e entiĂšre, son chef en dirige les mouvements de maniĂšre Ă rendre sa victoire dĂ©cisive en gagnant, le plus possible, du terrain du cĂŽtĂ© de la ligne de retraite de lâennemi pour lâintercepter; il dispose de ses derniĂšres rĂ©serves pour renverser tout ce qui rĂ©siste encore ; et, pendant que les diffĂ©rents corps poussent devant eux lâennemi vaincu, le tournent, lâacculent Ă des obstacles, font des prisonniers, sâemparent de son matĂ©riel, il prend quelque repos, dicte ses ordres pour le bivouac du champ de bataille et pour les marches du lendemain ; sa sollicitude se porte sur les blessĂ©s; il tĂ©moigne aux troupes sa satisfaction dans un ordre du jour oii il rappelle ce que chaque corps a fait pour la victoire ; il prend enfin des mesures pour remplacer les munitions consommĂ©es, remplir le plutĂŽt possible les vides causĂ©s par les perles et tirer du pays toutes les ressources quâil peut offrir. DES BATAILLES. 217 § 4. â DES Batailles dĂ©fensives. LâarmĂ©e la plus faible est ordinairement obligĂ©e de recevoir la bataille. Elle choisit, autant quâil lui est possible, une position favorable pour y attendre lâennemi, tĂąchant ainsi de supplĂ©er h son infĂ©rioritĂ© numĂ©rique par lâavantage des lieux. Positions, â Or, voici ce qu'on entend par une bonne position; câest celle qui, sans ĂȘtre trĂšs-Ă©levĂ©e, domine cependant les environs, et qui offre lâespace nĂ©cessaire pour y dĂ©ployer les troupes. Le terrain occupĂ© doit ĂȘtre assez uni et dĂ©pourvu dâobstacles pour permettre toute espĂšce de manĆuvres aux diffĂ©rentes armes, et pour quâen particulier lâartillerie et la cavalerie puissent le parcourir en tout sens. 11 faut que son Ă©tendue soit en rapport avec la force de lâarmĂ©e ; et, Ă cet Ă©gard, nous ferons remarquer que la ligne de bataille, peut, dans le cas oii lâon occupe une position, sâĂ©tendre davantage quâen plaine, parce quâil nâest pas nĂ©cessaire de la doubler dans toute lâĂ©tendue. Pourvu quâon oppose deux lignes h lâennemi dans les parties les plus accessibles, cela sullit ; on peut se contenter dâune seule partout ailleurs et mettre entre les corps de plus grands intervalles, occupĂ©s seulement par des tirailleurs. Lâavantage des lieux permet ces dĂ©viations Ă la rĂšgle. Tous les saillants Ă©tant convenablement occupĂ©s par de lâartillerie, ou seulement par des carabiniers et de l'infanterie, lâennemi ne saurait sans se compromettre prĂȘter le flanc pour se jeter dans les intervalles derriĂšre lesquels les rĂ©serves peuvent dâailleurs se trouver. Une divison fĂ©dĂ©rale de seize bataillons, quatre batteries, huit compagnies de carabiniers et quatre escadrons, sullirait pour occuper convenablement une position de 5,000 pas dâĂ©tendue, câest-Ă -dire dâune demi lieue. Les ailes de la position doivent ĂȘtre fortement appuyĂ©es Ă des obtacles naturels, tels que de grands marais, un lac, une riviĂšre profonde, des bois, des rochers qui rassurent lâannĂ©e 218 DES BATAILLESâą occupante contre les dangers dâune attaque de flanc, ou qui obligent lâennemi Ă de trĂšs-grands mouvements excentriques sâil veut envelopper une aile ou tourner la position. Sur le front, le terrain offrira des pentes douces que le canon puisse aisĂ©ment balayer et qui permettent de marcher Ă lâennemi quand on le jugera convenable. On y verra, de distance en distance, des bouquets de bois, des villages, hameaux ou cas- sines, qui, occupĂ©s convenablement, forment des saillants redoutables dont les feux se croisent et que lâennemi est obligĂ© dâenlever avant dâaborder la ligne. Une position dont le front est couvert par une riviĂšre ou par des escarpements difliciles Ă gravir, ne convient quâĂ une armĂ©e proportionnellement trop faible pour charger elle-mĂȘme lâennemi quand il sâavance, et qui doit, pour ces motifs, sâen tenir Ă une dĂ©fensive absolue ; mais, pour peu quâon ait de forces, il faut se mĂ©nager la facultĂ© des retours offensifs, de ces coups de vigueur qui intimident et arrĂȘtent l'attaquant. VoilĂ pourquoi le champ de bataille doit offrir des pentes douces sur son front, comme un immense glacis soumis aux feux de la troupe qui en occupe le sommet, et par lequel elle puisse se prĂ©cipiter elle-mĂȘme sur lâassaillant, ou le poursuivre sâil est repoussĂ©. Mais en mĂȘme temps ce glacis doit ĂȘtre dĂ©fendu par les points solides dont nous avons parlĂ©, sans quoi lâennemi le franchirait trop aisĂ©ment, nâayant Ă essuyer que des feux de front. En arriĂšre de la position les routes seront faciles, pour quâen cas de revers la retraite puisse sâeffectuer en ordre. Nous disons les routes, parce quâune seule ne suffit pas ; il en faut plusieurs pour que le champ de bataille soit aisĂ©ment et promptement Ă©vacuĂ©. Ce nâest pas une bonne position que celle qui nâa quâune seule issue pour la retraite; car, indĂ©pendamment du retard quâon Ă©prouverait Ă franchir le dĂ©filĂ© dans une retraite, tout serait perdu si lâennemi sâen rendait maĂźtre. Le danger sâaccroĂźt lorsque cette roule unique aboutit Ă une des ailes au lieu dâarriver au centre. Le mieux est dâavoir DES BATAILLES. 219 plusieurs chemins praticables au travers dâun pays boisĂ© et coupĂ©, oĂč lâarmĂ©e, en se retirant, puisse trouver des moyens dâarrĂȘter lâennemi. Un pays trop ouvert est dangereux aussi, parce quâil nây a rien de plus redoutable que les charges de cavalerie pour une armĂ©eplusou moins en dĂ©sordre quand elle commence sa retraite. Notre pays est heureusemenUpartagĂ© sous ce rapport. IndĂ©pendamment des roules de retraite, dont la direction est perpendiculaire Ă la ligne de bataille , il est bon quâen arriĂšre de cette ligne il y en ait une autre croisant les premiĂšres et allant de la droite h la gauche, afin qu'en cas de pluie, lorsque les terres sâenfonceraient sous le canon, on eĂ»t un moyen de porter rapidement lâartillerie partout oĂč elle serait nĂ©cessaire dans lâĂ©tendue du front. La situation la plus favorable de cette roule de manĆuvre est en arriĂšre de la seconde ligne. Ce nâest pas assez que la position offre aux dĂ©fenseurs ces avantages, il faut encore que le terrain bas, qui est laissĂ© Ă lâennemi, soit Ă©tranglĂ© , coupĂ© de fossĂ©s, de haies, de pans de murs, de flaques d'eau , etc., en un mot, de ces sortes de difficultĂ©s locales, qui, sans ĂȘtre insurmontables , gĂȘnent ou rompent les manĆuvres. Autant il importe de vous mĂ©nager, dans le choix du champ de bataille, la facilitĂ© des mouvements pour pouvoir vous porter rapidement dâun point Ă lâautre, suivant le besoin, et arriver en forces partout oĂč lâennemi se prĂ©sente , autant, par une raison contraire, vous devez chercher h entraver la marche des colonnes ennemies, empĂȘcher leur libre communication en les obligeant Ă traverser un terrain hachĂ© pour arriver Ă vous. Du plus ou moins de facilitĂ© des marches et des dĂ©ploiements dĂ©pend, en grande partie, le succĂšs des batailles. Quant Ă la forme gĂ©nĂ©rale de la position , il faut quâelle soit concave au dehors si l'espace est restreint, et quâau contraire elle soit convexe si elle a beaucoup de dĂ©veloppement. La raison en est que, dans le premier cas, lâarmĂ©e 220 DES BATAILLES. occupe toute . l'Ă©tendue de la position, et quâĂ©tant appuyĂ©e sur ses ailes, comme nous le supposons , elle est sans crainte de se voir envelopper, et peut donner Ă ses feux la direction convergente, si favorable Ă la dĂ©fense rapprochĂ©e. Dans le second cas, au contraire , pouvant ĂȘtre appelĂ©e Ă se porter dâun point Ă lâautre pour dĂ©jouer les manĆuvres de lâennemi et repousser ses attaques, il est bon que la position soit convexe au dehors , afin de nâavoir que les cordes Ă parcourir quand lâadversaire dĂ©crit les arcs. Mais, Ă proprement parler, ceci nâest point une position de combat, laquelle doit ĂȘtre proportionnĂ©e Ă la grandeur de lâarmĂ©e qui lâoccupe ; câest plutĂŽt un terrain qui, facilitant les marches-manĆuvres, donne les moyens de se porter plus promptement sur les points menacĂ©s, ou dâopĂ©rer tout Ă coup une concentration en face des parties vulnĂ©rables de lâennemi. Les avantages dâun tel terrain sont plutĂŽt stratĂ©giques que tactiques. Les positions que lâon rencontre ne rĂ©unissent que rarement toutes les conditions que nous venons dâĂ©numĂ©rer, les meilleures sont celles qui en approchent le plus. Lâart consiste Ă tirer tout le parti possible des avantages quâelles offrent, et Ă supplĂ©er, par les secours de la fortification , ou par do bonnes dispositions de troupes, h ce qui leur manque. Pour que les villages puissent flanquer la ligne de bataille, et quâil soit avantageux de sâen couvrir, il faut quâils soient solidement construits. Des maisons de bois , bien loin de favoriser la dĂ©fense, peuvent lui ĂȘtre trĂšs-nuisibles par la facilitĂ© quâa lâennemi de les incendier. On jette dans les villages quelques bataillons , des carabiniers et de lâartillerie , suivant leur importance ; en crĂ©nelant les murailles extĂ©rieures on se procure une excellente dĂ©fense, et les canons, cachĂ©s par les maisons, sont trĂšs-favorablement placĂ©s pour prendre dâĂ©charpe ou de flanc les bataillons ennemis. La ligne en avant de laquelle se croisent ces feux , doit Ă son tour ĂȘtre assez rapprochĂ©e des villages pour les soutenir et empĂȘcher quâils soient tournĂ©s. La fortification donne les DES BATAILLES* 221 moyens de meltre promptement un village en Ă©tat de dĂ©fense; nous renvoyons pour cela au chapitre IX de notre MĂ©morial des travaux de guerre. Quelque bonne que soit une position il ne faut pas sây enchaĂźner, mais se mĂ©nager la libertĂ© des mouvements. Car sâil est vrai que le faible doit chercher les avantages du terrain , il ne lâest pas moins quâune dĂ©fense purement passive est insuffisante. Il faut, au contraire , qu'elle soit, autant que possible, active et attaquante pour Ă©tonner et intimider lâennemi. En marchant Ă lui au lieu de lâattendre, on peut cacher en partie lâĂ©tat de faiblesse oĂč lâon se trouve, se multiplier Ă ses yeux ; on peut couper quelquâune de ses colonnes, Ă©craser un corps dĂ©tachĂ© ou trop aventurĂ©, en un mot, lui faire supporter des Ă©checs partiels qui, tout Ă la fois, le rendront plus circonspect et exalteront le moral de vos propres soldats. Dispositiotis dĂ©fensives. â Puisquâon ne rencontre pas partout de fortes positions, ni des obstacles Ă des distances convenables pour y appuyer ses ailes, il faut, tout en sachant profiter des avantages qui se rencontrent sur le terrain quâon occupe, savoir aussi supplĂ©er Ă ce quâil y manque par une bonne disposition de troupes ceci du moins vous accompagnera partout. L'essentiel est de mettre les ailes Ă lâabri dâune attaque de flanc. On parviendra dâabord h se garantir des charges de cavalerie sur ces parties faibles en plaçant quelques bataillons en potence Ă lâextrĂ©mitĂ© des deux lignes. Ils y resteront formĂ©s en colonnes, prĂȘts Ă marcher, et quand la cavalerie se prĂ©sentera ils feront un Ă droite ou un Ă gauche pour la recevoir, ou se formeront en carrĂ©s, ou simplement serreront en masse, suivant le temps et les lieux. A la bataille de Molvitz, gagnĂ©e par FrĂ©dĂ©ric en 1741 , la cavalerie de son aile droite avait Ă©tĂ© mise en dĂ©route ; l'infanterie allait ĂȘtre prise en flanc, si trois bataillons qui nâavaient pu se dĂ©ployer, et qui par hasard se trouvaient lĂ en potence 222 DES BATAILLES. sur la ligne de bataille, nâeussent arrĂȘtĂ© la cavalerie victorieuse. Cette infanterie, chargĂ©e h plusieurs reprises, tint bon jusquâĂ ce que lâaile gauche , qui jusque-lĂ avait Ă©tĂ© refusĂ©e, sâavançùt sous la conduite du brave marĂ©chal Schwerin et dĂ©cidĂąt la victoire. Sans ces trois bataillons qui se trouvaient en colonne Ă lâextrĂ©mitĂ© de lâaile droite, cette aile eĂ»t probablement Ă©tĂ© culbutĂ©e et la bataille perdue avant que la gauche eut pu rĂ©tablir les affaires. Câest rarement un mal que lâespace manque au dĂ©ploiement et oblige Ă laisser quelques bataillons en colonne derriĂšre une ligne, ou quelques pelotons derriĂšre un bataillon. On renforce encore les ailes en tenant en arriĂšre de leurs extrĂ©mitĂ©s, et formant Ă©chelon, quelques escadrons prĂȘts Ă charger ceux que lâennemi enverrait contre le flanc de lâarmĂ©e. Le roi de Prusse, dans les ordres quâil dicta pour la bataille de Ilohenfriedberg, eut en vue une disposition analogue un rĂ©giment de hussards, dit-il, se formera en troisiĂšme ligne Ă chaque aile de cavalerie, pour en couvrir le flanc ou pour servir Ă la poursuite. Si lâon est infĂ©rieur en cavalerie, câest par des carrĂ©s, placĂ©s Ă©galement en Ă©chelons des ailes dans lâordre de bataille, quâon se garantira des attaques enveloppantes de la cavalerie ennemie. Quant aux entreprises plus sĂ©rieuses de lâinfanterie, dirigĂ©es contre les flancs pendant la bataille et quand le front est fortement engagĂ©, on les paralyse en faisant dĂ©border la premiĂšre ligne par la seconde et celle-ci par la rĂ©serve, de maniĂšre que lâennemi soit lui-mĂȘme tournĂ© quand il cherche Ă gagner un flanc, ou quâil soit obligĂ© Ă dĂ©crire un grand mouvement circulaire, toujours trĂšs-dangereux, sâil veut tourner Ă la fois tous les Ă©chelons. On nâexpose ainsi aux premiĂšres attaques de lâennemi, et jusquâĂ ce quâil ait dĂ©masquĂ© ses projets, que le moins de troupes possible. On se rĂ©serve la facultĂ© de tenir hors de prise une des ailes, ou de faire entrer successivement, Ă mesure du besoin et sans encombrement ni embarras, la totalitĂ© des forces disponibles. lĂŻ-[MIL- fĂč/ VĂ JW tĂ»oiy J » l/r/r*>s Disposition h 90 la premiĂšre bataille de Fleuras, pour nâavoir pas portĂ© son aile droite sur un plateau ou pli de terrain qui dominait lĂ©gĂšrement le champ de bataille. Le marĂ©chal de Luxembourgayant remarquĂ© cette faute en profita habilement. Il vit, quâĂ la faveur de ce rideau, il pouvait faire filer sa cavalerie et la dĂ©ployer sur le plateau, contre le liane de l'armĂ©e ennemie ; cette manĆuvre fut promptement exĂ©cutĂ©e et dĂ©cida la victoire. Ce nâĂ©tait pourtant quâune Ă©lĂ©vation de quelques pieds, toute dĂ©couverte, qui procura a lâarmĂ©e française cet immense avantage, parce que lâarmĂ©e impĂ©riale avait nĂ©gligĂ© de sâen emparer. Un simple bois, dans lequel on jette quelques compagnies de tirailleurs, permet dâĂ©tendre la ligne de bataille, et de prĂ©senter, sans s'affaiblir sensiblement, un front Ă©gal h celui de lâennemi. Une hauteur procure des avantages dâune autre nature ; si la hauteur est isolĂ©e et dâune Ă©tendue restreinte, formant comme un mamelon au milieu de la plaine, il convient, si rien dâailleurs ne sây oppose, dây placer le centre de lâordre de bataille. Lâennemi devant, selon la rĂšgle, marcher dâabord contre ce point, sera obligĂ© Ă une attaque sur le centre la plus rude pour lui, et pour vous la plus facile a repousser. Quand , pour une cause quelconque , comme par exemple pour ne pas dĂ©couvrir sa ligne de retraite, on est obligĂ© de conserver la hauteur sur son liane au lieu dây mettre le centre, on lâoccupe aussi fortement que lâespace le permet avec une les ailes. On doit alors faire tous ses efforts pour la conserver pendant la bataille. Autant elle vous est avantageuse tant que vous la tenez, autant elle servira les projets de lâennemi quand d s en sera emparĂ©. Si le mamelon est a plusieurs sommitĂ©s, avantage restera toujours Ă celui qui occupera le point culminant; câest donc le cas de sâĂ©tendre jusque-lĂ , si on peut le ane sans trop sâaffaiblir, et dâv construire un blockhaus ou ,,ne sim P'e redoute. UES lIAĂAILLtS. 05 2 Les hauteurs peuvent former une chaĂźne de coltines, dont la direction est ou parallĂšle Ă la ligne de retraite ou transversale le premier cas rentre dans ce qui vient dâĂȘtre dit plus haut; dans le second, les hauteurs offrent plus ou moins les avantages dâune bonne position. On place alors la premiĂšre ligne sur le haut des pentes, la seconde ligne et les rĂ©serves sur le revers. La ligne de bataille suit ainsi la direction gĂ©nĂ©rale de la chaĂźne de collines. Plus cette chaĂźne approche de couper Ă angle droit la ligne de retraite, plus elle est avantageuse. Plus au contraire elle lui est oblique, et moins on y trouve de ressources pour une bonne dĂ©fense. En eiret, l'armĂ©e AB lig. 26 e , occupant des hauteurs dont la direction forme, avec la ligne de retraite XY, un angle obtus, a son flanc gauche trĂšs-exposĂ©; car lâennemi peut envelopper cette extrĂ©mitĂ© avec des forces supĂ©rieures en sâĂ©tablissant en EF perpendiculairement Ă sa ligne dâopĂ©rations , câest-Ă -dire que, par un dĂ©ploiement naturel et sans aucun mouvement excentrique, il se trouve placĂ© pour opĂ©rer une attaque de flanc, attaque qui ne sera dĂ©jouĂ©e quâen changeant la position de lâarmĂ©e AB , ce qui ne peut se faire que lorsque les hauteurs prĂ©sentent un plateau assez large pour exĂ©cuter un changement de front en arriĂšre ; et ce nâest pas lĂ notre supposition. 11 faut donc, quand on est ainsi postĂ©, ou recevoir lâattaque de flanc, ou abandonner les hauteurs. Il ne sullit donc pas quâil y ail des hauteurs sur son chemin pour les occuper et y attendre lâennemi, il faut encore que ces hauteurs aient une direction convenable par rapport Ă la ligne dâopĂ©rations. Le danger que nous venons de signaler n'est pas le seul lâennemi, pour peu que sa supĂ©rioritĂ© soit marquĂ©e, et que les collines soient accessibles vers lâaile droite de lâarmĂ©e AB, renoncera peut-ĂȘtre Ă lâattaque de flanc, si naturelle et si facile, pour porter son plus grand effort de l'autre cĂŽtĂ©. La raison stratĂ©gique l'emporte alors sur celle de haute tactique. II prend la disposition CID Ă droite il n'oppose que la portion DES BATAILLES. 255 CI, suffisante pour couvrir sa propre communication ; Ă gauche il renforce son ordre de bataille et dirige tous ses efforts de ce cĂŽtĂ©. Il est clair que si cette attaque rĂ©ussit, lâaile droite B sera rejetĂ©e en arriĂšre et lâarmĂ©e sera sĂ©parĂ©e de sa ligne de retraite, circonstance non moins fĂącheuse que la prĂ©cĂ©dente. Ainsi, par le seul fait de la direction oblique de la position, lâarmĂ©e dĂ©fensive est exposĂ©e ou Ă ĂȘtre prise en flanc, ou Ă perdre ses communications si lâennemi fait son devoir. RĂ©pĂ©lons-le donc, une chaĂźne de collines nâoffre de vĂ©ritables avantages Ă lâarmĂ©e qui lâoccupe, que lorsque sa direction diffĂšre peu de la perpendiculaire h la ligne dâopĂ©rations, et que celle-ci passe Ă peu prĂšs au milieu. Emploi des fortifications. â Lâart doit supplĂ©er Ă la nature quand les appuis manquent aux ailes dans de semblables localitĂ©s. Des abatis, des redoutes construites aux extrĂ©mitĂ©s, remplacent, quoique dâune maniĂšre bien souvent imparfaite , les obstacles naturels. Le temps nĂ©cessaire pour bien conditionner ces ouvrages manque toujours. 11 faut cependant faire tout son possible pour Ă©lever des fortifications, puisque câest alors le seul moyen quâon ait de renforcer les parties faibles. Ce nâest pas le seul cas oĂč lâingĂ©nieur soit appelĂ© Ă fournir les secours de son art. Il a quelquefois la tĂąche de fortifier des positions choisies dâavance pour y livrer une de ces grandes batailles qui dĂ©cident du sort des empires. Le temps, cet Ă©lĂ©ment si prĂ©cieux Ă la guerre, lui est donnĂ© ; il peut donc âąaire quelque chose de bon, s'il joint au coup-dâĆil, qui dicte les meilleures dispositions, lâactivitĂ© et le dĂ©vouement qui en assurent lâexĂ©cution. 11 se mĂ©nagera la possibilitĂ© des retours offensifs, car on ne doit jamais se coller aux retranchements. Ăcs ouvrages, quels quâils soient, seront donc sĂ©parĂ©s les uns es autres, laissant entre eux de grands intervalles qui permettent de dĂ©boucher sur un front respectable ; chacun dâeux sera tien conditionnĂ© , fraisĂ© , palissadĂ©, fermĂ© Ă la gorge, pour o in un degrĂ© de rĂ©sistance qui en rende la prise difficile. 11 254 DK S 1IATAILLES. vaut mieux peu dâouvrages avec un bon relief et de grands fossĂ©s, quâune quantitĂ© de taupiniĂšres insignifiantes, qui nâarrĂȘtent pas cinq minutes une troupe rĂ©solue. Voyez, pour les dĂ©tails de ces ouvrages, notre MĂ©morial pour les travaux de juerre . Sous la protection de ces ouvrages et Ă la faveur de la position, on peut adopter un systĂšme de dĂ©fensive manĆuvrante et mĂȘme attaquante , si bien fait pour des gens de cĆur et si propre Ă soutenir le moral des troupes. Cette mĂ©thode est la meilleure, parce que lâĂ©lan de lâattaque est nĂ©cessaire Ă la victoire. Il est dans le cĆur de lâhomme de se croire le plus fort lorsquâil marche en avant. Un mouvement impĂ©tueux lui donne de la confiance , lâentraĂźne, le porte Ă lâaudace. Nous couvrir, au contraire , de retranchements continus, câest mettre chacun dans le secret de notre faiblesse, câest nous rendre incapables de rien entreprendre contre lâennemi, câest enfin Ă©teindre lâardeur de la troupe et glacer son courage. FrĂ©dĂ©ric h Bunsclwitz, le czar Pierre Ă Pultawa, ont montrĂ© tout le parti quâon peut tirer de la fortification sur un champ de bataille. Les derniĂšres guerres offrent aussi de nombreux exemples de lâemploi'des moyens de lâart, mĂȘme dans les campagnes les plus rapides et les plus promptement terminĂ©es. Si les militaires sont partagĂ©s dâopinion Ă lâĂ©gard des forteresses, ils nâont quâune voix pour proclamer lâutilitĂ© delĂ fortification de campagne. Les Anglaisy ont eu recours pour amĂ©liorer quelques-uns de leurs champs de bataille dans la pĂ©ninsule et notamment celui de TalavĂšra. Ils Ă©taientpostĂ©s sur un â _ âueau, leur droite appuyĂ©e auTage et couverte par des clĂŽtures de jardins; devant leur front Ă©tait un profond ravin, et ils occupaient par leur gauche un mamelon qui commandait tout le terrain environnant. En arriĂšre les communications Ă©taient faciles et permettaient de porter rapidement des secours dâune extrĂ©mitĂ© Ă lâautre de la ligne. Les approches Ă©taient, au contraire, coupĂ©es parle ravin, par les clĂŽtures et par des bois dâoliviers. Cette localitĂ© L>HS BATAILLES. rĂ©unissait donc une grande partie des caractĂšres qui constituent une bonne position; niais lâexistence du ravin sur le Iront sâopposait aux retours offensifs. Elle convenait Ă une armĂ©e qui se tenait essentiellement sur la dĂ©fensive ; et le gĂ©nĂ©ral anglais, non content des avantages que le terrain lui prĂ©sentait, lit encore Ă©lever des ouvrages de campagne et faire des abatis partout oĂč cela pouvait ĂȘtre utile. Lâattaque, au lieu de se diriger principalement sur la gauche oĂč Ă©tait Ă©videmment la clef du champ de bataille, fut dissĂ©minĂ©e sur tout le front de la position et partout repoussĂ©e. Sir Wellesley, placĂ© sur le mamelon, dĂ©couvrait tous les mouvements des colonnes françaises, et faisait avancer Ă propos des troupes pour les paralyser; celles-ci manĆuvraient sur les revers et pouvaient Ă leur aise se concentrer sur les points les plus menacĂ©s. Aucun des ouvrages ne fut entamĂ©, et les Français., aprĂšs avoir perdu prĂšs de dix mille hommes dans ces attaques infructueuses, furent obligĂ©s de se retirer. Mais les Anglais 11 e profilĂšrent par de leurs avantages, soit que le terrain qui sâĂ©tait opposĂ© aux dĂ©veloppements de lâattaque fĂ»t un obstacle Ă la poursuite, soit que le caractĂšre temporiseur de leur gĂ©nĂ©ral lâeĂ»t engagĂ© Ă rester en position. Dans la campagne de 1807, les Russes avaient fortifiĂ© une suite de mamelons en avant de Ileilsberg, sur la riviĂšre dâAlle. Les retranchements formaient autour de cette ville un demi- cercle de 1,08 gemenl tic front en arriĂšre, en pivotant sur lâextrĂ©mitĂ© la moins exposĂ©e ; replier en potence une partie des troupes; disposer de la seconde ligne pour Ă©chelonner la premiĂšre, en la prolongeant du cĂŽtĂ© menacĂ©; enfin, faire marcher les rĂ©serves pour attaquer l'ennemi qui attaque, et le prendre lui-mĂȘme en flanc. Ce dernier parti est le meilleur, parce quâil a quelque chose dâaudacieux et quâil ranime les courages abattus. Il ne dĂ©range rien Ă la position respective des corps; ceux-ci peuvent alors agir conformĂ©ment aux circonstances, sous la protection de cette attaque qui surprendra lâennemi et arrĂȘtera sa marche. Les autres partis sont dangereux la potence a lâinconvĂ©nient dâĂȘtre facilement enveloppĂ©e, et de prĂ©senter Ă lâenfilade deux longues branches dans lesquelles lâartillerie fait de grands ravages. Les troupes sont dans une position respective telle, quâelles ne peuvent se porter en avant sans ouvrir lâangle et faire jour Ă lâennemi, ni rĂ©trograder sans se refouler les unes sur les autres.. Et, si le crochet en arriĂšre doit s'exĂ©cuter sous le feu de lâennemi, il amĂšne une dĂ©route inĂ©vitable, parce quâil est presque impossible que le mouvement se fasse sans confusion. A plus forte raison doit-on craindre dâopĂ©rer un changement de front en arriĂšre avec lâarmĂ©e entiĂšre, quand lâattaque est imminente. Faire marcher la seconde ligne par le flanc pour se porter vers le point attaquĂ©, ne vaut guĂšre mieux. Les troupes de la premiĂšre ligne, se voyant privĂ©es de leur appui, perdent courage et ne tiennent plus que faiblement. Il faut le moins possible sĂ©parer les deux lignes. Dâailleurs la seconde ligne peut ĂȘtre dĂ©bordĂ©e aussi bien que la premiĂšre, et le mouvement dont nous parlons devenir impossible. Les rĂ©serves seules sont assez disponibles pour ĂȘtre employĂ©es partout et en toute occasion. Câest donc avec les rĂ©serves quâon pourvoira au plus pressĂ©, en les dirigeant contre lâaile de lâennemi. Mais alors, que doivent faire les autres troupes? Se porter en avant par un changement de front sur vm K DI. S 2 ,"! l'aile menacĂ©e; non par un de ces changements de front mĂ©thodiques et compassĂ©s, on les corps sont rigoureusement astreints Ă conserver leurs places respectives; mais un changement fait h mouvements rompus, oĂč chaque corps se porte individuellement, et par le plus court chemin, Ă la place oĂč il peut ĂȘtre employĂ© utilement. Il faut dans ce cas courir au plus pressĂ©. Pour expliquer ceci par un exemple, nous supposerons une ligne Jl, fig. 27 e , surprise sur son flanc gauche par lâarmĂ©e N qui se dispose Ă lâattaque. AussitĂŽt que lâennemi est dĂ©couvert, la ligne M, que nous supposerons composĂ©e de quatre brigades, rompt par divisions Ă gauche, et serre en masse dans chaque brigade. Pendant que ces prĂ©paratifs sâexĂ©cutent la rĂ©serve R se porte par la gauche dans la position S, oĂč elle se dĂ©ploie de maniĂšre Ă menacer le flanc droit de lâennemi. quatriĂšme brigade dĂ©ploiera sur sa derniĂšre division ; et la brigade suivante dĂ©ploiera sur sa premiĂšre division; ou, en dâautres termes, lâune se dĂ©veloppera Ă droite et lâautre Ă gauche, de maniĂšre que lorsque le mouvement sera achevĂ©, et cela ne sera pas bien long, ces deux brigades seront Ă©chelonnĂ©es en face de lâarmĂ©e N et se lieront avec la rĂ©serve. La seconde brigade prend la diagonale pour aller se placer h la droite de la quatriĂšme ; et la premiĂšre reste en colonne derriĂšre le centre, pour remplacer la rĂ©serve. On arrive ainsi, le plus promptement possible, Ă faire entrer en ligne, dans la nouvelle direction, des forces Ă©gales Ă celles-quâon avait dans la position primitive, en admettant que la rĂ©serve R soit lâĂ©quivalant dâun des quatre autres corps. Il nây a de changĂ© que lâordre des corps entre eux, mais on ne doit nullement redouter ce genre dâinversion. Si lâarmĂ©e ennemie N dĂ©bordait encore davantage, la rĂ©serve ne chercherait pas Ă la prendre en flanc ; cela la sĂ©parerait trop de la troisiĂšme brigade; elle se bornerait k faire front; mais alors ce serait la seconde brigade qui pourrait se prolonger sur le flanc gauche de lâennemi. C est pour simplifier que nous nâavons supposĂ© quâune DES BATAILLES. 'iAi seule ligne; sâil y en avait deux, la seconde suivrait les mouvements de la premiĂšre. Les manĆuvres que nous venons dâindiquer sont Ă©galement applicables au cas dâune colonne arrĂȘtĂ©e tout Ă coup dans sa marche par lâennemi qui se trouve en position. Elles conviennent Ă de faibles corps, comme h de grandes armĂ©es. Ainsi un bataillon dĂ©ploierait dâabord deux compagnies pour soutenir le premier choc de lâennemi, cl manĆuvrerait avec le reste. Retraite. â Quelques soins quâon ait pris, quelque courage quâon ait dĂ©ployĂ©, il faut souvent cĂ©der au nombre ou aux caprices de la fortune. Heureux alors quand, aprĂšs une action longuement disputĂ©e, on parvient Ă se dĂ©gager du champ de bataille, sans essuyer une dĂ©route complĂšte. Le mouvement rĂ©trograde commence pour ainsi dire sans quâon sâen aperçoive ; les troupes perdent insensiblement du terrain Ă mesure que lâennemi en gagne, en raison de sa supĂ©rioritĂ© qui se prononce toujours davantage. Vient enfin le moment oĂč toute rĂ©sistance paraissant dĂ©sormais inutile, le gĂ©nĂ©ral donne lâordre de la retraite. En supposant toujours que lâarmĂ©e soit rangĂ©e sur deux lignes , la retraite se fait dâabord par la premiĂšre ligne, qui se retire en Ă©chiquier. Câest-Ă -dire que les bataillons pairs marchent en arriĂšre une centaine de pas, plus ou moins, pendant que les bataillons impairs tiennent ferme. Quand les premiers se sont arrĂȘtĂ©s, remis en ordre, quâon les voit prĂȘts Ă combattre, on fait exĂ©cuter aux autres le mĂȘme mouvement rĂ©trograde. Ils passent dans les intervalles pour aller se poster plus loin, Ă la distance requise; et ainsi de suite. Pendant ce temps, la seconde ligne suit le mouvement, ou mĂȘme le prĂ©cipite pour aller occuper quelque position avantageuse dâoĂč elle puisse protĂ©ger la premiĂšre ligne. Mais si celte premiĂšre ligne a trop souffert, on se hĂąte de la remplacer par la seconde, en faisant exĂ©cuter la manĆuvre con- I BATAILLES. 241 nue du passage des lignes. Sur quoi il faut observer que des deux maniĂšres de faire ce remplacement, celle qui est offensive, câest-Ă -dire celle oĂč la seconde ligne marche en avant pour passer dans les intervalles de la premiĂšre , est prĂ©fĂ©- ' rable. Alors chaque bataillon se forme en colonne serrĂ©e , se porte quelques pas en avant de la premiĂšre ligne et se dĂ©ploie, ou mieux encore charge Ă la baĂŻonnette. Cette maniĂšre en impose h lâennemi ; il se voit attaquĂ© et devient, quelque temps du moins, plus circonspect. La seconde maniĂšre est dâailleurs dangereuse, parce que la premiĂšre ligne, arrivant plus ou moins en dĂ©sordre sur la seconde, peut entraĂźner tout ou partie de celle-ci dans sa dĂ©route , si elle ne trouve pas des intervalles suffisants pour sâĂ©couler. En gĂ©nĂ©ral, la troupe qui cĂšde le terrain doit autant que possible marcher lentement, avec calme, en serrant les rangs pour ne pas donner de prise. Elle sâarrĂȘte souvent; elle se retourne pour faire feu sur lâennemi quand il suit de trop prĂšs. Câest ainsi quâelle parviendra, sans tomber dans un trĂšs- grand dĂ©sordre , Ă gagner quelque poste avantageux ou Ă se couvrir des ombres de la nuit. La cavalerie seule peut se retirer avec prĂ©cipitation; elle le doit mĂŽme, parce que sa vitesse fait sa sĂ»retĂ© ; mais câest pour revenir Ă la charge quand elle se sera ralliĂ©e, et dĂ©gager lâinfanterie. Lorsquâun rĂ©giment ou un bataillon est tout Ă fait rompu, lorsque les soldats prennent dĂ©cidĂ©ment la fuite , le chef saisit un drapeau et va le planter dans quelquâendroit bien visible, en faisant battre les tambours qu'il a pu rassembler. Les soldats , honteux dâabandonner les drapeaux quâils ont jurĂ© de dĂ©fendre au prix de leur sang, viennent peu Ă peu sây rallier. Les officiers de tout grade sâemploient Ă rĂ©tablir lâordre et Ă faire renaĂźtre quelque confiance dans cette troupe dĂ©moralisĂ©e. Câest alors surtout quâon apprĂ©cie ce que valent de bons cadres de sous-officiers et lâexemple des vieux soldats. Pendant que les deux lignes se retirent, la rĂ©serve ne reste point inactive. Lâinfanterie de cette rĂ©serve occupe les postes 16 242 f>ES oĂč elle peut sâĂ©tablir solidement, ou bien elle forme des carrĂ©s entre lesquels lâarmĂ©e sâĂ©coule et qui sont comme autant de redoutes qui arrĂȘtent l'ennenti. Câest ainsi quâĂ Ma- rengo les gardes consulaires firent ce fameux carrĂ© contre lequel vinrent se briser toutes les charges de la cavalerie autrichienne, et qui mĂ©rita le nom de redoute de granitĂ© qui lui fut dĂ©cernĂ© par lâarmĂ©e. En mĂȘme temps la cavalerie fait tous ses efforts pour protĂ©ger la retraite par des charges audacieuses et rĂ©itĂ©rĂ©es ; elle ne doit jamais compter lâennemi, mais se prĂ©cipiter sur lui oĂč quâil soit et en quelque nombre quâil soit, afin de lâobligera des dĂ©ploiements qui ralentissent sa poursuite. Si elle est ramenĂ©e, câest un petit malheur dans la circonstance actuelle. Avant tout il faut gagner du temps ; et rien nâest plus propre Ă atteindre ce but que des attaques prĂ©cipitĂ©es, furieuses, quel quâen soit le rĂ©sultat. Lâartillerie, de son cĂŽtĂ© , croise de feux le champ de bataille, en faisant usage de toutes ses ressources et choisissant les positions les plus favorables. Elle ne doit pas non plus craindre de sâexposer, au risque mĂȘme de perdre quelques piĂšces; sans son appui bien soutenu, la retraite de lâinfanterie sous la mitraille de lâennemi ne saurait ĂȘtre quâune dĂ©route. Cependant les bagages ont pris les devants sous lâescorte de quelques troupes. Ils sâĂ©taient tenus Ă distance pendant la bataille ; ils se sont mis en route aussitĂŽt que lâordre de la re- raile leur a Ă©tĂ© envoyĂ©. Ils hĂątent leur marche pour ne point entraver celle de lâarmĂ©e. La nuit protectrice arrive enfin. Lâennemi las de combattre, Ă©puisĂ© de ses perles, est forcĂ© de sâarrĂȘter. On profite donc de cette circonstance pour se rallier. On se remet en ordre autant que possible ; on fait prendre aux troupes quelque nourriture, et, sans songer au repos dans cette nuit de malheur, on force de marche pour gagner quelques lieues sur lâennemi. Une forte arriĂšre-garde, commandĂ©e par lâofficier le plus intrĂ©pide et le plus expĂ©rimentĂ©, reste en position pour couvrir la retraite. Cette arriĂšre-garde, forcĂ©e aussi Ă bKR 243 quitter le terrain, dispute pied Ă pied tout ce quâelle abandonne. Ce quâil y a de pire dans une bataille perdue, câest la dĂ©- * moralisation des troupes. Il faut donc tout faire pour affaiblir ces funestes impressions. Les chefs, par leur contenance et leurs paroles, raniment les esprits abattus. Le gĂ©nĂ©ral surtout, loin de paraĂźtre altĂ©rĂ©, doit montrer beaucoup de calme, visiter les bivouacs, donner ses ordres comme sâil ne sâĂ©tait rien passĂ© de fĂącheux. Câest ainsi quâil donnera une haute idĂ©e de sa constance et de la grandeur de son courage. La troupe, un moment Ă©branlĂ©e, reprendra confiance et sera prĂȘte Ă faire payer cher Ă lâennemi un succĂšs Ă©phĂ©mĂšre. Malheur h lui sâil nâa pas su profiler de sa victoire , sâil sâest endormi en oubliant cet adage, qu'Ă la guerre rien nâest fait tant quâil reste quelque chose Ă faire. Le roi de Prusse recommande de se retirer Ă quarante lieues quand on est battu, mais de sâarrĂȘter au premier poste avantageux pour remettre lâarmĂ©e et relever les esprits abattus. Câest ce quâont fait les ducs de Weymar et de Rohan , les deux plus grands capitaines de leur siĂšcle. AprĂšs avoir perdu la bataille de Rhinfeld, ils sâarrĂȘtĂšrent Ă six lieues du champ de bataille, et lĂ , prenant conseil de leur courage, ils ralliĂšrent les dĂ©bris de leur armĂ©e, et, par une marche de nuit, se prĂ©sentĂšrent inopinĂ©ment devant le camp des Bavarois qui , ne sâattendant pas Ă un pareil retour, se gardaient trĂšs-mal. Ils furent surpris et mis dans la plus complĂšte dĂ©route ; ils perdirent tous leurs canons et les bagages. VoilĂ une belle âą revanche que les Bavarois nâauraient pas laissĂ© prendre, si, au lieu de coucher sur le champ de bataille et de se livrer Ă la joie, ils se fussent mis'Ă la poursuite des vaincus. La rĂšgle que donne le roi de Prusse et quâil a mise lui-mĂȘme en pratique aprĂšs la perte de la bataille de llohenkirch, est dâaccord avec ce que nous venons de dire; mais on est rarement le maĂźtre de sâarrĂȘter oĂč et quand on veut. Cela est dâautant plus difficile que lâarmĂ©e a mieux fait son devoir dans le com- H.- cv 244 DES BATAILLES. bal; car plus elle sâesl engagĂ©e, plus elle a montrĂ© dâopiniĂątretĂ©, de rĂ©sistance, moins aussi il lui est possible de se retirer en ordre. Il devient alors nĂ©cessaire quâelle gagne du pays pour rassembler ses dĂ©bris ou appeler h elle ses renforts. On ne doit pas perdre de vue que sâil est honorable de mettre promptement un terme Ă la retraite, il ne Test pas moins de ne pas dĂ©sespĂ©rer delĂ fortune pour un premier revers, et de revenir h la charge plusieurs fois, jusquâĂ dĂ©soler, vaincre mĂȘme celui qui dâabord se croyait maĂźtre du champ de bataille. Ne voit-on pas souvent une armĂ©e battue Ă lâune de ses ailes, ne point sâĂ©branler Ă lâautre, y recevoir au contraire les soldats dispersĂ©s, puis marcher audacieusement Ă lâennemi? Cette gĂ©nĂ©reuse rĂ©solution nâest-elle pas souvent couronnĂ©e dâun Ă©clatant succĂšs? Si, au lieu de cela, le gĂ©nĂ©ral ordonne la retraite, peut-ĂȘtre parviendra-t-il Ă se retirer sans pertes sĂ©rieuses, mais il nâen aura pas moins Ă©tĂ© vaincu. Certes , la victoire est dâun assez grand prix pour ne pas y renoncer aussi lĂ©gĂšrement. Le premier des devoirs, la premiĂšre de toutes les nĂ©cessitĂ©s, câest de se bien battre; arrive aprĂšs ce qui pourra. On Ă©crase lâennemi si on est vainqueur; il ne s'en relĂšve pas, et la guerre est finie. Dans le cas contraire, et quoique vaincu, on inspire de lâeffroi Ă lâennemi par lâĂ©tendue de ses pertes. Câest ainsi quâĂ Saint-Jacques les anciens ConfĂ©dĂ©rĂ©s, attaquĂ©s par une armĂ©e dix fois plus nombreuse que la leur, combattirent avec tant de valeur et dâacharnement, quâils ne cĂ©dĂšrent le terrain quâavec leurs vies. Ils pĂ©rirent tous ; mais, plus heureux que les Spartiates aux Thermopyles, ils sauvĂšrent leur patrie de lâinvasion dont elle Ă©tait menacĂ©e. Le Dauphin de France , effrayĂ© de sa victoire , ne voulut pas aller plus avant et ne songea plus quâĂ faire alliance avec un peuple dont la renommĂ©e ne fit que sâaccroĂźtre par cette hĂ©roĂŻque dĂ©faite. CHAPITRE Y. De la DĂ©fense les ltiviĂšres et les Montagnes. Cet objet est si intĂ©ressant pour les militaires suisses, que nous avons cru devoir lui consacrer un chapitre particulier. - DĂFENSE DES RIVIĂRES. Disposition des troupes .âIl faut, pour dĂ©fendre une riviĂšre, partager lâarmĂ©e en plusieurs corps dâobservation, que l'on place de distance en distance devant les endroits les plus menacĂ©s, et pas trop prĂšs des bords, pour nâĂŽtre pas exposĂ©s au canon de lâennemi. Ces corps restent rĂ©unis; ils envoient seulement de petits dĂ©tachements pour observer ce qui se passe sur la rive opposĂ©e , et ils communiquent entre eux par de frĂ©quentes patrouilles. Les dĂ©tachements, quâil est inutile de faire nombreux , se postent dans les bouquets de bois , derriĂšre les levĂ©es ou les plis de terrain, partout oĂč sans se dĂ©couvrir eux-mĂȘmes ils peuvent le mieux voir lâautre rive. La distance quâon peut mettre entre les corps dâobservation dĂ©pend de la largeur de la riviĂšre et des difficultĂ©s quâelle offre h lâennemi pour lâĂ©tablissement de ses ponts ; car il faut que les corps voisins aient le temps dâarriver au secours de celui qui serait attaquĂ© avant que lâennemi ait achevĂ© lâopĂ©ration du passage. Une distance de trois lieues est dĂ©jĂ grande sur un fleuve tel que le Rhin , oĂč un pont ne se jetterait pas en moins de deux ou trois heures. Si donc il y avait trois corps pareils, ils observeraient convenablement huit Ă neuf lieues du cours du fleuve ; car lâennemi ne pourrait tenter le pas- DE LA DĂPENSE DES AIVIĂHKS. 2f6 sage ni dans l'intervalle de deux corps, ni en dessus, ni en dessous, Ă une lieue ou une lieue et demie des corps extrĂȘmes, sans que le plus voisin , bientĂŽt suivi des autres , nâarrivĂąt pour sây opposer. Une forte rĂ©serve, ou corps principal , se tient en arriĂšre de tous les corps dâobservation Ă une distance proportionnĂ©e Ă lâespace quâils occupent, et telle quâil ait le temps dâarriver sur le point oĂč lâennemi veut forcer le passage, avant que son projet soit effectuĂ©. Si la ligne Ă garder est grande, on formera deux rĂ©serves au lieu d'une seule. Pour que ccs corps puissent se porter rapidement au secours les uns des autres, il faut quâil existe une bonne route parallĂšle au fleuve, et des chemins transversaux partant du point quâoccupe la rĂ©serve cl aboutissant Ă cette route. Quand la communication parallĂšle se rapproche beaucoup du fleuve, et quâelle est soumise au canon de la rive opposĂ©e , elle perd tous ses avantages. Dans les endroits oĂč cela arrive, il faut y supplĂ©er en ouvrant une nouvelle communication plus en ar- liĂšre. Voici maintenant les mesures de dĂ©tail quâil faut ajouter aux dispositions gĂ©nĂ©rales que nous venons d'indiquer Ă©tablir un systĂšme de signaux de jour et de nuit pour donner l'alarme sur toute la ligne; retirer les bateaux sur la rive quâon occupe ; couler h fond ceux quâon ne peut pas emmener, et remonter les plus gros tout Ă fait en amont pour pouvoir les lĂącher au courant aprĂšs les avoir chargĂ©s de pierres, et tĂącher de rompre ainsi les ponts de l'ennemi. Si la riviĂšre est guĂ©able en quelques endroits , on sâefforcera dâen dĂ©grader le fond en y pratiquant des coupures avec la drague ; sinon on Ă©tablira au dĂ©bouchĂ© du guĂ© un bon abatis ou quelque retranchement. Sâil existe entre deux guĂ©s ou deux points favorables a un passage un Ă©troit dĂ©lilĂ©, il est bon de le fortifier pour rester maĂźtre de la route et ĂŽter aux corps ennemis, qui auraient passĂ© sur les deux points, la facilitĂ© de se joindre avant dâĂȘtre attaquĂ©s. Les ponts dont la dĂ©fense est DU LA DEFENSE DES RIVIĂHES. 247 jugĂ©e trop diflicile doivent ĂȘtre coupĂ©s, sans Ă©gard aux rĂ©clamations des habitants. II faut, dans ces grandes circonstances, que lâintĂ©rĂȘt privĂ© cĂšde Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Mais aussi on doit se garder de causer des dĂ©sastres inutiles, et ce serait faire un mal sans nĂ©cessitĂ© que de brĂ»ler un pont sur une riviĂšre guĂ©able. La condition , pour exiger ce grand sacrifice , est donc que lâennemi soit oblige par lĂ Ă faire venir ses Ă©quipages et Ă jeter un pont. Quand le pont est de nature Ă ĂȘtre interceptĂ© par une coupure Ă pont-levis, on peut encore lâĂ©pargner si on a le temps de faire cette coupure ; sinon, il est condamnĂ©, et la flamme prive lâennemi de ce moyen de passage. Lorsquâon se dĂ©cide b faire le pont-levis, il ne faut pas nĂ©gliger dâen crĂ©neler le tablier, alin de pouvoir en dĂ©fendre directement les approches. On doit aussi avoir soin de couper toutes les poutres, alin de ne rien laisser Ă lâennemi qui puisse favoriser le rĂ©tablissement de la coupure. FeuquiĂšre raconte dans scs MĂ©moires, quâil dut la rĂ©ussite de lâattaque dâun pont Ă ce que les ennemis avaient nĂ©gligĂ© ces prĂ©cautions. Le tablier du pont-levis couvrit ses soldats des feux directs en mĂȘme temps que les parapets les garantissaient des feux de lianes. sur la rive un amas de poutrelles qui Ă©taient lĂ comme exprĂšs pour leur donner les moyens de refaire la coupure. Câest donc encore une attention quâil faut avoir que dâenlever de la rive opposĂ©e tous les bois de construction qui sây trouvent; il est dâailleurs nĂ©cessaire de sâen procurer en grande quantitĂ© pour les besoins de la dĂ©fense. TĂȘlcs de pont. â Mais le mieux est de couvrir le pont que lâon veut conserver par de bons retranchements , sans prĂ©judice toutefois de toutes les prĂ©cautions quâon peut prendre sur le pont lui-mĂȘme ou en arriĂšre. On se mĂ©nage ainsi la facultĂ© de passer sur lâautre rive, si on le juge Ă propos, et quand lâoccasion sera favorable. Lâensemble des fortifications constitue ce auâon appelle une tĂȘte de pont , quelle que soit 248 IE LA DĂFENSE DES RIVIĂRES. dâailleurs la disposition qui ait Ă©tĂ© adoptĂ©e pour les ouvrages. Si la tĂȘte de pont nâa d'autre objet que de couvrir immĂ©diatement le dĂ©bouchĂ© et de permettre h un petit corps dâobservation de se tenir au delĂ de la riviĂšre , ou Ă des dĂ©tachements de cavalerie d'aller faire des reconnaissances dans les environs sans crainte de se voir coupĂ©s de leur point de retraite , elle peut se rĂ©duire Ă un seul ouvrage, tel quâune lunette , un bonnet de prĂȘtre , ou un front bastionnĂ© avec longues branches sur les cĂŽtĂ©s. Mais quand elle doit jouer un rĂŽle plus important, quâelle est destinĂ©e Ă favoriser la retraite dâun corps principal et Ă le recevoir au besoin dans son intĂ©rieur, la tĂȘte de pont doit ĂȘtre construite sur de tout autres proportions. II faut dâabord quâelle laisse, entre les ouvrages et la riviĂšre, une vaste Ă©tendue oĂč les troupes puissent se rĂ©unir sans trop dâencombrement. Elle doit prĂ©senter extĂ©rieurement une chaĂźne dâouvrages dĂ©tachĂ©s, Ă bonne distance les uns des autres et se flanquant mutuellement. Ces ouvrages , bien armĂ©s et pourvus, si possible, de grosse artillerie, fraisĂ©s et palissadĂ©s Ă leurs gorges, forment les points solides de la position, autour desquels et entre lesquels les troupes dĂ©fensives manĆuvreront. IntĂ©rieurement, un ouvrage capital servira tout Ă la fois de rĂ©duit pour les ouvrages avancĂ©s, et de protection immĂ©diate Ă lâentrĂ©e du pont. Cet ouvrage sera ou un vaste bonnet de prĂȘtre, ou une couronne , ou un ouvrage Ă cornes, suivant le cas et la nature des localitĂ©s. En arriĂšre dupont, sur la rive occupĂ©e, de fortes batteries seront disposĂ©es pour flanquer les ouvrages avancĂ©s, en appuyer les ailes, et pour couper le pont si cela devient nĂ©cessaire. Voyez, pour de plus amples dĂ©tails, le MĂ©morial des travaux de guerre, chap. VII. La tĂȘte de pont dâAarbcrg est basĂ©e sur ces principes. Elle Ă©tait destinĂ©e Ă recevoir au besoin une division entiĂšre de 12 Ă 15,000 hommes, et Ă pouvoir nĂ©anmoins ĂȘtre dĂ©fendue par une seule brigade, jusquâĂ lâarrivĂ©e des secours. Dix ouvrages de formes et de grandeurs diverses devaient former lâenceinte DE LA DĂPENSE DES RIVIĂRES. 240 extĂ©rieure sur une circonfĂ©rence de 7 h 800 mĂštres de rayon. Trois seulement de ces ouvrages ont Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©s; ce sont ceux qui occupent les hauteurs et qui interceptent les principales routes. On peut les regarder comme le noyau de la dĂ©fense, aussi ont-ils Ă©tĂ© faits Ă grands profils et Ă fort relief. Les ouvrages intermĂ©diaires qui complĂštent la disposition, Ă©tant moins importants, se construiraient facilement au moment du besoin. Les ressources bornĂ©es de la ConfĂ©dĂ©ration obligent Ă faire ces Ă©conomies. Pour bien juger cette grande tĂȘte de pont, il ne faut pas sĂ©parer les ouvrages qui restent Ă faire de ceux qui sont exĂ©cutĂ©s et soigneusement entretenus, de mĂȘme quâil faut se figurer ces derniers fraisĂ©s dans tout leur pourtour et fortement palissadĂ©s h leur gorge. Le rĂ©duit de la tĂȘte de pont est une espĂšce de grand redan Ă ailerons qui fut construit en 4815. On ne lui aurait fait subir quâune lĂ©gĂšre modification pour en tirer parti. II peut quelquefois convenir de substituer h la disposition prĂ©cĂ©dente un seul fortin jetĂ© en avant du pont, Ă une distance telle , que, sans cesser de le couvrir, il laisse cependant un intervalle assez grand pour rassembler sous sa protection des forces capables dâagir extĂ©rieurement, ou pour recevoir une division en retraite. On trouve les vestiges dâun pareil ouvrage construit par le duc de Rohan , Ă 450 mĂštres de la Tardis- Rruck, dans lâangle formĂ© par la Landquart et le Rhin. Câest un fort Ă quatre bastions, de 250 mĂštres de cĂŽtĂ©, avec demi- lunes ; on en reconnaĂźt encore trĂšs-bien la forme. Lorsque la Landquart roule d'abondantes eaux, ce fort est trĂšs-bien placĂ© pour couvrir Ă©galement le pont sur cette riviĂšre roule de Coire, et celui du Rhin route de Ragatz. Mais lorsque ses eaux sont basses, ou que seulement elle est guĂ©able , ce qui arrive souvent, on peut le tourner pour se porter par les bords du Rhin sur la Tardis-Bruck. La riviĂšre, au lieu de se prĂ©senter en travers de la ligne dâopĂ©rations de lâennemi, peut lui ĂȘtre parallĂšle. Dans ce cas, il faut tortiller des deux cĂŽtĂ©s le pont quâon veut conserver, 250 DK LA DĂFENSE DES RIVIĂRES. car on ne sait pas de quel cĂŽtĂ© lâaltaque aura lieu. Du reste , les principes h appliquer sur chaque rive isolĂ©ment, sont les mĂȘmes que dans le cas prĂ©cĂ©dent. Ces doubles tĂȘtes de pont offrent de grands avantages dĂ©fensifs Ă une troupe manĆuvriĂšre elles permettent de passer dâun cĂŽtĂ© quand lâennemi se prĂ©sente de lâautre, et de mettre toujours la riviĂšre entre lui et soi, en ne laissant dans les ouvrages que la garnison nĂ©cessaire Ă leur dĂ©fense, laquelle, pouvant toujours ĂȘtre renouvelĂ©e ou renforcĂ©e , fera une belle rĂ©sistance. Du reste, lâennemi nâira pas outre si le corps qui occupe la tĂȘte de pont est de quelquâimportance , car il perdrait sa ligne dâopĂ©rations. 11 faut donc quâil procĂšde contre cette tĂšte de pont. On lâoblige ainsi Ă attaquer une position fortifiĂ©e; il y perdra nĂ©cessairement du temps et du monde. Sâil se partage pour entourer la position et la prendre des deux cĂŽtĂ©s Ă la fois, lâarmĂ©e dĂ©fensive peut, au moyen dupont dont elle est maĂźtresse, se porter tout entiĂšre contre une des parties et lâĂ©craser. Il est h prĂ©sumer, quâĂ moins dâune telle supĂ©rioritĂ© de forces que toute proportion cesse, lâattaquant ne se prĂ©sentera que dâun cĂŽtĂ©; dĂšs-lors il ne faut pas considĂ©rer une double tĂȘte de pont comme une place de guerre exposĂ©e Ă un siĂšge. Elle est encore trĂšs-bonne, lors mĂȘme que les ouvrages dâune rive sont vus et plongĂ©s de la rive opposĂ©e, pourvu quâils ne prĂ©sentent pas ce dĂ©faut du cĂŽtĂ© oit ils font face, et que du reste ils satisfassent Ă toutes les conditions du tracĂ©; car il faut supposer, nous le rĂ©pĂ©tons, que lorsque l'ennemi se prĂ©sente dâun cĂŽtĂ© vous ĂȘtes en forces de lâautre. Une forteresse , au contraire , qui ne renferme souvent quâune faible garnison et qui doit se suffire Ă elle-mĂȘme, sera nĂ©cessairement entourĂ©e quand l'ennemi voudra en faire le siĂšge. 11 faut donc quâelle soit si bien dĂ©filĂ©e quâon ne puisse de nulle part voir ou tirer dans ses ouvrages. Telle est la diffĂ©rence dâune forteresse Ă une double tĂȘte de pont construite uniquement pour favoriser les manĆuvres dĂ©fensives dâune armĂ©e. Celle-ci rĂ©sulte du rapprochement accidentel de deir DE LA DEFENSE DES RIVIĂRES. 2S1 ouvrages de guerre iudĂ©pendanls, ou pouvant ĂȘtre regardĂ©s connue tels; lâautre forme un ensemble dont rien ne peut ĂȘtre sĂ©parĂ©. Nous avons eu aussi lâoccasion de construire quelques ouvrages Ă Saint-Maurice, dans le principe des doubles tĂȘtes de pont. Pour bien juger cette importante position , qui ferme les trois routes de Martigny, de Tlionon et de Villeneuve , il faut bien se pĂ©nĂ©trer des principes ci-dessus Ă©noncĂ©s, et comprendre ce que peut faire une division entiĂšre qui en occupe toutes les bailleurs. Nous devons , au reste , ajouter que les fortifications qui existent en attendaient dâautres dont lâexĂ©cution avait Ă©tĂ© remise au moment du besoin. Elles ne sont que le rĂ©duit de la position qui assure la possession du pont, le pivot des manĆuvres que les troupes de toutes armes auraient eu Ă exĂ©cuter pour se maintenir et repousser l'ennemi. Les lorteresses, Ă moins quâelles ne soient trĂšs-vastes et pourvues dâouvrages avancĂ©s, ne peuvent pas rendre h une armĂ©e les mĂȘmes services que les tĂȘtes de pont construites acl hoc , lors mĂȘme que celles-ci nâont point dâescarpe en maçonnerie; parce que lâespace intĂ©rieur des forteresses est trop restreint, et que les dĂ©filĂ©s des portes sont beaucoup trop Ă©troits pour que lâarmĂ©e puisse promptement s'Ă©couler dans une retraite, ou en dĂ©boucher en forces pour lâattaque. Mais elles offrent dâexcellents rĂ©duits, et au moyen dâun camp retranchĂ© construit en avant, elles acquiĂšrent dâĂ©minentes propriĂ©tĂ©s dĂ©fensives. Câest pourquoi, lorsquâon les possĂšde, il faut se garder de les dĂ©truire. Pour nous, en particulier, qui avons si peu d'argent Ă mettre aux fortifications, nous devons y regarder Ă deux fois avant de renverser des remparts , si vieux quâils paraissent, quand ces remparts nous assurent la possession des ponts sur nos principales riviĂšres. Une forteresse, quoique petite, sera encore une bonne tĂȘte de pont lorsquâelle sera sĂ©parĂ©e de huit Ă neuf cents mĂštres de la riviĂšre et des ponts quâelle protĂšge, parce que lâespace nâest pas assez grand pour que lâennemi sây jette sans s'ex- DE LA DĂFENSE DES RIVIĂRES. 2Ă»â2 poser Ă dâimmenses dangers, et quâil est suflisant pour le rassemblement des dĂ©fenseurs. Câest ce que nous avons dĂ©jĂ dit en parlant des tĂȘtes de pont dĂ©tachĂ©es, telle que celle du duc de Rohan. La diffĂ©rence, sâil y en a une, est toute en faveur de la forteresse, parce que les fortifications en sont plus solides. NapolĂ©on recommande quelque part cette disposition. Nous terminerons ce que nous avons Ă dire sur les tĂȘtes de pont en citant textuellement lâarchiduc Charles sur ce sujet Il nây a pas de meilleure attitude dĂ©fensive , dit-il, que lorsquâon occupe des points par lesquels on menace continuellement lâennemi dâune attaque et on lâoblige de penser Ă sa propre sĂ»retĂ©. Rien ne remplit mieux cet objet que des tĂȘtes de pont en arriĂšre desquelles on fait cantonner les troupes. Toute autre position peut ĂȘtre tournĂ©e. Mais une tĂȘte de pont bien construite, mise Ă lâabri dâun coup de main et couvrant parfaitement le passage quâelle dĂ©fend , nâest sujette Ă aucun des inconvĂ©nients si redoutables Ă dâautres postes, parce quâelle ne peut jamais manquer ni dâune garnison suffisante, ni de vivres, ni de munitions de guerre. Lâennemi est rĂ©duit Ă observer sans cesse un dĂ©bouchĂ© par lequel des forces supĂ©rieures peuvent se porter sur lui. » Lorsquâon se restreint Ă la dĂ©fensive absolue de la riviĂšre, ce qui est toujours un pis-aller, il faut porter une attention particuliĂšre sur les points oĂč lâennemi pourrait jeter avantageusement un pont. Ces endroits sont ceux oĂč la riviĂšre forme en dehors un coude trĂšs-prononcĂ©, parce quâ une telle forme favorise l'Ă©tablissement de batteries Ă feux croisĂ©s, sous la protection desquelles sâeffectueraient des dĂ©barquements successifs. Ce sont encore les endroits oĂč la riviĂšre est partagĂ©e en plusieurs bras par des Ăźles qui couvrent les prĂ©paratifs du passage ; ceux oĂč viennent aboutir des riviĂšres tributaires, Ă la faveur desquelles lâennemi pourrait faire arriver de lâintĂ©rieur ses bateaux, ses pontons et tous leurs agrĂšs. On dressera donc des batteries en ces endroits ; on y construira mĂȘme des redoutes, des fortins, dans les emplacements qui dĂ©couvrent DE LA DĂFENSE DES RIVIĂRES. 253 le mieux les rives. On y tiendra habituellement une garde qui sera dĂ©tachĂ©e du corps dâobservation le plus voisin, lequel, dans ce cas, ne saurait ĂȘtre Ă©loignĂ©. Quand le temps manque pour confectionner ces ouvrages, on y supplĂ©e par de simples tranchĂ©es ou bourrelets de terre, construits rapidement en arriĂšre du coude de la riviĂšre et de maniĂšre h envelopper lâespace oĂč les troupes se formeraient aprĂšs avoir opĂ©rĂ© leur dĂ©barquement. Ces tranchĂ©es occupant, autant que possible, les parties Ă©levĂ©es du terrain, forment comme un demi-cercle dans lâintĂ©rieur duquel lâennemi sera exposĂ© Ă des feux convergents et meurtriers ; on cherche Ă les dĂ©rober au canon de lâautre rive, et on a soin de ne pas trop approcher leurs extrĂ©mitĂ©s du bord quand il est dominĂ©; sans ces prĂ©cautions la tranchĂ©e serait prise dâenli- lade et rendue intenable. Les premiĂšres troupes qui viennent au secours des avant-postes quand lâattaque est connue, se jettent dans ces tranchĂ©es et font tous leurs efforts pour sây maintenir jusquâĂ ce que les rĂ©serves arrivent. Câest ainsi quâen usa le duc de VendĂŽme devant le prince EugĂšne qui, lui ayant dĂ©robĂ© une marche, s'efforça de jeter un pont sur lâĂdda dans un endroit trĂšs-favorable. VendĂŽme accourut en toute hĂąte et arriva avant que le pont fĂ»t terminĂ© ; il essaya en vain dâarrĂȘter les travaux des pontonniers ; ils Ă©taient trop bien protĂ©gĂ©s par lâartillerie pour quâon pĂčt en approcher. Cependant il fallait empĂȘcher lâarmĂ©e impĂ©riale de dĂ©boucher VendĂŽme chercha donc Ă se poster de maniĂšre Ă envelopper lâarmĂ©e ennemie ; il fit construire avec une rapiditĂ© incroyable une levĂ©e de terre formant comme un demi-cercle autour des impĂ©riaux. Elle fut achevĂ©e presque en mĂȘme temps que les ponts. Le prince EugĂšne, jugeant dĂšs-lors le passage impossible, ordonna la retraite. Quand on peut ainsi prendre lâattaquant en flagrant dĂ©lit avant quâil ait achevĂ© ses ponts, on a sur lui un immense avantage; son artillerie, sa cavalerie et une grande partie de son infanterie sont de lâautre cĂŽtĂ©. Le peu de troupes quâil a pu DE LA DĂFENSE DES RIVIĂRES. Jaire passer par des transports successifs, est loin de suffire pour forcer les corps qui se sont rĂ©unis b quitter la rive; et, lors mĂŽme quâil parviendrait b se maintenir et b terminer ses ponts, il aurait une peine extrĂȘme b en dĂ©boucher, lâespace lui manquant pour se dĂ©ployer sous le feu convergent des batteries dĂ©fensives et sous celui non moins meurtrier des carabiniers. On arrive au mĂŽme rĂ©sultat si les ponts Ă©tant achevĂ©s on parvient b les rompre avant que le gros de lâarmĂ©e ait passĂ©. Aussi faut- il tout essayer pour atteindre ce but on charge de gros-bateaux d'autant de pierres quâils en peuvent contenir, on construit des radeaux composĂ©s de gros troncs dâarbres, et on les lĂąche tous ensemble au courant. Il est difficile, si le fleuve a quelque rapiditĂ© comme le RhĂŽne, le Rhin et la plupart des riviĂšres qui arrosent la Suisse, que quelques-uns de ces corps flottants, si ce nâest tous, ne viennent pas heurter les ponts et les rompre. Câest ainsi quâen 1809 les Autrichiens rĂ©ussirent b sĂ©parer en deux lâarmĂ©e française, en abandonnant au courant quelques-uns de ces moulins flottants qui se trouvent sur le Danube. Les corps qui avaient passĂ© les premiers, et qui dĂ©jbjĂ©taient maĂźtres de Gros-Aspcrn et dâEs- ling sur la rive gauche, se virent enveloppĂ©s par I armĂ©e entiĂšre de lâarchiduc Charles et obligĂ©s, aprĂšs une rĂ©sistance hĂ©roĂŻque mais vaine, de rentrer dans la grande Ăźle de Lobau, que forment les bras du Danube en cet endroit. AprĂšs cet Ă©chec, il fallut aux Français deux mois de persĂ©vĂ©rance et dâimmenses travaux pour construire plusieurs ponts solides et des estocades destinĂ©es b les prĂ©server de nouveaux malheurs. Ces ponts, faits de pilotis, sous la direction du gĂ©nĂ©ral Bertrand, sont le plus bel ouvragĂ© de ce genre qui ait Ă©tĂ© fait par des armĂ©es, depuis le fameux pont que CĂ©sar construisit sur le Rhin, ne trouvant pas quâil y eĂ»t assez do sĂ»retĂ© ni quâil fĂ»t de la dignitĂ© romaine de passer ce fleuve en bateaux. Moyens secondaires. â Les plus grandes difficultĂ©s quâon rencontre dans la dĂ©fense des riviĂšres, câest de ne pas se lais- 1E LA. DĂFENSE DES ltlVIĂIlES. 255 se *' tromper par de fausses dĂ©monstrations, et dâĂ©tre averti Ă temps du vĂ©ritable passage. Il faut des officiers de grande expĂ©rience dans les postes d'observation , qui ne perdent point la tĂȘte Ă la premiĂšre alerte et ne prennent pas aisĂ©ment le change. Quant au second objet, celui dâĂ©tre promptement averti des entreprises de lâennemi, on y parvient, comme il a Ă©tĂ© dit plus haut, au moyen de signaux convenus pour le jour et pour la nuit, tels quâun certain nombre de coups de canon, tirĂ©s Ă intervalles dĂ©terminĂ©s, des fusĂ©es volantes, de grands feux allumĂ©s sur les sommitĂ©s les plus visibles du terrain environnant, etc. Ce dernier moyen expose facilement aux mĂ©prises si on ne prend pas toutes les prĂ©cautions pour les Ă©viter, parce que les bergers sont dans lâhabitude d'allumer des feux la nuit pour garder leurs troupeaux. On peut encore, en organisant un service dâestafettes, avoir trĂšs- promptement des nouvelles de lâennemi. Câest peut-ĂȘtre le moyen le plus simple ; câest Ă coup sĂ»r le moins sujet Ă erreur et il est toujours bon de se le mĂ©nager, indĂ©pendamment des autres. 11 est enfin possible dâĂ©tablir quelques tĂ©lĂ©graphes dont les piĂšces pourraient ĂȘtre prĂ©parĂ©es dâavance et faire partie du matĂ©riel de lâarmĂ©e. Le gĂ©nĂ©ral Sucliet en usa ainsi pour la dĂ©fense du Var en 1800; il lit Ă©tablir un tĂ©lĂ©graphe dans le fort Monlalban dâoĂč il Ă©tait facile dâobserver une grande partie des mouvements de lâarmĂ©e autrichienne. Un second tĂ©lĂ©graphe fut placĂ© Ă Gilette, sur la rive droite du Var. Lâun et lâautre correspondaient avec un troisiĂšme Ă©tabli au quartier gĂ©nĂ©ral de Sl-Laurent. Ce moyen dâobtenir rapidement des avis, sert Ă©galement Ă transmettre des ordres, et, sous ce rapport, rien ne peut le remplacer quand les distances Ăč parcourir sont un peu grandes, et quâun temps clair en favorise lâemploi. II est ensuite une loi militaire, une loi dâhonneur quâil ne faut jamais violer, câest dâaller au canon quand son bruit se fait entendre distinctement et se prolonge assez pour quâon ne puisse pas douter dâun engagement sĂ©rieux. Aucune ex- 250 DE LA DĂFENSE DES RIVIĂRES. cuse 11 e saurait ĂȘtre bonne pour un chef qui serait restĂ© immobile dans sa position quand le tonnerre lointain du canon lui aurait fait savoir quâune grande affaire a lieu ' e distance. Il ne peut pas mĂȘme allĂ©guer des ordres supĂ©rieurs, car des ordres contraires ont pu ĂȘtre interceptĂ©s, les olliciers qui les portaient ont pu ĂȘtre tuĂ©s. Câest Ă lui de juger le degrĂ© dâurgence, de prendre quelque chose sous sa responsabilitĂ© personnelle pour voler oĂč lâhonneur et le danger lâappellent. Si le soldat, si lâollicier subalterne doivent obĂ©issance entiĂšre aux ordres que leur donnent les supĂ©rieurs; sâil leur est interdit dây rien changer de leur propre mouvement, il nâen est pas de mĂȘme dâun chef dont l'intelligence est plus dĂ©veloppĂ©e, le coup dâĆil plus sĂ»r, et qui ordinairement a plus dâexpĂ©rience des choses; il conserve nĂ©cessairement une certaine latitude dans son commandement pour se conduire suivant les circonstances et pourvoir aux cas imprĂ©vus. ManĆuvres. â AussitĂŽt que lâalerte est donnĂ©e, les postes les plus voisins accourent vers le point de passage et chargent, en quelque nombre quâelles soient, les premiĂšres troupes qui ont pris pied en deçà , pour tĂącher de les jeter dans la riviĂšre avant quâil en dĂ©barque dâautres, ou tout au moins ils font leur possible pour sc maintenir, Ă la faveur des haies, des broussailles, des jetĂ©es qui se trouvent souvent sur le bord des cours dâeau, jusquâĂ ce que des renforts arrivent. Si lâennemi a commis lâimprudence de commencer lâĂ©tablissement du pont avant dâĂȘtre maĂźtre du terrain sur les deux rives, les carabiniers, pendant lâaction, lĂąchent de sâapprocher assez pour dĂ©couvrir les pontonniers et les ajuster. Câest ainsi quâen 1709 les carabiniers suisses firent Ă©chouer le passage de lâAar tentĂ© Ă Dettingen par lâarmĂ©e autrichienne. En vain une artillerie formidable balayait la rive gauche, les carabiniers, se glissant le long du bord et se couvrant de tous les accidents quâoffrait le terrain, parvinrent Ă sâembusquer et k abattre les pontonniers qui osaient encore se montrer. Les bateaux mal retenus I»E LA DĂFENSE DES RIVIĂRES. 257 sur un fond rocailleux, dĂ©semparĂ©s cl privĂ©s de leurs conducteurs, dĂ©rivaient au courant. Il Ă©tait aussi pĂ©rilleux que difficile de les faire remonter. Lâarcliiduc Charles dĂ©sespĂ©rĂ©, dut renoncer Ă la construction de ce pont, que la prĂ©sence des troupes, qui allaient toujours grossissant, rendait dĂ©sormais impossible. I/arlillerie et la cavalerie doivent ĂȘtre les premiĂšres Ă arriver au secours des avant-postes; si le terrain sây prĂȘle, la cavalerie se prĂ©cipite sur l'ennemi, pendant que lâartillerie cherche Ă sâĂ©tablir dans des positions favorables pour contrc-bat- tre lâartillerie ennemie qui tonne en ce moment, ou pour Ă©craser les troupes de dĂ©barquement. Quelques batteries dâar- til'eric lĂ©gĂšre rendraient dâexcellents services dans une pareille circonstance, par la promptitude avec laquelle elles peuvent arriver et se placer. Les corps dâobservation de droite et de gauche, qui se sont mis en mouvement aux premiers coups de canon, ne tardent pas Ă se montrer et Ă prendre position. De moment en moment lâaction est plus chaude, et la position de lâennemi, qui peut Ă peine faire usage de son artillerie dans la crainte de tirer sur ses propres troupes, devient toujours plus critique. 11 ne peut pas tenir serrĂ© et enveloppĂ© comme il lâest, si, au moment oĂč les rĂ©serves arriveront, il nâest pas parvenu Ă terminer ses ponts. Il faut quâil mette bas les armes. Mais il arrive souvent que le dĂ©fenseur, en dĂ©pit de toutes ses prĂ©cautions, est pris au dĂ©pourvu, parce que lâennemi a mille moyens de le tromper. Alors les troupes ne peuvent pas arriver h temps, ou, se prĂ©sentant les unes aprĂšs les autres, elles sont successivement Ă©crasĂ©es. Le passage est forcĂ©, et comme celui qui lâa entrepris est ordinairement le plus fort, le dĂ©- lenscur doit se retirer pour aller prendre en arriĂšre quelque autre position. Quel que soit le danger quâil y ait de voir lâennemi rĂ©ussir Ă surprendre le passage, ce n'est point une raison de trop sâĂ©tendre pour I empĂȘcher, et de dissĂ©miner ses forces tout le 17 258 DE LA DEFENSE DES RIVIĂRES. long de la riviĂšre ; parce quâainsi on ne se trouve nulle part en mesure de lui rĂ©sister. De deux choses lâune, ou lâennemi reste rĂ©uni, ou il se partage. Sâil se concentre, vous en faites autant, vous le cĂŽtoyez sur lâautre rive, autant du moins que vous pouvez ĂȘtre instruit de ses mouvements. Il est alors dilli- cile, si les localitĂ©s vous sont favorables et si vous ĂȘtes bien servi par les espions ou par les habitants, que lâennemi parvienne h surprendre le passage ; si au contraire il occupe une grande Ă©tendue de pays par des corps sĂ©parĂ©s, il nâest redoutable nulle part ; vous nâavez aucune raison de vous dissĂ©miner vous-mĂȘme, car en demeurant rassemblĂ© au centre vous pourrez vous porter en forces sur le corps qui aurait franchi la riviĂšre, et le culbuter avant que les autres dĂ©tachements, qui, dans le cas que nous supposons, sont nĂ©cessairement trĂšs- Ă©loignĂ©s, et qui ont le dĂ©filĂ© du pont Ă passer, pussent entrer en ligne. Mais qui dit concentration de forces ne dit pas entassement sur le mĂȘme point. En rĂ©unissant toutes les troupes dans un seul camp on se priverait de*la possibilitĂ© de surveiller les rives; ce serait tomber dans un autre extrĂȘme; il faut prendre des dispositions analogues Ă celles que nous avons indiquĂ©es dans le commencement de ce chapitre. La concentration est suffisante quand tous les corps sont en mesure de se prĂȘter un secours mutuel et quâon a la certitude, quâen raison des localitĂ©s, lâennemi ne pourra passe jeter entre deux. Le mot concentration ne doit donc pas se prendre dans un sens absolu, mais recevoir une interprĂ©tation plus large; il en est Ă peu prĂšs de mĂȘme de toutes les rĂšgles militaires. Un puissant moyen de dĂ©concerter les mesures de lâennemi, et de neutraliser les effets moraux que doit produire la rĂ©ussite dâun passage de riviĂšre, câest de lâopĂ©rer soi-mĂȘme sur un autre point pour agir offensivement dans le pays occupĂ© par lâennemi. De pareilles dĂ©terminations indiquent toujours, chez ceux qui les prennent, des hommes de cĆur ; elles frappent lâimagination, raniment les espĂ©rances, relĂšvent les courages abattus, en mĂȘme temps quâelles Ă©tonnent, dĂ©mo- 259 DE LA DĂFENSE DES RIVIĂRES. Ă©lisent lâadversaire, en lui faisant supposer de plus grandes forces et plus de moyens quâon nâen a rĂ©ellement celui-ci se verra obligĂ© de repasser la riviĂšre pour venir dĂ©fendre son propre territoire. Câest ce qui arriva Ă Montecuculli en 1674, lorsque aprĂšs avoir passĂ© le llhin, il vit Turenne le franchir de son cĂŽtĂ© , au lieu de chercher Ă dĂ©fendre les frontiĂšres de France par les moyens ordinaires. Lâinitiative que Montecu- culli avait su prendre habilement ne lui servit h rien il fut obligĂ©, par la manĆuvre de Turenne plus habile encore , de se reporter sur la rive droite. Quelquefois on sâĂ©loigne h dessein dâune riviĂšre pour donner h lâennemi lâenvie de la passer et pour revenir promptement l'attaquer avant que toute son armĂ©e ait franchi le dĂ©lilĂ© et se soit Ă©tablie en deçà du pont. Pour que cĂšttc ruse soit utile il laut quâen se retirant on ait lâavantage de se placer dans une bonne position, en mĂ©mo temps quâon ne laisse Ă lâennemi quâun terrain bas et Ă©troit, oĂč il ne lui soit pas possible de dĂ©velopper ses forces ; sans cela, on court le risque de se faire battre si lâennemi parvient Ă faire passer des forces suffisantes. Une pareille faute nâest pas sans exemple. Le marĂ©chal de CrĂ©qui, Ă Consarbruck, laissa Ă dessein les ennemis passer leurs ponts, diffĂ©rant toujours de les attaquer pour en envelopper un plus grand nombre dans la dĂ©route. Plus il en passera , disait-il Ă ceux qui Ă©taient surpris de sa conduite, et plus nous en battrons. Il en passa tant quâil ne put leur rĂ©sister il fut battu complĂštement et couvert de confusion. Mais cette faute valut Ă la France un grand gĂ©nĂ©ral. CrĂ©qui fut guĂ©ri de sa prĂ©somption et ne conserva que le degrĂ© dâardeur nĂ©cessaire pour les grandes entreprises. Câest ainsi que les hommes supĂ©rieurs et vraiment dignes de commander aux autres savent profiter de leurs propres fautes. DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 2C0 g 2. â DĂ©fense des Montagnes. Ce sont, ou les habitants eux-mĂȘmes quâanime lâesprit dâindĂ©pendance , ou des troupes rĂ©guliĂšrement organisĂ©es, qui combattent pour repousser lâennemi dâun pays profondĂ©ment sillonnĂ© de rochers et de torrents, couverts de forĂȘts et que protĂšgent de hautes montagnes. La dĂ©fense prend un caractĂšre diffĂ©rent dans ces deux cas. Par les habitants. â Lorsque les montagnards se sont armĂ©s pour faire respecter leur asile et conserver la libertĂ©, leur bien le plus prĂ©cieux, ils font Ă lâagresseur une guerre terrible. Elle nâa rien de mĂ©thodique et met la science en dĂ©faut des combats journaliers, des actions de dĂ©tail, des apparitions soudaines, des marches, des contremarches, des fuites prĂ©cipitĂ©es; jamais de grandes batailles. Aujourdâhui ils rĂ©sistent de front, et, obligĂ©s de cĂ©der, on les verra demain sur les derriĂšres de lâennemi. TantĂŽt ils occupent les cols et les sommitĂ©s des montagnes, tantĂŽt ils en descendent pour se prĂ©cipiter sur des corps isolĂ©s, quâils enveloppent ou dispersent. Dans ces actions de dĂ©tail, celui qui connaĂźt le mieux le pays a un immense avantage ; câest presque dire que le dĂ©fenseur doit tĂŽt ou tard triompher de lâattaquant. Les succĂšs que peut avoir l'ennemi nâont pas de grandes consĂ©quences dans un pays oĂč les dĂ©fenseurs ont tant de moyens de lui Ă©chapper, pour se rallier et reparaĂźtre ensuite aussi redoutables quâauparavant. Est-il vaincu, au contraire, sa position est affreuse; il ne peut quâĂ grandâpeine rassembler ses dĂ©bris; entourĂ© de toutes parts, il doit se frayer par la force un chemin au travers des bois et des dĂ©lilĂ©s; les soldats quâil laisse en arriĂšre ou qui sâĂ©garent, tombent sous les coups des montagnards exaspĂ©rĂ©s, ou pĂ©rissent de misĂšre dans ces rĂ©gions stĂ©riles oĂč la nature avare ne montre que dâĂąpres rochers. DE IA DĂFENSE DES MONTAGNES. 2GI Câest dans ce genre de guerre que l'activitĂ© , la rĂ©solution , lâaudace, un gĂ©nie inventif et rusĂ©, sont surtout nĂ©cessaires. Un chef qui possĂšde ces qualitĂ©s, et qui par lĂ mĂȘme sâest acquis la conliance de ses soldats, peut, avec un petit nombre dâhommes, tenir tĂȘte Ă des armĂ©es nombreuses, les battre mĂȘme ou les ruiner en dĂ©tail. Sertorius est un grand modĂšle en ce genre il brava pendant longtemps la puissance de Rome ; avec un corps de sept Ă huit mille hommes il combattit des forces dĂ©cuples, conduites par un MĂ©tellus et un PompĂ©e ; il le fit mĂȘme avec succĂšs, et peut-ĂȘtre eut-il remportĂ© tout lâhonneur de la lutte si la trahison ne fĂ»t venue au secours des Romains en les dĂ©barrassant dâun ennemi si dangereux. De nos jours le gĂ©nĂ©ral Mina , combattant sur les mĂȘmes lieux, a suivi la mĂȘme tactique; il a longtemps disputĂ© la Catalogne Ă des troupes beaucoup plus nombreuses que les siennes. Les guĂ©rillas espagnols se sont, de tout temps, distingues dans la guerre des montagnes. Par les troupes. â Avec des troupes ordinaires on doit sâastreindre Ă plus de mĂ©thode. Cependant câest toujours en manĆuvrant et en agissant offensivement quâon rĂ©ussit le mieux Ă arrĂȘter lâennemi. On dĂ©joue ainsi ses projets, on renverse ses plans, on le force Ă songer Ă sa propre sĂ»retĂ©. Il nâa pas la mĂȘme libertĂ© de mouvements que le dĂ©fenseur, parce quâil faut quâil conserve sa ligne dâopĂ©rations, tandis que celui-ci, manĆuvrant chez lui, trouve une ligne de retraite partout oĂč un chemin lui est ouvert. Les habitants, sans ĂȘtre montĂ©s au mĂȘme degrĂ© dâexaltation quâon lâa vu plus haut, sont cependant disposĂ©s Ă prĂȘter main-forte aux dĂ©fenseurs et Ă tomber sur lâassaillant toutes les fois que lâoc casion sâen prĂ©sente. Et si cc nâest ça, ils rendent toujours dâimportants services en Ă©piant les mouvements de lâennemi et en en donnant avis. Quelques-uns dâentre eux au moins prennent les armes et sont dâutiles auxiliaires dans une foule de cas. Chez nous, lâamour de lâindĂ©pendance est portĂ© si haut, 262 DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. et le sentiment national est si vif, que, sans aucun doute, lâĂ©tranger qui violerait le sol helvĂ©tique rencontrerait sur son cliemin, non-seulement une armĂ©e de cent mille hommes prĂȘte h combattre vaillamment, mais encore une population habile Ă manier le fusil ; il y rencontrerait ces redoutables carabiniers, qui, sortis des rangs de la milice, ne cessent pas pour cela de sâexercer au maniement de lâarme des chasseurs montagnards. La premiĂšre rĂšgle h observer dans la dĂ©fense des pays de montagnes , câest de ne point chercher h feinter tous les passages ; cela entraĂźnerait un morcellement funeste. Quâon se figure ce quâil faudrait de monde pour occuper tous les passages de nos Alpes, combien de difficultĂ©s on trouverait Ă faire subsister dans ces rĂ©gions sauvages un si grand nombre de dĂ©tachements , lâimpossibilitĂ© de coordonner leurs mouvements, la grande facilitĂ© quâaurait lâennemi de percer une aussi longue ligne , et on concevra tout ce quâune dĂ©fense basĂ©e sur de tels principes aurait de dĂ©fectueux. Câest donc en se concentrant, autant que les localitĂ©s le permettent, et en occupant en forces des positions dâoĂč lâon puisse se porter rapidement sur les points attaquĂ©s , quâon se met^en mesure de repousser lâagression. Or, ce nâest que dans les vallĂ©es quâon trouve la possibilitĂ© de rassembler plusieurs bataillons ; câest donc essentiellement par les vallĂ©es quâon dĂ©fend les montagnes, sans prĂ©judice toutefois de ce quâon peut faire sur les sommitĂ©s pour arrĂȘter la marche de lâassaillant. Nous dirons en second lieu quâil faut deux choses dans ce genre de guerre manĆuvrer offensivement pour dĂ©busquer l'ennemi, prendre en flanc scs colonnes, sĂ©parer les corps dĂ©tachĂ©s , enlever ses convois, etc., et combattre dĂ©fensivement , câest-Ăč-dire se poster, pour se mĂ©nager lâavantage des lieux toutes les fois quâon en vient Ă un engagement sĂ©rieux. Ces deux choses semblent contradictoires , cependant un homme habile sait les concilier il 1E LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 265 âąnanĆuvre de maniĂšre h se placer sur le flanc ou les derriĂšres de lâennemi, et quand il y est parvenu il prend position , ou du moins il nâattaque que sâil domine les positions de 1â ennemi, ce qui revient au mĂȘme quant au principe qui consiste Ă Ă©viter tout engagement lorsquâon a le terrain contre soi. Lâennemi, ne pouvant aller plus loin sans compromettre sa ligne dâopĂ©rations, est obligĂ© de se retourner contre le corps qui a pris ainsi position, et de venir lâattaquer. Tant quâil ne l'a pas chassĂ© delĂ , il court Ă tout instant le danger dâĂȘtre sĂ©parĂ© âąle ses renforts et de ses moyens de subsistance. Il faut donc, coĂ»te que coĂ»te, quâil marche Ă cette position, et quâil lâattaque avant de pousser plus loin scs opĂ©rations. Câest Ă quoi on voulait le contraindre ; s'il rĂ©ussit, ce ne sera pas sans de grandes pertes, et sâil Ă©choue, sa situation deviendra critique, bar exemple, lorsquâune armĂ©e envahissante aurait pĂ©nĂ©trĂ© dans la vallĂ©e du RhĂŽne pour se porter sur Marligny, nous pourrions, indĂ©pendamment de la rĂ©sistance qui lui serait opposĂ©e de front, manĆuvrer offensivement sur son flanc ou ses derriĂšres par la Gemmi pu le Grimsel, et prendre ensuite pour le combattre des positions avantageuses aux dĂ©bouchĂ©s des vallĂ©es qui conduisent Ă ces cols. Lâennemi devrait nous y venir chercher, sans quoi nous lui fermerions la grandâroute en reprenant Tourtmagne ou Briegg, et peut- ĂȘtre tous les deux. Ainsi donc, Ă des manĆuvres offensives, ou marches en avant, succĂ©deraient des combats dĂ©fensifs tout Ă lâavantage de ceux qui les soutiennent quand les positions sont bien appuyĂ©es et dâun accĂšs difficile, comme cela arrive presque toujours dans les grandes montagnes. Secours de l'art. â Ă cĂŽtĂ© des manĆuvres dont l'efficacitĂ© est incontestable pour une bonne dĂ©fense,il y a dâautres moyens !»âil ne faut pas nĂ©gliger. Ce sont ceux que lâart peut offrir pour retarder ou mĂȘme arrĂȘter complĂštement la marche de lâennemi dans certaines localitĂ©s, et ceux quâon trouve dans 1 occupation des positions uniquement dĂ©fensives. Ainsi on doit prĂ©parer dâavance tout ce quâil faut pour couper les rou- 264 DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. tes, les chemins et les sentiers. A cet eflct, on mine les culĂ©es des ponts de pierre, on attache des fagots aux ponts de bois, afin de faire sauter les uns et de brĂ»ler les autres au moment opportun ; on fait jouer le pĂ©tard dans les chemins en corniche et sur les rochers escarpĂ©s oĂč se trouve quelque sentier, et on remplace ces communications par des Ă©chafaudages faciles Ă renverser ; on prĂ©pare dans les endroits les plus resserrĂ©s des fougasses qui, venant Ă jouer quand l'ennemi se montre , peuvent lui faire beaucoup de mal. Si le chemin est bordĂ© quelque part dâune paroi de rochers qui le surplombe, ou dâun escarpement dont la nature des lieux assure la possession, on y fera un grand amas de pierres et de troncs dâarbres, pour les rouler sur lâennemi quand il sera parvenu au pied de ces rochers. Il y a mille endroits dans nos montagnes qui peuvent Ăšlre dĂ©fendus de cette maniĂšre ; je me bornerai Ă citer les rochers en corniche qui dominent le dĂ©filĂ© de Saint-Maurice. Des abatis de gros arbres au milieu du chemin, des traverses en terre ou en pierres sĂšches, et mĂȘme des parapets faits avec du fumier ou des tonneaux remplis de laine , forment le complĂ©ment des chicannes quâon peut opposer Ă lâassaillant pour retarder sa marche. Positions. â Mais de bonnes positions, bien dĂ©fendues, sont le plus grand obstacle que lâennemi ait Ă surmonter. Elles lui coĂ»teront cher sâil sâobstine Ă les enlever de vive force , et il perdra bien du temps sâil est obligĂ© de les tourner. Les positions se prennent sur les cols et les sommitĂ©s , ou dans les vallĂ©es. Les premiĂšres , quoique trĂšs-fortes ordinairement contre une attaque de front, ne sont pas toujours les plus avantageuses h occuper, parce que lâennemi ne manque pas de trouver des sentiers qui les tournent, mĂȘme dans les montagnes les plus escarpĂ©es. En 1799, le gĂ©nĂ©ral Gudin parvint, par une marche extraordinaire, Ă dĂ©busquer un poste autrichien du col sauvage du Griinsel. Parlant de Gul- tanen, il se lit conduire jusquâĂ des rochers que les habitants 1 2G3 DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. mĂȘmes avaient toujours regardĂ©s connue inaccessibles; il les gravit pendant la nuit, et se trouva, au point du jour, sur les sommitĂ©s qui dominent le liane droit de la position. De lĂ il se prĂ©cipita sur les Autrichiens, pendant que le gros de sa troupe les attaquait de front en remontant la vallĂ©e. Quiconque a vu ces affreux rochers, comprendra tout ce que celte tentative avait dâaudacieux, et en conclura quâil nây a rien dâimpossible aux hommes douĂ©s dâune forte volontĂ©. Cet exemple prouve que les positions sur les cols et les sommitĂ©s ne sont pas Ă lâabri du danger dâĂȘtre tournĂ©es ; et comme dâailleurs il est fort difficile dây subsister, on ne doit les occuper quâavec les forces strictement nĂ©cessaires pour empĂȘcher l'ennemi de sâen emparer de prime-abord, et suffisantes pour le repousser et lui causer des perles considĂ©rables s il s obstine Ă les enlever de front. Des corps peu nombreux opĂ©reront plus lestement leur retraite ; peu embarrassĂ©s dans leur marche , ils ne craindront pas dâĂȘtre gagnĂ©s de vitesse ; ils pourront mieux proiiter des circonstances du chemin pour arrĂȘter lâennemi ; ils songeront plutĂŽt Ă se battre quâĂ fuir. Si enliu le malheur voulait quâun de ces corps fĂ»t coupĂ© et pris, il nâen rĂ©sulterait pas un effet moral comparable Ă celui que produirait la perte dâun dĂ©tachement considĂ©rable. Les dĂ©tachements qui dĂ©fendent les cols appartiennent ordinairement Ă des corps plus nombreux cantonnĂ©s dans les vallĂ©es infĂ©rieures. Ces dĂ©tachements doivent se conduire dâaprĂšs les mĂȘmes principes que lâarmĂ©e entiĂšre ; câest-Ă -dirc que ce nâest pas en se fractionnant pour fermer tous les sentiers latĂ©raux quâils arrĂȘteront lâennemi, ils ne pourraient faire nulle part une rĂ©sistance sĂ©rieuse. Câest en se groupant vers le passage principal quâils tiendront assez longtemps pour permettre aux troupes des vallĂ©es de faire quelque mouvement pour les secourir. Câest en plaçant des rĂ©serves en arriĂšre et sur les lianes, aux points oĂč les sentiers latĂ©raux viennent aboutir, quâils se garantiront du danger dâĂȘtre cou- 2GH DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. pĂ©s. Les habitants peuvent ĂȘtre ici dâun grand secours quelques pĂątres, en gardant leurs troupeaux, allumeront des feux ou donneront des signaux convenus quand ils apercevront lâennemi; quelques hommes armĂ©s, aussi bons dans les rochers que les meilleurs soldats, garderont ces sentiers, que sans eux il faudrait abandonner; ils les dĂ©fendront mieux que la troupe, parce quâils se sentent chez eux, et que la connaissance des localitĂ©s leur assure en tout cas une retraite. Ainsi, en 1799 le gĂ©nĂ©ral Loudon, chargĂ© de dĂ©fendre la position de Taufersdans le Tyrol, se mĂ©nagea de grosses rĂ©serves sur ses flancs et ses derriĂšres, et, mettant Ă profit la haine des habitants pour les envahisseurs, haine qui allait jusquâau fanatisme, il fit occuper par leurs excellents carabiniers tous les sentiers aboutissants, ce qui lui permit de faire ses postes plus nombreux et de mieux organiser sa rĂ©sistance. Les meilleures positions se trouvent ordinairement dans les vallĂ©es, parce quâelles y sont en gĂ©nĂ©ral mieux appuyĂ©es, quâil est possible de les occuper en forces, et par consĂ©quent de rester maĂźtre des hauteurs qui en assurent les flancs. Lâennemi ne peut donc pas les tourner aussi facilement que celles qui sont prises sur les cols; sâil veut le faire il est obligĂ© Ă de trĂšs-grands dĂ©tours pour aller chercher dâautres vallĂ©es. Les positions proprement dites ne sont pas trĂšs-communes ; on compte celles qui offrent des caractĂšres de rĂ©sistance trĂšs- prononcĂ©s, et qui laissent peu Ă dĂ©sirer. Elles se prennent en travers de la vallĂ©e, ou en long. Lorsqu'on se dĂ©fend en remontant une vallĂ©e que lâennemi par consĂ©quent attaque par le bas, le terrain, sans offrir prĂ©cisĂ©ment ce quâon appelle des positions, est cependant presque partout favorable. Mais quand une fois le col est franchi et quâon descend dans la vallĂ©e opposĂ©e , les rĂąles sont changĂ©s, et lâennemi occupant le haut, a, Ăč son tour, lâavantage. On ne trouve plus que de loin en loin des relĂšvements de terrain transversaux qui forment des positions dĂ©fensives , oĂč lâon se maintient dâautant mieux quâelles sont plus Ă©troites et DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 267 quâelles sont appuyĂ©es par les ailes Ă des montagnes plus escarpĂ©es. Ces positions ont toujours lâinconvĂ©nient dâĂȘtre coupĂ©es en deux par le torrent qui coule au fond de la vallĂ©e, en sorte que si ce torrent nâest pas guĂ©able, les deux ailes ne peuvent pas se porter secours. Ainsi lâennemi a la facultĂ© dâattaquer en forces supĂ©rieures une de ces ailes, et lorsquâil lâa culbutĂ©e, de prendre en flanc lâaile qui est sur lâautre rive et de lâobliger Ă se retirer Ă©galement. Il faut donc, dans la dĂ©fense de ces sortes de positions, gĂȘner, autant que possible , les communications des diffĂ©rents corps de lâarmĂ©e ennemie , et faciliter, au contraire, celle des troupes qui les occupent. A cet effet, on coupe tous les ponts qui existent sur la riviĂšre en amont de la position, en mĂȘme temps quâon en jette plusieurs en aval, au moyen desquels on fera passer d une rive Ă lâautre les renforts, selon que le besoin le re- quĂ©rera. Ceci est la position en travers. On prend la position en long lorsquâil est question dâarrĂȘter un ennemi qui veut dĂ©boucher par une vallĂ©e transversale h celle oĂč lâon se trouve rassemblĂ©. Le terrain se prĂ©sentant ordinairement en amphithéùtre devant les dĂ©bouchĂ©s, on lâoccupe de maniĂšre Ă envelopper de feux la tĂȘte de la colonne ennemie; lâartillerie y trouve des emplacements dâoĂč elle commande et foudroie la vallĂ©e qui est en face, ainsi que les petites plaines dans lesquelles elle s'ouvre. Lâennemi ne peut que bien difficilement parvenir Ă se dĂ©ployer sous ces feux convergents et Ă concerter ses attaques ; mais pour que la position jouisse de ces avantages, et quâon puisse se promettre en lâoccupant dâobliger les assaillants Ă rĂ©trograder, il faut que la vallĂ©e soit Ă©troite, ou que du moins la riviĂšre se rapproche assez du dĂ©bouchĂ© pour que les troupes placĂ©es de lâautre cĂŽtĂ© puissent atteindre de leurs feux ce dĂ©bouchĂ©. Dans le cas contraire, il serait assez inutile dâaller prendre une position de laquelle on ne pourrait point agir sur la colonne ennemie. Il faut alors rester en deçà de la riviĂšre cl agir offensivement; on il aura pas le terrain pour soi, mais on aura toujours 268 DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. l'avantage dâenvelopper et dâattaquer du fort au faible ; on aura encore celui dâopposer des troupes fraĂźches et concentrĂ©es Ă des troupes arrivant Ă la file, fatiguĂ©es dâune marche plus ou moins longue et pĂ©nible. Mais câest surtout pour dĂ©fendre lâentrĂ©e dâune vallĂ©e latĂ©rale quâon prend la position en long, et alors, que la vallĂ©e principale soit large ou Ă©troite, peu importe; tant quâune riviĂšre non guĂ©able coule devant le front de la position, que ses ailes sâappuient Ă des escarpements, h de profonds ravins, et que le terrain sâĂ©lĂšve en amphithéùtre du cĂŽtĂ© du dĂ©filĂ©, cette position est bonne Ă tenir. Lâennemi ne peut vous en chasser quâen le tournant par un trĂšs-grand mouvement ; lâaborder de front serait trop dangereux , puisque indĂ©pendamment de la difficultĂ© matĂ©rielle de franchir le torrent, il nâest guĂšre possible de manĆuvrer sous le feu plongeant des dĂ©fenseurs. Câest dans le bas des vallĂ©es, bien plus que dans le haut, quâon rencontrera de semblables positions. LĂ seulement la riviĂšre est assez riche des eaux qu'elle a reçues pour quâon ne puisse pas impunĂ©ment essayer de la passer. PrĂšs des sources la position court risque dâĂ©tre enlevĂ©e si, aux difficultĂ©s du cours dâeau, ne se joignent pas des escarpements, de profonds prĂ©cipices qui soient comme de grands fossĂ©s rendant une attaque impossible. Si, contre la rĂšgle gĂ©nĂ©rale, nous dĂ©fendons jci le dĂ©filĂ© en avant, câest que le terrain est si avantageux, quâon peut y tenir ferme sans danger de se voir acculĂ© Ă la montagne et coupĂ© de sa retraite. Câest ainsi que la dĂ©fense dâun pont qui sâopĂšre ordinairement en arriĂšre, se porte en avant quand des fortifications couvrent l'entrĂ©e du pont. On voit, dâaprĂšs ce qui prĂ©cĂšde, quâil y a une diffĂ©rence trĂšs-grande entre les caractĂšres dâune bonne position dans les montagnes ou dans les pays que, comparativement, on peut appeler plats, ces derniĂšres devant offrir une pente douce en forme de glacis sur leur front; tandis que les autres au con- contrairc, quâelles soient prises en long ou en travers de la DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 260 ''allĂ©e, sont dâautant meilleures que leur Iront est dâun accĂšs plus dillicile. Câest que les unes sont purement dĂ©fensives et occupĂ©es par de petits corps ou de simples dĂ©tachements, tandis que les autres, destinĂ©es Ă recevoir des armĂ©es entiĂšres, doivent laisser la facultĂ© des retours offensifs. Je vais citer un exemple fameux pour Ă©claircir ce qui prĂ©cĂšde ; il est tirĂ© de la guerre que les Français et les Russes se sont faite en Suisse dans lâannĂ©e 1700. CâĂ©tait au moment oĂč MassĂ©na allait livrer la grande bataille de Zurich ; il occupait une ligne fort Ă©tendue depuis le confluent de lâAar et de la Limmat jusquâau Le gĂ©nĂ©ral Lecourbe commandait lâaile droite, et sa division Ă©tait Ă©chelonnĂ©e depuis AĂŻrolo jusquâau lac de Lucerne. Souwarow, mĂ©content de ce que taisait son lieutenant en Suisse , voulut sây rendre lui-mĂȘme avec son armĂ©e victorieuse ; il quitte les plaines riantes de lâItalie pour sâengager dans les vallĂ©es les plus sauvages des Alpes, vers la lin de septembre, Ă©poque oĂč les passages sont dĂ©jĂ dangereux ou du moins trĂšs-dilliciles ; il remonte la vallĂ©e LĂ©vantinc, force le poste dâAĂŻrolo et attaque de front les rochers escarpĂ©s du mais il trouva lĂ une rĂ©sistance invincible. En vain les meilleurs soldats, animĂ©s du souvenir de leurs victoires rĂ©centes, exaltĂ©s par les promesses de leurs prĂȘtres et lâespoir du paradis, font des prodiges de valeur. Une poignĂ©e dâhommes rend inutile tous leurs efforts, tant les lieux sont favorables aux dĂ©fenseurs; dĂ©jĂ douze cents des plus intrĂ©pides, aprĂšs un combat de douze heures, couvrent les rochers de leurs cadavres, et les Russes nâont fait aucun progrĂšs. Leurs adversaires non moins intrĂ©pides leur opposent une rĂ©sistance invincible ; ils sont Ă couvert par des remparts naturels; et, quoiquâils combattent un contre quatre, leurs avantages sont immenses ; chacun a dĂ©jĂ terrassĂ© deux de ses ennemis ; leur espoir est de disputer longtemps encore ces Thermopyles, lorsq uâun autre corps, qui avait fait un long circuit par le Val-Canaria, se montre sur leur gauche. Le gĂ©nĂ©ral Gudin, car câĂ©tait lui qui commandait en cet endroit, or- 270 DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. donna aussitĂŽt la retraite et abandonna le col. Mais en homme habile, il ne descendit point par la vallĂ©e de la Reuss ; tournant Ă gauche, il alla sâĂ©tablir sur les hauteurs du mont Furca et du Grimsel qui lui offraient des positions aussi faciles h dĂ©fendre que celle du St-Gotthard. Lâennemi le suivra-t-il? ou poursuivra-t-il sa route vers le lac des Waldstetten, but principal de sa marche? Dans le premier cas, Gudin dĂ©tourne lâorage, et lâarmĂ©e française, qui, sous les ordres de MassĂ©na, occupe la rive gauche de la Limmat et du lac de Zurich, a le temps de prendre ses mesures pour empĂȘcher Souwarow de lâattaquer Ă revers. DĂšs-lors toutes les combinaisons de ce gĂ©nĂ©ral sont dĂ©jouĂ©es et les sacrifices quâil vient de faire sont inutiles. Le gĂ©nĂ©ral ennemi, au contraire, ne se laisse-t-il point dĂ©tourner de son but et marche-t-il sur Altorf avec toutes ses forces, alors Gudin, quittant la Furca, sâempare de nouveau du St-Gotthard, coupe la ligne dâopĂ©rations des Russes, et les met, en cas de revers, dans le plus sĂ©rieux embarras. Cependant le gĂ©nĂ©ral Lecourbe, averti de la retraite de Gudin, remonte la Reuss pour le secourir ; mais il nâest plus temps. R rencontre Souwarow qui dĂ©jĂ avait dĂ©passĂ© le Trou dâUri et le pont du Diable ; en mĂŽme temps il apprend que le gĂ©nĂ©ral Rosenberg, qui avait franchi le Crispait, allait dĂ©boucher par le MadĂ©ranerthal sur Amsteig. Il dut donc opĂ©rer promptement sa retraite, et se borner Ă dĂ©fendre la basse vallĂ©e pour empĂȘcher son antagoniste dâarriver Ă Stantz par lâEngelberg. Il prit une position en long sur la rive gauche de la Reuss, et disputa les ponts dâAttinghausen et dâErs- feld dont lâarmĂ©e russe, qui descendait par la rive droite, sâefforça de sâemparer. LĂ , un faible corps arrĂȘta pendant trois jours le conquĂ©rant de l'Italie, et le força enfin Ă rĂ©trograder et Ă se jeter dans le Muttathal, en traversant avec peine dâaffreuses montagnes. La conduite de Lecourbe fut admirable on le vit passer lui-mĂȘme la riviĂšre pour attaquer les Russes au moment oĂč ils allaient franchir le pont dâErsfeld. DĂ©jĂ ils Ă©taient parvenus, malgrĂ© le feu le plus meurtrier, Ă jeter une DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 271 solive sur les piles du pont qui avait Ă©tĂ© rompu Ă leur approche, quand le retour offensif de Lecourbc les força de songer eux-mĂȘmes h la dĂ©fense de leur propre camp. Je me suis Ă©tendu avec complaisance sur cet exemple, parce quâil est fĂ©cond en leçons, surtout pour des militaires suisses. On y voit que, malgrĂ© la plus brillante valeur, les positions prises sur les sommitĂ©s ne peuvent ĂȘtre forcĂ©es de front, et que celui qui sây obstine doit Ă©prouver des pertes considĂ©rables, mais que les mĂȘmes positions tombent aussitĂŽt quâelles sont tournĂ©es, et quâelles peuvent toujours lâĂȘtre. On y voit quâau contraire la dĂ©fense dans le bas des vallĂ©es peut ĂȘtre eflicace, mĂȘme contre des forces trĂšs-supĂ©rieures, quand celui qui la soutient sait tirer parti des localitĂ©s. On y voit enfin quâau lieu de faire une retraite directe, lorsquâon est forcĂ© dans une position,, il y a infiniment plus de gloire et dâavantages il faire une retraite latĂ©rale qui vous place sur le flanc de lâennemi ou sur ses derriĂšres. Retranchements. â Il est quelques exemples de vallĂ©es dĂ©fendues par des retranchements; câest effectivement une bonne chose quand la vallĂ©e est Ă©troite, que les montagnes h droite et Ă gauche sont trĂšs-escarpĂ©es et dilĂŻicilement tour- nables, que les retranchements eux-mĂȘmes sont revĂȘtus en maçonnerie, et que le terrain sur lequel ils sont construits sâĂ©lĂšve sur le fond de la vallĂ©e de maniĂšre que lâartillerie puisse le battre jusquâĂ une grande distance. Mais ces conditions sont plus dilliciles Ă rencontrer qu'on ne le pense ; dĂšs-lors, lâemploi raisonnable de ce genre de dĂ©fense nâest pas frĂ©quent. Je ne parle point de ces petites redoutes pour des postes dĂ©tachĂ©s, de ces corps-de-garde crĂ©nelĂ©s destinĂ©s Ă renfermer quelques hommes seulement; on en fait un frĂ©quent usage dans la guerre de montagnes. Je'parle des retranchements Ă©tendus qui barrent en entier une vallĂ©e; il est absolument nĂ©cessaire, pour que ces lignes aient de la valeur, quâelles remplissent les conditions ci-dessus Ă©noncĂ©es. Les fortifications 272 DE DA DĂFENSE DES MONTAGNES. de seront dans ce cas lorsquâon aura construit les ouvrages qui doivent en assurer les ailes ; elles forment littĂ©ralement une des portes de la Suisse, et sont dâune liante importance pour la dĂ©fense du pays en gĂ©nĂ©ral et pour celle des Grisons en particulier. EspĂ©rons que la DiĂšte nâattendra pas un moment de guerre pour faire exĂ©cuter les projets qui ont Ă©tĂ© dressĂ©s par lâĂ©tat-major gĂ©nĂ©ral lors du dernier armement. On se contenta, Ă cette Ă©poque, de relever les parapets qui avaient Ă©tĂ© dĂ©truits et de revĂȘtir en maçonnerie lâescarpe et la contre-escarpe. Les retranchements de montagnes les plus cĂ©lĂšbres de nos jours sont ceux de Feldkirch, surla frontiĂšre du Voralberg, h lâembranchement des routes de Rregenz et de Rludenz. Ces fortifications sont construites au pied des montagnes, et plutĂŽt en long quâau travers de la vallĂ©e ; elles font face au llhin pour couvrir le dĂ©filĂ© de lâill et lâentrĂ©e dâune vallĂ©e parallĂšle oĂč coule le ruisseau de fllalengen. A leur extrĂȘme gauche elles se retournent pour barrer la grande route qui, de Mayenfeld, conduit Ă Feldkirch. Cette partie est continue cl faite sur le principe des lignes Ă crĂ©maillĂšre ; elle forme avec la riviĂšre de lâIll, un systĂšme quisâĂ©lend jusquâauRhin, et couvre une vaste plaine oĂč une armĂ©e entiĂšre peut camper; le reste de la ligne est composĂ© dâouvrages dĂ©tachĂ©s. Câest un vĂ©ritable champ de bataille prĂ©parĂ© et fortifiĂ© dâavance, contre une armĂ©e ennemie qui voudrait attaquer par la plaine en remontant le Rhin. R nây a pas moins de 8,000 mĂštres, ou deux lieues militaires, dâune extrĂ©mitĂ© Ă lâautre de cette ligne qui renferme dans son intĂ©rieur le bourg de Feldkirch et les villages dâAltcnstat et de Rankweil ; mais un tiers Ă peu prĂšs de cet immense dĂ©veloppement est occupĂ© par lâArlezcnberg dont les rochers et les pentes escarpĂ©es suflisent, Ă lâaide dâabalis, pour dĂ©fendre la partie centrale de la ligne. Cette petite montagne, sur laquelle se trouve lâangle formĂ© par les deux parties de la ligne gĂ©nĂ©rale, prĂ©sente le mĂȘme phĂ©nomĂšne que le Flaschenberg prĂšs de Luciensteig ; câest une masse de rochers qui forme DE LA DEFENSE DES MONTAGNES. 275 saillie au milieu de la plaine, comme si elle s'Ă©lail. primilivc- menl dĂ©tachĂ©e de la montagne principale, et arrĂȘtĂ©e lĂ dans sa chute. En 179! le gĂ©nĂ©ral MassĂ©na essaya de sâemparer de celte importante position, clef des deux vallĂ©es de lâill et du Rhin ; il lâattaqua par la partie qui regarde Mayenfeld ; mais aprĂšs des efforts incroyables et de grandes pertes, il fut obligĂ© de renoncer Ă son entreprise. Il essaya vainement de tourner, par la montagne, la gauche des retranchements ; quelques compagnies de carabiniers tyroliens qui Ă©taient montĂ©s encore plus haut, sâavancĂšrent Ă la faveur des bois, prirent en flanc la colonne tournante et lâobligĂšrent h la retraite. Câest le gĂ©nĂ©ral Ilotze, Suisse de naissance, qui commandait les Autrichiens ; il opposa une rĂ©sistance invincible Ă la furie des attaques françaises ; la fortune couronna sa constance. Anciennement les retranchements dans les montagnes Ă©taient plus frĂ©quemment employĂ©s que de nos jours. En lo8G les Glaronnais, pour mettre leur pays Ă couvert des incursions de la garnison de Wescn, fortifiĂšrent lâentrĂ©e de leur vallĂ©e par un bon retranchement avec fossĂ© et escarpe revĂȘtue. Ce retranchement passait Ă Niifels, ou plutĂŽt en avant de Niifels, et sâappuyait dâun cĂŽtĂ© aux montagnes et de lâautre Ă la Linth. On en voit encore des vestiges dans lâintĂ©rieur du village dont les habitations ont gagnĂ© du cĂŽtĂ© du lac. Les Autrichiens, aprĂšs les avoir forcĂ©s, furent taillĂ©s en piĂšces par les Glaronnais qui sâĂ©taient ralliĂ©s sur les croupes de la montagne. Ceux-ci durent leur victoire Ă lâemploi si simple et si naturel des rochers quâils firent rouler sur la cavalerie ennemie. Le mĂȘme moyen avait contribuĂ© Ă la cĂ©lĂšbre victoire de Morgarlen, Un siĂšcle plus tard, un corps de 2,000 ConfĂ©dĂ©rĂ©s sâĂ©tait postĂ© et retranchĂ© dans la vallĂ©e Levantine entre Poleggio et oiornico ; fi y fut attaquĂ© par un corps dâarmĂ©e milanais, fort d environ 15,000 hommes, qui essaya Ă plusieurs reprises dâescalader et de forcer les retranchements. Le premier jour les ConfĂ©dĂ©rĂ©s ne purent que rĂ©sister Ă ces attaques; mais, ayant 18 274 1E LA DĂPENSE DES MONTAGNES. reçu le lendemain un renfort dâenviron mille citoyens dâUri et dâUnderwald, ils sortirent de leurs retranchements et tombĂšrent avec tant de vigueur sur les ennemis, quâils les mirent en pleine fuite, aprĂšs leur avoir tuĂ© l , 400 hommes et pris leur artillerie. Lâhistoire ne dit pas de quelle nature Ă©taient ces fortifications; il est probable quâelles Ă©taient simplement en terre et abatis, ou en pierres amoncelĂ©es. On nâen retrouve pas la moindre trace. Comme lâaffaire eut lieu au mois de novembre, et quâil faisait dĂ©jĂ froid dans ces rĂ©gions, les confĂ©dĂ©rĂ©s rĂ©pandirent devant leur front les eaux dâun ruisseau qui, sâĂ©tant gelĂ©es, prĂ©sentĂšrent aux assaillants une grande surface glissante, sur laquelle ils ne purent conserver ni leur ordre ni leur assiette. Ce stratagĂšme fit Ă©chouer les attaques; il est bon h imiter dans des circonstances semblables. Dans des temps plus reculĂ©s, tous les passages par lesquels on pouvait pĂ©nĂ©trer dans les Ă©tats de Schwytz, dâUri et dâUn- derwald, Ă©taient fermĂ©s par des retranchements continus, soit en maçonnerie, soit en terre, auxquels on donnait le nom de lezenen. On voit par lĂ que les anciens Suisses, quelle que fut leur bravoure, ne dĂ©daignaient pas dâavoir recours Ă la fortification pour assurer leur indĂ©pendance ; ils savaient faire les sacrifices nĂ©cessaires pour un si grand objet. Et nous, qui sommes plus riches quâeux, ne saurions-nous les imiter ! non pas quâil soit nĂ©cessaire de construire Ă grands frais des forteresses ou de fortes lignes dans nos vallĂ©es, mais seulement il faudrait Ă©tablir daus certains passages et aux points dĂ©signĂ©s par les localitĂ©s, des fortins ou cluses, qui permissent, avec trĂšs-peu de monde, dây arrĂȘter lâennemi deux ou trois jours. Ces belles routes qui franchissent nos Alpes et font la prospĂ©ritĂ© du commerce, cesseraient par lĂ dâĂ©tre dangereuses. Nous en aurions la clef pour les tenir onvertes pendant la paix et fermĂ©es en temps de guerre. Ces cluses, ' On lit dans les Voyayes aux Alpes, de M. De Saussure, que lâon trouve encore sur les chemins du Grand et du Pelit-Saint- Bernard, un peu au-dessus de la CitĂ©dâAost, des constructions de ce çenre en assez bon Ă©tat. 9 DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 27$ tout en maçonneries, dĂ©robĂ©es Ă lâaction directe du canon, voĂ»tĂ©es et pourvues de munitions de guerre et de bouche en quantitĂ© suffisante pour leurs petites garnisons, ne reviendraient pas extrĂȘmement cher, et bien certainement la dĂ©pense quelles entraĂźneraient ne peut pas balancer lâimportance de leur objet. Yoilit ce qui prouverait h lâĂ©tranger, mieux que toutes nos protestations, la ferme intention oĂč nous sommes de faire respecter notre neutralitĂ©, et de dĂ©fendre Ă©nergiquement notre indĂ©pendance. Le peu d'ouvrages que nous avons construits h Saint-Maurice, ont plus servi que tout ce qui avait Ă©tĂ© dit ou Ă©crit jusquâalors Ă montrer ce que nous nous proposons de faire, quand un ennemi quelconque voudra user de cette belle route du Simplon , si commode pour certaines combinaisons stratĂ©giques. Câest que les travaux exĂ©cutĂ©s dans celte intention sont des faits , et quâil y a plus dâĂ©loquence persuasive dans les faits que dans les paroles. ManĆuvres. â Quand on perd lâespoir de dĂ©fendre une vallĂ©e avec succĂšs, on peut, en lâabandonnant, tenter une marche offensive, si quelque vallĂ©e latĂ©rale en donne la possibilitĂ© , plutĂŽt que de se retirer directement dans lâintĂ©rieur. Rien de plus honorable et de plus Ă©clatant que de pareilles dĂ©terminations; la fortune se plaĂźt souvent h les couronner de succĂšs; elle aime les actions hardies. Un chef timide, qui ne pense quâĂ disputer les positions et qui recule Ă mesure que lâennemi sâavance, nâaura jamais de part Ă ses faveurs. Il ne faut pas craindre de hasarder quelque chose dans la guerre de montagnes, en se portant, par un mouvement excentrique, sur le flanc ou les derriĂšres de lâennemi ; les localitĂ©s sây prĂȘtent ; le corps qui lâexĂ©cute a peu de chances dâĂȘtre enveloppĂ©, mĂȘme lorsquâil est trĂšs-infĂ©rieur en nombre, parce que lâennemi, ordinairement trĂšs-Ă©tendu dans de longues vallĂ©es, ne peut que difficilement se rassembler, et que lors quâil le serait, il lui faut du temps pour gagner les liait- 276 DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. teurs et sortir de la .gĂȘne oĂč le tient le manque dâespace. La petite troupe , bien postĂ©e , combattra toute la journĂ©e peut-ĂȘtre avant de voir lâennemi gagner ses flancs, tant celui-ci Ă©prouve de difficultĂ©s Ă concerter ses mouvements lorsqu'il est ainsi attaquĂ© inopinĂ©ment. La raretĂ© des communications sâoppose Ă la prompte transmission des ordres, et, lorsquâen- fin ils sont parvenus, il est dĂ©jĂ trop tard pour les mettre Ăč exĂ©cution. Lâattaquant a donc de grandes chances de remporter quelquâavantage signalĂ©, et la renommĂ©e qui grossit tout en portera la nouvelle aux corps Ă©loignĂ©s avec toutes les amplifications dont elle est susceptible ; lâinquiĂ©tude pĂ©nĂ©trera chez lâennemi, et la confiance, au contraire, renaĂźtra chez les dĂ©fenseurs. Le pire qui puisse arriver dans cette circonstance, câest dâĂȘtre obligĂ© de se retirer aprĂšs avoir Ă©chouĂ© dans lâattaque; mais la retraite est facile et peu dangereuse puisquâelle se fait en remontant une vallĂ©e, et que le corps qui se retire se rapproche de ses renforts, tandis que celui qui poursuit sâĂ©loigne des siens. Ainsi donc il y a beaucoup Ă espĂ©rer et peu Ă craindre dâun mouvement de la nature de celui dont nous parlons. Quand un corps dĂ©fensif parvient ainsi Ă reprendre quelque passage important, quelque col qui coupe la communication de lâennemi, il a le choix ou dâattaquer ou de rester en position. Il prendra le premier parti si les troupes qui lui sont opposĂ©es ne sont pas nombreuses, et si, en descendant des hauteurs quâil occupe, le terrain ne lui devient pas dĂ©savantageux ; dans le cas contraire, le dĂ©fenseur se contentera du succĂšs obtenu et se prĂ©parera Ăč bien recevoir lâattaque il fera occuper les bois et les sommitĂ©s dominantes par ses carabiniers, il fera des abatis sur le chemin, prĂ©parera des rochers et des troncs pour les rouler sur lâassaillant, et il attendra. Si, aprĂšs un combat qui nĂ©cessairement doit ĂȘtre acharnĂ© puisque lâennemi fera tous ses efforts pour regagner ses communications , la victoire se dĂ©clare pour les dĂ©fenseurs , ils ne doivent point sâabandonner Ăč une poursuite imprudente; mais, DE LA DEFENSE DES MONTAGNES. 277 aprĂšs avoir nettoyĂ© les environs, ils reviendront prendre leur position pour y recevoir lâennemi de la mĂȘme maniĂšre toutes les lois quâil sây prĂ©sentera ; et si celui-ci rencontre de front une assez forte rĂ©sistance pour quâil ne puisse pas dĂ©boucher dans la plaine, il finira par Ă©prouver une disette de vivres qui rendra sa position cruelle. On a dĂ©jĂ vu combien la nature des localitĂ©s modifie les rĂšgles gĂ©nĂ©rales dans la guerre de montagnes. En voici encore un exemple les marches combinĂ©es de plusieurs dĂ©tachements pour envelopper l'ennemi sont, avec raison , condamnĂ©es comme trĂšs-dangereuses dans un pays ouvert ; hĂ© bien, dans les montagnes , câest au contraire une trĂšs-bonne manĆuvre que de combiner la marche de plusieurs corps dans un but dĂ©terminĂ©, parce quâune telle combinaison procure tous les avantages de lâollensive sans offrir de danger rĂ©el. En ellet, dans les montagnes lâennemi ne peut pas se jeter entre les diffĂ©rentes colonnes pour les accabler isolĂ©ment ; il suffit que chacune dâelles soit assez forte pour dĂ©fendre la vallĂ©e quâelle occupe, et elle ne courra pas le risque dâĂȘtre enveloppĂ©e ; enfin ces diverses colonnes ont leur retraite assurĂ©e si elles Ă©chouent dans leurs entreprises. La campagne de 1799 nous fournit un bel exemple dâune marche combinĂ©e qui a Ă©tĂ© couronnĂ©e dâun plein succĂšs le gĂ©nĂ©ral Lecourbe, chargĂ© de la dĂ©fense des petits cantons , parvint Ă chasser les Autrichiens de tous les postes quâils occupaient, et Ă se porter en trois jours de Lucerne au , dont il resta maĂźtre jusquâĂ lâarrivĂ©e de Souwarow. AprĂšs sâĂȘtre emparĂ© dâAltorf et de la basse vallĂ©e de la Reuss, au moyen dâun dĂ©barquement opĂ©rĂ© Ă Fluelen sous la protection dâune colonne qui avait tournĂ© par lâEngelberg et les SĂżiennen, Lecourbe concerta un mouvement combinĂ© de trois colonnes pour balayer la haute Reuss et les vallĂ©es adjacentes. La premiĂšre, sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Loison, devait partir du Haut-Underwald, passer le Susten et dĂ©boucher par Wasen sur le flanc de lâennemi ; elle Ă©tait composĂ©e d'une demi-brigade et dâune petite 278 DE LA DĂPENSE DES MONTACNES. rĂ©serve de grenadiers. La seconde colonne, qui occupait dĂ©fensivement Meyringen et la vallĂ©e de lâAar, eut la dillicilo tĂąche de dĂ©busquer les Autrichiens du poste quâils tenaient au Grimsel, de remonter ensuite la montagne de la Fourche, et de tourner, par la vallĂ©e d'Urseren, le trou dâUri et le pont du Diable. On a vu, plus haut, comment le gĂ©nĂ©ral Gudin sâacquitta de cette commission, du succĂšs de laquelle dĂ©pendait celui de lâopĂ©ration entiĂšre. Le gĂ©nĂ©ral Lecourbe sâĂ©tait FĂ©servĂ© le commandement de la troisiĂšme colonne qui Ă©tait destinĂ©e Ă attaquer directement les Autrichiens en remontant la vallĂ©e de la Reuss, pour aller h la rencontre de ses deux autres colonnes. Cette attaque de front par le bas de la vallĂ©e eĂ»tĂ©tĂ© impossible si lâennemi, menacĂ© sur scs derriĂšres, nâeĂ»t pas Ă©tĂ© obligĂ© de quitter successivement ses positions. Loison, avant de dĂ©boucher sur Wasen, eut Ă enlever le fortin de Mayen , situĂ© un quart de lieue plus haut ; mais ce fortin , quoique revĂȘtu en maçonnerie , nâarrĂȘta pas longtemps la colonne française, parce que nâĂ©tant pas casematĂ© il fut plongĂ© par les tirailleurs qui gravirent les hauteurs rapides, mais non escarpĂ©es de la rive droite. Lecourbe , laissant se dĂ©velopper les attaques latĂ©rales, nâarriva Ă Wasen quâaprĂšs que la seconde colonne sâen fut emparĂ©. Il rĂ©unit scs forces pour marcher Ă la rencontre de sa colonne de droite et attaquer le Le chemin, aux abords du pont du Diable, Ă©tait soutenu par des arceaux construits contre d'immenses parois de rochers ; les Autrichiens, en se retirant, avaient rompu ces arcades et dĂ©fendaient le passage depuis les hauteurs de la rive droite. La position Ă©tait tout Ă leur avantage ; en sorte que les Français furent arrĂȘtĂ©s lĂ assez longtemps. Ils rĂ©parĂšrent le chemin pendant la nuit. Le lendemain ils se prĂ©paraient Ă une attaque qui aurait Ă©tĂ© nĂ©cessairement trĂšs-meurtriĂšre, quand les premiĂšres troupes du gĂ©nĂ©ral Gudin arrivĂšrent par Urseren et obligĂšrent lâennemi Ă abandonner les rochers oĂč est percĂ© le trou dâUri pour le passage de la route. Celui-ci se retira par lâObĂ©ralp sur Dissenlis, laissant les Français maĂźtres du ce nĆud de nos grandes Alpes. DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 279 II est bon que les corps tournants aient avec eux de lâartillerie de montagne, Ă dĂ©faut dâautre artillerie, non-seulement pour en imposer h lâennemi, mais encore pour annoncer leur arrivĂ©e aux autres corps. Ils nâont presque pas dâautre moyen de le faire, vu la diflicultĂ© des communications d'une vallĂ©e Ăč lâautre. Si les colonnes rencontrent quelque dĂ©tachement ennemi dans la vallĂ©e quâelles parcourent, elles ne doivent pas se borner Ă lâattaquer dans le fond de la vallĂ©e, car alors elles pourraient ĂȘtre arrĂȘtĂ©es par trĂšs-peu de monde, mais se donner la peine dâenvoyer sur les croupes des colonnes de 11 an- queurs, pour dominer et dĂ©border les dĂ©fenseurs. Cela est d'ailleurs nĂ©cessaire en tout cas, pour dĂ©boucher avec avantage dans la vallĂ©e quâon veut couper ; et, en gĂ©nĂ©ral, on ne doit jamais cheminer dans une vallĂ©e sans avoir des flanqueurs sur les croupes de droite et de gauche, autant et aussi haut que les localitĂ©s le permettent. Mais, avec ces prĂ©cautions, tout genre dâaudace est permis, et ce seront peut-ĂȘtre les entreprises qui approchent de la tĂ©mĂ©ritĂ© qui rĂ©ussiront le mieux; elles Ă©tonnent et intimident lâennemi, qui y voit toujours plus quâil nây a. Nulle part lâaudace ne fait plus de prodiges, dit lâarchiduc Charles, que dans les pays coupĂ©s et surtout dans les hautes montagnes, oĂč il ne sâagit que dâaffaires de postes qui sâengagent et se dĂ©cident Ă lâiinprovisle, et oĂč l'ellet de la surprise, suite ordinaire de lâaudace, paralyse les forces de lâennemi dans le moment critique. On peut, dans ces mouvements combinĂ©s, se servir dâembarcations armĂ©es pour transporter les troupes sur les lacs ou protĂ©ger leur marche le long des rives ; mais il ne faut pas perdre de vue que la navigation des lacs dans les pays de montagnes est extrĂȘmement incertaine, parle caprice et lâinconstance des vents ; que par consĂ©quent il ne faut jamais trop compter sur la coopĂ©ration des troupes ainsi transportĂ©es; elles peuvent arriver ou trop tĂŽt ou trop tard. Le gĂ©nĂ©- DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 280 ral Lecourbe, voulant enlever une batterie que les Autrichiens avaient Ă©tablie Ă BiĂŻmnen pour commander la navigation du lac, fit embarquer sur sa flottille cinq cents grenadiers, et dirigea en mĂȘme temps une colonne pour tourner le Riglii et arriver par Lowerz sur les derriĂšres de Briinnen. La flottille arriva la premiĂšre. Les grenadiers furent dĂ©barquĂ©s, et sans attendre la colonne de terre, ils marchĂšrent de suite h la batterie et sâen emparĂšrent. Mais les Autrichiens revinrent avec des troupes fraĂźches, reprirent la batterie et forcĂšrent les grenadiers Ă regagner leurs bateaux. Lecourbe , apprenant cela et jugeant que son mouvement Ă©tait devenu inutile , abandonna les postes dont il sâĂ©tait emparĂ© et vint reprendre sa position entre la Sild et le lac de Lucerne. Câest surtout pour se rendre maĂźtre de la navigation que les bateaux armĂ©s sont utiles, et Ă cet Ă©gard ils peuvent rendre de grands services; c'est une chose Ă laquelle il faut penser dans les prĂ©paratifs de dĂ©fense, surtout dans un pays montagneux oĂč les communications sur les rives sont quelquefois trĂšs-difficiles. Les embarcations armĂ©es dont les Français se servirent sur le lac de Lucerne, Ă©taient de grands bateaux du pays, allant Ă la voile, pouvant porter cent cinquante Ă deux cents hommes, et armĂ©s de deux piĂšces de canon. Nous en avons retrouvĂ© les dessins, en 1851, lorsque nous songions Ă nous mĂ©nager de pareils moyens. Quand aprĂšs avoir disputĂ© pied h pied les hautes vallĂ©es, soit en prenant des positions successives, soit en manĆuvrant offensivement pour sĂ©parer les colonnes ennemies et les dĂ©tourner de leur but; quand, en un mot, on a Ă©puisĂ© tous les moyens de dĂ©fense que comportent les localitĂ©s, et quâon est obligĂ© dâabandonner le pays dâen haut *, il reste encore les vallĂ©es infĂ©rieures oĂč lâon peut se rassembler en plus grandes Je me sers Ă dessein de celte expression trĂšs-significative et fort usitĂ©e en Suisse, pour distinguer les liantes rĂ©gions de ce que, par opposition , on peut appeler le plat pays, bien que nulle part nous nâayons de plaines proprement dites. ^ mmm mt 0 sĂ©i»? SiS* lnWilm'ffl âą'00*//A>W5^ X'-vlĂŻ'zC'^i a* 155 mir MĂ^fi\riihr-. , vr 1 . '-J 1 > h \ LiM âą&32S2* âą' '' " l ^ >'' l i i ^%^ mĂȘtm mĂ©M DE LA DĂFENSE DES MOMTAGNES. 281 forces, et que par consĂ©quent on doit dĂ©fendre par des manĆuvres de concentration. LĂ , on peut livrer de vĂ©ritables batailles, et les derniers gradins des montagnes offrent encore assez dâaccidents pour quâune tactique habile puisse en profiter. Ces positions infĂ©rieures se prennent Ă lâembranchement de deux ou de plusieurs vallĂ©es principales , quand cette circonstance heureuse se prĂ©sente , ou au dĂ©bouchĂ© de lâune dâelles quand elle ne se rencontre pas. Ici, le dĂ©fenseur doit trouver de grands avantages par la facilitĂ© quâil a de se porter rapidement dâun dĂ©bouchĂ© Ă lâautre en suivant les lignes les plus courtes, tandis que lâennemi, profondĂ©ment engagĂ© dans les vallĂ©es dont il sâest rendu maĂźtre, ne peut changer de ligne dâopĂ©rations , ou seulement envoyer des renforts dâune de ses colonnes Ă la colonne voisine , sans faire de grands dĂ©tours en retournant en arriĂšre. Il est donc possible , lorsque celui-ci s'avance par plusieurs chemins , de se borner Ă retarder sa marche dans les vallĂ©es les moins ouvertes, pour aller Ă sa rencontre avec de plus grandes forces dans celle qui permet un dĂ©ploiement suffisant. AprĂšs lâavoir battu sur ce point, vous vous porterez rapidement sur le dĂ©bouchĂ© le plus voisin , oĂč il est dâautant plus probable que de nouveaux succĂšs vous attendent, que vous venez d en obtenir un plus Ă©clatant. AprĂšs cela, les autres colonnes n auront rien de mieux Ă faire que de se retirer promptement , si elles ne veulent pas avoir le mĂȘme sort que les premiĂšres. Supposons, par exemple, quâune armĂ©e de 30,000 hommes sâavance par trois vallĂ©es sur son point objectif M, qui est probablement la principale ville en dehors des montagnes fig. 28°. Les routes qui suivent ces vallĂ©es convergent sur * e point M, mais les deux premiĂšres Ă droite se rĂ©unissent avant dây arriver. LâarmĂ©e envahissante, pour sâassurer la possession de ces trois vallĂ©es, est obligĂ©e dây ĂȘtre Ă peu prĂšs Ă©gales forces ; elle aura donc environ 10,000 hommes dans chacune dâelles. Supposons, en second lieu, que les dĂ©- 282 DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. fenseurs ne soient quâau nombre Je 19,000. Ils ont pu jusque-lĂ ĂȘtre ou nâĂ©tre pas partagĂ©s egalement dans les trois vallĂ©es, suivant les besoins ; mais le moment est venu dâopĂ©rer une concentration dĂ©cisive. Trois mille hommes dans chaque vallĂ©e suffisent pour en arrĂȘter dix mille, ou du moins pour retarder notablement leur marche, en coupant les ponts, barrant les dĂ©lilĂ©s, prenant des positions de flanc, etc. Le gĂ©nĂ©ral laissera donc trois dĂ©tachements a, b, c, de cette force, dans les trois vallĂ©es, et il viendra avec un corps principal d, fort de 10,000 hommes environ, se poster au point de convergence des deux premiĂšres. Si la vallĂ©e de droite est la plus accessible, câest dans celle-lĂ qu'il doit porter les premiers coups. Il prĂ©viendra le commandant du dĂ©tachement b de ce quâil va faire, en lui enjoignant de nouveau de tenir ferme, et il marchera Ă la rencontre du dĂ©tachement a, se rĂ©unira Ă lui et livrera la bataille. Nous sommes ici 15,000 contre 10,000; la victoire ne peut pas ĂȘtre douteuse, quand dâailleurs nous avons su choisir un terrain favorable et y amener lâennemi. Si celui-ci se retire en Ă©vitant le combat, nous faisons sonner bien haut 'ce succĂšs apparent, mais nous nous gardons dâentamer une poursuite qui nous Ă©loignerait du point m, essentiel Ă garder nous hĂątons, au contraire, de venir reprendre notre premiĂšre position, pour manoeuvrer selon que les Ă©vĂ©nements le rĂ©clameront. Quand lâennemi, au contraire, sâest engagĂ© et a Ă©tĂ© battu une premiĂšre fois, on se contente de laisser le corps a Ă sa poursuite, et lâon court rejoindre le dĂ©tachement b, pour livrer avec la mĂȘme supĂ©rioritĂ© de forces une seconde bataille. ImmĂ©diatement aprĂšs, le corps principal cl va se rĂ©unir par le chemin de traverse mn Ă son troisiĂšme dĂ©tachement c, aprĂšs avoir Ă©galement laissĂ© le second b dans la vallĂ©e du milieu, pour y suivre ou y contenir lâennemi. Cette fois, lâarmĂ©e victorieuse poursuivra ses avantages; elle se mettra vivement Ă la poursuite du troisiĂšme corps ennemi, et dĂ©bordant ainsi les deux autres, elle les obligera Ă©galement Ă la retraite. DE LA DĂFENSE EES MONTAGNES. 283 On vient de reconnaĂźtre dans cet exemple lâavantage quâil y a Ă occuper lâembranchement ou le point de convergence de deux vallĂ©es. Câest que , dâune seule position , on observe et dĂ©fend les deux vallĂ©es par lâextrĂȘme facilitĂ© quâon a de se porter en forces de lâune dans lâantre. Mais cet avantage nâest rĂ©el, quâautant que les montagnes intermĂ©diaires sont encore assez abruptes pour que les deux colonnes ennemies ne puissent pas se lier et concerter leurs attaques. Si, au lieu de sâavancer par plusieurs vallĂ©es, comme nous lâavons supposĂ© plus haut, lâennemi marche par une seule pour pĂ©nĂ©trer dans lâintĂ©rieur du pays, ses forces, il est vrai, se trouveront rassemblĂ©es, mais lâespace lui manquera pour les dĂ©ployer; il en sera embarrassĂ©. On ne se laissera donc pas intimider par cette concentration, mais on attendra bravement lâennemi au dĂ©bouchĂ© de la vallĂ©e. On choisira sa position et son ordre de bataille de maniĂšre h envelopper le dĂ©filĂ© et Ă couvrir de feux les colonnes qui chercheraient Ă en sortir. Câest lĂ surtout qu'il faut dĂ©ployer de la fermetĂ© et de lâaudace, car si lâon est battu dans cette position enveloppante, on le sera Ă bien plus forte raison dans toute autre. Les bataillons se serreront et prĂ©senteront Ă lâennemi une muraille dâairain, contre laquelle tous ses efforts viendront se briser. Câest le cas de doubler les rangs * dans 1 Le doublement des rangs par divisions me parait Ă©minemment propre Ă la tactique suisse. Il est une foule de circonstances oĂč lâon pourrait lâemployer utilement. En faisant passer les divisions paires derriĂšre les divisions impaires , on forme comme une seconde ligne dont le major peut prendre le commandement. Dans les feux, cette seconde ligne se tient Ă une certaine distance, en se couvrant, autant que possible, des accidents du terrain ; elle dĂ©tache quelques hommes pour retirer les blessĂ©s. Dans les chocs, elle se rapproche et serre contre la premiĂšre ligne ; tous les serrc-filcs passent derriĂšre, et lâon a ainsi effectivement cinq rangs Ă opposer a lâennemi; on pourra donc marcher Ă lui dans lâordre dĂ©ployĂ©, sans perdre le temps Ă former les masses. Le bataillon, Ă©tant plus court et plus solide, marchera sans se dĂ©sunir, et son choc sera presque aussi redoutable que celui dâune colonne serrĂ©e. Toutes les ma- 284 DE LA DĂFENSE DES MONTACNES. les endroits trop accessibles, pour donner Ă la ligne de bataille plus de consistance. Chaque fois que lâennemi sera repoussĂ©, on se prĂ©cipitera sur lui Ă la baĂŻonnette pour augmenter son dĂ©sordre, mais on ne le poursuivra pas; on reprendra, au contraire, la position pour le recevoir encore de la mĂȘme maniĂšre sâil renouvelle son attaque. Lâartillerie croisera ses feux sur le dĂ©bouchĂ© ; elle tirera Ă extinction sans crainte dâexposer ses piĂšces ; câest lĂ quâelles doivent servir, ou jamais. La cavalerie, si faible quâelle soit, se jettera Ă bride-abattue sur les corps le plus Ă sa portĂ©e qui montreront de lâhĂ©sitation ou dans lesquels il se manifestera quelque dĂ©sordre. Elle a beau jeu, car lâennemi a de la peine Ă faire avancer la sienne, ainsi que son artillerie, sur le terrain Ă©troit quâil encombre plutĂŽt quâil ne lâoccupe. Enfin les chefs, dans cette circonstance, doivent enlever les troupes par leur exemple ; câest alors, sâils les voient flĂ©chir, que non-seulement il leur est permis de payer de leur personne, mais que le devoir les y oblige. Saisissant un drapeau, ils se portent en avant et forcent les moins braves Ă sây rallier. Le combat se ranime, les bataillons se massent, et, faisant de concert un dernier effort, ils culbutent lâennemi qui dĂ©jĂ se croyait maĂźtre du terrain, et le refoulent dans le dĂ©iilĂ©. Alors la confusion est extrĂȘme ; les corps se prĂ©cipitent les uns sur les autres pour Ă©chapper au danger; les bagages qui embarrassent la route sont jetĂ©s dans la riviĂšre ; tout fuit du mĂȘmeâ cĂŽtĂ©, câest Ă peine si une arriĂšre-garde parvient Ă se former pour rallentir un peu la poursuite du vainqueur. Les Russes furent reçus de cette maniĂšre au dĂ©bouchĂ© du Muttathal lorsquâils tentĂšrent de sâemparer de la plaine de Schwytz, occupĂ©e par lâaile droite de lâarmĂ©e française ; ni lâextrĂȘme bravoure quâils montrĂšrent dans celte occasion, ni lâopiniĂą- nĆuvres de ploiement, de dĂ©ploiement, peuvent dâailleurs se faire Ă rangs doublĂ©s, aussi bien que dans lâordre mince. Jâengage les militaires Ă porter leur attention sur ce point, et Ă se rappeler que câest en combattant dans lâordre profond, et par le choc, que les Suisses ont remportĂ© toutes leurs victoires. IE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. tretĂ© du fanatisme, ne purent triompher des obstacles que leur opposaient les localitĂ©s et les habiles dispositions de leurs adversaires. Communications .âCe qui prĂ©cĂšde montre clairement que de bonnes routes sont nĂ©cessaires pour la dĂ©fense dâun pays de montagnes ; sans de bonnes routes il serait impossible de se porter rapidement vers les endroits menacĂ©s, dâopĂ©rer la concentration des forces sur les points essentiels, et dâexĂ©cuter ces retours offensifs si propres Ă soutenir le moral des troupes et Ă jeter la perturbation chez lâennemi. On peut donc, contradictoirement Ă ce que lâon croit communĂ©ment, Ă©tablir en principe que de bonnes routes, bien loin de nuire Ă la dĂ©fense, lui sont au contraire favorables. Cela est Ă©vident pour celles qui courent parallĂšlement h la fronLiĂšre, puisque parleur moyen les corps dâobservations peuvent se porter Ă la rencontre les uns des autres et rĂ©unir leurs efforts contre lâennemi. Sans lâexistence de ces routes parallĂšles , lâattaquant aurait un immense avantage sur le dĂ©fenseur, en ce quâil lui serait facile de donner le change et dâappeler lâattention sur un point Ă©loignĂ© de celui par lequel il se propose de pĂ©nĂ©trer. Le dĂ©fenseur, trompĂ© par les apparences , se porterait sur la fausse attaque, et quand la vĂ©ritable serait dĂ©masquĂ©e il ne pourrait plus s'y opposer, parce que, faute de bonnes routes, il lui serait impossible dâarriver Ă temps. On accordera donc que la facilitĂ© des communications parallĂšles Ă la ligne de dĂ©fense est aussi favorable dans les montagnes, et plus peut-ĂȘtre, que dans les pays ouverts. Mais en est-il de mĂȘme pour les routes qui pĂ©nĂštrent dans lâintĂ©rieur ? L'opinion la plus rĂ©pandue est que les belles routes qui ont Ă©tĂ© ouvertes par le commerce pour traverser les grandes chaĂźnes de montagnes, compromettent la sĂ»retĂ© du pays. Cependant si lâon fait attention que, d'une part, il est trĂšs-important pour le dĂ©fenseur de pouvoir se porter avec une extrĂȘme promptitude sur les sommitĂ©s et les cols pour y 280 »E LA DĂFENSE DES MONTACNES. â arrĂȘter lâennemi, etque de lâautre, une armĂ©e attaquante a tous jes moyens de surmonter les difficultĂ©s quâun mauvais chemin oppose Ă sa marche, on comprendra quâune belle route nâa pas tous les inconvĂ©nients quâon lui suppose. Ce qui en fait le danger, ce nâest pas dâĂȘtre carrossable, câest seulement dâĂȘtre partout ouverte. Si elle Ă©tait fermĂ©e dans la partie la plus Ă©troite de la vallĂ©e par quelque fortin ou cluse , dĂ©robĂ© aux coups de lâartillerie ennemie , elle serait alors exclusivement Ă lâavantage de la dĂ©fense. Un chemin, si mauvais quâil soit, ne vaudra jamais ces fortins pour retarder la marche de lâennemi ; celui-ci ne mettra guĂšre plus de temps pour arriver au point culminant en gravissant la montagne par un chemin rapide et pierreux , quâen suivant une route large et bien ouverte. En effet, dans ce dernier cas, il ne lui est pas permis de sâavancer avec toute la vitesse que comporte un bon chemin ; il faut quâil sâarrĂȘte souvent pour donner Ă scs Ă©claireurs le temps de fouiller la vallĂ©e; il faut qu'il envoie des flanqueurs Ă droite et Ă gauche pour balayer les croupes des montagnes, tourner les bois, dĂ©couvrir les pĂąturages Ă©levĂ©s, etc. Tout cela lui prend beaucoup plus de temps que nâen exigerait le parcours du chemin, si mauvais quâil fĂ»t. Ainsi la grande roule ne lui donne rĂ©ellement dâautre facilitĂ© que de pouvoir conduire son artillerie avec moins de chevaux et moins de fatigue. Mais la guerre de montagnes se fait principalement avec de lâinfanterie; le peu de canons quâon a avec soi on parvient toujours Ă le transporter, car ce ne sont pas les bras qui manquent. On a fait passer par toute espĂšce de chemins, non-seulement des corps nombreux dâinfanterie, mais encore de la cavalerie et de lâartillerie. Souwarow au KinzJgkulm et au Panix, NapolĂ©on au Saint-bernard, Macdonald au SplĂŒgen, lâont prouvĂ©. Dâailleurs ce nâest pas le tout que de sâengager dans 1a vallĂ©e avec de lâartillerie, il faut en sortir pour sâĂ©tendre dans la plaine ; or, ce nâest pas la largeur du chemin qui changera rien Ă la difficultĂ© du dĂ©ploiement. Quelle que soit donc la nature des communications, la position de lâennemi DE LA DĂFENSE DES MONTAGNES. 287 rosie Ă peu prĂšs la mĂŽme sâil doit y rencontrer de la rĂ©sistance. Mais il nâen est pas de mĂȘme pour le dĂ©fenseur qui, par une heure de retard dans sa marche, peut se voir prĂ©venu sur les sommitĂ©s ou dans les positions essentielles h occuper. Ce nâest pas par une marche lente et prĂ©cautionneuse, câest h tire- dâaile quâil doit se porter sur les points menacĂ©s. DĂšs-lors la bonne ou la mauvaise qualitĂ© du chemin exerce une grande influence sur le succĂšs du mouvement. On a tellement senti que la vitesse est un des Ă©lĂ©ments essentiels dâune bonne dĂ©fense , que les idĂ©es se sont dĂ©jĂ portĂ©es sur les secours que les routes de fer, convenablement disposĂ©es , pourront offrir pour la dĂ©fense des Ătals. Si les mauvais chemins sont nuisibles, en ce sens quâils empĂȘchent de se porter en forces et dâarriver Ă temps sur les points attaquĂ©s, ils le sont encore davantage lorsquâil sâagit de quitter une position pour en aller prendre une autre. Lâartillerie reste en arriĂšre, les tirailleurs ennemis la harcĂšlent et inissent par sâen emparer. Et rien ne dĂ©courage autant une troupe que de perdre ses canons. 11 vaudrait mieux sâen passer que de sâexposer Ă cet accident; et cependant nous avons vu quâil est bon dâen avoir, tant pour se faire entendre quand on a besoin de secours, que pour en imposer Ă lâennemi. Donc, encore une fois, les bons chemins qui seuls rendent le transport de lâartillerie prompt et facile, sont nĂ©cessaires pour une bonne dĂ©fense, et si en les construisant on a soin dâĂ©tablir les chiscs dont nous avons parlĂ©, ces chemins, tout Ă lâavantage du pays en temps de paix , non-seulement nâauront plus rien de dangereux en temps de guerre, mais donneront au contraire la facilitĂ© de se rassembler en forces pour rejeter lâennemi hors des frontiĂšres. Les routes jouent donc un trĂšs-grand rĂŽle dans la dĂ©fense elle sera vive ou languissante selon que ces routes seront larges et faciles, ou quâelles offriront toutes les difficultĂ©s des chemins de montagnes ordinaires. Si donc on pouvait Ă©tablir, Ă priori, un systĂšme de communications en rapport avec la dĂ©- 288 1K LA DEFENSE DES MONTAGNES. fense dâune frontiĂšre montagneuse, siĂ©e systĂšme ne rĂ©sultait pas au contraire de la conformation des localitĂ©s, voici comment il conviendrait de le disposer Ă quatre ou cinq lieues en arriĂšre descrĂȘtes principales de la chaĂźne on Ă©tablirait une premiĂšre route parallĂšle Ă cette chaĂźne , qui en franchirait tous ' les contreforts et qui, croisant les routes perpendiculaires , permettrait de passer de lâune Ă lâautre selon le besoin. Toutes celles-ci seraient fermĂ©es par un fortin en maçonnerie dans lâendroit le plus propice, entre les sommitĂ©s de la chaĂźne cl la route parallĂšle. En arriĂšre de celle-ci, on en Ă©tablirait une seconde, au pied des montagnes et croisant les dĂ©bouchĂ©s de toutes les vallĂ©es. Au moyen de ce rĂ©seau de communications longitudinales et transversales , on pourrait donner h la dĂ©fense tout le degrĂ© dâactivitĂ© dont elle est susceptible. Mais si une telle disposition est purement spĂ©culative, sâil est impossible de lâadopter en entier, on peut du moins en saisir lâesprit et sâen rapprocher autant que les localitĂ©s le permettent, en profitant de toutes les circonstances qui sây prĂȘtent. Ainsi on Ă©largira des chemins trop Ă©troits; on adoucira leurs pentes ; on ouvrira des communications entre les vallĂ©es principales, au moyen des vallĂ©es secondaires; on construira des cluses pour fermer les chemins qui pĂ©nĂštrent dans le pays, etc. etc. VoilĂ ce qui est faisable, et ce quâon doit faire si lâon a Ă cĆur de maintenir son indĂ©pendance. RĂ©sumĂ© .â Le rĂ©sumĂ© de tout ce qui prĂ©cĂšde est que la guerre de montagnes doit offrir un caractĂšre particulier dâaudace et dâactivitĂ© ; que tout y dĂ©pend de la rapiditĂ© des mouvements et de lâart avec lequel on sait prendre lâinitiative, mĂȘme en se dĂ©fendant; que ce nâest pas en attaquant lâennemi dans ses positions quâon parvient Ă le dĂ©loger, mais en manĆuvrant pour le tourner; quâil faut, en se portant sur son flanc ou sur ses derriĂšres , lâobliger Ă venir lui-mĂȘme nous chercher et Ă combattre avec le dĂ©savantage du terrain ; en un mot, quâon doit, autant que possible, manĆuvrer offensivement et combattre dĂ©fensivement. 1>E DĂFENSE DES MONTAGNES. 38 ! Le connĂ©table de LesdiguiĂšres a le premier, dans les temps modernes, montrĂ© ce quâun gĂ©nĂ©ral habile et entreprenant peut faire avec une faible troupe dans un pays tel que les Alpes. Le duc de Rohan sâest Ă©galement distinguĂ© par sa belle dĂ©fense de la Valtcline en 1635. 11 eut lâhabiletĂ© de se placer dans le centre de la vallĂ©e, et dâempĂ©ehcr la jonction des corps ennemis qui arrivaient par le haut et par le bas. En profitant de la route qui lui Ă©tait ouverte pour manĆuvrer, et prenant de bonnes positions pour combattre, il dĂ©fit plusieurs de ces corps , et eut enfin tout lâhonneur de la campagne. Lâennemi se relira, et la petite armĂ©e du duc de Rohan prit ses quartiers dâhiver dans cette belle vallĂ©e quâelle avait si bien dĂ©fendue. La relation de la campagne de la Valtcline, consignĂ©e dans un petit volume , est trĂšs-instructive ; jâen conseille la lecture Ă nos jeunes ollicicrs. 1 ! CHAPITRE VL Des SiĂšges. Bien que la guerre des siĂšges ne soit pas celle Ă laquelle des ofliciers suisses puissent jamais ĂȘtre appelĂ©s, il est cependant bon quâils en aient une idĂ©e pour embrasser autant que possible, dans leurs Ă©tudes, lâensemble des opĂ©rations quâune armĂ©e active aurait Ă elfcctuer. Je serai donc bref, renvoyant aux traitĂ©s spĂ©ciaux ceux qui voudraient plus de dĂ©tails sur ce sujet. Le meilleur ouvrage h consulter est toujours celui de Vauban. * g i. - COMMENT ON COUVRE UN SIĂGE. Pendant quâune partie des corps qui composent lâarmĂ©e sont occupĂ©s a faire le siĂšge dâune place, il en est dâautres qui ont pour tĂąche de couvrir cette opĂ©ration et de repousser lâennemi quand il se prĂ©sente pour secourir la place. On donne le nom dâarmĂ©e dâobservation Ă celle qui couvre le siĂšge, et le nom dâarmĂ©e de secours h celle qui s'efforce de le faire lever, ou de jeter des secours dans la place. LâarmĂ©e de siĂšge est celle qui, sous la protection de lâarmĂ©e dâobservation, fait tous les travaux nĂ©cessaires pour prendre la place, tels que tranchĂ©es, batteries, etc. Celle-ci campe tout autour de la place assiĂ©gĂ©e et hors de la portĂ©e du canon; elle se fortifie dans ses camps, aussi bien contre les sorties de la garnison, que contre les at- ' TraitĂ© de la dĂ©fense des places, par Vauban, nouvelle Ă©dition , publiĂ©e avec lâautorisation du ministre de la guerre, par le gĂ©nĂ©ral ValasĂ©. TraitĂ© de lâattague , publiĂ© par le chef de bataillon du gĂ©nie, Augoyat. Paris, 1829. UES SIĂGES. 291 laques du dcliors. La marche quâelle doit suivre pour exĂ©cuter ses travaux et arriver Ă sâemparer de la place, est lixĂ©c par des rĂšgles que nous indiquerons dans lâarticle suivant. Nous parlerons dâabord de lâattitude que doit prendre lâarmĂ©e dâobservation chargĂ©e de couvrir le siĂšge, de la conduite quâelle doit tenir, soit pour empĂȘcher lâennemi de tomber par derriĂšre sur les camps dressĂ©s autour de la place, soit pour sâemparer des convois ou disperser les secours dirigĂ©s vers les assiĂ©gĂ©s. LâarmĂ©e dâobservation ne doit pas trop sâĂ©loigner de celle qui est chargĂ©e des travaux du siĂšge, afin quâau besoin elle puisse en tirer des renforts qui rentreront dans leurs camps aprĂšs lâaction. Ces secours, arrivantau moment opportun quand un combat est imminent ou dĂ©jĂ engage, seront prĂ©cieux cl contribueront puissamment Ă dĂ©faire ou Ă repousser lâennemi. Le gĂ©nĂ©ral Bonaparte, lorsquâil couvrait le siĂšge de Manloue, ne se borna pas Ă tirer quelques bataillons de lâarmĂ©e de siĂšge pour combattre les troupes nombreuses qui cherchaient Ă l'envelopper, il la lit marcher tout entiĂšre; et câest en rĂ©unissant ainsi lâarmĂ©e de siĂšge h lâarmĂ©e dâobservation quâil gagna la cĂ©lĂšbre bataille de Castiglionc. Ne pas trop sâĂ©loigner est encore nĂ©cessaire pour bien couvrir le siĂšge et empĂȘcher que lâennemi, dĂ©robant une marche, ne vous Ă©chappe et nâarrive inopinĂ©ment sur lâarmĂ©e de siĂšge qui nâest pas toujours, qui est mĂȘme rarement en Ă©tat de le âepousser. La consĂ©quence dâun tel Ă©vĂ©nement pourrait ĂȘtre la levĂ©e du siĂšge et la perle de lâartillerie et de tout le matĂ©riel. LâarmĂ©e dâobservation ne peut songer Ă rester en position et Ă se fortifier quâautant que la place nâest accessible que dâun S ml cĂŽtĂ©. Si lâennemi peut passer ailleurs ou arriver par plu. S eurs chemins, on doit les observer tous et conserver une tnassc centrale, qui bien loin de se liera des retranchements, se procurera par tous les moyens possibles le degrĂ© de mobilitĂ© qui lui est nĂ©cessaire ; ainsi elle ne traĂźnera avec elle que les bagages tout h fait indispensables; elle enverra aux camps DUS SIEGES. 1>92 de lâannĂ©e de siĂšge loul l'excĂ©dant avec les malades et les blessĂ©s; son artillerie sera bien attelĂ©e; les chemins par lesquels elle peut passer seront rĂ©parĂ©s ; enlin rien ne sera nĂ©gligĂ© pour assurer la rapiditĂ© des marches cl lâarrivĂ©e des masses sur les points menacĂ©s. Mais si le corps principal ne doit pas, dans la supposition que nous venons de faire, se couvrir de retranchements, les dĂ©tachements chargĂ©s de garder les avenues et dâobserver lâennemi ne se priveront pas de ce secours, quand le terrain le comportera ; il convient au contraire de fortifier les dĂ©fdĂ©s, les tĂȘtes de pont, pour donner Ă ces dĂ©tachements la possibilitĂ© de sâopposer Ă des forces supĂ©rieures, dâarrĂȘter mĂȘme momentanĂ©ment lâarmĂ©e ennemie tout entiĂšre. On ne doit pas craindre de sâĂ©clairer au loin et de pousser de temps Ă autre des reconnaissances pour savoir ce que fait lâennemi et dĂ©couvrir ses projets. Le voit-on concentrer ses forces, on est menacĂ© dâune attaque, et lâon doit prendre ses mesures en consĂ©quence; rassemblc-l-il des voitures, des approvisionnements, il veut essayer de jeter un secours dans la place; on en prĂ©vient lâannĂ©e de siĂšge qui se tiendra sur ses gardes, et lâon se prĂ©pare Ă enlever le convoi, ou du moins Ă l'empĂȘcher de passer. Si plusieurs routes conduisent des positions quâoccupe lâennemi Ă la ville assiĂ©gĂ©e, on se met Ă cheval sur celle du milieu , et lâon dĂ©fend les autres indirectement par la crainte quâon inspire Ă l'ennemi de sâv engager en prĂȘtant le flanc Ă vos forces rĂ©unies. Ainsi donc ici, comme dans tout autre cas de la dĂ©fensive, il faut se garder de la dissĂ©mination qui est une cause inĂ©vitable dâĂ©checs partiels, ou de ruine totale. Quand lâennemi a dĂ©masquĂ© ses projets, marchez Ă sa rencontre et abordez-le avec rĂ©solution, quelle que soit sa force ce nâest pas le moment de compter les combattants. Cependant le bruit du canon , les estafettes, les oflicicrs dâordonnance ont prĂ©venu lâarmĂ©e de siĂšge de ce qui se passe. Son commandant met sous les armes tout ce qui lui reste de dis- Mi S SI KG ISS. Ăą}> pĂ©nible aprĂšs avoir pourvu largement Ă la garde des tranchĂ©es, et pris les dispositions nĂ©cessaires pour repousser les sorties de la place, / _ â ailles et plus Ă craindre dans ce moment dĂ©cisif que dans tout antre. Les troupes dĂ©signĂ©es pour prendre part Ă lâaction partent sans diffĂ©rer; en arrivant sur le champ de bataille elles se mettent en ligne , ou se placent en rĂ©serve , ou se prĂ©cipitent sur le liane et sur les derriĂšres de lâennemi, suivant la position respective des corps qui sont aux prises. Rien ne peut contribuer plus puissamment au gain d'une que lâarrivĂ©e dâun pareil renfort, au moment oĂč elle 'St vivement disputĂ©e. Câest un semblable secours qui valut il nos pĂšres le gain de la bataille de Sempaeh. Câest lâapparition soudaine de la division Desaix qui ramena la victoire dans les rangs de lâarmĂ©e française Ă Marengo. Si, malgrĂ© le secours que lâarmĂ©e de siĂšge peut donner h lâarmĂ©e dâobservation, celle-ci est obligĂ©e de cĂ©der le terrain, elle doit tĂącher de se retirer en ordre et dâaller se poster Ă peu de distance du champ de bataille, pour inquiĂ©ter lâadversaire et lâempĂ©cher de se jeter avec toutes ses forces sur les lignes du siĂšge, en lâobligeant Ă faire un dĂ©tachement pour couvrir sa nouvelle position. Pendant ce temps lâarmĂ©e dâobservation se rĂ©organise, elle rappelle tout ce quâelle a de troupes Ă©loignĂ©es, et si elle se sent en force elle marche de nouveau contre lâarmĂ©e de secours arrĂȘtĂ©e par les retranchements des camps quâelle doit forcer pour parvenir jus- M'tâĂ la forteresse. Alors, sâil y a de lâopiniĂątretĂ© de paĂźt et dâautre , peut se prĂ©senter cette singuliĂšre situation de deux armĂ©es Ă la fois assiĂ©geantes et assiĂ©gĂ©es. Voici lâexemple dâun lait analogue tirĂ© des mĂ©moires historiques sur la maison de Savoie, par le marquis de Costa llm llhtO, le prince Thomas de Savoie et les Espagnols tenaient la ville de Turin dont h> citadelle Ă©tait dĂ©fendue par une garnison française. Au cotn- n >eneement de mai, le comte dâHarcourt, cĂ©lĂšbre par son courage et scs talents militaires, vint mettre le siĂšge devant ht place; mais, Ă peine est-elle investie, que le marquis de 294 DES SIĂGES, LĂ©nages survint avec de trĂšs-grandes forces pour le bloquer lui-mĂȘme dans ses lignes. Turin, investi de la sorte, prĂ©sentait lâaspect singulier dâune citadelle assiĂ©gĂ©e par la ville , de la ville assiĂ©gĂ©e par une armĂ©e française, et de celle-ci enveloppĂ©e par une armĂ©e espagnole. Dans cette position, le prince de Savoie pouvait correspondre avec LĂ©nages par le moyen de bombes sans fusĂ©es, dans lesquelles on renfermait des lettres. On lit usage du mĂȘme moyen pour introduire dans la ville un peu do sel et des mĂ©dicaments, dont la disette Ă©tait trĂšs- grande. Lecomte dâIIarcourt, obligĂ© de se dĂ©fendre des sorties continuelles que faisait le prince Thomas, et des attaques rĂ©itĂ©rĂ©es de lâarmĂ©e espagnole, sâentoura de doubles lignes qui le garantirent des unes et des autres. Enfin , aprĂšs quatre mois et demi de siĂšge, aprĂšs avoir endurĂ© dans son camp toutes les privations, il força la ville Ă capituler. Le prince en sortit avec les honneurs de la guerre, et lâarmĂ©e espagnole se retira. » Supposons que lâarmĂ©e dâobservation nâait pas pu rĂ©sister Ă lâarmĂ©e de secours, et que celle-ci se soit immĂ©diatement jetĂ©e sur les lignes elles ait forcĂ©es h cause de leur grand dĂ©veloppement; il faudra sans doute, dans cette circonstance malheureuse, lever le siĂšge; mais tout ne sera pas perdu pour cela. Ralliant les dĂ©bris des deux armĂ©es qui sĂ©parĂ©es nâont pu rĂ©sister, on en formera une plus forte et qui bientĂŽt sera en Ă©tat de livrer une nouvelle bataille. Si lâennemi, craignant de se compromettre, reste dans les murs de la place, on ne lui pourra rien , mais un trop grand nombre de bouches Ă©puise promptement les approvisionnements, et la place ne larde pas Ă capituler faute de vivres. On retrouve alors tout ce quâon a perdu dans la prĂ©cĂ©dente affaire, et en mĂȘme temps on vient Ă bout de l'entreprise sans effusion de sang, ce qui est toujours dâun grand prix aux yeux du chef qui aime ses soldats et qui est avare de leurs vies. Si, au contraire, lâennemi ne craint pas de sâaventurer, sâil tient campagne pour Ă©viter dâĂȘtre serrĂ© de trop prĂšs, alors, des siĂšges. 295 on est h deux de jeu, on livre de nouveaux combats, et lâon cherche, par des succĂšs partiels ou par le gain de la bataille quand lâennemi lâaccepte , Ă se replacer dans la situation premiĂšre, câest-Ă -dire dans la situation dâune armĂ©e qui en assiĂšge ou qui en bloque une autre. Si enfin lâennemi partage ses forces, quâil en laisse une partie dans la place pour la dĂ©fendre , et quâavec le reste il tienne campagne, votre position sâamĂ©liore, parce que la possibilitĂ© vous est offerte de sĂ©parer de la place le corps qui en est sorti. Il faut pour cela tĂącher de vous placer entre deux par une marche de nuit et prendre si bien vos mesures., que l'attaque soit simullanĂ©e'sur tous les points, pour que le corps ennemi soit battu, dispersĂ© ou fait prisonnier, avant quâil puisse recevoir des secours de la place. Ainsi le marĂ©chal Soult au siĂšge de Badajos , ayant affaire Ă une armĂ©e plus forte que la sienne, sut profiter habilement dâune occasion qui se prĂ©senta de rĂ©tablir lâĂ©quilibre. Dix mille Espagnols, afin dâĂ©viter lâencombrement, sortirent de Badajos pour aller camper sur des hauteurs sĂ©parĂ©es de lâarmĂ©e française par la Guadiana et couvertes parla Gebora. On lira dâabord du camp français sur le camp espagnol avec des obusiers Ă longue portĂ©e , afin de lâĂ©loigner le plus possible des premiers ouvrages de la place dont il Ă©tait sĂ©parĂ© par un vallon de 000 toises de largeur. Une heure avant le jour le passage de la Guadiana sâeffectue sur des bateaux; on passe Ă guĂ© le torrent de la Gebora , et pendant que le marĂ©chal Mortier dirige une attaque de front sur les hauteurs et envoie sa cavalerie pour les tourner par sa droite, deux Ă trois mille hommes d'infanterie se placent dans le vallon entre la forteresse et le camp, et, faisant face des deux cĂŽtĂ©s, coupent ainsi toute communication. Un succĂšs complet couronna dâaussi belles dispositions. Huit mille Espagnols mirent bas les armes , cinq ou six cents furent tuĂ©s, le reste parvint Ă sâĂ©chapper. Tel fut le brillant combat de la Gebora, livrĂ© le 19 fĂ©vrier 1811 . ' 'f'Hcloircs cl ConquĂȘtes. DES SIĂGES. 20G § 2. â Travaux et OpĂ©rations du SiĂšge. DĂšs que lâarmĂ©e de siĂšge arrive devant la place, elle en fait lâinvestissement , c'est-Ă -dire qu'elle intercepte toute communication delĂ campagne avec la ville, en occupant par des postes plus ou moins forts, non-seulement les diverses avenues, mais encore leurs intervalles. Elle Ă©tablit ses camps tout autour de la place h une assez grande distance pour nâĂštre pas inquiĂ©tĂ©e par les boulets ennemis. Pour lâĂ©tablissement de ces camps, on choisit dans la vaste circonfĂ©rence quâon occupe les emplacements les plus propices, sous le point de vue militaire et sous celui de la salubritĂ© et de la commoditĂ©. Les camps Ă©tant situĂ©s h environ 3,000 mĂštres de la place câest la grande portĂ©e du canon prĂ©sentent un dĂ©veloppement de cinq Ă six lieues et quelquefois davantage; ils sont donc dans un Ă©tat de faiblesse qui compromet leur existence dans le cas oĂč un secours , Ă©chappant h lâarmĂ©e dâobservation , viendrait inopinĂ©ment les assaillir, qui mĂȘme les expose aux entreprises de la garnison, pour peu que celle-ci soit de force Ă tenter un coup de main. Il faut donc avoir recours Ă la fortification pour assurer ces camps contre les entreprises de lâennemi on les entoure de deux lignes de retranchements; lâune faisant face Ă la campagne se nomme la ligne de circonvallation, lâautre qui est tournĂ©e contre la ville est la ligne de contrevallation. Quelquefois ces lignes sont continues dans tout leur dĂ©veloppement, dâautres fois elles se rĂ©duisent Ă quelques fortins Ă©levĂ©s sur les positions les plus favorables. On ne peut rien Ă©tablir de fixe Ă cet Ă©gard ; les localitĂ©s et les circonstances dans lesquelles on se trouve , dictent au chef de lâarmĂ©e et au commandant du gĂ©nie ce quâil y a de mieux Ă faire. Mais on peut dire, en gĂ©nĂ©ral, que la ligue de circonvallation , ayant plus dâimportance que celle de contrevallation, attendu quâon a plus Ă redouter les attaques de lâarmĂ©e de secours que les sorties de la garnison, est aussi construite avec plus de soins; DES SIĂGES. 297 la derniĂšre nâest ordinairement composĂ©e que de quelques ouvrages dĂ©tachĂ©s, Ă©levĂ©s sur les parties les plus accessibles. , dans lâĂ©tablissement de ces lignes, de tous les accidents du terrain pour en diminuer lâimmense dĂ©veloppement. On y remplace avec avantage les parapets en terre par des abatis, des inondations, etc. CĂ©sar, luisant le siĂšge dâAlesia, avait Ă rĂ©sister Ă deux armĂ©es, chacune plus forte que la sienne, lâune dans la ville , lâautre au dehors. En consĂ©quence, il entoura ses camps des deux lignes de circonvallation et de contrevallation. 11 mit un soin extraordinaire dans la construction de ces retranchements, et lâon donne encore comme modĂšle tout ce quâil lit en celte circonstance *. Lâintervalle entre les deux lignes doit ĂȘtre sullisant, non- seulement pour lâĂ©tablissement des camps, mais encore pour permettre aux bataillons de se mouvoir en diffĂ©rents sens. Il faut pour cela un intervalle de 500 h 000 mĂštres. Les trois mille mĂštres qui doivent exister entre le camp et la place, se mesurent du milieu de cet intervalle. Quand les diffĂ©rents camps ou quartiers de l'armĂ©e , sont sĂ©parĂ©s par des riviĂšres, il faut avoir lâattention de jeter plusieurs ponts sur chaque cours dâeau pour assurer, autant que possible, les communications dâun quartier Ăą lâautre. Sans cette prĂ©caution, lâennemi pourrait attaquer dâun cĂŽtĂ© pendant que de lâautre une portion de lâarmĂ©e resterait spectatrice du combat, sans pouvoir veânir au secours des troupes engagĂ©es. On ne commence pas les travaux du siĂšge avant de sâĂŽtre approvisionnĂ© de tout ce qui est nĂ©cessaire, alin que si lâarmĂ©e de secours venait Ă couper les arrivages , le siĂšge ne fĂ»t pas Pour cela arrĂȘtĂ©. On conçoit que si on est maĂźtre de la campagne au point de nâavoir rien de semblable Ă redouter, on Peut se relĂącher en quelque chose de la sĂ©vĂ©ritĂ© de la rĂšgle, Pour hĂąter lâouverture des travaux ; mais toujours faut-il at- l ondre dâĂȘtre assez abondamment pourvu de toutes choses , â Voyez les Commentaires de CĂ©sar, liv. Vil. 298 DES SIĂGES. pour que les travaux une fois commencĂ©s ne languissent pas. Les approvisionnements de fascines , de gabions, de bois de toute espĂšce, se font dans les forĂȘts les plus voisines ; quelquefois on est obligĂ© de les faire venir de plusieurs lieues Ă la ronde. On met tous ces objets, par tas sĂ©parĂ©s et bien arrangĂ©s, dans des endroits couverts des vues de la place et hors de la portĂ©e de la bombe. On les nomme dĂ©pĂŽts de tranchĂ©e. Quand on sâest pourvu de tout ce qui est nĂ©cessaire pour commencer les travaux et pour pouvoir les pousser avec activitĂ© et sans discontinuitĂ©, on ouvre la tranchĂ©e contre la partie de la place qui, en raison des reconnaissances que les ingĂ©nieurs en ont faites, et Ă lâaide des plans existants, est jugĂ©e la plus faible. Câest ordinairement celle qui est dominĂ©e, dont les ouvrages principaux sont ricochablcs, quâon peut envelopper facilement, etc. Ainsi les parties basses et saillantes sont des parties dâattaque. Lâouverture delĂ tranchĂ©e se fait de nuit, hors de la portĂ©e de mitraille ; on Ă©tablit une premiĂšre ligne dont la distance aux ouvrages les plus avancĂ©s de la place peut varier de 300 Ă 000 mĂštres, suivant lâimportance de cette place et ce quâon a h craindre de la garnison. Câest la premiĂšre parallĂšle *. Elle enveloppe la totalitĂ© des ouvrages qui ont quelque prise sur les points quâon veut attaquer. On la trace parallĂšlement, ou h peu prĂšs parallĂšlement aux fortifications de la place ; de lĂ le nom quâon lui a donnĂ©. On lâappelle aussi place dâarmes, parce que câest dans cette ligne, ainsi que dans celles qui lui succĂšdent, que lâon place les troupes armĂ©es, ou gardes de tranchĂ©e, destinĂ©es Ă protĂ©ger les travailleurs contre les sorties de la garnison. Les parallĂšles et les boyaux de communication constituent ce quâon appelle en gĂ©nĂ©ral les tranchĂ©es. Toutes les tranchĂ©es sont creusĂ©es en terre dâenviron un mĂštre ; mais leur largeur dans les diffĂ©rentes parties varient suivant les besoins. Les terres provenant des fouilles sont relevĂ©es en forme de parapets du cĂŽtĂ© de la place. Voyez le MĂ©morial pour les travaux de guerre, cliap. XII. DES SIĂGES. 299 De la premiĂšre parallĂšle ou place dâarmes, on communique avec les dĂ©pĂŽts de tranchĂ©e par des boyaux en zig-zag, Ă dĂ©faut de chemins creux ou de rideaux naturels. Ces communications en arriĂšre sâĂ©tablissent, en mĂȘme temps que la parallĂšle, dĂšs la premiĂšre nuit. On sâavance ensuite de la premiĂšre parallĂšle contre la place par dâautres boyaux quâon dirige en zig-zag sur les saillants, de maniĂšre' Ă Ă©viter l'enfilade des ouvrages latĂ©raux. Chaque cheminement fait de la sorte sâappelle une attaque; il y en a autant que dâouvrages Ă prendre; ainsi il y aura trois attaques si on chemine sur les saillants de deux demi-lunes cl du bastion intermĂ©diaire. Quand les attaques sont arrivĂ©es Ă peu prĂšs Ă la moitiĂ© de la distance de la premiĂšre parrallĂšle Ă la place, si lâon allait plus avant les travailleurs se trouveraient plus prĂšs des assiĂ©gĂ©s que des gardes de tranchĂ©e, et seraient par consĂ©quent trĂšs-compromis ; câest pourquoi on Ă©tablit h cette distance une seconde parallĂšle qui, ainsi que la premiĂšre, enveloppe tous les ouvrages et lie entre elles les diverses attaques. On transporte les gardes de tranchĂ©e de la premiĂšre Ă la seconde parallĂšle, lorsque celle-ci est terminĂ©e ; on sâavance ensuite jusquâĂ une soixantaine de mĂštres des saillants des chemins couverts, et lĂ on Ă©tablit une troisiĂšme et derniĂšre parallĂšle. On supprime la seconde parallĂšle lorsquâon a cru devoir ouvrir la tranchĂ©e Ă 500 mĂštres seulement, et on la remplace par ce quâon appelle des demi-places dâarmes, qui sont des portions de parallĂšles propres Ă recevoir quelques petits postes. La suppression de la seconde parallĂšle rĂ©sultant de la restriction de lâintervalle quâon laisse ordinairement entre la premiĂšre parallĂšle et les ouvrages de la place, simplifie et abrĂšge les tra- 'aux du siĂšge. Lâattaque de la citadelle dâAnvers oflre un exemple rĂ©cent de celte suppression quâon adoptera probablement Ă lâavenir, toutes les fois que la force de la garnison nâobligera pas Ă des prĂ©cautions extraordinaires. Câest en avant des parallĂšles, ou dans les parallĂšles elles- hiemcs, que lâartillerie Ă©tablit les batteries au moyen des- TliS S1ĂGIĂS. 300 quelles elle ricoche ou prend dâenlilade les laces des ouvrages qui ont vue sur les attaques. Câest sous la puissante protection de cette arme que lâon parvient Ă sâapprocher, sans de trop grands risques, des ouvrages quâelle balaye et chaude sans discontinuitĂ©. Ses projectiles dĂ©molissent les embrasures, labourent les remparts, en sorte que le canon de lâassiĂ©gĂ© est rĂ©duit au silence, et que les diverses piĂšces do la fortilieation restent presque dĂ©sertes. Un construit Ă la sape ' sur les glacis, certains ouvrages qui vous conduisent au bord du chemin couvert et vous en rendent dĂ©finitivement maĂźtres ; alors on Ă©tablit dans le couronnement du chemin couvert, câest-Ă -dire dans la tranchĂ©e qui eu suit le contour, des batteries pour dĂ©molir les lianes des bastions quâon dĂ©couvre depuis là » et pour l'aire des brĂšches Ă lâescarpe au moyen desquelles on puisse pĂ©nĂ©trer dans la place. Les batteries qui soĂ»l dirigĂ©es contre les lianes des bastions collatĂ©raux Ă celui quâon attaque, se nomment contre-batteries, parce que leur objet est de rĂ©duire au silence, de combattre le canon de ces flancs. Les batteries qui sont destinĂ©es Ă renverser les escarpes ont reçu le nom de batteries de brĂšche. On ne donne lâassaut que lorsque la brĂšche a Ă©tĂ© rendue bien praticable par le renversement du parapet sur les dĂ©bris de murailles, et seulement aprĂšs avoir ouvert une galerie pour descendre dans le fossĂ©, et avoir pratiquĂ© au travers de celui-ci un bon Ă©paulemenl joignant le pied de la brĂšche. Les troupes commandĂ©es pour lâassaut se tiennent par dĂ©tachements dans le fossĂ©, dans le couronnement du chemin couvert et dans la troisiĂšme parallĂšle. Ces dĂ©tachements sont des- â La sapa est un moyen de construire les tranchĂ©es, lent en apparence, mais qui, se poursuivant la nuit comme le jour sans discontinuitĂ©, fait en peu de temps dâassez grands progrĂšs. Ce travail cstexĂ©cutĂ©par Icssaneurs, qui roulent devant eux un manteletouuu gros gabion farci de laine ou de fascines pour se mettre Ă lâabri des arquebusades. Ils remplissent ainsi un gabion aprĂšs lâautre, et ne poussent en avant que lorsquâils ont bien consolidĂ© la portion de tranchĂ©e dĂ©jĂ faite. DES SIĂGES. 501 tincs Ă se soutenir cl Ă se prĂȘter main-forte ; an signal convenu, le premier monte sur la brĂšche, en repousse les dĂ©fenseurs et cherche Ă s'Ă©tablir solidement sur le haut, en construisant avec des gabions ce quâon appelle un nid-de-pie; câest un petit retranchement qui couronne la brĂšche et h lâabri duquel les soldats quâon y place font feu sur tout ce qui se prĂ©sente. Les sapeurs sont chargĂ©s de celte construction; Ă cet effet ils accompagnent en nombre suffisant les troupes de lâassaut, armĂ©s chacun dâune pelle et dâune pioche, etportant un gabion. Le second dĂ©tachement appuie le premier pour enlever la brĂšche ; il le relĂšve si la lutte est opiniĂątre. Le troisiĂšme borde les tranchĂ©es sur le glacis, et de lĂ il balaye les parapets et surtout le haut de la brĂšche,.tant quâil y a de la rĂ©sistance; mais on aura eu soin, avant dâen venir aux mains, de faciliter lâassaut en dirigeant sur lâouvrage attaquĂ© autant de piĂšces que possible. Quand le combat commence, le canon doit se taire puisquâil tirerait indistinctement sur les assaillants et sur les dĂ©fenseurs. Souvent la prise des premiers ouvrages amĂšne la reddition de la place ; quelquefois leur rĂ©sistance nâest que le prĂ©lude dâune dĂ©fense opiniĂątre oĂč il faudra arracher piĂšce Ă piĂšce toutes les fortifications de lâassiĂ©gĂ©. Quelquefois encore la possession des remparts ne met-elle pas fin aux combats, et se voit-on dans la nĂ©cessitĂ© de disputer les rues, les maisons mĂȘmes, Ă de courageux citoyens qui savent faire le sacrifice de leurs propriĂ©tĂ©s Ă lâhonneur et Ă lâindĂ©pendance du pays. La dĂ©fense de Sarragosse, en 1808, peut ĂȘtre placĂ©e Ă cĂŽtĂ© de tout ce que lâhistoire offre de plus hĂ©roĂŻque et de plus digne de lâadmiration des peuples. Les Espagnols, aprĂšs avoir perdu leurs fortifications, soutinrent encore pendant vingt-trois jours une guerre de maisons des plus acharnĂ©es. Us nâavaient plus de poudre quand ils capitulĂšrent. Leur perte f ut Ă©norme; on lâa Ă©valuĂ©e Ă 54,000 individus de tout Ăąge et de tout sexe. 502 I>ES SIĂGES. § 3. â Comment on dĂ©fend les approches dâune Forteresse. DĂšs qu'une forteresse est menacĂ©e par les armĂ©es ennemies on la dĂ©clare en Ă©tat de siĂšge, et, dĂšs ce moment, tout est soumis Ă lâautoritĂ© militaire. On se hĂąte de faire entrer dans la place tout ce que les environs peuvent fournir en bois, fascines, gabions, aussi bien quâen bestiaux, en blĂ©s, en comestibles de tout genre. On renvoyĂ© les gens sans aveu, toutes les bouches inutiles, et lâon ordonne aux habitants qui restent dans la ville de sâapprovisionner de farine, de lĂ©gumes secs, dâhuile, de viande salĂ©e, etc., pour plusieurs mois, alin de nâĂȘtre pas obligĂ© de partager avec eux les approvisionnements de la garnison. On met la place en Ă©tat de dĂ©fense, en armant et rĂ©parant les fortifications, plantant les palissades, nettoyant et dĂ©sencombrant les communications, etc. Quand la garnison est assez nombreuse, et câest le cas que nous supposerons, elle se garde bien de se renfermer en totalitĂ© dans la place; elle fait, au contraire, tous ses efforts pour en disputer les approches. On prend donc position en avant des faubourgs, et bien loin de les dĂ©molir, comme il faudrait le faire si la garnison moins nombreuse devait dĂšs le dĂ©but se renfermer dans la place, on les couvre par des retranchements, dans le double but de les garantir et de se mĂ©nager en arriĂšre le plus dâespace quâil est possible. On met ainsi la ville Ă lâabri des projectiles incendiaires, et l'on profite de tout ce que le terrain dont on reste maĂźtre peut offrir en fruits, lĂ©gumes, blĂ©s et fourrages. Les hommes et les chevaux qui ne sont point entassĂ©s se conservent en santĂ© ; l'altitude que tient la troupe chasse la crainte des cĆurs et soutient le courage. En respectant ainsi les habitations des faubourgs on se mĂ©nage la chance de les conserver, soit que lâennemi nâattaque pas de ce cĂŽtĂ©, soit quâon parvienne Ă le repousser ; et si elles DES SIĂGES. 30 3 ont Ă souffrir, le mal ne sera jamais si grand que si on les eĂ»t dĂ©molies radicalement Ă l'approche de lâennemi. On sâĂ©pargne donc une mesure cruelle, dâune exĂ©cution toujours difficile; on sâattache les habitants en leur montrant lâintention de conserver leurs propriĂ©tĂ©s ; on les engage mĂȘme ainsi Ă travailler de leurs bras aux ouvrages qui protĂ©geront leurs demeures. Outre les retranchements prĂ©cĂ©dents, on construit sur tous les points les plus avantageux de solides redoutes ou fortins, on ferme les passages trop exposĂ©s par des abatis ou des coupures, on perce des crĂ©neaux aux murailles et Ă tous les Ă©tages des maisons qui peuvent prĂȘter quelquâappui, on ne nĂ©glige, en un mot, aucun moyen dâaugmenter la force des positions extĂ©rieures. Sur un champ de bataille ainsi prĂ©parĂ© on peut espĂ©rer de faire une longue rĂ©sistance, disputer le terrain pied Ă pied, et faire Ă©prouver Ă lâattaquant de grandes pertes avant quâil puisse ouvrir la tranchĂ©e devant la place, et commencer les travaux ordinaires dâun siĂšge. Aussi nâcst-ce quâaprĂšs des attaques souvent rĂ©pĂ©tĂ©es et bravement soutenues que lâennemi, par sa supĂ©rioritĂ© numĂ©rique et par la facilitĂ© quâil a de rĂ©parer scs pertes, vient Ă bout de se rendre maĂźtre de quelques ouvrages ou des premiĂšres maisons des faubourgs. Il doit lui-mĂȘme remuer de la terre pour se mettre il lâabri des entreprises hardies dâune garnison valeureuse, ou sâassurer la possession de ce quâil tient. De nouveaux combats lâattendent; chaque pouce de terrain lui sera vendu chĂšrement. Peut-ĂȘtre se rebutera-t-il de tant de rĂ©sistance. Peut-ĂȘtre ^ue pendant la durĂ©e de la lutte, des Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs de politique ou de guerre, de ces retours de fortune dont lâhistoire ollrc tant dâexemples, viendront vous tirer de lâĂ©tat alarmant quoique glorieux dans lequel vous commencez Ă v °ns trouver. Telles sont du moins les chances que court celui qui i ie se dĂ©courage pas et qui sait, avec une fermetĂ© inĂ©branlable, persĂ©vĂ©rer daus sa rĂ©sistance. Aucun motif ne 501 nus SIEGES. peut engager un gĂ©nĂ©ral qui se trouve Ă la tĂšte ES SIĂGES. arriver aux tranchĂ©es elles sont longtemps exposĂ©es aux feux les batteries et des places dâarmes; c'est pourquoi on nâentreprend guĂšre de sorties que contre la derniĂšre parallĂšle et les ouvrages qui lâavoisinent. Cependant si lâon peut dĂ©couvrir le moment de lâouverture de la tranchĂ©e, il faut le saisir pour opĂ©rer une grande sortie qui mette en dĂ©route les travailleurs elles force h remettre lâopĂ©ration Ă la nuit suivante. Connaissant alors lâemplacement des premiĂšres tranchĂ©es, ori y dirigera toute lâartillerie dont le feu continuel rendra les travaux trĂšs-pĂ©rilleux, mĂȘme pendant les tĂ©nĂšbres. La grande sortie sâest faite de nuit, ce qui est contraire Ă la rĂšgle gĂ©nĂ©rale ; mais dans ce cas il y a peu dâinconvĂ©nients, parce que lâennemi nâest pas encore Ă©tabli; quand une fois il sâest reconnu, quâil a Ă©bauchĂ© scs ouvrages, il vaut mieux lâattaquer Ă la pointe du jour pour Ă©viter que les divers dĂ©tachements, qui prennent part Ă la sortie et qui dĂ©bouchent simultanĂ©ment de dilfĂ©rents points du chemin couvert, ne viennent h se charger ou ii faire feu les uns sur les autres dans lâobscuritĂ©. AussitĂŽt que les troupes sont parvenues Ă repousser les gardes de tranchĂ©e, les travailleurs se hĂątent de renverser les gabions, de dĂ©truire les Ă©paulements, etc. ; ils nâont ordinairement que trĂšs-peu de temps pour celte opĂ©ration, parce que lâassiĂ©geant ne tarde pas Ă revenir en forces et Ă repousser la sortie dans la place. La cavalerie prend part quelque- lois aux grandes sorties, et lâartillerie de la place les soutient de son feu, autant que le mouvement des troupes le lui permet. Quand une fois la derniĂšre parallĂšle est solidement Ă©tablie et armĂ©e, il faut renoncer aux grandes sorties qui nâauraient 'lue de faibles chances de rĂ©ussite ; on Se contente alors dâen- v °yer, comme il a Ă©tĂ© dit, des dĂ©tachements de dix Ă douze l'onimcs, qui se jetant sur les travaillleurs les plus avancĂ©s, les mettent en fuite et se retirent dĂšs quâils Ă©prouvent de la rĂ©sistance ; câest pour effrayer les travailleurs, interrompre la sape, bien plus que pour tuer des hommes Ă lâennemi, quâon lus envoyĂ©. AprĂšs chaque alerte lâassiĂ©geant a beaucoup de 20 DES SIĂGES. 306 peine, surtout lu nuit, Ă rassembler ses travailleurs, en sorte que lâattaque languit souvent le jour paraĂźt, quâun ouvrage trop imparfait doit ĂȘtre abandonnĂ© pour nâĂ©tre repris que la nuit suivante. Les contrcmines, ou mines dĂ©fensives, sont le moyen le plus puissant de prolonger la durĂ©e dâun siĂšge, parce quâelles forcent lâattaquant Ă des travaux qui, de leur nature, demandent beaucoup de temps pour ĂȘtre accomplis; aussi dĂšs que le front dâattaque est connu, prĂ©pare-t-on sous le glacis des fourneaux de mine, qui menaçant de faire sauter les batteries de lâassiĂ©geant, contraignent celui-ci Ă cheminer aussi sous terre. Toutefois il est nĂ©cessaire, pour faire usage de ce moyen, que la place soit munie dâun systĂšme de galeries qui per- mettent de sâavancer sous le glacis et de prĂ©parer dâavance les fourneaux de mine. Lorsquâelle en est dĂ©pourvue, on ne peut que pratiquer aux saillants de la forlilication quelques fougasses, ou petites mines, qui sont loin de produire au physique et au moral le mĂȘme effet que les mines proprement dites. Le dĂ©fenseur a, dans la guerre souterraine, un grand avantage sur lâattaquant, parce quâil lâattend dans des galeries toutes prĂ©parĂ©es; quâainsi il a beaucoup moins de travail, et quâil est maĂźtre de lâinitiative. Lâattaquant nâa dâautre ressource que de surcharger scs fourneaux, pour dĂ©truire Ă de grandes distances ceux des dĂ©fenseurs; d'employer ce quâon appelle des globes de compression; mais cela mĂȘme est fĂącheux pour lui, parce que ces fourneaux surchargĂ©s emploient une quantitĂ© prodigieuse de poudre et sont de longue exĂ©cution. Pour lâassiĂ©gĂ©, au contraire, des fourneaux de moyenne grandeur suffisent, car je crois avoir dĂ©montrĂ© ailleurs 4 quâen raison de leur action en contre-bas, ils dĂ©fendent aussi bien le terrain des approches que si on les plaçait Ă une profondeur double, comme est obligĂ© de le faire lâattaquant sâil veut donner Ă ses globes toute la puissance dont ils sont susceptibles. * Voyez le chapitre \ de la Fortification permanente . .1 1IKS SIĂGES. 507 Les contremincs sont assez profondes si elles sont de 4 Ă > mĂštres au-dessous de la surface du sol, et il ne faut que 200 Ă 700 livres de poudre pour les charger. Les charges croissant comme les cubes des profondeurs, on comprend pourquoi il y a une si grande diffĂ©rence entre les nombres ci-des- sus, et combien il y a de dĂ©savantage, sous ce rapport, Ă s'enfoncer plus que nous ne le disons. Une mine ordinaire de 10 mĂštres de profondeur exige une charge de 3,000 livres de poudre; et si lâon veut que son fourneau soit surchargĂ©, il faut doubler ou tripler celte quantitĂ©. LâassiĂ©gĂ© a aussi de la supĂ©rioritĂ© dans la dĂ©fense des brĂš- 1 clics, parce quâil enveloppe l'attaquant qui ne peut arriver que par un chemin Ă©troit et scabreux. Câest donc Ă la dĂ©fense des brĂšches quâil faut porter toute lâĂ©nergie possible; câest pour celte pĂ©riode du siĂšge quâil faut tout prĂ©parer dâavance on conserve soigneusement quelques piĂšces pour en armer, au moment de lâassaut, les ouvrages qui pourront prendre en flanc ou de revers la colonne dâattaque ; on prĂ©pare sur le haut de la brĂšche des bombes chargĂ©es pour les rouler sur lâassaillant ; on allume un grand feu au pied de la brĂšc lie quâon entretient en y jetant des bĂ»ches depuis le haut; ou bien, si lâennemi nâa battu quâimparfailemenl la muraille, on va pendant la nuit en dĂ©blayer le pied, et, de la sorte, la brĂšche reste impraticable. On creuse des mines sous les dĂ©bris poulies faire sauter et ensevelir les assaillants ; on donne des armes de longueur, telles que piques, faux emmanchĂ©es, etc. aux soldats qui dĂ©fendent la brĂšche; on fait mĂŽme prendre des cuirassĂ©s Ă ceux qui sâexposent aux premiers rangs. Si lâou- v ragc attaquĂ© a quelque capacitĂ©, on tient des rĂ©serves dans fintĂ©rieur pour charger lâennemi quand il dĂ©bouchera; on fait mĂȘme arriver la cavalerie dans ce moment dĂ©cisif. Telles sont en gĂ©nĂ©ral les mesures Ă prendre pour la dĂ©fense dâune forteresse ; mais câest surtout de la fermetĂ© du gouverneur et de lâintrĂ©piditĂ© des dĂ©fenseui-s que dĂ©pend le succĂšs; on peut espĂ©rer, avec de braves soldats, de repous- DES SIĂGES. 308 ser plusieurs assauts Ă la mĂȘme brĂšche. Câest ainsi quâen 1520 le chevalier Bayard a su conserver MĂ©ziĂšre h la France, quoique les murailles en fussent abattues en plusieurs en* droits. Retournez dire h MM. de Nassau et de Sickingen, rĂ©pondait-il au hĂ©raut quâon lui avait envoyĂ© pour lui proposer une capitulation, que le roi mâa confiĂ© cette place, et que, Dieu aidant, vos maĂźtres seront las de lâassiĂ©ger avant quo je le sois de la dĂ©fendre. Je nâen sortirai que sur un pont fait des corps morts de ses ennemis. » CHAPITRE VIL Combats et Actions particuliĂšres. On donne le nom de combat Ă un engagement partiel, au choc de deux corps faisant partie de deux armĂ©es ennemies. Il est rare quâun combat ne soit pas, proportion gardĂ©e , plus meurtrier quâune grande bataille ; et souvent, quand les parties engagĂ©es sont nombreuses, qualific-t-on de bataille ce qui, ! J la rigueur de la dĂ©finition, ne devrait ĂȘtre quâun simple combat. Mais il ne faut pas mettre Ă ces dĂ©finitions plus dâimportance qu'elles nâen mĂ©ritent, car le nom ne fait rien Ă la chose , et lâon peut dire quâun combat est une petite bataille , comme une bataille est un grand combat. Le combat peut sâengager entre deux corps dâinfanterie , entre deux corps de cavalerie , ou bien entre une troupe dâinfanterie et une troupe de cavalerie , entre une troupe qui a du canon et une qui nâen a pas. Il peut avoir lieu en rase campagne ou dans des retranchements, etc. Il convient dâexaminer ces diffĂ©rents cas, bien que le plus souvent il y ait de tout cela a la fois dans un engagement. Câest que, pour lâenseignement, il convient de simplifier les questions, et de les dĂ©gager de tout ce qui est Ă©tranger h lâobjet spĂ©cial quâon a en vue. Si- â Combat DâInfanterie oontbb Infanterie. Un combat dâinfanterie contre les troupes de la mĂȘme arme °re la vĂ©ritable image dâune bataille tirailleurs en avant pour engager lâaction, premiĂšre ligne dĂ©ployĂ©e pour le feu , seconde ligne abritĂ©e par des accidents de terrain et hors de lo portĂ©e du fusil, quelques masses sur les ailes et en rĂ©serve 510 COMBATS ET ACTIONS PAUTICUCIĂKES. pour empĂȘcher dâĂȘtre tournĂ© '. Ici, les soldats les mieux armĂ©s et les mieux exercĂ©s au tir ont lâavantage, car on est trĂšs-rapprochĂ©, et lâaction qui sâest engagĂ©e par le feu se soutient de mĂȘme assez longtemps, attendu que nâayant ni cavalerie, ni artillerie pour entamer ou Ă©branler lâennemi, il faut Ă©claircir ses rangs avant de lâaborder de plus prĂšs. Câest dans un combat de quelques bataillons seulement que certaines manĆuvres indiquĂ©es par les rĂšglements, telles que les formations en bataille Ă distance entiĂšre, les changements de front de toute une ligne, les feux de chaussĂ©e, etc., peuvent recevoir leur application et ĂȘtre utiles Ă la troupe qui saura les exĂ©cuter avec promptitude et prĂ©cision. La premiĂšre attention dâun chef qui prĂ©voit un engagement est de faire prendre quelque nourriture Ă sa troupe ; car une fois engagĂ© on nây peut plus penser, et cependant on ne saurait attendre des charges bien vigoureuses de soldats affaiblis par la faim. Si la saison est rigoureuse il faut aussi Ă©viter de traverser un guĂ© pour marcher h lâennemi, parce que les membres transis de froidure ne sont pas agiles, et quâun soldat mouillĂ© est, dans ces circonstances , un soldat Ă demi-battu. Il y a cependant exception si on passe lâeau pour croiser le fer, parce que la chaleur de lâaction fait quâon ne sâaperçoit pas des inconvĂ©nients qui viennent dâĂȘtre signalĂ©s, et quâun pareil mouvement a quelque chose d'audacieux qui ne peut que contribuer au succĂšs. Il est de rigueur, avant le combat, de faire lâinspection des armes pour voir si elles sont en Ă©tal, si elles ont de bonnes pierres, si les gibernes sont pleines, etc. Le gĂ©nĂ©ral rassemble les chefs et leur fait paĂź t de ses intentions , de scs espĂ©rances, ainsi que de ce quâil sait des projets de lâennemi. 11 les encourage par la eonliance quâil leur accorde et excite leur Ă©mulation. Il leur recommande par dessus tout de se soutenir rĂ©ciproquement, dâĂ©viter les efforts partiels, de mettre ' Si la troupe est peu nombreuse, elle ne forme quâune seule ligne et une rĂ©serve. COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 311 le l'impĂ©tuositĂ© et de lâensemble dans leurs attaques, de donner lâexemple Ă leurs soldats, et de ne rien faire que de digne et de conforme Ă lâhonneur. Il convient avec eux dâun lieu de ralliement en cas de revers, et les renvoie b leurs corps respectifs. Si le combat est prĂ©vu , la troupe se met en grande tenue; elle doit cette politesse b un ennemi quâelle estime. Une troupe qui a belle apparence est dâailleurs plus disposĂ©e b bien faire son devoir. En plaine. â Lâaction commence par les tirailleurs qui se rĂ©pandent en avant jusquâĂ une assez grande distance pour couvrir les dĂ©ploiements; et quand , au bout dâun temps plus ou moins long; ces tirailleurs ont dĂ©masquĂ© le front et se sont ralliĂ©s b leurs bataillons, les feux de la ligne commencent. On ne doit pas tirer de trop loin, car alors les coups sont perdus ; il ne faut pas non plus, par un excĂšs de confiance qui a Ă©tĂ© quelquefois funeste, attendre pour commencer que lâennemi soit trop prĂšs, parce quâayant b soutenir plusieurs dĂ©charges les rangs sâĂ©claircissent dâautant plus que les premiers feux sont toujours les mieux dirigĂ©s. La bonne distance pour commencer est b 500 pas au plus'. Le feu debilbaude est b peu prĂšs le seul quâon emploie, parce que le feu de pelotons a de la peine b se soutenir, quâil amĂšne de la confusion dans le commandement, et que le soldat ne peut tirer juste quâau- tant quâon lui laisse toute libertĂ©. Cependant il est des cas oĂč le feu de bataillon ou de demi-bataillon produit un bon effet ; câest, en particulier, lorsquâil sâagit de recevoir de pied ferme une troupe qui sâavance audacieusement en colonne lâarme au bras. Dans ce cas il nâest point nĂ©cessaire de commencer b tirer dâaussi loin quâon vient de dire ; il convient, au contraire, dâopposer audace b audace, et dâattendre que lâennemi 1 A cette distance, il faut viser Ă la tĂȘte et Ă 200 pas au milieu du corps. Voyez ce qui a Ă©tĂ© dit sur la portĂ©e des armes au chapitre 111. 512 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. soit Ă trente ou quarante pas pour lui lĂącher un feu bien ajustĂ© et se prĂ©cipiter sur lui la baĂŻonnette en avant, sans recharger. Quand on tire de loin sur une troupe qui sâavance ainsi, on lui fait peu de mal, et son ardeur en redouble ; rien alors ne peut plus la retenir. Si, au contraire , on lâattend sans faire feu, celte contenance intimide les plus courageux, et, quand vient la dĂ©charge, la troupe attaquante est bien prĂšs de lĂącher pied. Si donc celle qui se dĂ©fend saisit le moment et fait succĂ©der h la dĂ©charge meurtriĂšre une attaque impĂ©tueuse Ă lâarme blanche , elle restera trĂšs-probablement maĂźtresse du terrain. Lorsque la fusillade sâengage des deux cĂŽtĂ©s, on peut gagner insensiblement du terrain, par ce mouvement instinctif du soldat qui le porte h sâavancer sur son adversaire quand il croit lui ĂȘtre supĂ©rieur. Câest ainsi que, sans mouvement apparent, sans manĆuvre commandĂ©e, on voit une des ailes se porter en avant, petit Ă petit, signe infaillible dâun succĂšs de ce cĂŽtĂ©. Alors on doit faire approcher une troupe de rĂ©serve et la dĂ©ployer contre le flanc dĂ©jĂ Ă©branlĂ© de lâennemi, ou la faire immĂ©diatement charger en colonne. Si celte attaque a du succĂšs, toute la ligne sâavance et aborde lâennemi Ă la baĂŻonnette en marchant en bataille, ou en se formant en colonnes dâattaque par bataillons, avec les tirailleurs dans les intervalles. Ce dernier parti est le prĂ©fĂ©rable dans les cas ordinaires les chefs animent les colonnes et remĂ©dient au dĂ©sordre presque inĂ©vitable Ă la tĂšte qui a beaucoup Ă souffrir et que le mouvement dĂ©sunit. AussitĂŽt quâ un bataillon a rompu lâennemi, il se dispose Ă prendre en flanc les troupes voisines qui conserveraient encore leurs rangs. Pour cela, chaque colonne doit ĂȘtre prĂȘte Ă se partager en deux et Ă marcher par les deux flancs; câest Ă {quoi est Ă©minemment propre la colonne dâattaque. Une fois fennemi enfoncĂ© ainsi sur deux ou trois points, sa ligne sera bientĂŽt dispersĂ©e. Mais ,^quand les deux corps sont trĂšs-rapprochĂ©s, il vaut quelquefois mieux charger de front et dans lâordre dĂ©ployĂ© que de perdre du temps Ă former les colonnes dâattaque. Si 313 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. lâon conduit des bataillons bien exercĂ©s, ce dernier moyen est trĂšs-ellicace pour enfoncer l'ennemi, quand on lui voit montrer de lâhĂ©sitation, ou quâil a dĂ©jĂ Ă©prouvĂ© de grandes pertes. En lâabordant ainsi partout Ă la fois, on lui ĂŽte tout moyen de former des ouvertures pour laisser passer les assaillants et les envelopper ensuite. Quelquefois encore, on abordera lâenncnii avec les bataillons partie dĂ©ployĂ©s, partie formĂ©s en colonnes. Pendant que ces derniers doublent leurs divisions, les tirailleurs les couvrent, et les autres bataillons continuent leur feu. Toute la ligne sâĂ©branle ensuite les bataillons dĂ©ployĂ©s font halle Ă petite distance cl soutiennent le feu, les colonnes se prĂ©cipitent sur lâennemi, percent la ligne et menacent ses flancs. Les bataillons dĂ©ployĂ©s sâavancent alors et achĂšvent de balayer le terrain. Ils sâappuient ainsi et favorisent mutuellement leur action. Lâordre mi-parti de bataillons dĂ©ployĂ©s et de bataillons en masse se prend quelquefois dĂšs le dĂ©but de lâaction, dans lâintention de donner plus de consistance Ă la ligne, tout en conservant lâavantage des feux. Câest lorsquâon se propose dâagir offensivement sur un point dĂ©terminĂ© de la ligne ennemie, dâenlever la clef du champ de bataille, etc. A la bataille de Fucntes-de-llonor, en 1811, une brigade, composĂ©e de cinq bataillons, en avait trois en colonnes serrĂ©es pat- division, et les deux intermĂ©diaires dĂ©ployĂ©s. Mais, le plus souvent, cet ordre dâattaque rĂ©sulte de ce quâau moment de se porter sur lâennemi, quelques bataillons se sont formĂ©s en colonnes, tandis que dâautres, mieux placĂ©s pour faire usage leurs feux, sont restĂ©s dĂ©ployĂ©s. Les vides qui se forment alors dans la ligne sont remplis par des chaĂźnes de tirailleurs. La rĂšgle dans les charges est, quâune fois entamĂ©es il faut l° s pousser Ă fond, ne plus tirer un seul coup de fusil, mais Se jeter le plus promptement possible sur lâennemi, tant pour Ă©luder son feu que pour le culbuter par la force du choc. On tle croise la baĂŻonnette quâĂ dix pas de lui; jusque-lĂ on Marche lâarme au bras pour ne pas se dĂ©sunir. Il nây a rien 514 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. Ăźle plus imposant quâune colonne sâavançant ainsi an pas de charge; la terre en tremble. Quand lâennemi est enfoncĂ©, on lĂąche quelques compagnies Ă ses trousses, et lâon reprend ses rangs pour renouveler, sâil le faut, le combat avec la seconde ligne ou les rĂ©serves. Ne vous arrĂȘtez cependant que le temps nĂ©cessaire pour vous rallier, et marchez hardiment Ă cette seconde ligne qui, dĂ©couragĂ©e de lâĂ©chec que vient de recevoir la premiĂšre, dĂ©sorganisĂ©e peut-ĂȘtre par la retraite prĂ©cipitĂ©e des bataillons enfoncĂ©s, ne fera probablement qu'une faible rĂ©sistance. Si le combat est opiniĂątre et que votre premiĂšre ligne ail beaucoup souffert, faites avancer la seconde et opĂ©rez le passage des lignes en avant, en faisant former en masses les bataillons de la seconde ligne, et les conduisant au pas de charge par les intervalles ouverts instantanĂ©ment dans la premiĂšre. Ce mouvement offensif, couvert par les tirailleurs, Ă©branlera lâennemi; il ne soutiendra que dilĂŻicilement le feu de ces bataillons qui viennent de se dĂ©ployer, et qui ont des troupes fraĂźches Ă opposer Ă des troupes harassĂ©es. Ici, il faut remarquer, que si le passage des lignes sâĂ©tait opĂ©rĂ© par un mouvement de retraite, en faisant passer les bataillons de la premiĂšre ligne derriĂšre ceux de la seconde, le succĂšs serait beaucoup plus douteux. Tout mouvement rĂ©trograde est dangereux, parce que le moral du soldat en est affectĂ©. Se retirer est, aux yeux du plus grand nombre, avouer quâon est battu. Il faut surtout Ă©viter les mouvements en arriĂšre avec des troupes peu expĂ©rimentĂ©es, qui se troublent aisĂ©ment. Cependant, la premiĂšre ligne, devenue seconde, se reforme, emporte ses blessĂ©s, prend du repos et se dispose h de nouveaux efforts pour terminer le combat. Ces troupes, jointes Ă la rĂ©serve, ou appuyeront une des ailes, ou, par un mouvement plus Ă©tendu, se porteront sur le flanc de lâennemi, ou cnlin sâopposeront Ă une manĆuvre pareille de sa part. Mais la fortune peut aussi vous ĂȘtre contraire ; vous coin- COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 315 meneez Ă vous en apercevoir au terrain que vos troupes abandonnent involontairement, et h lâespĂšce de dĂ©sordre et de fluctuation qui se manifestent dans leurs rangs. Alors, vous faites approcher une partie de vos rĂ©serves, et si ces nouvelles troupes ne rĂ©tablissent pas le combat, le moment est venu de commencer la retraite. DĂ©jĂ la premiĂšre ligne sâest âą approchĂ©e malgrĂ© elle de la seconde; peut-ĂȘtre mĂȘme en est-elle si prĂšs que pour Ă©viter la confusion il nây a plus un instant Ă perdre, et quâon doit ordonner immĂ©diatement le passage des lignes en retraite. Il sâexĂ©cute par pelotons, suivant le rĂšglement français, parce quâainsi la seconde ligne est plus promptement dĂ©ployĂ©e; et il est urgent quâelle le soit quand lâennemi vous mĂšne ainsi tambour battant. Si la premiĂšre ligne se retire en ordre, elle sâarrĂȘte Ă trois ou quatre cents pas en arriĂšre et fait face en tĂȘte; mais, si quelques bataillons sont Ă la dĂ©bandade, comme cela nâarrive que trop souvent, leurs chefs se saisissent des drapeaux, se font suivre de quelques tambours, et, se portant dans un endroit bien visible, ils y plantent le signe du ralliement et font battre pour y appeler les soldats Ă©pars. Cependant, la seconde ligne ne peut pas tenir longtemps contre des troupes victorieuses; elle commence avec ordre sa retraite, soit en bataille marchant lentement et Ă front renversĂ©, puis faisant halte pour se retourner contre lâennemi et lâarrĂȘter par des dĂ©charges bien nourries, soit en Ă©chiquier Par bataillons ou demi-bataillons, soit enlin en Ă©chelons quand une des ailes est moins pressĂ©e que lâautre. En mĂȘme temps, °n jette sur les lianes tout ce quâon peut de tirailleurs pour âąalentir lâardeur des poursuivants. Câest aussi le moment dâemployer ce qui reste de troupes qui nâauraient pas encore combattu. Ces derniĂšres, traversant la ligne, se prĂ©cipitent s,, r l'ennemi la baĂŻonnette en avant et, par cette attaque vigoureuse, elles suspendent sa marche, lâobligent Ă se tenir Sl *r ses gardes et Ă ne sâavancer quâavec circonspection. On u, chc ainsi de dĂ©fendre pied Ă pied le champ de bataille 516 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. jusquâil la nuit. Les petits bagages et les blessĂ©s ont pris les devants. Si quelque dĂ©filĂ©, tel quâun pont, une chaussĂ©e entre marais, etc., sâod'rc h la troupe en retraite, elle doit reformer sa ligne en avant, tenir ferme et commencer, sous la protection dâun feu bien nourri, la manĆuvre connue sous le nom de passage du dĂ©filĂ© en retraite. Elle se fait par une seule aile, ou par les deux, suivant que le dĂ©filĂ© se trouve placĂ© derriĂšre la ligne. La troupe se reforme de lâautre cĂŽtĂ© quand le dĂ©filĂ© a peu de longueur; dans le cas contraire, elle doit le dĂ©fendre par le feu de chaussĂ©e si lâennemi ne renonce pas Ă sa poursuite. Dans un dĂ©filĂ© de montagnes, on pourra peut-ĂȘtre dresser quelquâcmbuscade h un ennemi trop ardent. Câest un moyen sur lequel il ne faut pas trop compter, mais qui rĂ©ussit encore, quoique bien usĂ©. Rien nâest h nĂ©gliger quand il sâagit de se tirer dâembarras. Sur des hauteurs .âMais on ne combat pas toujours dans une plaine; le plus souvent, au contraire, lâennemi occupe des hauteurs ou d'autres positions favorables. Câest lĂ quâil faut aller le chercher quand on ne peut pas le tourner. Or, on attaque une hauteur de front, ou par le cĂŽtĂ©. Le plus souvent on emploie les deux moyens rĂ©unis, parce quâil est nĂ©cessaire de diviser lâattention de lâennemi. Sans cela il aurait trop dâavantage sur vous. Si le dĂ©fenseur est Ă dĂ©couvert, sâil nâoccupe que les pentes et non le sommet, on peut commencer par des feux pour Ă©claircir ses rangs, et surtout par des feux de tirailleurs, qui, embrassant un cercle plus grand, donneront moins de prise et feront converger leurs coups sur le point dâattaque. Mais cette tiraillerie nâest pas de longue durĂ©e ; les colonnes, qui sâavancent, y mettent bientĂŽt fin ; lâarme au bras, elles gravissent les hauteurs dâun pas lent, et en sâarrĂȘtant quelquefois pour respirer. Ce nâest que lorsquâelles sont tout prĂšs quâelles croisent la baĂŻonnette et accĂ©lĂšrent le pas pour se jeter sur lâennemi, si celui-ci nâa pas dĂ©jĂ abandonnĂ© sa position. Les colonnes doivent plutĂŽt comBatsTet actions particuliĂšres. 317 ĂȘtre nombreuses que profondes; trop de longueur les rendrait lourdes. 11 est essentiel quâaucune colonne ne sâaventure plus que les autres, afin quâil y ait de lâensemble dans lâattaque. Autrement on risque de la voir Ă©chouer. Lâennemi occupe-t-il tout Ă fait la hauteur, il est inutile de tirailler, parce que le terrain le cache, h moins toutefois quâil nâait lui-mĂ©me des tirailleurs sur la pente. Les colonnes, prĂȘtes Ă joindre lâennemi, aprĂšs avoir gravi la hauteur, sâarrĂȘtent pour se reformer et prendre haleine, surtout lorsque, par la forme du terrain et par la position retirĂ©e de lâennemi, on nâen est point encore vu, comme on ne le voit point. On doit sâattendre h une bonne rĂ©ception et il des dĂ©charges meurtriĂšres, car, le dĂ©fenseur, aux trois quarts couvert par le terrain, a tout lâavantage quand vous paraissez il est dĂ©ployĂ©, et vous ĂȘtes en colonne ; il est frais, et vous ĂȘtes fatiguĂ©s. Il faudra donc lâaborder avec la plus grande impĂ©tuositĂ© et ne lui permettre, sâil est possible, quâune seule dĂ©charge. Vous pourriez mĂȘme user de ruse pour le dĂ©garnir de son feu ; envoyer dâabord quelques tirailleurs, et, sous leur protection, vous avancer aussi prĂšs que possible en vous courbant, montrer les shakos au bout des baĂŻonnettes, et, si les coups partent, vous lever tout h coup et vous prĂ©cipiter sur lâennemi. Mais, toujours, les colonnes doivent ĂȘtre accompagnĂ©es de nombreux tirailleurs qui remplissent leurs intervalles et couvrent leurs flancs. Ces tirailleurs, plus serrĂ©s que de coutume, redoublent la vivacitĂ© de leurs feux; ils opposent, pour a nsi dire, une ligne dĂ©ployĂ©e Ă la ligne ennemie et prĂ©parent le succĂšs de lâattaque. La conduite h tenir dans la dĂ©fense des hauteurs est tracĂ©e P ar ce qui prĂ©cĂšde; nous ajouterons seulement, quâaprĂšs avoir reçu, par un feu bien dirigĂ©, les premiĂšres troupes l l *i se sont montrĂ©es, il faut, sans recharger, sâavancer en baille et se jeter sur elles avec rĂ©solution ; puis, quand on les a repoussĂ©es, reprendre sa premiĂšre position en se couvrant toujours du terrain. Câest le moyen que les Anglais ont, plus 318 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. dâune fois, employĂ© avec succĂšs contre les attaques en colonnes des troupes françaises, et notamment sur les hauteurs de Pampelune, dans la campagne de 1813. Si vous avez quelques fortifications sur la hauteur, gardez- vous dâen masquer les feux ; vous nâen tireriez aucune protection. Le gĂ©nĂ©ral Taupin, h la bataille de Toulouse, commit une pareille faute; il se plaça devant la redoute de SypiĂšre qui faisait la force de sa position. Il en commit une autre quâil est bon de signaler, parce quâelle se rattache Ă notre sujet, ce fut de former toute sa division en une seule colonne, laquelle, enveloppĂ©e de feux et ne pouvant rĂ©pondre que par le bataillon de la tĂȘte, perdit son Ă©lan, fut repoussĂ©e et chassĂ©e en dĂ©sordre de sa position. Lâattaque contre les ennemis qui avaient une riviĂšre Ă dos et qui gravissaient avec peine les hauteurs, Ă©tait convenable, mais il fallait la faire en plusieurs colonnes, et non en une seule. Si les Français, moins bouillants, se fussent dĂ©ployĂ©s sur le sommet des hauteurs, imitant en ceci la mĂ©thode de leurs adversaires, il est Ă prĂ©sumer, quâaccueillant de leurs feux une troupe dĂ©sunie, ils lâeussent repoussĂ©e, et que leurs bataillons sâavançant ensuite en masses sĂ©parĂ©es, ils lâeussent refoulĂ©e dans la petite riviĂšre du Lers. Il rĂ©sulte de lĂ , que si vous ĂȘtes dĂ©ployĂ©s, et que l'ennemi sâavance sur vous en une seule colonne, il ne laul point vous en effrayer, mais former le demi-cercle ou la tenaille, pour envelopper de feux cette troupe dont la tĂȘte seule peut vous rĂ©pondre. Mettez du calme, ajustez bien, et vous verrez se fondre cette masse dâabord si menaçante. Si, malgrĂ© cela, elle continue Ă pousser en avant, ne lui rĂ©sistez pas de front, cela serait inutile, ouvrez-lui au contraire le chemin, et de plus belle altaquez-lĂ par le flanc; aucun de vos coups ne sera perdu dans une masse aussi compacte; sa perte est assurĂ©e. Il est plus diflicile de rĂ©sister Ă une attaque de plusieurs colonnes. Cependant, si elle est prĂ©maturĂ©e, si vos troupes sont encore intactes, serrez vos rangs et commencez Ă bonne distance un feu bien nourri. Faites porter vos pelotons des COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 319 ailes sur le flanc les colonnes, et lâennemi voyant ses pertes sâaccumuler, ou sâarrĂȘtera pour se dĂ©ployer et rĂ©pondre b votre feu, ou ne vous abordera que mollement. Dans les bois. â Si lâennemi occupe un bois, câest principalement avec les tirailleurs quâon le dĂ©busque ; ce serait sâexposer Ă de grandes pertes que de se prĂ©senter Ă lui, de prime- abord, en ligne ou en colonne. Les tirailleurs enveloppent les parties saillantes, parce quâainsi ils prennent de cĂŽtĂ© ceux des ennemis qui cherchent a se cacher derriĂšre les arbres, et ils sillonnent le bois de leurs feux. Sâil y a quelque partie qui soit dominĂ©e de prĂšs par des hauteurs., ou dont on puisse sâapprocher b couvert, les tirailleurs la choisissent de prĂ©fĂ©rence, parce que câest Ă©videmment aussi une partie faible. Pour sâapprocher du point dâattaque, on profite, autant que possible, de tous les avantages locaux en se coulant le long des haies et des fossĂ©s, se couvrant des sillons, des moindres plis de terrain, des trous, des buissons isolĂ©s, etc. ; on fait feu de chaque point quâon est parvenu b occuper, pour inquiĂ©ter renneini ; et, lors mĂȘme quâon ne lui ferait pas grand mal, on rend son tir plus incertain. En mĂȘme temps quâon sâavance ainsi de front en chaĂźnes trĂšs-ouvertes, on tĂąche de dĂ©tourner lâattention de lâennemi, en dirigeant de fausses attaques sur des points Ă©loignĂ©s. AussitĂŽt que les tirailleurs se sont emparĂ©s de la lisiĂšre du hois et quâils se sont couverts des premiers arbres, on fait arriver quelques dĂ©tachements pour les soutenir; et, b mesure quâils pĂ©nĂštrent dans la forĂȘt, le gros de la troupe sâavance ; on le partage en plusieurs petites colonnes qui entrent dans le bois au son des tambours et des trompettes; elles marcheront en se tenant toujours b une certaine distance des tirailleurs et prĂȘtes b les soutenir sâils Ă©taient ramenĂ©s. Une clairiĂšre se prĂ©sente-t-elle, il faut, avant de la traverser, rallier la troupe et prendre de nouvelles mesures pour attaquer avec ensemble lâautre portion de la forĂȘt; on en lera au- 320 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. tant Ă lâĂ©gard de toute espĂšce dâobstacle que l'on pourrait rencontrer; vous vous garderez donc de franchir isolĂ©ment un fossĂ©, un ravin, une forte haie, car vous pourriez rencontrer lâennemi en forces, de lâautre cĂŽtĂ©, et ne pouvoir plus vous rĂ©unir pour lui rĂ©sister. Quand la forĂȘt nâa pas beaucoup dâĂ©tendue, on cherche plutĂŽt Ă la tourner quâĂ lâenlever de vive force; il faut, dans ce cas, sâen tenir hors de la portĂ©e du fusil. La dĂ©fense consiste Ă faire occuper la lisiĂšre du bois par les tirailleurs, et, si lâon en a le temps, Ă faire nettoyer tous les environs, couper les troncs, combler les fossĂ©s, afin de mieux voir lâennemi et de lui ĂŽter les moyens de se couvrir; on fera des abatis dans les parties les plus accessibles, et, de prĂ©fĂ©rence, en coupant les arbres de celles qui forment des saillants trop aigus; on peut aussi flanquer ces saillants par de petits ouvrages pour empĂȘcher lâattaquant de les envelopper. Des troncs de sapins couchĂ©s les uns sur les autres et maintenus par des piquets, sont excellents pour ce genre de constructions. DerriĂšre la ligne des tirailleurs, on place des troupes de soutien, soit pour assurer la retraite, soit pour donner des renforts; on en met aussi sur les ailes pour nâĂŽlre pas tournĂ©. En arriĂšre de tout cela, Ă Ă©gale distance des points menacĂ©s, on place la rĂ©serve qui agira suivant les circonstances. Ainsi, par exemple, pour peu que lâattaque soit dĂ©cousue et que la dĂ©fense se soutienne Ă la lisiĂšre, la rĂ©serve pourra agir offensivement, soit en dĂ©bouchant du bois, soit en en faisant le tour. Celte attaque peut avoir du succĂšs, parce que la troupe qui lâexĂ©cute est cachĂ©e dans sa marche et que lâassaillant en sera surppris, La meilleure arme pour les combats dans les bois est la carabine, aussi les Suisses y auront-ils toujours lâavantage, et faut-il nous estimer heureux que notre pays soit couvert de forĂȘts. COMBATS ET ACTIONS l'ARTICULlfcltES. 32 t Dans les villages. â Pour dĂ©fendre un village, lâinfanterie se distribuera dans les jardins, derriĂšre les haies et aux fenĂȘtres des maisons. Un seul rang de fusiliers sullit dans ce cas; en consĂ©quence, on peut sâĂ©tendre davantage quâen rase campagne ; cependant on ne le fait quâautant que cela est nĂ©cessaire; câest encore une position bien favorable pour les carabiniers, parce quâĂ©tant h lâabri des vues de lâennemi, ils ont la facilitĂ© de tirer posĂ© et dâajuster leurs coups. On met dans les rues ou avenues du village des pelotons entiers pour appuyer la ligne extĂ©rieure des tirailleurs ; une rĂ©serve est an centre du village, ou un peu en arriĂšre, prĂȘte h se porter partout oĂč lâennemi aurait pĂ©nĂ©trĂ©; si lâon en a le temps, il ne faut pas nĂ©gliger de crĂ©neler les murailles, de renforcer les haies par de petits parapets en terre, de fermer les entrĂ©es avec des barricades, en un mot de mettre le village en Ă©tat de soutenir une vigoureuse rĂ©sistance par tous les moyens que lâart enseigne ou que lâindustrie peut crĂ©er. ' Quand le village est entourĂ© ou prĂ©cĂ©dĂ© de vignes, de dĂ©filĂ©s et autres dillicnltĂ©slocales, la dĂ©fense doit commencer lĂ ; et, si lâon en est repoussĂ©, on se replie insensiblement sur le village quâune partie des troupes occupe et met en Ă©tat. Câest une maniĂšre de gagner du temps ; et, dans de telles circonstances, câest souvent un grand avantage que de pouvoir prolonger la dĂ©fense de quelques heures, parce quâon augmente la chance dâĂȘtre dĂ©livrĂ©; les secours peuvent arriver dans cet intervalle. Des sorties vigoureuses, toutes les fois que lâoccasion est favorable, sont un excellent moyen de dĂ©fense ; mais il ne faut Pas les pousser trop loin, ni se jeter, en cas de succĂšs, dans une poursuite inconsidĂ©rĂ©e ; la retraite de lâennemi pourrait n âĂȘtre quâun piĂšge pour vous faire sortir du poste avantageux que vous occupez. Il ne faut pas non plus nĂ©gliger dâoccuper Voyez Ă cet Ă©gard le MĂ©morial pour les travaux de guerre, Chapitre IX. 21 122 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES! convenablement la partie du village par laquelle la sortie doit rentrer, afin que lâennemi ne sây jette pas avec elle, ou ne vienne pas lui couper la retraite. Si, en arriĂšre de la premiĂšre ligne de dĂ©fense, on en peut prĂ©parer une seconde quâoccupera la rĂ©serve, la rĂ©sistance nâen sera que plus opiniĂątre. LâĂ©glise avec son cimetiĂšre offre , souvent un moyen dâorganiser celte dĂ©fense centrale. Les communications avec la ligne extĂ©rieure doivent alors ĂȘtre rendues faciles en renversant les obstacles qui pourraient les embarrasser on perce les murailles, on abat les haies, on jette des ponts sur les ruisseaux , on comble les fossĂ©s. Ces mĂȘmes obstacles, on les laisse subsister sur le terrain qui doit servir de champ de bataille h lâennemi, dans les parties quâon peut balayer de la position quâon occupe ils gĂȘneront ses mouvements et ne lui donneront aucun abri. Ceux dont il peut se couvrir seront dĂ©truits. Pour Ă©viter toute confusion, chaque dĂ©tachement sera instruit de la maniĂšre dont il opĂ©rera sa retraite quand il y sera forcĂ©. En gĂ©nĂ©ral, câest un point sur lequel il est bon de sâentendre avant toute espĂšce dâengagement. Dans tout ceci on ne doit pas perdre de vue que les villages construits en bois sont plus dangereux quâutiles h occuper, Ă cause de la facilitĂ© avec laquelle le feu peut y ĂȘtre mis par les dĂ©fenseurs, aussi bien que par les attaquants. On comprend aussi quâun village qui peut ĂȘtre enveloppĂ© de toutes parts se dĂ©fendra mal. II faut donc, pour opĂ©rer une bonne dĂ©fense, 1° que le village soit en pierre ; 2° quâil sâappuie Ă quelque riviĂšre qui empĂȘche de le tourner, ou quâil soit soutenu par des troupes en arriĂšre. Lâattaque dâun village est bien difficile quand on nâa pas dâartillerie. Pour ces sortes dâentreprises le canon est lâarme principale. Cependant, si l'ennemi nâa pas ou le temps de sây fortifier, on peut tenter lâattaque avec de lâinfanterie seule , pourvu quâon soit'en forces supĂ©rieures. En gĂ©nĂ©ral, elle se fait en colonnes ce serait s'exposer h de grandes pertes que COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 325 Je se dĂ©ployer devant un ennemi ainsi postĂ© ; seulement on enveloppe le village de tirailleurs pour dĂ©loger les dĂ©fenseurs des haies, des murs de jardins quâils occupent, tirer aux fenĂȘtres, et tĂącher de sâemparer de quelques maisons isolĂ©es oĂč ils puissent tenir ferme et combattre lâennemi Ăč armes Ă©gales. Si ces tirailleurs sont ramenĂ©s, ils se reploient et tĂąchent de se mettre h couvert vis-Ă -vis le point quâils ont attaquĂ©, pour revenir bientĂŽt Ă la charge, aprĂšs avoir reçu quelques renforts. Les colonnes ne sâavancent quâaprĂšs que le feu des tirailleurs a produit son effet. On sâen aperçoit Ă la mollesse de celui des dĂ©fenseurs. Jusque-lĂ , les colonnes se tiennent hors de portĂ©e ou cachĂ©es par quelque pli de terrain. Pendant quâune colonne attaque de front et cherche Ă pĂ©nĂ©trer dans la rue principale du village, on en dirige dâautres sur les cĂŽtĂ©s pour chercher dâautres passages ou tourner le village , si possible. Ces colonnes ont Ă leur tĂȘte les sapeurs des bataillons ou dâautres ouvriers qui, munis de haches et de leviers, de pelles et de pioches, renversent les murailles, coupent les haies et les palissades , comblent les fossĂ©s, en un mot, ap- planissent tous les obstacles qui sâopposent Ă la marche des troupes. Si quelque maison rĂ©siste plus que les autres, on l'entoure pour lâattaquer Ă la fois de tous les cĂŽtĂ©s , et si les dĂ©fenseurs sâobstinent Ă ne pas mettre bas les armes , on les y contraint en les menaçant de brĂ»ler leur rĂ©duit. On fait apporter pour cela paille et bigots ; mais on nây mettra le feu noâaprĂšs une nouvelle sommation, lâhumanitĂ© devant conserver ses droits mĂȘme au milieu des combats. Si lâennemi se dĂ©fend de maison en maison, il faut suivre 1 mĂȘme mĂ©thode dans lâattaque, câest-Ă -dire quâon jettera monde dans les maisons dont ou est maĂźtre pour tirailler P a c les fenĂȘtres et de dessus les toits. Ce sera quelquefois en Perçant les murailles de proche en proche quâon arrivera aux derniers retranchements des dĂ©fenseurs. On conçoit que ce genre de guerre ne peut se faire que dans de gros villages 324 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. ou des bourgs dont les rues sont, comme dans les villes, formĂ©es de maisons rapprochĂ©es, solidement bĂąties. Dans ces endroits, il est une prĂ©caution Ă prendre; elle consiste Ă ne sâavancer quâĂ la file dans la rue dont on cherche Ă sâemparer ; les hommes, se glissant ainsi le long des murs, se couvrent des moindres saillies et parviennent Ă gagner les postes avantageux sans trop sâexposer. Tout comme aussi lorsquâil faut enlever un poste de vive force, on doit Ă©viter lâentassement des troupes dans le dĂ©filĂ© , car si lâattaque est repoussĂ©e il se formera un encombrement funeste aux assaillants ; on fera donc succĂ©der les pelotons Ă dâassez grands intervalles, en lĂąchant toujours de tenir couverts ceux qui nâagissent pas. g 2. â Combat du Cavalerie contre Cavalerie. La suprĂȘme loi pour la cavalerie est de ne point attendre le choc , mais dâaller Ă la rencontre de lâennemi et de prendre le galop pour lâaborder. Autrement elle serait entraĂźnĂ©e et dispersĂ©e ; car il est bien prouvĂ© par lâexpĂ©rience quâun escadron , mĂȘme de la cavalerie la plus lourde , ne saurait, en restant immobile , rĂ©sister Ă lâimpulsion dâun autre escadron composĂ© des plus petits chevaux et qui arriverait sur lui en carriĂšre. Non pas que le choc de la cavalerie se mesure, comme en mĂ©canique , en multipliant la masse par la vitesse ; mais parce que le galop donne de lâĂ©lan, anime les chevaux, et que les cavaliers timides sont ainsi entraĂźnĂ©s par les autres. Lorsque deux corps de cavalerie sâavancent l'un contre lâautre pour sâaborder de front, celui-lĂ aura lâavantage qui aura su disposer de quelques escadrons ou seulement de quelques pelotons pour les jeter, au moment de la charge , sur le flanc de lâennemi. Le rĂ©sultat dâun pareil mouvement est encore plus dĂ©cisif que dans les combats dâinfanterie, tant COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 52o par la rapiditĂ© avec laquelle il sâexĂ©cute que par la difficultĂ© quâĂ©prouve la ligne ennemie de s'y opposer. On prescrit donc de placer, en arriĂšre des ailes dâune ligne de cavalerie , des colonnes composĂ©es de quelques escadrons ou pelotons , suivant la force du corps en bataille. Ces colonnes, formĂ©es h distance entiĂšre , en mĂȘme temps quâelles donnent la possibilitĂ© de se jeter sur le flanc de lâennemi par un dĂ©ploiement progressif sur la droite ou sur la gauche, sont le moyen le plus sĂ»r de se garantir soi-mĂȘme contre une attaque de ce genre, puisque la colonne Ă distance entiĂšre peut, en un clin-d'Ćil, se former en bataille pour se porter h la rencontre de lâennemi qui voudrait envelopper lâextrĂ©mitĂ© de la ligne. Dans une attaque faite par la grosse cavalerie, les colonnes dâailes pourraient ĂȘtre formĂ©es de chevaux lĂ©gers , qui, indĂ©pendamment du rĂŽle que nous venons de leur assigner, auraient encore la tĂąche de poursuivre lâennemi aprĂšs la charge, pendant que la ligne de bataille reformerait ses rangs. Comme lâennemi peut employer le mĂȘme moyen, il faut encore garder quelque petite rĂ©serve pour Ă©chelonner les colonnes dâailes; ne fĂ»t-ce qu'un peloton, il les rassurera contre le danger dâĂȘtre dĂ©bordĂ©es. Quand la cavalerie peut appuyer ses ailes h quelquâobsta- cle naturel qui empĂȘche lâennemi de manĆuvrer sur son flanc, les colonnes dâailes ne sont plus nĂ©cessaires; mais, dans les circonstances ordinaires, on ne saurait trop les recommander. On voit donc quâun corps de cavalerie qui marche Ă lâattaque dâun autre corps de cavalerie, est en partie dĂ©ployĂ© et en Partie formĂ© en colonnes. Tout en satisfaisant aux conditions PrĂ©cĂ©dentes, il sâĂ©tend autant que possible, parce quâil im- P°rte de mettre en jeu h la fois le plus grand nombre de c °uibattants. Une troupe qui ne se prĂ©senterait quâen colonne se rait indubitablement battue, les cavaliers de la tĂšte pouvant seuls faire usage de leurs sabres ; enveloppĂ©e et attaquĂ©e sur ses deux flancs, cette colonne ne se tirerait dâune si fĂącheuse position que par une prompte fuite. 326 COMliATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. Si la cavalerie sâavance sur une seule ligne continue , ne laissant que de trĂšs-petits intervalles entre les escadrons, on dit quâelle charge en muraille. Ce genre dâattaque, qui est fort imposant, nâest praticable quâĂ un petit nombre dâescadrons, parce que les inĂ©galitĂ©s du sol, les obstacles qui se prĂ©sentent sur le chemin, les refoulements inĂ©vitables dans une ligne dâune certaine longueur, font qu'au lieu dâun choc gĂ©nĂ©ral, on nâobtient quâune succession de chocs partiels qui ne produisent pas Ă beaucoup prĂšs le mĂȘme effet ; si la ligne est mise en dĂ©sordre sur quelque point, et Ă plus forte raison si elle est percĂ©e par lâennemi, la dĂ©route peut se jeter dans la ligne entiĂšre ; les fautes ne se rĂ©parent que dillicilement; en- lin on perd un des principaux avantages de lâarme, qui est la mobilitĂ©. La charge en muraille, sur un grand front, ne peut guĂšre se pratiquer que lorsquâil sâagit de balayer un champ de bataille couvert de bataillons rompus, qui çà et lĂ font encore quelque rĂ©sistance. Lâattaque en Ă©chelons est trĂšs-usitĂ©e dans la cavalerie; elle offre lâavantage de ne pas engager toutes les forces Ă la fois, et de laisser plus de facilitĂ© pour parer aux accidents du combat. Tant que les derniers Ă©chelons nâont pas croisĂ© le fer, on peut en disposer soit pour soutenir ceux qui sont engagĂ©s, soit pour se porter sur le flanc de lâennemi. Câest surtout lorsque la troupe doit, pour attaquer, passer de lâordre en colonne Ă lâordre dĂ©ployĂ©,âcomme cela arriverait, par exemple , en sortant dâun dĂ©filĂ© , que cette formation est avantageuse, parce quâil nâest pas nĂ©cessaire dâattendre que toute la troupe soit en ligne pour entamer la charge; il sullit que le premier Ă©chelon soit formĂ© ; les autres arriveront successivement. Tant que le dĂ©ploiement nâest pas achevĂ©, lâennemi est incertain du cĂȘtĂ© oĂč se dirigeront les efforts, et celle incertitude est tout Ă votre avantage. Vous pouvez dâabord former deux ou trois Ă©chelons pour menacer sa gauche ; il y enverra du renlort. Alors vous dirigez les autres Ă©chelons contre sa droite affaiblie , qui doit ainsi cĂ©der Ă vos ef- COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 327 forts, la rapiditĂ© des mouvements ne permettant guĂšre les contre-manĆuvres. Si le premier Ă©chelon est victorieux , il prend la ligne ennemie par le flanc , pendant que les autres lâattaquent de front. Mais il faut que les Ă©chelons aient en eux-mĂȘmes assez de consistance pour que leur choc produise lâeffet quâon en attend. Ainsi on les formera par rĂ©giments, ou tout au moins par escadrons; des Ă©chelons par pelotons ne signifieraient rien. Nous Je rĂ©pĂ©tons, la cavalerie doit toujours , pour combattre la cavalerie , se former sur un front plus ou moins Ă©tendu, sans prĂ©judice toutefois des colonnes dâailes ou autres moyens dâattaquer l'ennemi par le flanc pendant quâon le combat de front. Quels que soient les dispositifs adoptĂ©s, les principes pour la charge sont toujours les mĂȘmes la troupe commence par sâĂ©branler au pas, puis elle prend le trot quâelle accĂ©lĂšre insensiblement pour se mettre au galop h quelque distance de lâennemi, et entrer en pleine carriĂšre en poussant de grands cris quand elle nâen est plus quâĂ une centaine de pas. Sans ces prĂ©cautions, et si lâon prenait le galop de trop loin , les chevaux arriveraient essoufflĂ©s et dĂ©sunis ; il nây aurait plus cet ensemble imposant dâune grande masse de cavalerie alignĂ©e ; les chocs seraient partiels et sans effet. Les cavaliers poussent des cris pour sâanimer mutuellement et exciter les chevaux. Au moment du choc et dans la mĂȘlĂ©e qui sâensuit lâavantage est, toutes choses Ă©gales dâailleurs, pour la troupe qui saura se servir de la pointe plutĂŽt que du tranchant de ses armes ; car les coups dâestoc tuent ou mettent hors de combat, tandis que ceux de taille ne font souvent que des blessures peu dangereuses. Si la cavalerie lĂ©gĂšre se trouve en prĂ©sence de la grosse cavalerie , elle ne peut en soutenir le choc ; elle doit donc s Ă©parpiller et charger individuellement, ou en fourrageurs, su r les flancs ; caracoler autour de la ligne , fuir devant elle en se prĂ©valant de la lĂ©gĂšretĂ© et de la vitesse de ses chevaux ; 1 attaquer en tirailleurs, en dĂ©chargeant sur elle le mousqueton 5Ă8 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. et les pistolets. Câest Ă peu prĂšs le seul cas oĂč les armes Ă feu puissent ĂȘtre employĂ©es dans les combats de cavalerie ; car, nous lâavons dĂ©jĂ dit, le mousqueton nâest point donnĂ© au cavalier pour sâen servir en ligne de bataille , mais seulement pour escarmoucher, pour se tirer dâembarras quand il est dĂ©montĂ©, et pour en faire usage dans quelques cas exceptionnels. Ce serait donc commettre une faute que de sâarrĂȘter dans une charge pour faire feu, lâĂ©lan serait perdu et lâattaque trĂšs- probablement repoussĂ©e. Câen serait une encore de se servir de ce moyen pour recevoir une charge ; on serait culbutĂ© avant dâavoir posĂ© le mousqueton et tirĂ© le sabre. Quand le corps de cavalerie est nombreux, il se forme sur deux lignes, comme lâinfanterie. La premiĂšre est toujours dĂ©ployĂ©e. La seconde, qui souvent est dâune force infĂ©rieure, ou se dĂ©ploie en parties, et dĂ©borde les ailes de la premiĂšre de maniĂšre Ă empĂȘcher lâennemi de la tourner, ou se forme en autant de colonnes par pelotons Ă distance entiĂšre qu'il y a dâescadrons. Toutes ces colonnes sont prĂȘtes h se former en bataille par un mouvement en avant trĂšs-rapide, et cependant elles laissent entre elles de grands intervalles par lesquels les escadrons de la premiĂšre ligne pourraient sâĂ©couler facilement sâils Ă©taient mis en dĂ©route ou ramenĂ©s aprĂšs une charge manquĂ©e. Sans cette prĂ©caution, la seconde ligne courrait le risque dâĂȘtre entraĂźnĂ©e par la premiĂšre. La seconde ligne se tient Ă 5 ouGOOpas de distance de la premiĂšre , dont elle suit tous les mouvements en avant ou en arriĂšre. Si la premiĂšre ligne est repoussĂ©e, la seconde envoie quelques escadrons de ses ailes sur les flancs de lâennemi pour la dĂ©gager. En mĂȘme temps, les colonnes se portent en avant au trot pour se dĂ©ployer aussitĂŽt quâelles seront dĂ©masquĂ©es, et se prĂ©cipiter sur lâennemi dont la ligne est aussi dans quelque dĂ©sordre. Câest ainsi que, dans les combats de cavalerie, une troupe dâabord victorieuse est ramenĂ©e par des escadrons qui succĂšdent Ă ceux qui ont Ă©tĂ© battus, et font en un clin-dâĆil changer la face des affaires. La rapiditĂ© des mouvements ex- COMBATS KT ACTIONS l'AItTICULlĂRKS. 320 plique ces pĂ©ripĂ©ties bien plus frĂ©quentes daus cette arme que dans lâinfanterie. Pour Ă©viter ces accidents le ralliement est toujours nĂ©cessaire , mĂȘme aprĂšs le plus brillant succĂšs. Mais, pour cela, il n est point nĂ©cessaire de sâarrĂȘter. On lance quelques pelotons en fourrageurs pour harceler lâennemi, et lâon fait a van cer au pas les Ă©tendards. Les cavaliers, lidĂšles Ă la trompette qui les appelle, viennent reprendre leurs rangs, et les escadrons, en sâavançant toujours, sont bientĂŽt reformĂ©s et prĂȘts Ă fournir de nouvelles charges. La colonne serrĂ©e est celle qui convient le mieux Ă lâinfanterie manĆuvrant sur le champ de bataille ; la colonne Ă distance entiĂšre est, au contraire, la formation habituelle de la cavalerie, parce que les diverses subdivisions peuvent, sans se rompre , tourner au galop pour se former en bataille avec la plus grande rapiditĂ©, de quelque cĂŽtĂ© que l'ennemi se montre. Cependant, la cavalerie peut aussi, quand elle nâa rien Ă craindre pour ses flancs, manĆuvrer Ă demi-distance pour occuper moins de profondeur. Elle est alors obligĂ©e de rompre les subdivisions pour sortir de la colonne, ce qui nâest pas sans quelques inconvĂ©nients. Cette maniĂšre de marcher lui donne le moyen de tromper lâennemi sur la force des colonnes, dont les unes peuvent ĂȘtre formĂ©es Ă demi-distance, et âąes autres h distance entiĂšre. § .3. â Combat db Cavalerie comthb Infanterie. Les charges contre lâinfanterie se font principalement en colonne formĂ©e par escadrons, h double distance, afin que, S un escadron est repoussĂ© , les cavaliers puissent se retour- ner et sâĂ©couler de droite et de gauche pour venir se rallier derriĂšre la colonne. Le second escadron, qui se trouve prĂȘt, 550 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. charge immĂ©diatement et fait la mĂȘme manĆuvre que le premier ; le troisiĂšme arrive h son tour, puis le quatriĂšme , et si lâinfanterie quâon attaque ne fait pas bonne contenance , si elle ne mĂ©nage pas bien son feu, elle sera indubitablement enfoncĂ©e. Les attaques en colonnes, h double distance, se dirigent principalement sur les angles des carrĂ©s qui sont mal dĂ©fendus quand il nây a pas de canons. Contre des lignes dĂ©ployĂ©es et quâon ne peut tourner, on fait ordinairement des charges en Ă©chelons. Cependant les charges en colonnes, quand elles seraient simultanĂ©es surplusieurs points, ne seraient pas moins bonnes. Les unes et les autres valent mieux que la charge en muraille contre lâinfanterie, parce que la perle dâun escadron ne les arrĂȘte pas , que lâon conserve la libertĂ© de mouvement pour se porter sur les parties faibles ou momentanĂ©ment dĂ©garnies de feux ; enfin , parce que des chocs rĂ©itĂ©rĂ©s ou successifs Ă©puisent lâinfanterie et produisent plus dâeffet rĂ©el quâune seule charge, quelque nombreuse et imposante quâelle soit. Une charge en muraille contre lâinfanterie ne peut rĂ©ussir que lorsque celle-ci est dĂ©jĂ Ă©branlĂ©e par les pertes que le canon lui a causĂ©es, ou lorsque la pluie a mis ses armes hors dâĂ©tat de faire feu. A la bataille de Dresde, Murat, profitant dâune semblable circonstance, enfonça une ligne dâinfanterie autrichienne et lui sabra beaucoup de monde. La cavalerie doit Ă©viter de passer trop prĂšs des bois et des rochers, Ă moins de sâĂ©tre assurĂ©e quâils ne sont pas occupĂ©s par des tirailleurs. Elle courrait risque dâĂ©prouver de grandes pertes si elle tombait sous le feu de ces tirailleurs auxquels elle ne peut pas rĂ©pondre. Quand une charge a rĂ©ussi, que la ligne ennemie est enfoncĂ©e, lâessentiel nâest pas de sabrer les fuyards, mais bien de se jeter sur les troupes qui font encore bonne conte âą effet, la cavalerie se rallie et manĆuvre pour envelopper le flanc des portions de ligne qui soutiennent encore le combat. Une ligne dâinfanterie, qui est prise ainsi, est une ligne balayĂ©e. ^ COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 551 Quand, au contraire, la charge est repoussĂ©e , il faut tourner bride et gagner au galop un endroit oĂč le ralliement puisse sâopĂ©rer. Sâil y a une seconde ligne, on la dĂ©masque promptement pour lui donner la facilitĂ© dâentrer en action. Les rangs Ă©tant reformĂ©s, on se prĂ©pare h une nouvelle charge; car il ne faut pas se dĂ©courager pour avoir manquĂ© la premiĂšre. Une bonne cavalerie ne craint pas de renouveler plusieurs fois ses attaques. Quant h lâinfanterie, son rĂŽle est de ne point se laisser intimider, et de recevoir la cavalerie par un feu bien dirigĂ© quâelle ne commencera que de prĂšs, Ă deux cents pas seulement, et par salves, pour produire plus dâeffet. Le feu de rangs, qui est assez compact sans jamais laisser le front dĂ©pourvu, est le plus convenable h employer. Il est possible de faire quatre dĂ©charges pendant que la cavalerie parcoure les 200 pas qui la sĂ©parent de lâinfanterie quand le feu commence. En effet, lâinfajjterie, pouvant tirer trois coups Ă la minute, ou un coup toutes les vingt secondes, et la cavalerie mettant plus de vingt secondes h parcourir deux cents pas au galop, celle-ci aura Ă recevoir dâabord Ăč cette distance la dĂ©charge du troisiĂšme rang, dix secondes aprĂšs, celle du second rang, puis lorsquâelle ne sera plus quâĂ une cinquantaine de pas une nouvelle dĂ©charge du troisiĂšme rang qui a eu le temps de recharger, et enfin la dĂ©charge du premier rang qui est restĂ© genou en terre, si elle arrive jusquâaux baĂŻonnettes. * On pourrait objecter que, dans le trouble que doit nĂ©cessairement occasionner une charge poussĂ©e Ă fond, le troisiĂšme rang, nâaura pas pu recharger ses armes, et quâen rĂ©alitĂ© la cavalerie nâaura eu Ă essuyer que trois dĂ©charges; câest dĂ©jĂ beaucoup; mais toutes uos ressources ne sont pas encore Ă©puisĂ©es; le quatriĂšme rang est encore lĂ avec ses armes chargĂ©es, qui jettera sa bourre au nez des cavaliers qui auraient lâaudace dâaborder la ligne. . Voyez le RĂšglement d'exercice pour l'infanterie f c ralion, I ro partie, art. k. de la ConfĂš- 552 COMBATS HT ACTIONS l'AlflTCljI,IKIUĂS . Mais si le premier escadron est obligĂ© de faire volte-face, le troisiĂšme rang aura, en tout cas, le temps de recharger et sera prĂȘt Ă recevoir le second escadron quand il se prĂ©sentera. Ceci suppose que lâinfanterie est formĂ©e sur quatre rangs ; câest en effet ce que prescrit le rĂšglement, et ce qui est indispensable lorsquâon nâa pas dâartillerie pour en imposer Ă la cavalerie et la tenir Ă©loignĂ©e. Une troupe sur deux rangs est trop faible pour de semblables combats; il en faut au moins trois; quatre valent mieux. La baĂŻonnette est la derniĂšre ressource contre une cavalerie assez audacieuse pour braver tous les feux. On a imaginĂ© de tendre des cordeaux, de dresser des chevaux de frise devant le front pour arrĂȘter la cavalerie ; mais ces moyens, qui peuvent sĂ©duire dans des exercices de parade, sont sans valeur devant lâennemi; ils sont embarrassants et gĂȘnent la troupe dans ses manĆuvres. Le fantassin ne peut et ne doit compter que sur ses armes pour repousser la cavalerie ; il lui faut du sang-froid et la conviction que des chevaux ne pĂ©nĂ©treront jamais dans une troupe dâinfanterie bien serrĂ©e et hĂ©rissĂ©e de baĂŻonnettes; la peur, le dĂ©sordre, les ravages de lâartillerie peuvent seuls la compromettre. Quâelle ne sâeffraye ni de lâapproche des chevaux, ni des cris des cavaliers, quâelle serre et appuie ses rangs, quâelle mĂ©nage bien son feu, et elle nâaura rien h redouter dâune charge. Mais câest principalement par son ordre de bataille que lâinfanterie rĂ©siste Ă la cavalerie ; en se formant en plusieurs carrĂ©s qui se flanquent mutuellement, elle fait plus que doubler sa force de rĂ©sistance ; les feux de flanc et de revers, quâon se procure de la sorte, sont bien plus h redouter pour la cavalerie que les feux directs. Nous avons dĂ©jĂ dit, en parlant des batailles, comment se forment les grands carrĂ©s de division ou de brigade ; ici il ne sâagit que de carrĂ©s de bataillons, parce que nous ne supposons quâun simple engagement entre une troupe dâinfanterie et une troupe de cavalerie ; dans ce cas, la petitesse des carrĂ©s importe peu; il nây a guĂšre que les COMRATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 33Ă Ă©tats-majors Ă y renfermer; il vaut mĂȘme beaucoup mieux former plusieurs petits carrĂ©s quâun seul grand, parce que si ce grand carrĂ© Ă©tait enfoncĂ© tout serait perdu, tandis que lorsquâil y en a plusieurs, la perte de lâun dâeux nâentraĂźne pas celle des autres, outre que cet accident est moins probable puisquâils sont mieux dĂ©fendus dans ce dernier cas que dans le premier. La formation de ces carrĂ©s est trĂšs-simple les bataillons marchent et manĆuvrent en colonnes serrĂ©es, chaque bataillon formant sa colonne; ils se mettent sur une seule ligne, h distance ou demi-distance de dĂ©ploiement; ils font individuellement un changement de direction Ă quarante-cinq degrĂ©s, et ils forment simultanĂ©ment leurs carrĂ©s, sur la place quâils occupent, en prenant par la tĂȘte lesdislancesqui leur sont nĂ©cessaires. PlacĂ©s de la sorte, les carrĂ©s ont toutes leurs faces dĂ©masquĂ©es; ils peuvent, quoique trĂšs-rapprochĂ©s les uns des autres, faire feu sans se nuire, et les tirailleurs ont encore la possibilitĂ© de se pelotonner aux angles opposĂ©s de chaque carrĂ©; on peut aussi se procurer le flanquement dĂ©sirĂ© en formant les carrĂ©s en Ă©chelons, chaque bataillon sâavançant assez pour ne point gĂȘner celui qui est en arriĂšre ; la bonne distance est de deux fronts de division ; une distance dâun Iront et. demi peut, Ă la rigueur, suffire, mais il faut beaucoup de prĂ©cision dans la manĆuvre pour que les carrĂ©s ne se tirent pas les uns sur les autres. Nos troupes devraient sâexercer souvent Ă ce genre de manĆuvres ; ce quâelles auraient le plus h redouter en cas de guerre, ce serait les attaques de l a cavalerie, faute de pouvoir les paralyser par des attaques Se mblables. 11 faut donc quâelles sachent prendre ces disposions dâune maniĂšre prompte et sure, sans la moindre hĂ©sita- l °n, et avec celte assurance quâon nâapporte quâaux choses 'lui sont familiĂšres. Remarquons que ces manĆuvres, se faisant en colonne serrĂ©e, nâexposent point les troupes Ă ĂȘtre prises SUr le temps et Ă ĂȘtre sabrĂ©es avant que le mouvement soit a chevĂ©, parce que la colonne serrĂ©e est en elle-mĂȘme capa- COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 554 blĂ© de repousser une attaque de cavalerie ; câest un carrĂ© plein qui, moyennant un Ă droite et un Ă gauche des files latĂ©rales, et un demi-tour Ă droite des derniers rangs, fait l'eu de tous les cĂŽtĂ©s. Lâinfanterie pourra donc manĆuvrer et marcher de la sorte en prĂ©sence de la cavalerie, sans courir de grands dangers, pourvu que chaque masse reste bien compacte et que les colonnes se tiennent h portĂ©e de se secourir mutuellement. Avec les carrĂ©s vides elle nâa pas le mĂȘme avantage, parce que dans les marches les lianes sâallongent et se dĂ©sunissent, en sorte que lorsque le carrĂ© s'arrĂȘte et fait front de nouveau, il y a des vides dans les rangs, par lesquels la cavalerie pourrait pĂ©nĂ©trer si elle arrivait avant quâils fussent bouchĂ©s. Lâinfanterie doit prendre garde de ne pas perdre ses coups contre de simples escarmoucheurs que la cavalerie envoyĂ© quelquefois en avant, pour tĂąter la troupe qui lui est opposĂ©e, la dĂ©garnir de son feu ou Ă©lever de la poussiĂšre Ă la faveur de laquelle elle puisse faire quelque mouvement qui prĂ©pare son attaque. Si lâinfanterie tirait imprudemment sur ces cavaliers isolĂ©s dont elle nâa rĂ©ellement rien Ă craindre, les premiers escadrons sâĂ©lanceraient sur elle et la prendraient au dĂ©pourvu. Elle ne doit rĂ©pondre Ă ces escarmoucheurs que par le feu de quelques tirailleurs qui, sans trop sâaventurer, se portent en dehors du carrĂ© et chassent ces importuns. Ce qui prĂ©cĂšde dit assez, quâĂ moins dâĂȘtre fortement appuyĂ© par les ailes, ce nâest pas en se dĂ©ployant en ligne qu'on peut combattre la cavalerie. On nâessayera pas en sa prĂ©sence des manĆuvres telles que les dĂ©ploiements par un mouvement processionnel, les changements de front, etc., elles sont trop lentes et donnent trop de prise Ă une cavalerie alerte, pour ĂȘtre tentĂ©es. RĂ©pĂ©tons-le, pour manĆuvrer devant la cavalerie et pour la combattre , lâinfanterie ne peut se former quâen masses ou en carrĂ©s. COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 335 §4. â Attaque Dâune Batterie. Une troupe dâinfanterie ou de cavalerie peut ĂȘtre destinĂ©e Ă enlever une batterie câest lorsque la batterie est mal soutenue et quâelle nâest composĂ©e que dâun petit nombre de piĂšces. Les Suisses, dans leurs guerres avec les Bourguignons, avaient fort peu dâartillerie ; ils comptaient sur celle de leurs adversaires dont ils sâemparaient ordinairement. La troupe qui marchait Ă la batterie, se jetait ventre Ă terre quand elle voyait le feu des piĂšces; les boulets passaient au dessus dâelle ; elle se relevait pour sâapprocher davantage , se couchait de nouveau pour Ă©viter une seconde salve , se relevait encore, courait aux piĂšces, sâen empa- rait et les tournait contre lâennemi lui-mĂȘme. Mais, de nos jours, lâartillerie est trop bien servie pour quâune troupe rĂ©unie puisse essayer un semblable jeu; et dâailleurs, les coups Ă©tant tirĂ©s les uns aprĂšs les autres sans discontinuitĂ© , il lui serait impossible de les Ă©viter tous. Il nây a que des hommes isolĂ©s, combattant en tirailleurs qui, jugeant mieux de la piĂšce quâils ont devant eux , puissent en Ă©viter les coups en se couchant quand ils y voient mettre le feu ; ils arriveront ainsi et en rampant, pour ainsi dire, jusquâĂ gagner quelque pli de terrain qui les couvre en partie et dâoĂč ils puissent inquiĂ©ter les canonniers Ă leurs PiĂšces. Ce nâest donc quâen sâouvrant, pour former une c haine de tirailleurs, quâune troupe dâinfanterie peut marier de front Ă lâattaque d'une batterie ; la distance dâun *'°Binie Ă lâautre doit ĂȘtre aussi grande que possible , afin d offrir peu de prise aux boulets ou Ă la mitraille, et de permettre Ă chaque individu, soit de se couvrir des inĂ©galitĂ©s sol, soit de faire ce qui a Ă©tĂ© dit plus haut. En mĂȘme temps que ces tirailleurs marchent de front Ă la boiterie, dâautres troupes formĂ©es en colonnes en menacent 336 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. les flancs; car la batterie nâest ordinairement pas seule , elle est soutenue par de lâinfanterie ou de la cavalerie quâil faut repousser pour sâen emparer. Si lâartillerie dirige son feu sur ces colonnes, les tirailleurs en profitent pour sâapprocher dâelle et mĂȘme pour se jeter dans la batterie ; si au contraire elle continue Ă rĂ©pondre aux tirailleurs, les colonnes sâavancent sans de grandes pertes. ArrivĂ©es Ă petite distance , elles se prĂ©cipitent sans dĂ©libĂ©rer sur la troupe dâescorte, et, aprĂšs lâavoir culbutĂ©e , elles la laissent courir pour se retourner et prendre la batterie Ă revers. On comprend que la cavalerie, par la rapiditĂ© de ses mouvements, est lâarme qui est surtout propre Ă ce coup de main. Il convient donc dâattaquer une batterie avec les deux armes rĂ©unies, lâinfanterie en avant et de front en tirailleurs, la cavalerie en colonnes sur les ailes. Les piĂšces prises, il faut, si les chevaux sont encore en Ă©tat de les conduire , se hĂąter de les emmener , sinon , ou lorsquâon voit arriver des forces supĂ©rieures pour les reprendre , il faut les enclouer, ou tout au moins emporter les refouloirs; on les mettra ainsi hors dâusage pour quelque temps. Lâen- clouage se fait au moyen dâune baguette de pistolet quâon chasse dans la lumiĂšre avec un caillou et quâon force h se recourber dans lâĂąme de la piĂšce. Il suit de ce qui prĂ©cĂšde, quâune batterie qui nâest soutenue que par des forces infĂ©rieures Ă celles de lâennemi, ou qui nâa pas de cavalerie Ă opposer Ă la sienne, et qui, par consĂ©quent, court le plus grand danger dâĂȘtre attaquĂ©e par le flanc, doit chercher Ă gagner un terrain dĂ©favorable Ă la cavalerie. Des broussailles qui la couvriraient en partie, sans cependant empĂȘcher son actionj la lisiĂšre dâun bois, seraient des emplacements quâelle devrait choisir de prĂ©fĂ©rence. Quelques tirailleurs , postĂ©s Ă droite et Ă gauche des piĂšces pour contenir les tirailleurs ennemis , seront dâun bhn secours. Lâinfanterie se tiendra Ă quelque distance, prenant ses dispositions pour recevoir lâattaque, et la cavalerie , sâil y en a , formera COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 5 ." 7 Ăźles Ă©chelons encore plus en arriĂšre pour se jeter sur le flanc de la cavalerie ennemie, au moment oĂč celle-ci cherchera Ă dĂ©border lâinfanterie. 11 nâest pas impossible Ă une batterie qui se voit enveloppĂ©e de faire lace de tous cĂŽtĂ©s, et, pour peu que le terrain lui soit favorable, de repousser les attaques dâune nombreuse cavalerie. On lit, dans la vie du gĂ©nĂ©ral Foy, que, se trouvant prĂšs de Schalfouse , aprĂšs la prise de Zurich , en 1799, il vit dĂ©boucher du pont une masse de cavalerie russe. Heureusement quâil y avait prĂšs de sa batterie un bouquet de sapins ; d se hĂąta d'y retirer ses piĂšces et les y plaça en carrĂ©. La cavalerie russe Ă©tait nombreuse ; son attaque fut terrible. Cependant les canonniers, excitĂ©s par leur digne chef, tinrent bon et ne cessĂšrent de tirer Ă mitraille quâau moment oĂč ils furent dĂ©livrĂ©s par deux rĂ©giments dâinfanterie qui accoururent pour les secourir. g 5. â Attaque et dĂ©temse dâdnb Redoute. La redoute est armĂ©e de canon, ou nâest dĂ©fendue que par lâinfanterie. Dans le premier cas, il faudra faire taire le canon avec du canon ; dans le second, on peut marcher sans prĂ©ambule h son attaque. Les tirailleurs principalement les carabiniers enveloppent dâabord la redoute dans une partie de son contour, dirigeant leurs coups sur la crĂȘte du parapet pour empĂȘcher les dĂ©fenseurs de se montrer, ou du moins pour les forcer Ă tirer "âec prĂ©cipitation et sans justesse. Ils resserrent leur cercle "'sensiblement, et, leurs feux convergents, sillonnant les pa- la Pels, prennent de plus en plus la supĂ©rioritĂ©. ArrivĂ©s Ă fluelque distance des fossĂ©s, ils se mettent h la course et sau- len t dedans, Ăč moins que des obstacles tels que palissades, "l'atis, trous de loup, ne les arrĂȘtent ; auquel cas ils les ren* 22 COMBATS ET ACTIONS versent avec la hache , ou les comblent avec les fascines dont ils ont eu la prĂ©caution de se munir. Cependant tous ne se jettent pas dans le fossĂ©; une partie reste sur la contrescarpe pour tirer sur quiconque oserait se montrer derriĂšre le parapet. Quand les troupes ont repris haleine au fond du fossĂ©, elles donnent lâassaut; et pour cela, les soldats sâaident les uns les autres et montent sur la berme ; de lĂ ils sâĂ©lancent tous ensemble sur le parapet, sautent dans la redoute et forcent les dĂ©fenseurs Ă mettre bas les armes. Si la redoute Ă©tait armĂ©e de canon et prĂ©sentait un degrĂ© de force plus grand que nous ne lâavons supposĂ© , il faudrait dâabord la canonner de maniĂšre Ă briser ses palissades , dĂ©monter ses piĂšces, labourer ses parapets. On cherche , pour placer le canon dâattaque, les endroits les plus favorables ; ce sont ceux qui dominent lâouvrage, ou qui, se trouvant dans le prolongement des faces, donnent le moyen de les prendre dâenfilade. Si la redoute est percĂ©e dâembrasures, il faut diriger une ou deux piĂšces dans chacune ; les coups de plein fouet quâelles leur adresseront, non-seulement dĂ©monteront les piĂšces, mais encore pĂ©nĂ©treront dans lâintĂ©rieur de lâouvrage, et y feront des ravages dĂ©moralisants pour le dĂ©fenseur. Quelques bons tireurs, qui sâapprocheront de ces embrasures en en Ă©vitant les coups directs, ajusteront les canonniers toutes les fois quâils sc montreront pour recharger leurs piĂšces. Câest seulement aprĂšs que celte artillerie aura produit son effet, que les tirailleurs envelopperont lâouvrage pour agir comme il a Ă©tĂ© dit plus haut. Mais si lâinfanterie de ligne doit prendre part Ă lâattaque, elle se forme en autant de colonnes quâil y a de saillants Ă attaquer ; chacune de ces colonnes est prĂ©cĂ©dĂ©e de quelques travailleurs armĂ©s de haches , et de porteurs dâĂ©chelles. Câest une sage prĂ©caution que de donner aux hommes des premiers rangs des fascines dont ils se font un bouclier, et au moyen desquelles ils comblent en partie les fossĂ©s. Les tirailleurs sâouvrent pour laisser passer les colonnes ; ils redoublent la vivacitĂ© de leur feu pour soutenir lâat- COMBATS RT ACTIONS PARTICULIĂRES. !>.VJ laque jusquâau moment, oĂč les assaillants escaladent le parapet. Uâessenliel, dans ce moment dĂ©cisif, câest de faire avec ensemble le dernier effort, et de sauter dans lâouvrage de tous les cĂŽtĂ©s Ă la fois. Il faut donc que la troupe sâarrĂȘte un moment sur la benne et qu'elle attende le signal convenu, pour gravir le talus extĂ©rieur et monter vers la plongĂ©e. Ce doit ĂȘtre comme une vague qui passe sur un Ă©cueil. Si la redoute nâest pas secourue, ni appuyĂ©e par des troupes qui en dĂ©fendent les flancs, il est difficile quâelle rĂ©siste longtemps Ă une attaque dirigĂ©e de la sorte et vaillamment exĂ©cutĂ©e. On ne peut disconvenir que la dĂ©fense dâune redoute abandonnĂ©e Ă ses propres forces, ne soit une commission fort pĂ©rilleuse et dont le succĂšs est trĂšs-problĂ©matique. Mais, ordinairement, la redoute est flanquĂ©e par dâautres ouvrages sur ses ailes, ou soutenue par des troupes. Dans tous ces cas on peut raisonnablement espĂ©rer de repousser lâennemi, ou de soutenir assez longtemps ses attaques pour donner aux troupes de secours le temps dâarriver. Quoiquâil en soit, le premier soin du commandant du poste doit ĂȘtre de soutenir le moral de ses soldats par son air de confiance , ses propos guerriers, son activitĂ© h mettre toutes choses dans le meilleur ordre. Si lâattaque nâest pas immĂ©diate, le commandant fera entourer la redoute dâabatis ; il sâapprovisionnera de grosses pierres pour la dĂ©fense des fossĂ©s; il tĂąchera de se procurer des s *tcs h terre pour en faire des crĂ©neaux sur le parapet. Sinon d y supplĂ©era par des bourrelets de gazons qui feront comme Citant de petites embrasures h travers lesquelles les meilleurs l,r eurs ajusteront lâennemi. Une poutre, mise en travers sur bourrelets, peut h la fois servir de frontal aux tireurs et de nio yen de dĂ©fense lorsquâon la fera roule sur lâassaillant. bo canon engage lâaffaire. AussitĂŽt quâon dĂ©couvre les bni- te Hes de lâennemi, on tire dessus pour profiter de lâavantage 1 U ° n a au premier moment. Mais quand une fois ces batte- ,,es ont pris leur position, que les piĂšces en sont en partie SiO COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. couvertes par le terrain, et que leurs feux commencent Ă produire de l'effet, la lutte nâest plus Ă©gale. 11 faut retirer le canon dans lâintĂ©rieur de lâouvrage; on ne laissera que celui qui serait couvert par de bonnes traverses. On peut nĂ©anmoins le remettre en batterie, de temps Ă autre, pour lĂącher quelques coups de mitraille sur les tirailleurs qui serreraient lâouvrage de trop prĂšs. Cela les intimide plus que la fusillade. Elle nâest dâabord soutenue que par quelques-uns des plus habiles tireurs qui se nichent dans les angles, derriĂšre les traverses, partout oĂč les coups de lâennemi parviennent le plus dillicilement. Mais quand la redoute est tellement serrĂ©e que lâartillerie ennemie ne pourrait continuer son feu sans danger, pour les assaillants, les soldats montent sur les banquettes, les piĂšces sont ramenĂ©es, et le feu le plus vif est dirigĂ© sur les colonnes dâattaque et sur les chaĂźnes de tirailleurs qui cherchent Ă renverser les abalis pour se frayer un passage jusquâĂ la contrescarpe. Câest le moment de faire partir les fougasses quâon aurait prĂ©parĂ©es sur le glacis ou dans lâintĂ©rieur de lâouvrage. Si, malgrĂ© cela, lâennemi parvient jusquâau fossĂ© et quâil sây rassemble pour donner lâassaut, tout nâest pas encore perdu. O 11 roule sur lui des obus, des troncs dâarbres, degrossespier- res, puis on monte sur le parapet pour le recevoir avec la baĂŻonnette ou la crosse du fusil. Plus dâune attaque a manquĂ© pour avoir Ă©tĂ© reçue de la sorte. A la dĂ©fense dâIIuningue, en 17ĂG, le capitaine dâartillerie Foy, sâapercevant que lâen- neini avait dĂ©jĂ dressĂ© ses Ă©chelles contre la demi-lune quâil occupait, fait rouler dans le fossĂ© des obus, qui font Ă lâennemi, qui y Ă©tait entassĂ©, un mal considĂ©rable. Les canonniers se saisissent de leurs leviers, de leurs refouloirs, sâĂ©lancent sur le parapet et renversent dans le fossĂ© les premiers qui se prĂ©sentent. Lâennemi dĂ©couragĂ© dut renoncer Ă son attaque. Les ouvrages de campagne ne sont pas, sans doute, aussi faciles Ă dĂ©fendre que cette demi-lune, parce que leurs fossĂ©s nâont pas la mĂȘme profondeur; cependant il en est dont les COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 341 parapets ont assez de relief pour quâon paisse, sans tĂ©mĂ©ritĂ©, la tenter. Si lâon rĂ©flĂ©chit au dĂ©sordre des assaillants dans un tel moment, Ă la dillicultĂ© quâils ont de faire usage de leurs armes , et Ă lâavantage physique et moral que doit avoir celui qui est placĂ© debout sur le parapet, dont le pied est affermi, que rien ne gĂȘne dans ses mouvements, non-seulement on concevra que les dĂ©fenseurs ont des chances pour eux , mais encore on se demandera comment il serait possible quâils ne fussent pas victorieux. § G. â Attaque et dĂ©fense Dâdne Cassine. On nomme cassine une grande ferme isolĂ©e avec ses dĂ©pendances, telles que granges, celliers, Ă©tables, etc. Ces bĂątiments sont ordinairement entourĂ©s de murailles formant cour, et sont, par lĂ mĂȘme, trĂšs-propres Ă ĂȘtre dĂ©fendus. Lâattaque dâune seule maison ou dâune cassine retranchĂ©e offre souvent plus de difficultĂ©s que celle d'une redoute, parce que les accĂšs en sont plus difficiles, et que lâennemi, tirant de tous les Ă©tages, y est ordinairement bien couvert. Approchez-vous donc avec prĂ©caution pour prendre une idĂ©e du genre de difficultĂ©s qui vous allendenl, faites votre r econnaissance et arrĂȘtez vos dispositifs pour lâattaque quâil est bon de commencer un peu avant le jour, afin de vous approcher des murs sans de trop "grands dangers. Vous ignorez quels sont les moyens de rĂ©sistance que lâennemi prĂ©pare dans lâintĂ©rieur; nâimporte, il vous suffit de connaĂźtre, pour moment, quelles sont les murailles percĂ©es de crĂ©neaux flui auront vue sur les attaques, quelles sont les ouvertures °h vous devez diriger vos efforts. Pendant que vous vous fondrez maĂźtre de ces parties, le jour viendra qui Ă©clairera Vos progrĂšs et vous montrera ce quâil vous reste Ă connaĂźtre. Autant il Ă©tait nĂ©cessaire de profiter des ombres de la nuit 542 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. pour vous approcher et vous emparer des parties extĂ©rieures, autant il y aurait de tĂ©mĂ©ritĂ© Ă pĂ©nĂ©trer dans lâintĂ©rieur sans voir ce qui sây trouve ; vous tomberiez dans un vĂ©ritable guĂȘpier, oĂč les plus braves des vĂŽtres perdraient la vie. Munissez-vous de tout ce qui esât nĂ©cessaire pour faire sauter les serrures et enfoncer les portes; et si, dans votre troupe, il ne se trouvait personne qui sĂ»t manier ces instruments , vous forceriez des ouvriers de rĂ©quisition h vous accompagner. Mais, comme la peur les prendra aisĂ©ment, il faut charger quelques soldats dĂ©terminĂ©s de ne point les perdre de vue. Vous devez apporter aussi quelques Ă©chelles pour pĂ©nĂ©trer, sâil est possible, par les fenĂȘtres, ou jeter des grenades dans lâintĂ©rieur. Vous prendrez des sacs Ă terre ou de forts plateaux pour masquer les crĂ©neaux, surtout ceux qui sont dans le bas des murs, et que vous ne pouvez emboucher. Enfin vous vous pourvoirez de quelques bottes de paille et de fagots pour mettre le feu h la cassine, si cela devenait nĂ©cessaire. Je ne suppose point que vous ayez du canon, car avec un pareil secours vous auriez bientĂŽt raison de l'ennemi, se fĂ»t- il retranchĂ© dans un chĂąteau-fort. Lâattaque est faite par un simple corps dâinfanterie. Vous vous approchez en silence jusquâĂ ce que vous soyez dĂ©couverts; mais quand les sentinelles vous ont annoncĂ©, et que lâennemi commence Ă tirailler, vous vous prĂ©cipitez sur les premiĂšres dĂ©fenses et les abordez sur plusieurs points Ă la fois pour diviser lâattention de lâennemi. Une premiĂšre enceinte, une muraille crĂ©nelĂ©e, je le suppose, vous arrĂȘte dâabord; mais en plaçant plusieurs fusils dans chaque crĂ©neau, vous avez trop dâavantage sur le dĂ©fenseur pour quâil vous rĂ©siste longtemps sur ce point. 11 le quitte bientĂŽt pour se renfermer dans son rĂ©duit. Vous enfoncez la porte du clos pour le suivre, ou vous abattez un pan de mur. Vous voilĂ au pied de la maison votre premier soin doit ĂȘtre de faire boucher avec les sacs Ă terre ou les plateaux les C0MUAT9 ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 343 crĂ©neaux infĂ©rieurs, et, en mĂȘme temps, d'assaillir les portes pour les enfoncer h coups de haches et de bĂ©liers, ou les enlever de leurs gonds avec les leviers dont vous ĂȘtes munis. Si ces portes ne sont pas appuyĂ©es par derriĂšre, elles seront bientĂŽt renversĂ©es, quelque fortes quâelles soient. Cependant les plus adroits tireurs visent aux fenĂȘtres pour en chasser tous ceux qui sây prĂ©sentent, et cela est facile, mĂȘme de nuit, si la maison est Ă©clairĂ©e en dedans; eux-mĂȘmes ont soin de changer de place pour que le coup quâils viennent de tirer ne les trahisse pas. Les soldats se rĂ©unissent deux par deux, trois par trois, pour emboucher les crĂ©neaux qui sont Ă leur portĂ©e, ou pour tirer sans relĂąche contre ceux quâils ne peuvent atteindre autrement. Ils se saisissent de ce quâils peuvent trouver sous la main, en poutres, plateaux, meubles, pour masquer ceux de ces crĂ©ueaux dont lâeffet est le plus Ă craindre. Pendant que les uns sont ainsi occupĂ©s, dâautres approchent les Ă©chelles et cherchent Ă escalader les premiĂšres fenĂȘtres que lâennemi a momentanĂ©ment abandonnĂ©es. Ceux-ci vont Ă la recherche des issues dĂ©robĂ©es et essayent de pĂ©nĂ©trer par les endroits oĂč lâennemi est le moins sur ses gardes ; ceux-lĂ suspendent une forte poutre Ă un chevalet composĂ© de trois piĂšces liĂ©es ensemble par le haut, et, en brandissant ce bĂ©lier, ils font une brĂšche Ă la muraille, et fournissent Ă leurs camarades un nouveau moyen de pĂ©nĂ©trer dans lâintĂ©rieur. La nuit rend ces opĂ©rations faciles. Quand le jour vient Ă©clairer cette scĂšne vous pouvez entrer dans le rez-de-chaussĂ©e et en chasser dĂ©finitivement les dĂ©fenseurs, en renversant les barricades Ă mesure que vous les dĂ©couvrez. Maintenant ils ont le haut de la maison, et vous tenez le bas. Vous leur offrez la capitulation sâils lâacceptent tout est fini ; vous traitez vos prisonniers en braves militaires, et vous leur tĂ©moignez dâautant plus dâĂ©gards quâils ont fait one plus belle rĂ©sistance. Si la capitulation est rejetĂ©e, vous nâirez pas perdre votre temps, et vous exposer Ă toutes sortes COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 3 U de dangers en escaladant les Ă©tages supĂ©rieurs dont les escaliers sont probablement rompus ; mais allumant un grand feu au-dessous, vous forcerez ces enragĂ©s h demander merci. Il peut se rencontrer des cas oĂč il faille employer des moyens extraordinaires pour sâemparer dâun semblable poste, mais telle est en gĂ©nĂ©ral la marelie Ă suivre. Pour dĂ©fendre une cassine, il faut commencer par la mettre en Ă©tat de rĂ©sistance on barricade les portes, et, pour peu quâon ait du temps, on perce des crĂ©neaux h tous les Ă©tages, en ayant soin de les faire aussi petits que possible, et assez liants pour que lâennemi ne puisse pas les emboucher. Une banquette, construite en planches posĂ©es sur des tonneaux, sur des meubles ou des chevalets, permettra dâen faire usage depuis le dedans. On pratique aussi des crĂ©neaux Ă raz-terre ; ils inquiĂštent beaucoup lâennemi sâil ne songe pas Ă les masquer. Les angles sont les parties faibles, il faut donc tAcher dâv percer un crĂ©neau, quoique cela soit ordinairement plus difficile quâailleurs. On abattra la couverture si elle est de chaume, pour Ă©viter le danger du feu ; et, si elle est en tuiles, on y pratiquera des ouvertures, au moyen desquelles on puisse jeter toutes sortes de choses sur lâennemi, qui, nichĂ© au bas des murailles, serait Ă lâabri du feu des crĂ©neaux. Pour Ă©carter lâincendie, qui est de tous les accidents le pire, les planchers seront recouverts dâune couche de terre ou de fumier. Les poutres principales de la charpente seront Ă©tançonnĂ©es, si lâon a du bois sous la main , afin quâune brĂšche aux murailles nâen entraĂźne pas la chute; et, pour boucher cette brĂšche, on tiendra prĂȘts quelques meubles, tels que buffets, grandes tables, etc. On ouvre enlin le plancher au-dessus de la porte, pour pouvoir percer de baĂŻonnettes les premiers qui se prĂ©senteront Ă cette porte. Il va sans dire que si la cassine est entourĂ©e dâune muraille de clĂŽture, on la percera de crĂ©neaux, toujours dâaprĂšs les mĂŽmes principes, et quâon ne se retirera dans la maison quâaprĂšs avoir dĂ©fendu lâenceinte et fait au dehors toute la rĂ©sistance dont on est capable. COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 545 L'hisloire offre bien des exemples de postes de cette nature, qui ont Ă©tĂ© dĂ©fendus pendant longtemps, mĂȘme contre des forces trĂšs-supĂ©rieures. Une bande de guĂ©rillas commandĂ©e par un capucin, fut forcĂ©e de se rĂ©fugier dans une vieille tour bĂątie prĂšs du village de San Miguel, sur la rive gauche de la Fluvia. Le moine intrĂ©pide dĂ©fendit ce poste pendant trois jours, bravant le feu de la mousqueterie et de l'artillerie, et lâĂ©paisse fumĂ©e quâon alluma au pied de la tour pour Ă©touffer la garnison. Les assaillants perdirent une quarantaine dâhommes et eurent beaucoup de blessĂ©s dans lâattaque de cette bicoque. Le manque de vivres et de munition put seul dĂ©terminer le capucin Ă accepter une espĂšce de capitulation, dâaprĂšs laquelle il descendit du sommet de la tour Ă lâaide de cordes, tous les planchers intĂ©rieurs ayant Ă©tĂ© dĂ©vorĂ©s par les Uammcs. Il paraĂźt, dâaprĂšs cette relation, que les murs de la tour Ă©taient trĂšs-Ă©pais et quâelle Ă©tait recouverte dâune voĂ»te en maçonnerie, circonstance extrĂȘmement favorable h la dĂ©fense, mais rare Ă rencontrer. Voici un autre exemple plus conforme au sujet du texte, et qui est assez instructif pour le rapporter au long, il est tirĂ© du commentaire sur Polybe par Folard, qui est lui-mĂȘme un des acteurs principaux de cette scĂšne Une grande cassine, appelĂ©e la Bouline, sâĂ©levait dans une plaine, prĂšs dâun canal, oĂč les fourrageurs du prince EugĂšne venaient couper de lâherbe pour les chevaux. Le chevalier Folard, qui servait dans lâarmĂ©e du due de VandĂŽme, proposa dâoccuper cette cassine pour resserrer la droite de lâarmĂ©e ennemie et empĂȘcher ses fourrages. Sa proposition fut acceptĂ©e. Je fus tout Ă©tonnĂ©, dit-il lui-mĂȘme, dây trouver des crĂ©neaux pratiquĂ©s dans lâenclos de la cour, et je jugeai bien que celui qui les avait faits âąlâĂ©tait pas un fort habile homme; car, outre quâils Ă©taient l rop bas, ils Ă©taient de plus dâun pied de diamĂštre, en sorte ffue ceux du dehors avaient le mĂȘme avantage pour tirer que ceux du dedans, dĂ©faut auquel il Ă©tait impossible de remĂ©dier 346 COMiiATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. sans les fermer, ce qui nâĂ©tait pas aisĂ© , faute de temps. On mit quatre compagnies dans la cassine, et, Ă peine les premiĂšres dispositions Ă©taient-elles prises, que lâennemi se prĂ©senta en grandes forces amenant du canon. Je me jetai dans ce poste, dit encore Folard, au moment oĂč lâon venait de fermer la porte du cĂŽtĂ© du canal. Je trouvai nos gens fort empressĂ©s, car on voyait, malgrĂ© lâobscuritĂ©, les ennemis qui sâavançaient droit Ă nous. La Tour-Fragnier avait dĂ©jĂ fait avancer un foudre oĂč lâon fait cuver le vin, contre une seconde porte de lâenclos, ce qui nous mettait en sĂ»retĂ©. Je lui dis quâil en fallait faire autant Ă celle du canal. On avait postĂ© La Roque, avec sa compagnie, dans un colombier qui Ă©tait tout ce quâil y avait de meilleur Ă dĂ©fendre bravement. 11 y avait six marches de pierre pour y monter, et la porte Ă©tait si petite quâon ne pouvait y entrer quâun Ă un, autre avantage. Il lit monter par une Ă©chelle, Ă lâĂ©tage dâen haut, sept grenadiers pour tirer des fenĂȘtres oĂč il y avait des barreaux de fer, et occupa le bas. VoilĂ pour celui-ci. Les autres compagnies furent distribuĂ©es aux portes, tout autour du mur de clĂŽture, dans les celliers et dans un poulailler. Les choses Ă©taient dans cet Ă©tat quand les ennemis arrivĂšrent avec du canon ; ils avaient presque tous les grenadiers de lâarmĂ©e, du moins quinze cents. Monsieur le prince de Wurtemberg Ă©tait Ă la tĂšte de celte entreprise, oĂč jâai tirĂ© plus dâinstruction des fautes qui lui sont Ă©chappĂ©es que sâil nâen eĂ»t fait aucune. Pendant quâon dĂ©telait le canon, qui fut pointĂ© contre la porte opposĂ©e au canal, le prince de Wurtemberg disposa toutes choses pour lâattaque. Trois coups servirent de signal Ă lâinfanterie. La cassine fut enveloppĂ©e de toutes parts, hors du cĂŽtĂ© du cellier, oĂč les ennemis ne prirent pas garde, Ă cause de la nuit, quâil y avait une porte cochĂšre, dont une fois maĂźtres ils lâĂ©taient de toute la cassine, hors le colombier et le poulailler; cette faute leur coĂ»ta bon, sans mettre en ligne de compte la honte qui suit toujours les entreprises mal concertĂ©es. COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 517 Les ennemis furent bientĂŽt maĂźtres de nos crĂ©neaux en Courant cinq ou six fusils dedans, et dans un instant nous fĂ»mes enveloppĂ©s de mille feux et forcĂ©s de nous rĂ©fugier oĂč nous pĂ»mes. Je mâĂ©tais jetĂ© sous le portique dâun pressoir, avec vingt ou trente grenadiers de diffĂ©rentes compagnies, tout auprĂšs de la porte du canal, quand je mâaperçus qu'elle Ă©tait attaquĂ©e. Les ennemis, ne pouvant lâenfoncer, commencĂšrent Ă la couper h coups de haches. Je dis aux grenadiers que la porte n'ayant pas de crĂ©neaux, il fallait tirer h lâendroit oĂč l'on tĂąchait de la rompre. Je les fis reculer dâenviron six pas et ils firent grand feu ; les balles, perçant Ă travers, tuĂšrent ou blessĂšrent la plupart de ceux qui travaillaient Ă la couper. On ne sâĂ©tait pas attendu Ă cette attaque, parce que lâon croyait que les ennemis ne voudraient pas se mettre entre deux feux, car nous avions environ deux cents hommes Ă notre pont sur le canal. Je mâaperçus bientĂŽt du succĂšs du feu que nous faisions contre la porte, car on la coupait avec moins de vivacitĂ© ; mais, comme elle nâĂ©tait que de sapin et fort peu Ă©paisse, ils tirent une ouverture h passer deux hommes, assez incommo- dĂ©ment, parce quâĂ©tant faite trop bas, il fallait quâils se baissassent pour entrer. Je jugeai, des lors, quâil Ă©tait temps dâapprocher de cette ouverture. Les premiers des ennemis, poussĂ©s par ceux qui les suivaient, se pressaient dâentrer; mais Ă peine Ă©taient-ils dedans, quâils Ă©taient reçus h coups de baĂŻonnettes et Ă©gorges sans misĂ©ricorde et, comme ceux qui les suivaient ne voyaient rien de cette boucherie, ils se pressaient dâentrer pour avoir la gloire dâĂ©tre des premiers ; cela dura un certain temps, lorsquâon sâaperçut dâune autre ouverture quâils venaient dĂ©faire Ă lâautre battant de la porte; les premiers Ă©taient Ă peine demi-entrĂ©s, quâils furent Ă©gorgĂ©s, et ceux-lĂ bouchĂšrent le trou. Les ennemis, voyant cela, tirent de puissants efforts pour enfoncer cette porte, et ajoutĂšrent des levers, de sorte quâils la firent sauter hors de ses gonds. On Put dâabord leur rĂ©sister, mais quand le second battant qui 548 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. craquait tomba tout dâun coup, on les vit entrer en foule comme un torrent. Je fus blessĂ© et entraĂźnĂ© dans la cour; lâobscuritĂ© me permit de gagner le poulailler sans ĂȘtre reconnu. Jây trouvai une quinzaine de grenadiers qui tiraient sans cesse sur un corps qui Ă©tait en bataille derriĂšre la cassinc. Lâennemi remplissait la cour, et nâayant pas eu la prĂ©caution dâĂ©teindre les feux que nos soldats y avaient allumĂ©s, nous les visions et les choisissions Ă la clartĂ© des feux, comme il nous plaisait. Le prince de Wurtemberg, craignant que les secours nâarrivassent, crut quâen se rendant maĂźtre du colombier le reste ne tiendrait pas longtemps; il le fit attaquer et sâempara facile- - ment du bas; mais les sept grenadiers qui dĂ©fendaient le haut, ne voulurent point se rendre et continuĂšrent leur feu au grand prĂ©judice des attaquants, et il y a lieu de sâĂ©tonner que celui-ci, maĂźtre du bas, ne songeĂąt pas Ă y mettre le feu, ou Ă le faire sauter en y jetant un baril de poudre, et dâen faire autant au poulailler. CâĂ©tait ce que nous craignions le plus, et ce qui nous obligea Ă faire un trou dans le plancher, pour tirer dâen haut sur ceux qui sâaviseraient dâentrer dans lâĂ©tage infĂ©rieur, et y en ayant eu un de tuĂ©, on prit cet endroit pour un coupe-gorge, tant la nuit grossit les objets et nous fait paraĂźtre terrible ce qui ne le serait point du tout dans le plein jour. Toute la nuit se passa de. la sorte, et il restait environ une heure de jour quand les secours arrivĂšrent et forcĂšrent le prince de Wurtemberg Ă abandonner la partie, aprĂšs avoir laissĂ© tout le terrain couvert de ses morts. Il eut sans doute rĂ©ussi sâil n'eĂ»t attaquĂ© quâune heure ou deux avant jour; et surtout, sâil eĂ»t songĂ© Ă mettre le feu au bĂątiment; cet oubli est inconcevable de la part dâun homme de guerre tel que le prince. COMBATS ET ACTIONS PAUTICUUĂRES. 349 § 7. - SURPRISE ET ESCALADE D'UN LIEU FORTIFIĂ. I - ' On prend lin lieu fort par surprise quand on parvient Ă sây introduire clandestinement en nombre suffisant pour obliger les dĂ©fenseurs Ă quitter le poste ou Ă mettre bas les armes. On le prend par escalade, lorsquâon emploie des Ă©chelles pour franchir ses murailles. Une escalade est rarement tentĂ©e en plein jour et Ă force ouverte , cependant ce nâest pas sans exemple. Elle se fait plutĂŽt de nuit, parce quâon a lâespoir de pĂ©nĂ©trer dans les fossĂ©s, et peut-ĂȘtre mĂȘme de dresser les Ă©chelles, avant que les sentinelles aient donnĂ© lâĂ©veil. Si lâescalade se fait de jour, il faut du moins diviser lâattention des dĂ©fenseurs par de fausses attaques dirigĂ©es sur dâautres points. On sâĂ©pargne ainsi de grandes pertes. Les Romains, dans ce quâils appelaient l'allaque en couronne , posaient lcsĂ©chellessurtoutlcpourtourdc la place,ou du moins dans toutes les parties accessibles, et combattaient partout en mĂȘme temps. Cette mĂ©thode leur a quelquefois rĂ©ussi, mais il est clair quâelle ne peut ĂȘtre tentĂ©e que dans le cas oĂč les murailles ne sont prĂ©cĂ©dĂ©es que dâun trĂšs-mauvais fossĂ© , ou quâelles nâen ont pas du tout. Un des plus surs moyens de rĂ©ussir dans la surprise dâune ville , est de se mĂ©nager des intelligences avec lâintĂ©rieur, sinon, de se faire accompagner de quelques guides du pays , parfaitement sĂ»rs, et qui connaissent bien tous les endroits par lesquels on peut pĂ©nĂ©trer sans de trop grandes difficultĂ©s. Ces endroits se trouvent ordinairement dans les parties dĂ©gradĂ©es de lâenceinte , dans les maisons attenantes aux murailles et dont on a nĂ©gligĂ© de fermer les fenĂȘtres par des barreaux , dans les endroits qui donnent sur lâeau et qui, Ă la longue, se sont comblĂ©s, etc. ; les aqueducs et les Ă©gouts nĂ©gligĂ©s °»t quelquefois permis lâintroduction dâhommes armĂ©s Ă lâinsu de la garnison. Mais quand lâennemi se garde mal, tout est 330 COMBATS ET ACTIONS accessible avec les Ă©chelles ; souvent mĂȘme faut-il choisir de prĂ©fĂ©rence les murailles les plus Ă©levĂ©es, et, en apparence, les moins abordables, parce que câest probablement lĂ quâon trouvera lâennemi en dĂ©faut, Ă cause de la sĂ©curitĂ© que lui inspirent ces parties de lâenceinte. Câest ainsi quâau siĂšge de Badajos, en 1812, les Anglais ont donnĂ© lâescalade aux murailles du chĂąteau qui Ă©taient les plus Ă©levĂ©es delĂ ville, et ont pĂ©nĂ©trĂ© dans lâintĂ©rieur, pendant que lâattaque, dirigĂ©e sur des brĂšches pratiquĂ©es dans des murailles plus basses, se prolongeait sans succĂšs. On ne doit tenter une escalade que lorsquâon est bien sĂ»r que les Ă©chelles quâon a pu se procurer sont dâune longueur suflisante il faut pour cela quâelles dĂ©passent dâau moins un mĂštre la hauteur des murailles, pour quâon puisse leur donner du pied, et pour que les cordons en saillie , qui couronnent ordinairement les murs de ville, ne soient pas un obstacle pour lâattaquant. Le duc de Savoie qui, depuis longtemps, mĂ©ditait un coup de main sur GenĂšve , avait fait prĂ©parer des Ă©chelles composĂ©es de plusieurs piĂšces, et qui pouvaient sâallonger suivant le besoin. Il sâen servit dans la nuit du 12 dĂ©cembre 1602, et dĂ©jĂ un grand nombre de ses soldats Ă©taient dans la ville , lorsquâun coup de canon , tirĂ© au hasard, brisa les Ă©chelles et donna lâalarme. Tout ce qui Ă©tait entrĂ© fut pris, tuĂ© ou prĂ©cipitĂ© dans les fossĂ©s par les citoyens Ă demi-velus, et qui, dans cette circonstance , dĂ©ployĂšrent un grand courage. Les Ă©chelles du duc de Savoie , conservĂ©es dans lâarsenal de GenĂšve, ont servi de modĂšle Ă celles quâon emploie dans les incendies ; on pourrait en avoir de pareilles dans lâapprovisionnement du matĂ©riel qui accompagne les armĂ©es; elles sont facilement transportables, chaque piĂšce nâayant quâenviron trois mĂštres de longueur. Au moment de lâescalade les Ă©chelles seront couvertes de soldats, il faut donc les Ă©tayer dans le milieu de leur longueur. Cela est dâautant plus nĂ©cessaire quâon leur donne plus de pied ; sans cette prĂ©caution, elles pourraient se rompre sous COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 351 la charge. Des soldats exercĂ©s Ă la gymnastique sont capables dâescalader de hautes murailles avec armes et moyen dâun crochet emmanchĂ© Ă une perche assez longue pour atteindre le haut du mur. J'ai vu en France les soldats de mon ancien rĂ©giment, le 3 e du gĂ©nie, gravir ainsi les murailles de la citadelle de Montpellier avec la plus grande facilitĂ©. Sans doute que la question change quand la place est dĂ©fendue ; mais cela est excellent pour une surprise ; lâon nâen doit donc pas moins recommander lâexercice de la gymnastique, comme infiniment utile aux armĂ©es. Si ce sont des rochers quâil faille escalader, câest en sâaidant des pieds et des mains, en sâaccrochant aux buissons, aux racines, en plantant les baĂŻonnettes dans les fentes des rochers , quâon parvient au sommet. Ces sortes dâescalades sont fort dangereuses quand lâennemi dĂ©fend le haut, ne fĂ»t- ce que par quelques hommes. Il faut, pour se garantir des pierres quâils roulent en bas , faire comme les Français h lâattaque du fort de Scharnitz, prĂšs dâInspruck ils attachĂšrent leurs havresacs sur leurs tĂštes, et, Ă lâabri de cette espĂšce de bouclier, ils gravirent les rochers, malgrĂ© les pierres quâon prĂ©cipitait sur eux. 11 va sans dire que pour tenter la surprise ou lâescalade dâun lieu fortifiĂ©, il faut en avoir la connaissance la plus exacte, tant en ce qui concerne les abords et les fortilications ou moyens de fermeture, que relativement aux rues , h lâemplacement des casernes, des corps-de-garde, de lâarsenal, au logement des principales autoritĂ©s, etc.; il faut connaĂźtre la force-de la garnison, la maniĂšre plus ou moins vigilante dont se fait le service, le caraclĂšre et le talent du chef, si les habitants sont favorables ou contraires ; toutes choses qui doivent influer sur les mesures quâon aura Ă prendre. Le secret est lâĂąme de toutes les entreprises militaires; mais câest surtout pour les surprises quâil est indispensable ; car il est aisĂ© de concevoir que , pour peu que votre projet transpire , lâennemi se tiendra sur ses gardes, redoublera de vigi- Ă52 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. lance , et que votre coup sera manquĂ©. Si donc les prĂ©paratifs exigent quelques mesures ostensibles, il faut rĂ©pandre mys- tĂ©rieusement le bruit quâon se prĂ©pare h une entreprise toute diffĂ©rente de celle quâon a rĂ©ellement en vue; faire mĂȘme partir quelques petits convois dans une direction opposĂ©e Ă celle quâon veut tenir. Cependant les prĂ©paratifs qui peuvent se faire Ă lâinsu de tout le monde sont toujours les meilleurs ; et souvent il est possible de donner, mĂȘme Ă un trĂšs-grand nombre de personnes, des ordres qui ne sont compris que lorsquâil est trop tard pour faire jouer les ressorts de la trahison. Le roi de Naples, Joachim Murat, mĂ©ditant dâenlever aux Anglais lâĂźle de CaprĂ©, qui commande la baye de Naples, et ne pouvant y rĂ©ussir quâen escaladant les rochers qui la bordent, au moyen dâun trĂšs-grand nombre dâĂ©chelles, fit commander tous les allumeurs de falots, et leur enjoignit de se trouver avec leurs Ă©chelles en un lieu indiquĂ© , au jour et Ă lâheure prescrits; chacun dâeux fut bien surpris de ne sây pas trouver seul, et ne comprit de quoi il sâagissait quâen voyant les Ă©chelles partir pour leur destination. Le temps le plus favorable pour une surprise est celui dâune nuit dâhiver, sans clair de lune. On peut ainsi faire une assez longue marche sans ĂȘtre dĂ©couvert, et arriver une heure avant le jour. Câest le moment le plus propice pour lâexĂ©cution , parce que câest celui oĂč les hommes dorment le plus profondĂ©ment, et que le jour, qui aurait empĂȘchĂ© la surprise , est au contraire nĂ©cessaire pour mener Ă bonne fin lâattaque commencĂ©e. Si, pendant cette nuit obscure , il fait un -gros vent et de la pluie, on est encore plus sĂ»r de rĂ©ussir, parce que le bruit du vent, surtout quand il vient Ă vous, couvre le cliquetis des armes et le bruissement inĂ©vitable dâune troupe en mouvement. La pluie est contraire aux mesures de vigilance ; elle transit les sentinelles et rend les patrouilles paresseuses. Lorsquâavec ce concours de circonstances on a pu choisir un jour oĂč la garnison sâest livrĂ©e Ă quelque rĂ©jouissance, et oĂč par consĂ©quent les soldais, ayant bu plus que de coutume, se- COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. l'onl disposĂ©s Ă la nĂ©gligence , on aura toutes les chances de succĂšs. Il est extrĂȘmement important de pouvoir se reconnaĂźtre dans lâobscuritĂ©; ainsi donc, outre le mot et le signe au moyen desquels les soldats montrent Ă quelle troupe ils appartiennent , on fera portera chacun une marque bieu visible, telle que du papier au shako , un mouchoir blanc autour du bras, ou la chemise liĂ©e en ceinture autour du corps, etc. Câest lâusage de mettre la chemise par dessus lâarmure, pour se reconnaĂźtre de nuit, qui a fait donner le nom de camisade s aux attaques par surprise. Ou se munit de pĂ©tards, de haches et de leviers pour enfoncer les portes ; de poutres et d'Ă©chelles pour renverser ou escalader les murailles. 11 faut de plus des claies et des fascines, si lâon doit rencontrer des fossĂ©s bourbeux avec les claies on se fait aisĂ©ment un passage sur la vase Ă demi-liquide; des planches larges peuvent les remplacer. Avec les fascines on comble les mares, les petits fossĂ©s ou cuneiies quâon trouve sur son chemin. Tout cela est portĂ© Ă bras dâhommes depuis la derniĂšre halte les chariots et les bĂȘtes de somme pourraient vous faire dĂ©couvrir; on les laisse donc Ă une certaine distance, et depuis lĂ on sâapproche en silence avec toutes les prĂ©cautions possibles pour nâĂštre pas dĂ©couvert ; en particulier on ne permet pas aux soldats dâallumer leurs pipes, le feu se voyant de trĂšs-loin pendant la nuit. Chacun doit dâau- huitplus restera son poste, quâil aurait beaucoup de peine Ă le retrouver quand il lâaurait quittĂ©. Si lâon rencontre quelque chien dont les aboiements pourraient donner lâĂ©veil, il faut tĂącher de sâen dĂ©livrer en se servant de toute autre chose l u e dâune arme Ă feu. Les dispositions dâattaque doivent varier suivant les circonstances; mais, en gĂ©nĂ©ral, il est bon de partager la troupe en trois parties , la premiĂšre pour pĂ©nĂ©trer dans la ville , la ^coiide pour rester eu rĂ©serve au dehors et protĂ©ger la redite en cas de malheur, et la troisiĂšme pour prendre posi- 23 ,>54 COMBATS HT ACTIONS [' tion du cĂŽlĂ© oĂč les secours pourraient arriver Ă lâennemi. Quand la premiĂšre division a pĂ©nĂ©trĂ© dans la ville, par escalade ou autrement, elle sâempare de suite des contours des quartiers adjacents et de lâissue des principales rues, pendant que des dĂ©tachements courent aux portes pour les ouvrir aux troupes du dehors, aprĂšs avoir pris ou tuĂ© les gardes. AussitĂŽt que les portes seront ouvertes, et que vous serez en nombre, vous vous rĂ©pandrez dans la ville, aprĂšs avoir laissĂ© toutefois de bonnes rĂ©serves sur les points dĂ©signĂ©s pour la retraite en cas dâĂ©chec, ^ous vous rendrez Ă la fois chez le commandant de la place, aux casernes, Ă lâarsenal, aux corps- de-garde de lâintĂ©rieur, pour empĂȘcher, sâil est possible, la rĂ©union des dĂ©fenseurs, et paralyser leurs efforts en vous emparant du chef qui doit les diriger. Si vous laissez Ă lâennemi le temps et les moyens de revenir de sa stupeur et de se concentrer dans lâintĂ©rieur de la ville, vous courrez le risque dâĂȘtre chassĂ©s, parce que vous ĂȘtes faibles partout, dans le grand nombre de points que vous occupez. Ainsi, sans parler du fameux exemple de CrĂ©mone, connu de tout le monde, oĂč le prince EugĂšne, dĂ©jĂ maĂźtre dâune grande partie de la ville, et aprĂšs sâĂȘtre saisi du marĂ©chal de Villeroi, fut nĂ©anmoins obligĂ© dâabandonner sa proie, nous pouvons citer, Ă lâappui de ce qui prĂ©cĂšde, et pour prouver que tout nâest pas perdu pour le dĂ©fenseur quand lâennemi nâest encore maĂźtre que des postes extĂ©rieurs, lâexemple plus rĂ©cent de la surprise de Berg-op-Zoom en 4844 le gĂ©nĂ©ral anglais Sir Graham, informĂ© que la garnison dâune aussi grande place Ă©tait hors de proportion avec lâĂ©tendue de ses fortifications , que les fossĂ©s Ă©taient gelĂ©s , et que la population Ă©tait mal disposĂ©e pour les Français, mĂ©dita un coup de main pour le 8 mars. Le gĂ©nĂ©ral Bizannet commandait dans la place. Graham partagea sa troupe en quatre colonnes, et commença lâattaque Ă dix heures du soir. Une des colonnes, qui devait servir de rĂ©serve, se prĂ©senta Ă la porte de Steenbergen, pendant quâune autre, aux ordres des gĂ©nĂ©raux Skerret et Gorre, COJIIIATS ET ACTIONS PAR ,">30 pĂ©nĂštre dans le port, file le long des remparts et se rend maĂźtresse de la porte dâAnvers. Les deux autres colonnes se joignent Ă eux, aprĂšs avoir passĂ© les fossĂ©s sur la glace et escaladĂ© le bastion dâOrange. Mais la garnison nâavait pas tardĂ© Ă se rassembler, et, quoique forcĂ©e dâabandonner aux Anglais toute la partie gauche du port, elle les repoussa nĂ©anmoins pendant la nuit de tous les autres points, et, quand le jour parut, les voyant confinĂ©s dans celte partie de lâenceinte, elle marcha sur eux. Trois colonnes balayent le rempart et refoulent les assaillants vers la porte d'eau, oĂč la mitraille, Ă laquelle ils ne peuvent rĂ©pondre, les force Ă mettre bas les armes. Le gĂ©nĂ©ral Cook fit encore rĂ©sistance dans le bastion dâOrange Ă la faveur des palissades, mais il dut aussi se rendre aprĂšs une lutte sanglante. La perte des Anglais fut considĂ©rable. Les fautes commises par lâattaquant sont 1° dâavoir commencĂ© trop tĂŽt il a trouvĂ© tous les officiers de la garnison sur pied; 2° de nâavoir pas abattu le pont-levis poftr ouvrir la porte d'Anvers aux troupes du dehors, qui restĂšrent spectatrices du dĂ©sastre quand la marĂ©e montante empĂȘcha de porter secours, et ĂŽta tout moyen de retraite Ă ceux qui Ă©taient dedans; 5° de s'ĂȘtre trop divisĂ© en se portant Ă droite et Ă gauche du pont, et en sâĂ©tendant sur un trop grand dĂ©veloppement. Le dĂ©fenseur combattit toujours du fort au faible ; 'lavait sur les Anglais lâavantage de la connaissance exacte des localitĂ©s et de nuit cet avantage est grand, dâune artillerie Lieu servie et dâune concentration naturelle. On conçoit combien les ordres doivent ĂȘtre circonstanciĂ©s dans une opĂ©ration de cette nature, pour que chacun sache ce quâil a Ă faire. MalgrĂ© cela, il est bien difficile quâil ne s'introduise pas de la confusion et du dĂ©sordre parmi les troupes as saillantes, les chefs ne pouvant, pendant la nuit, voirie ma] ei le prĂ©venir Ă temps. Aussi est-ce folie que de tenter de Pareilles entreprises quand on a affaire Ă une troupe nom- lieuse et aguerrie, ayant avec elle ce que la nature tnĂȘme V Ăą'ifĂź COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. de lâopĂ©ration ne permet pas de conduire avec soi, du moins dans les premiers moments, de la cavalerie et de, lâartillerie. Quand une fois lâalarme est rĂ©pandue dans la ville, il est bon de dĂ©tourner lâattention des dĂ©fenseurs par de fausses attaques, oĂč lâon fait grand bruit, bien quâon nây emploie que peu de monde. Un dĂ©tachement de cavalerie peut servir utilement Ă cet effet, parce qu'en se portant r â nt autour des murs il se multiplie aux yeux de la garnison. Sâil est possible dâentrer par plusieurs endroits Ă la fois, comme les Anglais Ă Berg-op-Zoom, cela vaut toujours mieux, parce que si une colonne est repoussĂ©e, lâautre peut avoir du succĂšs ; et, dans tous les cas, lâennemi Ă©tant obligĂ© de se partager, offre moins de rĂ©sistance. Quelquefois les fausses attaques rĂ©ussissent, quand les vĂ©ritables sont repoussĂ©es alors les rĂŽles changent. Quoiquâil en soit, les diverses colonnes doivent toujours avoir pour but de sâappuyer mutuellement; sans cela, lâattaque est dĂ©cousue et nâa que peu de chances de succĂšs. Quand la troupe est maĂźtresse de lâenceinte, et quâelle pĂ©nĂštre dans lâintĂ©rieur de la ville, les chefs doivent faire tous leurs efforts pour la tenir rĂ©unie et empĂȘcher les soldats indisciplinĂ©s de se jeter dans les maisons pour sây occuper de toute autre chose que du combat. Uappclons-nous que lu ville nâest point en notre pouvoir tant quâil reste quelque part un foyer de rĂ©sistance ; jusque-lĂ , nous nâavons pas trop de tous nos moyens pour assurer le succĂšs. D'ailleurs les dĂ©sordres que commettent des soldats dĂ©bandĂ©s ne doivent jamais ĂȘtre tolĂ©rĂ©s ; ils souillent les plus beaux triortiphcs. Puisque câest au moyen des Ă©chelles que les lieux fortifiĂ©s peuvent ĂȘtre enlevĂ©s, les dĂ©fenseurs doivent prĂ©parer tout ce qui peut servir Ă les briser ou les renverser. Ils auront sur les parapets, ou du moins dans les parties les plus accessibles, de grosses poutres rondes, retenues pardes cordes, et qui, lorsque ces cordes seront subitement coupĂ©es, rouleront sur les assaillants, les Ă©craseront et briseront les Ă©chelles. Ils tien- droĂźif prĂšs des remparts, dans des hangars toujours ouverts, COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. 557 des fourches et des crochets au moyen desquels on puisse repousser les Ă©chelles, des laux emmanchĂ©es pour balayer les parapets. On sâapprovisionnera aussi de balles ardentes pour Ă©clairer les fossĂ©s, au moment de lâattaque. Les parties les plus basses des murailles seront, autant que possible, fraisĂ©es au sommet. Mais ce qui vous mettra le mieux Ă lâabri du danger des surprises, câest une exacte vigilance qui, bien loin de se ral- lcniir dans les nuits orageuses, doit redoubler dâactivitĂ©, puisque ces moments sont ceux que lâennemi choisit de prĂ©fĂ©rence pour faire ses coups. 11 faut que des rondes frĂ©quentes tiennent les postes Ă©veillĂ©s, et que les sentinelles, de quart dâheure en quart dâheure, fassent courir ce cri, que lâune transmet a la suivante tout autour des murs Sentinelles, prenez garde Ă vous ! Ce nâest pas assez des rondes faites par les subalternes, le commandant ira lui-mĂȘme, Ă des heures diffĂ©rentes, voir par scs propres yeux si tout se passe comme il lâentend. Les jours de marchĂ©, on mettra des paysans aux portes pour reconnaĂźtre ceux qui entrent, et sâassurer que ce ne sont pas des soldats dĂ©guisĂ©s. On ne permettra point aux eharriots de s'arrĂȘter ni aux portes, ni sur les ponts; on les lcra filer un Ă un ; on fera mĂȘme bien de nâen point laisser approcher, quâon nâait vu ce quâils portent, et quâon nâait reconnu que ce sont bien rĂ©ellement des paysans des environs qui les amĂšnent. On sait que , plus dâune fois, on a introduit par ces moyens des soldats dans les villes quâon voulait surprendre, lesquels, restant cachĂ©s jusquâĂ lâheure convenable, sâemparaient dâune porte et lâouvraient aux troupes lui sâĂ©taient avancĂ©es pendant la nuit. Un charriot, renversĂ© a dessein, a souvent sulli pour empĂȘcher un pont-levis de Jouer, et pour donner le temps Ă un corps, embusquĂ© dans 1° voisinage, d'accourir et de surprendre la place. Les fossĂ©s remplis dâeau sont sans doute une grande garante contre le danger des surprises ; il ne faut cependant pas COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. ĂŽoK trop sây lier, ni se garder avec moins de soins ; car lâennemi peut franchir ces fossĂ©s avec des claies, des radeaux et mĂȘme des bateaux, quâil aurait fait approcher pendant la nuit et transporter Ă bras dâhommes jusquâaux fossĂ©s. Rien nâest impossible Ă une volontĂ© forte, et ce que lâentreprise a dâextraordinaire et dâinattendu, est prĂ©cisĂ©ment ce qui la fait rĂ©ussir. Dans lâhiver ces fossĂ©s sont trĂšs-dangereux, parce quâordi- nairement les murailles quâils baignent ont peu de hauteur; lâeau venant Ă se geler, lâennemi a une grande facilitĂ© de livrer lâescalade. Il faut donc casser la glace tous les jours, et se bien tenir sur ses gardes. On ne surprend pas une garnison qui veille et fait rĂ©guliĂšrement son service ; on ne songe guĂšre Ă enlever par escalade les murailles quâelle occupe. § 8. â RĂ©flexions sur les ManĆuvres. AprĂšs avoir parlĂ© des diverses actions de guerre oĂč les manĆuvres rĂ©glementaires trouvent leur application , il nâest pas hors de propos, en terminant ce chapitre, de prĂ©senter quelques rĂ©flexions sur les manĆuvres elles-mĂȘmes, pour en faire comprendre lâesprit. Les caractĂšres dâune bonne Ă©volution sont ; 1° La promptitude car, tant que la manĆuvre dure , la troupe est dans un Ă©tat de crise ; il faut quâelle en sorte le plus promptement possible. 2° La facilitĂ© , afin que les chefs et les soldats lâexĂ©cutent, pour ainsi dire, sans y penser. Une manĆuvre difficile amĂšne la confusion, et la confusion entraĂźne les dĂ©routes. Qui dit facilitĂ©, dit en mĂȘme temps simplicitĂ©. Une manĆuvre ne peut pas ĂȘtre facile si elle nâest simple. 5° La sĂ»retĂ©; c'est-Ă -dire que si lâennemi vient Ă se prĂ©senter inopinĂ©ment dans une pĂ©riode quelconque de rĂ©volu- COMBATS ET ACTIONS l'AUTICULlĂUKS. 58 COMBATS ET ACTIONS PARTICULIĂRES. en effet, par la direction, que l'on fixe le point oĂč chaque bataillon doit se porter dans une manĆuvre , pour coopĂ©rer Ă une opĂ©ration dĂ©terminĂ©e. Si la direction nâest pas suivie, le bataillon qui sâen Ă©carte manque son but, ou se jette sur un bataillon voisin, en mĂŽme temps qu'il laisse de lâautre cĂŽtĂ© un espace qui sâagrandit toujours, et dont lâennemi peut profiter. Il rĂ©sulte de lĂ un dĂ©sordre toujours fĂącheux. On a vu souvent une attaque cchouer parce que les troupes qui en Ă©taient chargĂ©es, nâayant pas conserve leurs directions, avaient aussi perdu leurs intervalles, Ă©taient arrivĂ©es dĂ©cousues, croisĂ©es, brouillĂ©es, et hors dâĂ©tat de se dĂ©ployer promptement, devant lâennemi, au moment opportun. Quand on marche, câest pour avancer; il ne faut donc pas, dans lâintention de conserver lâordre strict et lâalignement rigoureux , arrĂȘter la troupe, la faire piĂ©tiner cela fatigue et ne mĂšne h rien de bon. Que vos drapeaux, vos guides sâavancent dans les directions qui leur sont prescrites , d'un pas ferme et rĂ©glĂ© ; quâils conservent leurs distances et leurs alignements entre eux, le reste suivra ; il y aura toujours assez dâordre tant que la troupe restera unie et marchera du mĂȘme pas. Câest pour se former Ă ces principes quâil est nĂ©cessaire de conduire quelquefois les bataillons en promenade militaire, et de leur faire exĂ©cuter les manĆuvres dans les terrains accidentĂ©s, semĂ©s dâobstacles de tout genre. Il est un cas oĂč il est permis, je dis plus, oĂč il est nĂ©cessaire de sortir du pas cadencĂ© et rĂ©glĂ© ; câest celui oĂč il sâagit de franchir rapidement un espace limitĂ© , pour arriver avant lâennemi sur quelque point important, pour se dĂ©ployer plus promptement que lui et commencer le feu pendant quâil est encore en marche , pour se porter inopinĂ©ment sur un de ses flancs , etc. Alors il faut donner au pas toute la vitesse possible , prendre vĂ©ritablement le pas de course , avec la seule attention de conserver assez dâordre pour ne pas aller Ă la dĂ©bandade, et que les corps ne se mĂȘlent point. On nâassujĂ©tit le soldat ni Ă la cadence, ni Ă la mesure du pas ; chacun se COMBATS ET ACTIONS PARTICULIER FS. 50 > ItĂ tc dâavancer et nâa dâautre soin que de ne pas se laisser dĂ©passer, ni de sortir soi-mĂšme du rang. Il scraii bon dâexercer quelquefois la troupe au pas de course , pour lâaccoutumer Ă lâespĂšce de confusion qui en rĂ©sulte. Elle pourrait se troubler si ou le lui faisait prendre pour la premiĂšre fois sur le champ de bataille , et trĂšs-certainement elle lâexĂ©cuterait mal. Une chose qui se pratique rarement aux exercices, et qui cependant est bien importante Ă la guerre, câest le ralliement au drapeau, dans la supposition que le balailion, aprĂšs avoir Ă©tĂ© culbutĂ©, cherche de nouveau h se rassembler pour recommencer le combat. Ce quia la bataille deNeueneck a fait beaucoup d'honneur aux Bernois et les a portĂ©s trĂšs-haut dans lâestime de leurs ennemis mĂȘmes, câest celte persĂ©vĂ©rance avec laquelle ils se sont ralliĂ©s, Ă plusieurs reprises, pour soutenir les charges rĂ©itĂ©rĂ©es de tronpes plus nombreuses, mieux exercĂ©es et aussi braves quâeux. Câest ainsi quâon parvient Ă sauver lâhonneur, mĂȘme au milieu dâune dĂ©faite; câest ainsi quâon fait payer cher au vainqueur les lauriers dont il se pare. Bien ne relĂšve tant une nation, et surtout une nation faible, quâune bataille longuement disputĂ©e, oĂč les diffĂ©rents corps ont rivalisĂ© de courage et de constance pour ne cĂ©der que pied Ă pied un terrain couvert de morts et de dĂ©bris. Mais au contraire, si, aprĂšs un simulacre de rĂ©sistance, lâarmĂ©e nationale quitte le champ de bataille, de quelque prĂ©texte quâelle cherche Ă colorer sa conduite, quâelle la dĂ©core du beau nom le prudence, qnâelle la montre comme un rĂ©sultat de la nĂ©cessitĂ©, elle sera perdue Ă jamais de rĂ©putation, on la mĂ©prisera, et lâon sera toujours prĂȘt Ă sacrifier le pays, quâelle a si n *al dĂ©fendu. Il est donc important de faire connaĂźtre aux soldats, de finelle nĂ©cessitĂ© il est pour eux et pour la cause quâils dĂ©fendent, de se grouper autour de leurs chefs, tant que le drapeau, Ce signe sacrĂ© du ralliement, flotte dans les airs. Il faut leur Cn seigner Ă courir dâeux-mĂȘmes pour prendre leur place dans 2i 570 COMBATS HT ACTIONS PARTICULIĂRES. les rangs qui se reforment, et Ă renouveler le combat lors mĂȘme quâils se trouveraient, momentanĂ©ment, sous dâautres officiers que les leurs. Il faut les accoutumer de bonne heure Ă lâidĂ©e quâils doivent sacrifier leur vie pour sauver leur drapeau ; que la honte est attachĂ©e Ă sa perte, et quâil appartient aux plus braves de le porter et de le couvrir dans le combat. Les honneurs que lâon rend au drapeau ne sont point une vaine cĂ©rĂ©monie ; ils sont faits pour inspirer le respect que tout militaire doit Ă ce signe de vaillance et de dĂ©vouement. Voyez les vieux guerriers se dĂ©couvrir devant les enseignes qui les ont souvent conduits h la victoire; ils se glorifient, comme de leurs propres blessures, des traces quây ont laissĂ©es les boulets ennemis; ils ont en vĂ©nĂ©ration ces lambeaux qui ont survĂ©cu Ă vingt batailles. Les devises qui y sont inscrites sont leurs litres de noblesse ; elles leur rappellent de grands et de glorieux souvenirs ; aussi mettent-ils plus de prix Ă ces marques Ă©clatantes et si bien' mĂ©ritĂ©es de leurs services, quâĂ tous les biens dont les autres hommes sont si avides. CHAPITRE VIII. Des Reconnaissances. Les reconnaissances se distinguent en reconnaissances de lâennemi on reconnaissances Ă main armĂ©e, et reconnaissances du terrain ou reconnaissances topographiques. Nous parlerons des unes et des autres, bien que les derniĂšres ne se rattachent fpiâindirectement h la tactique. § 1, â. reconnaissances a main armĂ©s. Les reconnaissances Ă main armĂ©e sont des opĂ©rations de guerre qui ont pour objet de se procurer des renseignements sur la position et la force des corps ennemis, afin dâagir suivant les circonstances. Tant quâon ignore ces choses, on ne peut prendre aucune mesure dâattaque ou de dĂ©fense bien concertĂ©e ; si lâon marche, ce nâest quâau hasard et comme Ă tĂątons ; on risque de tomber dans des embuscades, ou dĂ© foire Ă faux quelque mouvement offensif ; on peut, dâun moment Ă lâautre, ĂȘtre attaquĂ© Ă lâimproviste. Il faut donc non- seulement tĂącher de connaĂźtre au juste la composition, la force et lâemplacement des divers corps qui composent lâarmĂ©e e »nemie, mais encore ĂȘtre informĂ© de leurs divers mouvements ou simples dĂ©placements, pour en tirer des inductions sur les projets du commandant en chef, et se mettre en garde eontre ses entreprises. Avant tout, on recueille tous les renseignements quâil est P°ssible de se procurer par la correspondance et lâespionnage, Par les dĂ©serteurs ou les voyageurs. On en dresse des tableaux Il K S R K C t N N A1S S A N C K S. 572 ii compartiments, dont les cases peuvent ĂȘtre facilement renouvelĂ©es, suivant les changements que nĂ©cessitent les nouvelles informations. Avec ces notes et une bonne carte, sur laquelle on pique la position des corps, en les dĂ©signant par des numĂ©ros ou des couleurs de convention, on parvient Ă se faire une idĂ©e assez nette de la force et de remplacement des corps ennemis. Mais quand on en est trĂšs-rappro- chĂ©, il faut sâassurer, chaque jour, que les positions de la veille nâont pas Ă©tĂ© changĂ©es, que des mouvements nâont pas en lieu, soit pour opĂ©rer quelque concentration, soit pour se retirer sur quelqu'autre point. Ie lĂ la nĂ©cessitĂ© des reconnaissances Ă main armĂ©e, qui, souvent, sont des actions trĂšs- meurtriĂšres. Lâusage, gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©, de se couvrir par des avant- postes nombreux qui dĂ©tachent une nuĂ©e de tirailleurs, empĂȘche ordinairement de dĂ©couvrir les camps de lâennemi et encore plus de voir ses dispositifs dâattaque et de dĂ©fense. Il faut donc, pour sortir de cette obscuritĂ©, pousser une reconnaissance qui, perçant le rideau de troupes lĂ©gĂšres dont lâennemi sâenveloppe, et refoulant les avant-postes, parvient jusquâau point dâoĂč lâollicier, chargĂ© de cette tĂąche, peut voir clairement lâarmĂ©e ennemie, apprĂ©cier les avantages ou les inconvĂ©nients de la position quâelle occupe, compter les bataillons, juger de ses moyens de rĂ©sistance; si elle sâest retranchĂ©e; si elle a reçu des renforts dâartillerie; si le terrain est ou nâest pas favorable Ă la cavalerie; oĂč celle-ci est campĂ©e, etc. Ces diffĂ©rents objets doivent ĂȘtre saisis avec la promptitude dâun Ćil exercĂ©, car la pointe quâon vient de faire ayant mis tout le monde sur pied, on va avoir alfa ire Ă des forces supĂ©rieures, et il faudra au plus tĂŽt quitter la place. Mais le but est atteint, puisquâon a ainsi forcĂ© lâennemi Ă sortir des lieux qui le masquaient et Ă dĂ©ployer ses forces. On sait maintenant lout ce quâon voulait savoir ; il nây a plus quâh rentrer au camp, cl au plus vile, pour ne pas sâexposera se voir couper la retraite. DES RECONNAISSANCES. 375 De pareilles reconnaissances prĂ©cĂšdent ordinairement les batailles. Par leur moyen, le gĂ©nĂ©ral sâassure du vĂ©ritable Ă©tat des choses avant de donner ses derniers ordres ; il voit si les corps ennemis ont bien la position quâil leur assignait dâaprĂšs les rapports quâil avait reçus, sâils se prĂȘtent un appui mutuel, sâils sont trop dissĂ©minĂ©s, si leurs ailes sont en lâair, etc. En marche, câest lâavant-garde qui reconnaĂźt lâennemi. Quelquefois la reconnaissance nâa pour objet que de dĂ©couvrir si un point est solidement occupĂ©, si un pont sur lequel on doit passer, nâa point Ă©tĂ© rompu, si un dĂ©filĂ© est fortifiĂ©, si lâennemi a du canon dans tel endroit, sâil est dans telle ville, sâil suit telle ou telle route aprĂšs une bataille perdue, etc. Dans ces cas particuliers, la reconnaissance est moins nombreuse et se compose le plus souvent de cavalerie, pour que sa marche soit plus rapide. Mais quand il doit y avoir engagement, quâon prĂ©voit de la rĂ©sistance, on y fait concourir toutes les armes, cl on en donne le commandement Ă un ollicier expĂ©rimentĂ©. Celui-ci reçoit ordinairement une instruction Ă©crite sur le but de la reconnaissance. Il doit sâen bien pĂ©nĂ©trer, et se faire donner toutes les explications quâil juge nĂ©cessaires, avant dâexĂ©cuter ses ordres. Il se munit dâune bonne carte, dâune lunette, et de tout ce quâil faut pour Ă©crire et mĂȘme pour faire le croquis des positions de lâennemi. 11 sâassure de deux ou trois habitants du payspĂŽur lui servir de guidesetrĂ©pondre Ă toutes les questions quâil aura Ă leur faire sur le nom et la grandeur des villages, la nature des communications, lâĂ©tendue des bois, les circonstances des cours dâeau et du terrain, etc. 11 doit encore se faire accompagner dâun ollicier qui sache la langue tin pays et lui serve dâinterprĂšte. Le mieux est, lorsque lui- m ĂȘme la sait assez pour comprendre ce qui se dit et adresser quelques questions. En tin, le commandant dâune reconnaissance doit, avant de partir, passer lâinspection de la troupe qui lui est confiĂ©e, pour sâassurer du bon Ă©tal des armes et des Munitions. 374 DES RECONNAISSANCES. Le dĂ©tachement chargĂ© de pousser la reconnaissance, quelque nĂ©cessitĂ© qu'il y ait Ă ce quâil arrive promptement Ă sa destination, ne devra cependant marcher que prĂ©cĂ©dĂ© dâune avant-garde proportionnĂ©e Ă sa force, et dâĂ©claireurs qui fouillent les chemins creux, les bois, les villages et tous les endroits ou lâennemi pourrait se cacher. Ils doivent arrĂȘter toute personne qui voudrait les dĂ©passer et qui pourrait donner avis de la marche. Quand le dĂ©tachement traverse nn village , le commandant s"y arrĂȘte quelques minutes pour prendre des renseignements sur la position de lâennemi. Sâil soupçonne quâon veuille le tromper, il se fait donner des Ă©tages, et il ne les relĂąche que lorsquâil sâest assurĂ© quâon lui a dit la vĂ©ritĂ©. Mais il ne doit pas prolonger trop longtemps ses interrogatoires, de peur que lâennemi, prĂ©venu de son arrivĂ©e, ne prenne des mesures pour faire Ă©chouer lâexpĂ©dition. Le chef portera une attention particuliĂšre Ă toutes les circonstances du terrain quâil traverse, afin de dĂ©terminer d'avance les points sur lesquels il pourrait se retirer et oĂč il ferait rĂ©sistance, dans le cas oĂč il serait obligĂ© de combattre en retraite. Il s'arrĂȘtera Ă la croisĂ©e des chemins pour questionner les guides sur leur direction et leurs aboutissants. Il vĂ©rifiera si la carte, ou le plan topographique dont il est muni, est bien conforme aux localitĂ©s. Pour se faire une idĂ©e nette du pays, et sây reconnaĂźtre quand il rentrera, il doit se retourner souvent. Le dĂ©tachement reste rĂ©uni, autant que possible, pendant la marche, afin dâĂ«tre toujours Ă mĂȘme de soutenir une attaque et de culbuter les premiers postes qu'on rencontrera. Il ne faut donc pas que le corps principal perde de vue son avant-garde, ni celle-ci ses Ă©claireurs ; et, si lâon marchait de nuit, il faudrait mĂȘme les retirer, parce quâils deviendraient inutiles, ou du moins les rapprocher assez pour entendre leurs pas. Il faut, dans cette circonstance, sâarrĂȘter souvent pour prĂȘter lâoreille. On nâentre dans les villages que lorsquâon nâa rien entendu qui puisse Ă©veiller le soupçon, et que les deux ou UES RECONNAISSANCES. 375 Irois hommes quâon y a envoyĂ©s pour les explorer, sont venus dire quâils nâont rien aperçu. Quand la longueur du chemin force Ă faire une halte, il faut la faire derriĂšre un bois ou quelque pli de terrain qui cache la troupe. Des sentinelles, placĂ©es dans le bois ou sur la hauteur, de maniĂšre Ă dĂ©couvrir la campagne sans ĂȘtre vues, avertiront de tout ce qui se passe. Des vedettes seront postĂ©es, Ă une plus grande distance, sur les chemins du cĂŽtĂ© de lâennemi; on les mettra doubles pour que lâune puisse quitter et venir informer le commandant de ce qui mĂ©rite son attention, pendant que lâautre reste en observation. Si lâon doit sâarrĂȘter prĂšs dâun village pour prendre quelque nourriture , la troupe le traversera et ira sâĂ©tablir en avant du cĂŽtĂ© de 1â ennemi, pour ne pas le lui laisser dans le cas dâune surprise. Le commandant se fera apporter des vivres par les habitants, et les distribuera, sans permettre Ă personne de sâĂ©tablir dans les maisons, pas plus aux olliciers quâaux soldats. Il mettra une garde Ă lâentrĂ©e du village pour que cet ordre soit rigoureusement observĂ©, et pour appuyer la rĂ©quisition quâil est obligĂ© de frapper pour avoir ces vivres. Le mieux cependant est de les payer, quand cela est possible. Tant que lâobjet de la reconnaissance nâest pas rempli, il faut pousser en avant, sans crainte de se compromettre ; le dĂ©tachement est assez fort pour aborder franchement toute troupe qui se prĂ©sente ; câest du moins ce que nous supposons dans ce cas. Il est dâautres reconnaissances, faites par de petits dĂ©tachements, oĂč lâon emploie plutĂŽt la ruse que la force pour dĂ©couvrir ce quâon cherche, et oĂč, par consĂ©quent, on doit Ă©viter un engagement qui pourrait faire manquer lâex- PĂ©dition. Dans une forte reconnaissance, au contraire, oĂč lâon a prĂ©cisĂ©ment pour but de pĂ©nĂ©trer jusquâaux positions de 1 ennemi, on ne doit pas se laisser arrĂȘter par la rencontre fortuite dâune troupe sur laquelle on ne comptait pas ; mais, Profitant de cette bonne fortune, on culbute la troupe aven- orĂ©e, on lui fait des prisonniers qui donnent dâutiles rensei- [>liS 57ĂŒ 4 gnements, et on la mĂšne battant jusquâaux avant-postes, oĂč sa dĂ©roule jette lâalarme. La ligne est bientĂŽt percĂ©e, et lâon ne tarde pas Ă voir les corps ennemis se dĂ©ployer pour repousser lâattaque. Câest ainsi quâon les force Ă se montrer. Le commandant doit, en ce moment, chercher quelque point Ă©levĂ©, dâoĂč il puisse dĂ©couvrir le terrain et se faire une idĂ©e, soit de la position en elle-mĂȘme, soit de la maniĂšre dont elle est occupĂ©e, ainsi que de la force et de la composition des troupes ennemies. Il fait, ou fait faire, par les officiers qui lâaccompagnent, un rapide croquis du terrain et de la position de lâennemi. Mais quâon nâaille pas , dans lâivresse du premier succĂšs , poursuivre inconsidĂ©rĂ©ment les fuyards, et, perdant de vue lâobjet de la mission, s'engager h tel point, quâil ne soit plus possible de se retirer. Il faut au contraire savoir sâarrĂȘter Ă propos et sonner la retraite, mĂȘme au milieu du combat le plus heureux, quand une fois on a vu ce quâon voulait voir. Câest ici que la prudence doit guider le courage, et le sang- froid prĂ©sider Ă toute lâopĂ©ration. Ajoutons que le chef du dĂ©tachement en reconnaissance Ă©vitera dâen venir aux mains toutes les fois que cela le dĂ©tournerait de son but ; car sa mission nâest pas de faire essuyer des pertes Ă lâennemi, mais de dĂ©couvrir ses projets et de prendre une idĂ©e juste de sa position. Sur la route directe, quâil attaque, quâil renverse les postes ennemis, quâil fasse des prisonniers, quâil enlĂšve ou encloue des piĂšces de canon, câest bien ; mais que, dans lâespoir de surprendre un parc , dâenlever un convoi, d'anĂ©antir une troupe qui se garde mal, il quitte son chemin et perde du temps, câest contre son devoir; il est blĂąmable, lors mĂȘme que le succĂšs couronnerait son entreprise. De pareils crochets ne sont permis quâautant quâil y aurait trop de danger h pousser en avant, sans forcer Ă la retraite les troupes ennemies qui sont sur les cĂŽtĂ©s. Alors il est Ă prĂ©sumer que lâexpĂ©dition est manquĂ©e. Les reconnaissances que, par opposition aux prĂ©cĂ©dentes, UKS RliCONVAISSANCKS. 577 ou pourrait appeler secrĂštes, se conduisent dâaprĂšs dâautres principes. Les grandes reconnaissances se font de vive force, Ă dĂ©couvert; dans celles-ci, on fait usage de tous les genres de prĂ©cautions pour Ă©viter dâen venir aux mains. Dâabord, on n'y emploie que peu de inonde, afin dâĂ©chapper plus facilement Ă la surveillance de lâennemi, ou h sa poursuite. On cherche Ă sâapprocher pendant la nuit du point quâon veut atteindre ; °n sc glisse furtivement par des ravins , des chemins creux ; on fait de longs dĂ©tours pour Ă©viter la rencontre des patrouilles ennemies, et on rentre par un autre chemin que celui par lequel on est venu, afin de ne pas tomber dans les embĂ»ches ne lâennemi, informĂ© de votre passage, pourrait vous dresser. Une reconnaissance secrĂšte nâest ordinairement composĂ©e âąpie dâune seule espĂšce de .troupes, de la cavalerie dans les Pays plats, de lâinfanterie dans les pays montagneux ou trĂšs- coupĂ©s. Elle peut ĂȘtre commandĂ©e par un officier dâun grade infĂ©rieur, sâil est intelligent et brave. Câest mĂȘme par de semblables services que de jeunes olliciers se font connaĂźtre et mĂ©ritent leur avancement. Le dĂ©tachement marche avec prĂ©caution ; il nâest pas assez nombreux pour fournir une avant- garde , mais il se fait prĂ©cĂ©der dâun groupe dâĂ©claireurs, et ceux-ci envoient un des leurs en avant. Deux ou trois flan- queurs, sur chaque cĂŽtĂ©, sont Ă©galement nĂ©cessaires. Du reste, le commandant a avec lui, aussi bien que sâil sâagissait dâune grande reconnaissance Ă force ouverte , un ou deux guides ; cela est mĂȘme plus nĂ©cessaire, puisquâil faut faire des dĂ©tours, eviter souvent les chemins battus. Si ses Ă©claireurs lui annoncent une troupe ennemie , il se jette de cĂŽtĂ© et tĂąche de I Ă©viter en se couvrant dâun bouqHet de bois, dâun pli de ter- Ia ' i, ou de tel autre accident qui peut se prĂ©senter. Sinon, il * a combat quand elle nâest pas trop nombreuse, ou lui Ă©chappe comme cela a le plus souvent lieu, le dĂ©tachement est 580 1>ES RECONNAISSANCES. composĂ© de cavalerie, et deux cavaliers seront chargĂ©s dâavoir constamment les yeux sur eux. On ne les laissera pas communiquer entre eux, pour quâils ne puissent pas concerter quelque tromperie funeste au dĂ©tachement. Dans la marche , la troupe observera le silence, surtout pendant la nnit, oĂč elle doit ĂȘtre tout oreilles, Quand elle craindra dâĂȘtre dĂ©couverte , elle Ă©vitera les chemins frĂ©quentĂ©s et prendra les traverses, en tĂąchant toujours de se couvrir par les bois , les haies, les plis de terrain ; elle ne craindra pas dâaller Ă travers champs pour se procurer ccl avantage ; elle ne passera jamais prĂšs dâune colline sans sâassurer quâil n'y a personne derriĂšre ; elle sâarrĂȘtera donc jusquâĂ ce quâun Ă©claireur ait fait signe quâon peut continuer la route. La mĂȘme prĂ©caution est nĂ©cessaire toutes les fois qu'on passe Ă une certaine distance dâun bois , dâun ravin , dâune ferme, etc., oĂč lâennemi pourrait ĂȘtre cachĂ©. Pour les villages, on les Ă©vite autant que possible, afin de ne pas donner lâĂ©veil, surtout en approchant de la destination ; mais si lâon est obligĂ© dâen traverser quelquâun, on nây entre quâaprĂšs lâavoir bien fouillĂ© ; on profite de la circonstance pour questionner quelques notables sur ce quâils ont appris de la position et des projets de lâennemi ; en mĂȘme temps on fait adroitement courir de faux bruits sur la destination du dĂ©tachement, pour dĂ©router lâespionnage. On se procurera des rafraĂźchissements et des vivres, si on nâen avait pas pris en parlant. De .nuit, la pipe est interdite aux soldats. Quand la reconnaissance arrive au point du jour prĂšs des avant-postes de lâennemi, il faut quâelle sâembusque et se cache soigneusement, parce que câest le moment oĂč les patrouilles circulent dans la campagne ; on place des sentinelles sur toutes les avenues, afin que, prĂ©venu Ă temps, on puisse se retirer Ă lâapproche de ces patrouilles , ou prendre les mesures nĂ©cessaires pour les enlever. Si lâon fait ainsi quelques prisonniers, on en obtiendra sans doute des renseignements utiles. Ce moment est dâailleurs trĂšs-bon pour dĂ©couvrir les forces de DES RECONNAISSANCES. 581 lâennemi, parce quâordinairement les troupes sont sous les armes jusquâĂ la rentrĂ©e des patrouilles. Le commandant cherchera donc quelque point elevĂ© dâoĂč il puisse , sans se dĂ©cou- V âir, et Ă lâaide de sa lunette, voir ce qui se passe aux avant- postes. Les feux de bivouac qui fument dans le lointain peuvent donner, jusquâĂ un certain point, l'idĂ©e de la force et de âą emplacement des corps que couvrent les avant-postes. Sâil fallait pĂ©nĂ©trer jusque-lĂ , ce ne serait que par une marche de nuit quâon y parviendrait, et en faisant un grand dĂ©tour, pour sâintroduire par les derriĂšres dans les villages occupĂ©s par lâennemi ; car il nây aurait aucune probabilitĂ© de rĂ©ussite en traversant la ligne des avant-postes qui couvrent le front. Câest alors que les hommes qui parlent la langue sont utiles ; ils sâapprochent avec prĂ©caution du village , rĂ©pondent aux vive des sentinelles, et sâintroduisent dans quelque ferme pour questionner les habitants. Les gardes ne sont pas toujours bien nombreuses ni bien vigilantes sur les derriĂšres ; il y a donc possibilitĂ© de les enlever et de savoir par elles ce qu'on dĂ©sire apprendre. Pour enlever de semblables postes, la compagnie franche, qui, au siĂšge de Danlzick, sâest si fort distinguĂ©e sous les ordres du commandant Chambure , sâest quelquefois servie de la ruse suivante quelques soldats se munissaient de sonnettes, et, se mĂȘlant aux troupeaux, ils sâapprochaient petit Ă petit des sentinelles, et parvenaient Ă sâen dĂ©barrasser sans bruit ; alors ils attaquaient le poste de vive force ; le reste de la compagnie, qui Ă©tait restĂ© cachĂ© , secourait, et le village Ă©tait bientĂŽt en leur possession. Pour uâĂ©lre pas reconnu Ă lâaccent, les soldats de Chambure , lorsqu'ils traversaient les postes, rĂ©pondaient en russe aux Prussiens , et en allemand aux Russes. Il y aura bien des occasions °Ăč lâon pourra imiter celle ruse, quand les armĂ©es ennemies seront composĂ©es des troupes de deux nations. Quand la reconnaissance est terminĂ©e , lâollicier qui en a eiĂ© chargĂ© adresse qu gĂ©nĂ©ral un rapport Ă©crit, lorsque le c °uipte quâil en peut rendre verbalement ne sullit pas. Ce 382 DES RECONNAISSANCES. rapport, comme tout ce quâĂ©crit un militaire dans son service , doit ĂȘtre clair, simple et aussi bref que possible. Câest lâobjet du rapport, et non la maniĂšre plus ou moins Ă©lĂ©gante dont les choses y sont dites , qui en fait le mĂ©rite. Lâofficier nâavancera que des faits dont il soit parfaitement sĂ»r ; ses conjectures, il ne les prĂ©sentera quâavec rĂ©serve ; il se tiendra en garde contre les Ă©carts de son imagination, pour ne sâattacher quâĂ la rĂ©alitĂ©. Enfin, il Ă©vitera de trop parler de lui ; et, sâil a lieu dâĂȘtre satisfait de la maniĂšre dont sa mission a Ă©tĂ© remplie , câest sur sa troupe quâil peut adroitement faire tomber quelques Ă©loges. Les petites reconnaissances qui se font tous les malins aux avant-postes, pour sâassurer que l'ennemi ne sâest point approchĂ© pendant la nuit, reçoivent le nom de dĂ©couvertes. Ce ne sont, Ă proprement parler, que des patrouilles qui se portent, jusquâĂ une distance plus ou moins grande, en avant de la ligne des avant-postes. Elles font lâobjet dâun service rĂ©gulier auquel tous les officiers sont appelĂ©s. Leur trajet nâest ordinairement pas de plus dâune heure, attendu que les grandâgardes et les piquets se tiennent sous les armes pendant quâelles durent. Au reste , toutes les prĂ©cautions que nous avons prescrites pour les reconnaissances secrĂštes leur sont applicables. Le commandant doit mettre beaucoup de circonspection dans sa marche, se faire Ă©clairer, sâavancer en silence Ă la faveur des couverts que le pays peut offrir, sâarrĂȘter souvent pour Ă©couter et examiner, donner lâalarme sâil rencontre lâennemi, et Ă©viter de se trop engager avec lui. Si la dĂ©couverte, dans uu but spĂ©cial, se porte plus loin que de coutume, et quâil importe dâen connaĂźtre promptement le rĂ©sultat, on place de distance en distance des ordonnances Ă cheval, sur la ligne parcourue, pour former comme une chaĂźne entre le dĂ©tachement et la grandâgarde. La dĂ©couverte nâexige pas de rapport Ă©crit ; lâoflicier fait simplement un rapport verbal Ă son chef immĂ©diat, lequel en transmet le rĂ©sumĂ© au commandant des avant-postes. DES RECONNAISSANCES. 383 A cĂŽtĂ© de ces moyens dâobtenir des renseignements de âą ennemi, il en est dâautres qui nâoITreni pas les mĂȘmes dangers, ce sont ceux de lâespionnage. Il est malheureusement trop vrai que lâon trouve partout des gens prĂȘts Ă vendre leur honneur, et Ă trahir leur patrie pour une somme plus ou moins considĂ©rable, suivant le rang quâils occupent dans la sociĂ©tĂ©. Ces moyens, quelque coĂ»teux quâils soient, ne sont Pas Ă nĂ©gliger; car dâun avis reçu h propos dĂ©pend souvent le succĂšs dâune entreprise. Il faut donc payer largement de pareils services, tout en mĂ©prisant les vils agents qui les rendent. Câest de lâor quâils veulent, soyez-en prodigues de peur dâen ĂȘtre trahis par les faux rapports quâils vous feront. Ils sont toujours Ă la dĂ©votion de ceux qui paient le mieux. Souvent ils reçoivent des deux mains et font le double espionnage ; câest Ă quoi il faut surtout prendre garde. Un espion qui vous trahit de la sorte doit ĂȘtre puni sans misĂ©ricorde Ă lâinstant oĂč son crime est dĂ©couvert. Mais ceci est trop Ă©tranger Ă notre sujet pour nous y arrĂȘter davantage. ⹠§ 2. â Dbs Reconnaissances topographiques. Celles-ci ne sont pas moins importantes que les autres, car un gĂ©nĂ©ral ne saurait, sans une connaissance exacte des localitĂ©s, arrĂȘter un plan dâattaque, ni ordonner le moindre mouvement. Il faut qu'il sache la distance des lieux pour combiner la marche des diverses colonnes, et quâil soit instruit du genre de difficultĂ©s quâil rencontrera en chemin, pour prendre ses m esures en consĂ©quence. Câest par des reconnaissances spĂ©ciales quâil se procure ces renseignements; car les caries, m ĂȘme les plus dĂ©taillĂ©es , sont toujours insuffisantes elles ne donneront jamais, ni la nature du sol, ni la qualitĂ© des routes, ni lâĂ©tat des riviĂšres et des ponts, ni lâĂ©paisseur des forĂȘts, ni ."M 1>F,S RECONNAISSANCES. la pente des montagnes *, toutes choses quâil faut pourtant connaĂźtre avant de rien entreprendre. Ce genre de reconnaissances est principalement du ressort des officiers dâĂ©tal-major. Us sont chargĂ©s dâaller pendant la paix Ă©tudier les pays qui peuvent devenir le théùtre de la guerre et dâen faire la description, si ce nâest au moyen de plans topographiques quâil ne leur serait pas permis de prendre, du moins par des mĂ©moires et par des cartes rectifiĂ©es. Ce sont les olliciers dâĂ©tat-major qui, en prĂ©sence de lâennemi et sous la protection de quelques troupes , font ordinairement ces croquis qui reprĂ©sentent, dâune maniĂšre plus ou moins exacte, toutes les circonstances les plus essentielles dâune localitĂ©. Ce sont eux qui, Ă mesure que lâarmĂ©e sâavance, dressent les itinĂ©raires, font le levĂ© des positions , des champs de bataille, et souvent de contrĂ©es tout entiĂšres. Cependant les olliciers des autres armes se trouvent quelquefois dans le cas dâavoir Ă explorer une localitĂ© et dâen faire la description. Il est donc bon dâindiquer ici les moyens quâils peuvent employer, sans ĂȘtre obligĂ©s de se rendre experts dans lâart du dessin. Nous renverrons ceux qui voudraient en apprendre davantage Ă notre Instruction sur le dessin des reconnaissances militaires, et au chapitre XI du MĂ©morial pour les travaux de guerre. Le figurĂ© du terrain, câest-Ă -dire lâexpression de son relief, est ce quâil y a de plus dillicile Ă rendre dans un plan topographique. Câest au moyen des hachures quâon y parvient; mais pour les faire convenablement, il faut une certaine habitude du dessin qui ne sâacquiert que par lâĂ©tude et par la pratique. On ne peut pas exiger des olliciers dâinfanterie et * On peut Ă la rigueur et thĂ©oriquement parlant, indiquer sur les plans topographiques le degrĂ© de pente par lâĂ©cartement des Inchures; mais en pratique cela nâest pas faisable, ou du moins, cela prĂ©sente de telles difficultĂ©s, quâil ne serait pas prudent de sâen rapporter Ă lâexactitude dâun plan pour cet objet. El, dâailleurs, un chef ne peut pas avoir constamment le compas Ă la main pour apprĂ©cier les pentes. 2 d 6 ts PI. XVIII. ferme Ympra/iMiĂŽte 'ipidey PrĂ r et VAet/np. Nord Cassine T 3 B& Croquis militaire des environs de A,du cĂŽtĂ© du Nord. DES RECONNAISSANCES. Ă83 de cavalerie quâils fassent des dessins de ce genre. Ils nâen auraient dâailleurs pas toujours le temps. Câest pourquoi je Propose de remplacer ces hachures ou lignes de pente, par dâautres lignes qui marquent simplement le contour des hauteurs , lâune dans le haut et lâautre au pied des pentes. Ces dgnes ne sont pas prĂ©cisĂ©ment des lignes de niveau ; mais ce sont celles que l'Ćil saisit le plus facilement et qui se prĂ©sentent tout naturellement au bout du crayon quand, faute de temps, on ne veut quâindiquer la forme gĂ©nĂ©rale dâun plateau, dâun mamelon, dâune croupe de montagnes, etc. La zĂŽne comprise entre ces deux lignes donne lâespace suffisant pour Ă©crire en quelques mots les circonstances de la pente. On dira si la pente est douce ou rapide, accessible ou non Ă la cava- lerie, quelle peut ĂȘtre approximativement sa hauteur. On aura ainsi sur le plan, et sans confusion, tout ce quâil importe de connaĂźtre. Pour que les lignes de circonscription des hauteurs ne se confondent pas avec celles qui servent h dâantres indications, il faut les ponctuer en points longs, comme on le voit dans la figure 28 bis. Dans le haut du dessin, les deux lignes de circonscription indiquent clairement un plateau qui sâĂ©lĂšve en pente douce au-dessus de la plaine. Plus bas, etprĂšs de la riviĂšre, il y en a deux autres qui reprĂ©sentent un mamelon de forme allongĂ©e, et, ce qui est Ă©crit entre les courbes, fait connaĂźtre la nature des pentes, ou du moins ce quâil faut Cl > savoir sous le point de vue militaire. Sur la droite du des- s,n > câest un contrefort que les lignes de circonscription reprĂ©sentent; il se termine Ă la riviĂšre par des escarpement? de rochers; un petit mamelon, qui se relĂšve h son extrĂ©mitĂ©, est lui-mĂȘme indiquĂ© par deux lignes de circonscription paroliĂšres. Les chiffres entre parenthĂšses donnent les hauteurs des points de la courbe supĂ©rieure au-dessus de ceux qui lui c °>respondent directement dans la courbe infĂ©rieure, bien Ă©tendu que ces hauteurs ne sont estimĂ©es quâapproximative- ^ent. On voit ainsi que le plateau est Ă©levĂ© Ă droite dâenviron 100 P'eds au-dessus de la plaine, au centre de 90, et h gauche DES RECONNAISSANCES* 380 de 75 ; que le mamelon isolĂ© a 10 pieds de hauteur Ă une de ses extrĂ©mitĂ©s, et 12 pieds Ă lâautre, et ainsi des autres. H nâest pas facile d'estimer Ă vue les hauteurs, on ne les verra donc que rarement figurer dans un croquis. Jâai seulement voulu montrer lu possibilitĂ© de mettre sur le plan, et sans la moindre confusion, ce genre de renseignement. Tout officier pourra, je pense, en faisant usage de moyens aussi .simples, arriver Ă reprĂ©senter, dâune maniĂšre plus ou moins exacte, les accidents dâun terrain quâil aura parcouru, et dont il se sera appliquĂ© Ă bien saisir les formes. Le degrĂ© de lidĂ©litĂ© de son dessin ne dĂ©pendra plus que de la justesse de son coup dâĆil, qualitĂ© qui ne sâacquiert que par lâexercice; il ne sera du moins plus arretĂ© par la difficultĂ© et la longueur de celle partie du travail. AprĂšs nous ĂȘtre ainsi soustraits h ce que le dessin topographique a de plus rebutant pour ceux auxquels il nâest pas familier, convenons de quelques signes pour reprĂ©senter, aux moindres frais possible , les divers objets qui peuvent figurer sur un plan militaire. Ces objets sont les cours dâeau, les Ă©tangs, les marais, les chemins, les rochers, les bois, les vignes, les bourgs, villages, grandes fermes et autres constructions isolĂ©es qui peuvent jouer un rĂŽle dans un combat; les levĂ©es de terre, les bacs, les guĂ©s, les ponts de pierre et de bois. Tout cela se trouve reprĂ©sentĂ© dans notre feuille. Prenons chacun de ces objets en particulier. Cours dâeau. â lis se reprĂ©sentent ou par deux traits tout simplement, lâun plus fort que lâautre, ou par une suite de traits filĂ©s entre les deux premiers. Une teinte bleue remplacerait avantageusement ces traits filĂ©s. La flĂšche indique la direction du courant. On voit dans le bas de la riviĂšre un moulin Ă eau. Lâaffluent sur la droite est un ruisseau encaissĂ©, ce qui se reconnaĂźt aux deux traits irrĂ©guliers qui sont tracĂ©s sur ses bords. Moyens de passage. â A gauche est un bac h traille, au DES RECONNAISSANCES. 387 centre lin pont de pierre qui se distingue du pont de bois, construit sur l'affluent, en ce que ce dernier est plus Ă©troit et n'a pas dâailes aux abords. Plus haut est un guĂ© indiquĂ© par une ligne ponctuĂ©e h petits points au travers de la riviĂšre. Cette ligne ne peut pas se confondre avec une ligne de circonscription, tant Ă cause de la diffĂ©rence du trait quâĂ cause de sa position. Eattx dormantes .â Les Ă©tangs, les lacs se reprĂ©sentent, comme les riviĂšres, par des traits filĂ©s; la forme en fait seule la diffĂ©rence. Les marais se dessinent par une ligne de contour et quelques traits tirĂ©s horizontalement dans lâintĂ©rieur, avec quelques pointes dâherbe sâĂ©levant au-dessus. On peut noter dans lâintĂ©rieur si le marais est impraticable ou accessible. Bois et vignes. â Ces objets sont fort longs Ă dessiner par les procĂ©dĂ©s ordinaires de la topographie. Nous nous contenterons, nous, dâen tracer le contour, et nous ferons, dans lâintĂ©rieur, des hachures pour les bois, et un petit cep pour les vignes. Une teinte dâencre de Chine ou de verd-jaunĂ tre remplacera les hachures dans la reprĂ©sentation des bois, si on se sert de couleurs, tout comme une teinte de violet clair servira pour les vignes. Outre les hachures, on Ă©crira dans lâintĂ©rieur la nature et la circonstance caractĂ©ristique du bois, câest-Ă - dire sâil est taillis ou de haute futaie, fourrĂ© ou Ă clairiĂšres, etc. Rochers. â Le plus difficile est la reprĂ©sentation des rochers, parce que leurs formes sont extrĂȘmement variables. Un signe conventionnel ne suffit pas pour tous les cas; il faut, plus ou moins, chercher Ă les imiter. Mais quand ils prĂ©sentent des parois prolongĂ©es, on peut, comme dans notre dessin, se contenter de dessiner la crĂȘte et le pied do ces parois par deux lignes irrĂ©guliĂšrement heurtĂ©es, et de jeter quelques traits en travers pour dĂ©couper la bande que forment ces deux lignes. On voit Ă droite de notre feuille ce genre de reprĂ©sentation. 588 DES RECONNAISSANCES. Habitations. â Sâil fallait dessiner toutes les maisons des bourgs et des villages, comme dans un vĂ©ritable levĂ© topographique, cela prendrait un temps considĂ©rable et dĂ©couragerait la plupart des officiers. Au lieu que , si on veut se contenter dâun simple signe qui en marque la place, la chose deviendra extrĂȘmement facile et par consĂ©quent praticable. Nous nous bornerons donc Ă reprĂ©senter un village, sans nous inquiĂ©ter de sa forme vĂ©ritable , par un cercle rempli de hachures serrĂ©es. Le bourg sera indiquĂ© de mĂȘme, en remplaçant le cercle par un carrĂ©. DâaprĂšs cela, A est un bourg dans notre plan, B, C, D, E sont des villages. Sâil importait dâavoir la forme dâun de ces villages, on en ferait un levĂ© particulier h une plus grande Ă©chelle. La teinte rouge peut remplacer les hachures dans les habitations. Les maisons isolĂ©es, telles que fermes, grandes cassines, relais de poste, cabarets, etc. se dessinent Ă peu prĂšs dans leur forme et sans Ă©gard h lâĂ©chelle. Si lâon voulait sây astreindre , ces objets, qui ne sont pas sans importance, resteraient inaperçus dans le plan. Un petit corps de chasse indique une maison de poste, un gobelet un cabaret. On voit, sur la gauche du plateau, le signe usitĂ© pour indiquer des moulins h vent, et plus bas, du mĂȘme cĂŽtĂ©, celui des moulins h eau. Communications .âCe que nous avons dit des bĂątiments isolĂ©s sâapplique aussi aux routes et aux chemins, câest-h- dire, quâil faut en exagĂ©rer beaucoup la largeur pour les rendre plus visibles. Une grande route, telle que celle de A h B, se reprĂ©sente par deux traits parallĂšles, de mĂȘme un chemin carrossable, tel que celui de D Ă C, avec cette seule diffĂ©rence que les traits seront un peu plus rapprochĂ©s. Les chemins praticables seulement aux petites voitures, tel que celui de C h B, sont indiquĂ©s par un trait continu et une ligne ponctuĂ©e ; les sentiers, pour les bĂȘtes de somme, par un seul trait. On en voit trois qui aboutissent au bac sur la rive droite. Les distances Ă©tant fort essentielles dans un plan de DES KECONNAISSANCES. 389 la nature de celui dont nous nous occupons, on doit les Ă©crire le long des routes, entre les objets qui sây trouvent. Les chiffres indiqueront le temps quâun piĂ©ton met Ă parcourir les espaces correspondants, Ă raison dâenviron 5000 mĂštres par heure. Si ces distances Ă©taient prises au pas du cheval, il faudrait mettre en note la distance que parcourt le cheval dans une heure, afin dâavoir un terme de comparaison. Quand il y a des chemins coupĂ©s par le cadre, ou a soin dâĂ©crire le nom du lieu vers lequel ils se dirigent, avec lâindication de sa distance, si on la connaĂźt. LevĂ©es et digues .âCes sortes dâobjets sont essentiels Ă reprĂ©senter, parce quâune troupe peut sâen faire un abri. Si on se bornait h les dessiner par deux traits parallĂšles, on pourrait les confondre avec un bout de route; il faut donc, pour Ă©viter la confusion, remplir lâintervalle des deux traits par de petites hachures. Câest ce quâon voit sur la rive gauche de la riviĂšre prĂšs du pont. Tels sont les divers signes conventionnels, au moyen desquels un officier pourra, promptement et facilement, tracer sur le papier le rĂ©sultat de ses observations dans une reconnaissance. Il ne fera pas avec cela un beau dessin, mais il fera un croquis militaire qui pourra ĂȘtre trĂšs-utile, si dâailleurs le rapport des distances et la forme des objets y sont passablement observĂ©s. Ce croquis doit ĂȘtre complĂ©tĂ© par une aiguille dâorientation dirigĂ©e approximativement dans la ligne nord et sud, et par une Ă©chelle en mĂštre ou en toises, pour mesurer les distances qui ne sont pas cotĂ©es sur le plan. Cette Ă©chelle se dĂ©duit de lâespace quâun homme Ă pied parcourt en une heure, environ 5,000mĂštres; chacun la fait dâaprĂšs son pas. Et, comme les distances sont Ă©valuĂ©es en temps le long des toutes, il sera bien de mettre sur le plan une seconde Ă©chelle en rapport avec la premiĂšre, et donnant les espaces parcourus Ă la minute. Il est bon quâun officier, et surtout un officier dâĂ©tat-major, ait ces deux Ă©chelles respectives tracĂ©es sur une 590 DES RECONNAISSANCES. petite rĂšgle pour les cas oĂč il est appelĂ© h faire de semblables levĂ©s, afin de sâĂ©pargner la peine de les dresser h nouveau chaque fois. Maintenant que nous sommes convenus de cette maniĂšre de reprĂ©senter les choses dans un croquis militaire, voyons comment il faut sây prendre pour l'exĂ©cuter. Lâoflicicr qui est chargĂ© de la reconnaissance, doit, sâil en a le temps, prĂ©parer son papier il le colle sur un carton pour que le vent ne le soulĂšve pas; il y met les Ă©chelles, et il y place approximativement, mais de maniĂšre Ă pouvoir ĂȘtre effacĂ©s, les villages qui sont compris dans le terrain quâil aura Ă reconnaĂźtre. Pour cela, il mesure leurs distances respectives sur la carte dont il est muni, et prend auprĂšs des habitants les informations qui lui sont nĂ©cessaire^. Câest avec cette Ă©bauche quâil se met Ă lâĆuvre. ; Nous supposerons que les patrouilles ennemies se soient montrĂ©es dans le pays, et que lâoflicier ait Ă se prĂ©munir contre leurs entreprises. Il est arrivĂ© de la veille dans le bourg A avec son dĂ©tachement'; il y a couchĂ© et y a pris tous les renseignements que les notables ont voulu lui donner sur la contrĂ©e environnante. Il connaĂźt dĂ©jĂ la population des villages B, C, 1 et E, leurs distances entre eux et aux endroits oĂč les chemins, qui les quittent, se dirigent ; il sait, quâindĂ©pendamment du pont de la grande roule, il y a encore pour passer la riviĂšre, un bac Ă traille au village D, et quâil doit exister en amont un guĂ© praticable Ă la cavalerie. Il a consignĂ© ces renseignements dans son garde-notes, et sâest assurĂ© dâun bon guide avant de songer Ă son repos. Nous nâavons pas besoin de dire quâil se sera gardĂ© militairement pendant la nuit, puisquâil nâignore pas quâon a aperçu lâennemi sur les hauteurs de la rive droite. Le lendemain, il nâattend pas que le soleil soit sur lâhorizon pour se mettre en campagne ; il a rassemblĂ© son monde Ă la pointe -B fait partir un petit dĂ©tachement, sous les ordres dâun sous-officier, pour aller reconnaĂźtre les villages 0 DES RECONNAISSANCES. ĂĂM D el E, cl s'assurer quâil nây a personne; il en envoyĂ© un autre par le chemin de droite, avec la commission de visiter la grande cassine, de fouiller le ravin et dâexplorer les bords de la riviĂšre. Ces deux dĂ©tachements, qui sont confiĂ©s h des sous-ofliciers intelligejils, ont ordre de rejoindre vers le pont. Lui-inĂ©me se met en roule avec le gros de krtroupe, et prĂ©cĂ©dĂ© dâune petite avant-garde; mais il sâarrĂȘte une demi- heure Ă l'auberge sur la grande route, pour donner le temps Ă scs deux dĂ©tachements de; faire leur circuit, et prendre des renseignements plus prĂ©cis sur le guĂ© dont on lui a parlĂ© ; il y envoie quelquâun pour le sonder. AprĂšs cela, il continue sa route, en ma es distances dâaprĂšs sa montre el en commençant Ă en tracer la direction sur son plan; il sâoriente dâaprĂšs le nord. ArrivĂ© au pont, il y fait une halle et attend que tout son monde lâait rejoint. 11 laisse alors le tiers de la troupe Ă la garde du pont, et continue, avec les- deux autres tiers, Ă marcher droit sur le village B, prĂ©cĂ©dĂ© de ses Ă©claireurs et accompagnĂ© de quelques lanqueurs, qui pourtant ne sâĂ©cartent pas hors de vue ; il dessine, Ă mesure, les portions de route parcourues, en sâorientant toujours de la mĂȘme maniĂšre, et prenant sur son Ă©chelle les longueurs correspondantes au temps mis h les parcourir. Il y marque l'embranchement des chemins ctsentiers, le pied el le sommet des pentes, la maison de poste, etc. Au sujet des pentes, il faut remarquer quâon doit diminuer la longueur donnĂ©e par lâĂ©chelle des minutes, et cela, dâautant plus, que la pente est plus rapide, parce que les distances horizontales, qui sont les seules quâon puisse mettre sur le plan, sont moindres dans un terrain en pente, et quâaussi, sur un tel terrain, on parcourt moins dâespace dans un temps donnĂ©. On peut rĂ©duire dâenviron un quart, pour les pentes douces, et dâun tiers Ă la moitiĂ© pour les pentes rapides, les longueurs donnĂ©es par lâĂ©chelle. EâĆil, quand il est exercĂ© Ă lâestimation des distances, est dâun grand secours dans ce cas. Tout militaire doit sâelforcer dâacquĂ©rir cette facultĂ©. 392 DES RECONNAISSANCES. ArrivĂ© au village B, lâollicier y laisse encore un tiers de son dĂ©tachement, et, avec le reste, il pousse en avant jusquâĂ une grande demi-lieue, pour sâassurer sâil nâarrive personne parla chaussĂ©e. Câest alors, quâil peut avoir quelquâengagement avec lâennemi. Sâil rencontre une patrouille de force infĂ©rieure Ă la sienne, ou quelque petit poste, il lâattaque et tĂąche de lui faire un ou deux prisonniers qui lâinstruisent de la position des corps les plus avancĂ©s. AprĂšs avoir ainsi balayĂ© le pays, il se rabat promptement sur le village B, et câest alors, quâĂ proprement parler, commence son travail topographique. Il se fait seulement prĂ©cĂ©der de quelques Ă©claireurs et ne garde auprĂšs de lui quâun bon sous-olĂŻicier et deux ou trois soldats; le gros de sa troupe reste au village B, oĂč elle sâĂ©tablit militairement du cĂŽtĂ© oĂč lâennemi pourrait arriver. Lâofficier se porte dâabord Ă la gauche du plateau vers les âą moulins Ă vent, pour voir les pentes et dĂ©couvrir la campagne de ce cĂŽtĂ©. Il fait le tour du plateau et rentre au village par la maison de poste. De lĂ il sâachemine sur le village C, avec la moitiĂ© des troupes quâil a auprĂšs de lui ; lâautre moitiĂ© reçoit lâordre de quitter le village, dans une heure, et dâaller prendre position au pied des pentes. Lâofficier, toujours convenablement Ă©clairĂ©, sâavance sur le chemin BC en sâarrĂȘtant un moment au haut et au bas des pentes, pour en marquer la direction sur son croquis. Il a toujours soin de dessiner Ă mesure, les lignes quâil parcourt, au moyen de leur orientation et des distances prises sur lâĂ©chelle. Dans le village C, il sâinforme oĂč vont les deux chemins qui eu sortent, et quelles sont les distances des villages les plus rapprochĂ©s; il Ă©crit cela sur son plan. Il va jusquâĂ la riviĂšre par le sentier, traverse le bois taillis et rentre au village. De cette maniĂšre, le principal coude de la riviĂšre se trouve placĂ© sur le croquis. Du village, deux hommes doivent partir pour tĂącher de traverser le marais et dâarriver au guĂ© ; ce ne sera quâaprĂšs avoir reçu leur rapport, que lâofficier pourra Ă©crire le mot impraticable, et le mieux encore serait de sâen assurer lui-mĂȘme, sâil DES RECONNAISSANCES. 393 en avait le temps ; car des subalternes se laissent facilement rebuter par la difficultĂ©, et ne poussent pas bien loin leurs recherches. De C, le dĂ©tachement retourne au pont par le chemin. En passant, l'officier dĂ©tache deux cavaliers pour faire le tour des marais, passer le guĂ© et retourner au bourg A; il estime Ă vue la distance du pied du coteau, et en trace la courbe sur son plan. AprĂšs cela, il fait le tour de la petite colline, en suivant le pied des hauteurs et les sentiers ; il monte sur cette colline, dâoĂč il dĂ©couvre bien la forme de la riviĂšre ; il dessine lâune et lâautre , et pousse jusquâĂ la ferme , toujours en mesurant les distances; il met cette ferme sur son plan, et il revient une seconde fois au pont par le sentier, aprĂšs avoir pris connaissance du bac et placĂ© Ă vue le moulin sur sa riviĂšre. Toute la troupe est maintenant rĂ©unie entre le pont et les collines. Elle restera lĂ une heure encore, pendant que son commandant, accompagnĂ© seulement de son guide et de quatre ou cinq cavaliers ou soldats, fera le tour des villages D et E; elle ira ensuite lâattendre au bourg A. Lâofficier, en parcourant cette seconde partie de son terrain, placera Ă vue sur son croquis, les bois, lâĂ©tang et le ruisseau, ainsi que lâindication des aboutissants des chemins qui partent de D et de E. Suivant que lâofficier chargĂ© de la reconnaissance sera plus ou moins expert, que sa troupe sera Ă pied ou Ă cheval *, quâil aura Ă©tĂ© obligĂ© de batailler avec lâennemi, ou quâil nâaura rencontrĂ© personne, sa journĂ©e peut ĂȘtre finie quand il rentre au bourg, ou bien il lui reste encore assez de temps pour achever. Dans ce dernier cas, il laissera reposer sa troupe ; et, bien sur quâil est de nâavoir pas dâennemi Ă craindre , il se transportera, escortĂ© seulement de deux ou trois de ses * On comprend combien il est plus avantageux de faire une reconnaissance avec une troupe Ă cheval quâavec une troupe Ă pied ; mais alors il faut dĂ©terminer le rapport qui existe entre la vitesse du cheval au pas, et celle du fantassin. 394 DES RECONNAISSANCES. meilleurs soldats , sur la petite montagne qui est Ă droite, en passant par la cassine ; du vieux chĂąteau, situĂ© sur le pain de sucre, h lâextrĂ©mitĂ© du contrefort, il dĂ©couvrira parfaitement tout le cours de la riviĂšre, et pourra, en consĂ©quence, corriger son dessin, si cela est nĂ©cessaire. 11 fera le tour des escarpements pour en connaĂźtre la forme, quâil tĂąchera dâimiter, et il cherchera h donner lâidĂ©e la plus exacte de la montagne par la courbe de son sommet et par celle du pied, quâil tracera sur place, selon lâidĂ©e quâil sâen fait dâaprĂšs lâinspection des lieux. Il ne suivra pas le mĂŽme chemin pour rentrer ; mais, longeant le ruisseau encaissĂ© et le bord de la riviĂšre, il mesurera la longueur de la digue, en poussant jusquâau pont. Ce nâest quâalors que le travail de reconnaissance sera terminĂ©. De retour Ă sop cantonnement, il se hĂątera de mettre au net ses notes et de complĂ©ter son croquis. Certes, ce croquis serait bien insullisant si les besoins militaires nĂ©cessitaient un plan exact ; car on ne peut pas espĂ©rer que, fait aussi rapidement, il ne sây soit pas glissĂ© dâassez fortes erreurs; mais lâessentiel sây trouve et y est indiquĂ© dâune maniĂšre simple et claire ; le gĂ©nĂ©ral pourra , par son moyen , aussi bien quâavec un plan beaucoup plus exact et plus fini, connaĂźtre ce qu'il lui importe de savoir. Peut-ĂȘtre mĂŽme prĂ©lĂ©rei a-t-il le croquis au plan , parce que, probablement lâĂ©chelle en sera plus grande, quâil y aura moins de traits et par consĂ©quent plus de clartĂ©, et, quâĂ©tant fait dans un but spĂ©cial, il rendra peut-ĂȘtre mieux les accidents les plus essentiels, sous le point de vue militaire. On peutemployerindiffĂ©remment le crayon ou la plume pour le croquis militaire, câest-Ă -dire quâon laisse le dessin tel quâil a Ă©tĂ© fait sur place avec le crayon, ou que, si le temps le permet , on le passe au trait avec l'encre de la Chine, et mĂȘme on y applique les teintes conventionnelles. Mais, dans tous les cas, il convient de repasser les chiffres et les indications, pour quâils ne sâeffacent pas. A dĂ©faut dâcucrc de Chine, on se servira dâcncrc ordinaire. De A Ă D Jt k , ho 1 la tout* entK ctĂ Deua potttfo Ait &him* paUout. eaveple vrw & fax HfCcXic. ?c plateau off U Dr 1 piftte j t>u tj vaA»K^ Hit Oia'De fiant faut DouJ>C XV! *i»i>* b ido'! O 1 SĂ'\ vĂź'-'Wh. sjnaog ï»inK XUBAdlQ xuBojcg S3U3JCt[3 StOJGlQ sjnoj stu[nog jsj isj^jatiq IOq ISJOIJAIIQ SUOiuM w B S g & o 0 s 400 DES RECONNAISSANCES. commencer lâitinĂ©raire, on Ă©crit ces mots en tĂȘte de la premiĂšre colonne ItinĂ©raire de X... a Y...; on les sĂ©pare, par un trait, du reste de la colonne, dans laquelle on inscrit Ă mesure les noms des lieux par lesquels on passe. Les notes sâĂ©crivent directement Ă la plume; le crayon s'effacerait. Les dĂ©tails concernant les ressources dâun pays doivent faire lâobjet dâĂ©tats particuliers, ou tableaux statistiques; ils compliqueraient trop les itinĂ©raires si l'on voulait les y faire entrer. II faut mĂȘme restreindre les tableaux statistiques au strict nĂ©cessaire, si lâon veut quâils soient consciencieusement remplis. Quoique ces tableaux soient un peu Ă©trangers Ă notre sujet, et quâils intĂ©ressent principalement le commissariat, nous les joindrons nĂ©anmoins aux itinĂ©raires pour complĂ©ter le chapitre des renseignements utiles Ă se procurer, en faisant remarquer cette diffĂ©rence des uns aux autres, que les itinĂ©raires ne concernent que la route reconnue, tandis que les Ă©tats statistiques embrassent la contrĂ©e tout entiĂšre. Les tableaux statistiques, tels quâils ont Ă©tĂ© employĂ©s par nos Ă©tats-majors divisionnaires, et tels que je les donne ici, forment des cahiers Ă©gaux Ă ceux des itinĂ©raires. Les feuilles sont aussi pliĂ©es en deux; h gauche sont les dĂ©tails relatifs Ă la population et Ă lâindustrie ; Ă droite, les moyens de transport , les tĂȘtes de gros bĂ©tails et les observations. On met dans cette derniĂšre colonne tout ce qui ne se trouve pas dans les autres ; ainsi les forges et autres usines , qui nâont pas de colonnes spĂ©ciales, y seront inscrites. La colonne des abris ne contient que les maisons habitĂ©es, et non les granges; parce que les tableaux statistiques doivent servir aux dislocations rĂ©guliĂšres oĂč lâon ne loge la troupe que dans les maisons habitĂ©es , et non Ă des cantonnements serrĂ©s oĂč on la met partout oĂč sâoffre un abri. Nous avons fait cette distinction dans les deux tableaux, en intitulant la colonne qui concerne les abris, dans lâun, couverts, dans lâautre, maisons habitĂ©es. CHAPITRE IX. Hissions spĂ©ciales. Ilots comprendrons dans ce chapitre diffĂ©rents objets qui nâont pas trouvĂ© de place dans les prĂ©cĂ©dents tels sont les convois, les embuscades, les fourrages, les partis. Les officiers chargĂ©s de ces diffĂ©rentes opĂ©rations font un service extraordinaire ; ils sont en mission spĂ©ciale. Les missions appartiennent Ă ce quâon appelle la petite guerre, vĂ©ritable Ă©cole pratique des militaires. § i. â Des Convois, Si les convois ne se faisaient pas en arriĂšre de lâarmĂ©e , dans le pays dont elle est maĂźtresse, et, par consĂ©quent, loin des principales forces de lâennemi, ils seraient indubitablement enlevĂ©s ; car il nây a rien de plus difficile que de dĂ©fendre un convoi de quelque une attaque sĂ©rieuse. FrĂ©dĂ©ric en perdit un considĂ©rable quâil dirigeait sur Olmiitz, Parce quâil fallut prendre des chemins qui Ă©taient en la possession de lâennemi. Ni la bravoure des troupes dâescorte, ni voisinage de l'armĂ©e, qui nâĂ©tait quâh quelques lieues, ne Purent le sauver; il tomba en entier dans les mains des Autrichiens, et FrĂ©dĂ©ric , par suite de celle perte, dut lever son Ca mp de devant Olmiitz, quâil voulait assiĂ©ger. Ordinairement les convois ne sont exposĂ©s quâaux attaques des partisans ou des corps de troupes lĂ©gĂšres, qui, en raison ^Ă©me de leur petitesse, sont parvenus Ă se jeter sur les der- r, cres de lâarmĂ©e. Câest contre de telles attaques quâon cherche Ă se garantir, en donnant des escortes aux convois. Ces esco rtessont principalement conĂŒĂ©csĂ lâinfanterie, parce que 2G MISSIONS SPĂCIALES. 402 celle-ci peut combattre sur toute espĂšce de terrain, et, au besoin, se placer dans les intervalles des chamois ou mĂȘme dessus , pour, de lĂ , se dĂ©fendre encore quand elle est trop vivement pressĂ©e. Cependant la cavalerie est aussi nĂ©cessaire,'tant pour Ă©clairer la marche du convoi Ă une grande distance, et prĂ©venir promptement de lâapproche de lâennemi, que pour participer Ă sa dĂ©fense contre une attaque de cavalerie. Celle-ci pouvant se porter trĂšs-rapidement de la tĂŽte Ă la queue du convoi, trouverait facilement quelque partie sans dĂ©fense, si lâescorte Ă©tait uniquement composĂ©e de fantassins. Pour se faire une idĂ©e de la prise qu'offre Ă de semblables attaques une file de voitures, il faut savoir quâun charriotĂ quatre roues, attelĂ© de quatre chevaux, occupe 10 mĂštres. Ainsi, deux cents charriols de celte espĂšce, marchant sur une seule lile, et serrĂ©s autant que possible, formeraient un convoi lie 2000 mĂštres dâĂ©tendue. Comment, sur une aussi grande ligne, lâinfanterie seule parviendrait-elle Ă rĂ©pondre aux feintes de la cavalerie, et h repousser ses attaques rĂ©elles? 1 Nous admettrons donc que lâescorte dâun convoi dâune certaine importance soit composĂ©e dâinfanterie et de cavalerie, bien que la premiĂšre y domine, et nous prendrons pour la marche les dispositions suivantes. u Une premiĂšre avant-garde, toute composĂ©e de cavalerie ,' prĂ©cĂ©dera le convoi dâune ou deux lieues, pourTouillcr lif route h une assez grande distancĂ© Ă droite et Ă ^auchĂš, et aller aux informations. Mais, comme il peut arriver qucTcn- nemi, Ă©ludant les investigations des Ă©claireurs J parvienne Ă se dĂ©rober h la premiĂšre avant-garde , et Ă se mettre en embuscade dans lâintervalle qui la sĂ©pare de la tĂȘte du convoi, ĂŒ faut en faire une seconde immĂ©diatement en tĂȘte de la marche , qui envoie quelques coureurs en avant, et qui dĂ©tache des flanqueurs pour Ă©clairer le pays, des deux 1 cĂŽtĂ©s de la route. Plus la file des voitures ou des bĂȘtes de somme est longue , plus le danger des surprises'est h redouter',' et plus, p ar consĂ©quent, il faut redoubler de prĂ©cautions pour lâĂ©viter. MISSIONS SPĂCIALES. 405 Un convoi est presque autant exposĂ© Ă ĂȘtre attaquĂ© en queue quâen tĂȘte; il est donc nĂ©cessaire de former une arriĂšre- garde, dans laquelle il entrera quelques cavaliers qui puissent donner promptement avis de ce qui se passe par derriĂšre. Quant Ă la troupe qui fait le gros de lâescorte, et qui est principalement composĂ©e dâinfanterie, on la partagera en trois corps, dont lâun, Ă la tĂȘte du convoi, marchera avec quelques ouvriers et des voitures chargĂ©es dâoutils de toute espĂšce , de cordes, de poutrelles, de madriers et de tout ce qui est nĂ©cessaire pour la rĂ©paration des ponts et des routes. Le second dĂ©tachement se placera au milieu de la colonne, et le troisiĂšme Ă la queue fermant la marche. On se gardera bien de dissĂ©miner la troupe sur toute lâĂ©tendue du convoi, parce quâen cas de surprise on ne se trouverait nulle part en mesure de repousser lâennemi. Seulement les corps dont on vient de parler dĂ©tachent quelques hommes qui, marchant sur les cĂŽtĂ©s de la route, forcent les conducteurs des chevaux et des voitures Ă rester dans lâordre qui leur a Ă©tĂ© prescrit, et h serrer toujours leurs distances. L'ordre dans la marche est une des conditions les plus importantes Ă observer. Les charretiers, qui sont ordinairement pris par rĂ©quisition, ne marchent quâĂ contre-cĆur, et sont toujours prĂȘts, soit Ă se sauver avec leurs chevaux au premier danger, soit Ă s'abandonner Ă leur nĂ©gligence. Il faut donc user de sĂ©vĂ©ritĂ© Ă leur Ă©gard, et ne jamais permettre quâils quittent leurs places pour causer entre eux, ni quâils mĂȘlent leurs chevaux quand les transports se fout Ă dos. La tĂȘte du convoi doit marcher lentement et dâun pas rĂ©glĂ©, pour quâil ne se fasse pas des ouvertures dans la colonne. On dĂ©fendra aux charretiers de sâarrĂȘter pour faire boire leurs chevaux, quand on traversera quelque riviĂšre ou ruisseau. Sâil y a des munitions de guerre dans le convoi, la pipe sera Interdite Ă tout le monde. Si un charriol venait Ă se rompre en route, on rĂ©pprtii ajt promptement sa charge sur les charriots les plus propres Ă la 404 MISSIONS SIâ recevoir. Il fant avoir un signal dont on soit convenu pour pie toute la colonne sâarrĂȘte quand un pareil accident arrive. Mais si un voiturier est seulement appelĂ© Ă faire quelque lĂ©gĂšre rĂ©paration indispensable , le convoi continue sa marche ; la voiture sort de la colonne , se met de cĂŽtĂ© et vient ensuite se placer Ă la queue elle reprendra le lendemain son numĂ©ro dâordre, h moins que le commandant du convoi nâen dĂ©cide autrement. On ne permettra point aux soldats de mettre leurs sacs sur les voitures, ce Ă quoi ils sont toujours disposĂ©s, parce quâun soldat ne doit jamais se sĂ©parer de son sac, et quâil ne faut pas rallentir la marche dâun convoi par la surcharge des voitures. Encore moins faut-il laisser monter les soldats sur les voitures ou sur les chevaux. Toutes les fois que la largeur de la route le permet, il convient de doubler les voitures et de les faire marcher sur deux files. La colonne est ainsi raccourcie de moitiĂ©, et lâon peut, si les circonstances lâexigent, former plus promptement le parc dĂ©fensif, qui se fait en plaçant tĂȘte h tĂȘte les attelages, et en tournant vers le dehors lâarriĂšre-train des voitures. Les voitures, pour former le parc, tournent Ă droite et Ă gauche , font une conversion , et viennent se placer en face les unes des autres, aussi serrĂ©es que possible , et de maniĂšre Ă ne laisser que peu dâintervalle entre les tĂȘtes des chevaux opposĂ©s. Les voitures Ă©tant ainsi rangĂ©es pVĂšs Ă prĂšs, leurs chevaux sont garantis, leurs conducteurs effrayĂ©s ne peuvent pas les dĂ©teler, et lâespace quâelles occupent est considĂ©rablement moindre que celui quâelles avaient en colonne. Mais cette disposition , ne pouvant se prendre que successivement, Ă mesure que les voilures ont fait leur conversion en dehors de la colonne , exige assez de temps. Il ne faut donc lâordonner que lorsquâelle est absolument indispensable. Dans toute autre circonstance , et lorsquâon peut raisonnablement espĂ©rer de tenir lâennemi en respect par les manoeuvres des troupes de lâescorte , il vaut mieux faire iler le convoi que de sâarrĂȘter MISSIONS SPĂCIALES. 40 ,'> pour former le parc dĂ©fensif. Quoiquâil en soit, ce parc , quand une fois il est formĂ©, est comme une petite forteresse Ă la faveur de laquelle lâinfanterie peut encore combattre avec avantage , mĂŽme lorsquâelle a Ă©tĂ© obligĂ©e de sây rĂ©fugier. Dâheure en heure on fait de petites haltes de quelques minutes, pour laisser respirer les chevaux et remettre en ordre ce qui pourrait ĂȘtre dĂ©rangĂ© sur les chamois, resserrer les cordes, ajuster les harnais, etc. En outre, et comme dans les marches des troupes, on fait une grande halte au milieu du jour, pendant laquelle on donne h manger et h boire aux chevaux, sans dĂ©teler. On se pourvoit, en partant, des provisions nĂ©cessaires pour cette halte les hommes portent leurs vivres ; le foin et lâavoine se mettent sur les churriols. Il ne reste quâĂ chercher lâeau Ă la halte. Le convoi sâarrĂȘte ordinairement prĂ©s dâun village pour passer la nuit, parce quâon y trouve des ressources pour la nourriture des hommmes et des chevaux , pour la rĂ©paration des voitures, le ferrage , etc. Cela Ă©tant, et lorsque des mesures impĂ©rieuses nâengagent pas h rester en deçà , il faut faire parquer les voitures au delĂ du village, parce quâayant Ă se mettre en route de grand matin, il vaut mieux avoir le dĂ©filĂ© derriĂšre soi que devant soi. En effet, si vous restiez derriĂšre, lâennemi pourrait sâapprocher pendant la nuit et se poster de maniĂšre Ă vous attaquer avec avantage quand une partie du convoi serait encore dans le village. On cherche, pour parquer, un endroit clos de haies ou de murs, de prĂ©fĂ©rence Ă tout autre, parce quâon y est plus en sĂ»retĂ©. On enferme dans lâintĂ©rieur du parc les objets les plus prĂ©cieux, tels que les archives, lâargent, les munitions de guerre, et lâon met auprĂšs une garde convenable pour surveiller les charretiĂšre et empĂȘcher quâon ne fasse du feu dans le voisinage des voitures qui portent de la poudre. Les chevaux sont attachĂ©s en dedans du parc, soit Ă des piquets, soit *ux voitures elles-mĂȘmes, et chaque attelage reste prĂšs de s oii charriot, autant que la grandeur de lâespace le permet. 406 MISSIONS SPĂCIALES. Mais la troupe, h lâexception de la garde du parc, bivouaque Ă peu de distance, et occupe militairement le terrain environnant, que lâavant-garde a dĂ», au reste, reconnaĂźtre avant de sây Ă©tablir. On pose des gardes avancĂ©es et un nombre suffisant de sentinelles, pour la sĂ»retĂ© et pour la police du parc et du bivouac. Personne ne doit quitter le parc, ni le bivouac, sans lâautorisation du commandant. On dĂ©signe ceux qui iront aux vivres et aux fourrages. Il nâest pas plus permis aux officiers, quâaux soldats et aux charretiers, de sâĂ©tablir dans les auberges ou les cabarets du village. Le commandant prend donc toutes les mesures pour assurer h tout son monde la subsistance et la paille de couchage il envoie dâavance un officier et quelques fourriers pour prĂ©parer le tout ; il envoie Ă©galement quelquâun pour chercher lâemplacement du parc, et en fixer le dispositif. Le parc se fait ordinairement en carrĂ© vide ; mais la localitĂ© doit dicter sa forme , qui sera toujours euveloppantc , soit pour fournir un espace clos oĂč lâon puisse renfermer les chevaux et leurs conducteurs, soit pour offrir une espĂšce de retranchement en cas dâattaque. Les voitures se rangent ou h la file , ou Ă cĂŽtĂ© les unes des autres , suivant la ligne quâelles occupent dans le carrĂ©, la rĂšgle Ă©tant que tous les limons soient tournĂ©s du mĂŽme cĂŽtĂ© et vers le lieu de destination. Il convient alors de doubler les voitures qui restent Ăč la file , afin que si la nĂ©cessitĂ© y Ă©tait, on pĂ»t fermer les intervalles dâun rang en poussant h bras les voitures de lâautre rang. Lorsque lâespace Ăčlâon doit parquer est restreint, et le nombre des voitures considĂ©rable, on place les voitures sur plusieurs lignes, et lâon forme ainsi des rues parallĂšles assez larges pour recevoir les attelages. Lorsque le convoi se remet en route le lendemain, chaque voiture reprend la mĂȘme place dans la colonne ; et, il cet effet, elle porte un numĂ©ro qui prĂ©vient toute contestation entre les conducteurs ; les officiers veillent dâailleurs Ăč MISSIONS SPĂCIALES. 407 ce que chacune entre dans la colonne h son tour, et quâaucune ne retarde les autres. Ces prĂ©cautions, quelque minutieuses quâelles paraissent, nâen sont pas moins nĂ©cessaires. Il en est dâautres encore que le commandant dâun convoi ne doit pas nĂ©gliger, comme de sâassurer par lui-mĂȘme, avant de se mettre en route, du bon Ă©tat des voitures et de la qualitĂ© des chevaux. Il faut quâil sache si les chargements ne sont pas trop forts ', et y remĂ©dier quand cela a lieu, soit en employant un plus grand nombre de voitures , soit en renforçant les attelages. Il dresse un Ă©tat gĂ©nĂ©ral de toutes les voitures, avec les noms de leurs conducteurs. Il partage la surveillance entre les officiers, et les instruit avec soin de ce quâils auront Ă faire dans les diffĂ©rents cas quâil peut prĂ©voir. Il ne manque pas de faire exĂ©cuter plusieurs fois le convoi dĂ©fensif, comme exercice , afin que les charretiers sachent bien comment ils devront conduire leurs voilures dans leur emplacement, et que cela ne fasse pas de confusion. Ce quâil y a de plus dangereux, pour un convoi qui est entourĂ© de partisans ennemis, ce sont les passages de dĂ©lilĂ©s. On nây engagera donc les voitures quâaprĂšs sâĂ©tre assurĂ© du dĂ©bouchĂ© , et on les franchira avec toute la vitesse possible. Au passage des ponts, on se mettra en garde aussi bien contre les attaques sur la rive quâon va quitter, que contre celles qui viendraient du cĂŽtĂ© oĂč lâon se dirige ; car si lâennemi, profitant dâune nĂ©gligence de lâarriĂšre-garde, arrivait au moment oĂč le pont est encombrĂ©, et oĂč la moitiĂ© des voitures a dĂ©jĂ passĂ©, il culbuterait aisĂ©ment les troupes de la queue, et sâemparerait de toutes les voitures qui seraient encore de son cĂŽtĂ©. On voit, dâaprĂšs cela, que câest un devoir, pour un commandant de convoi, de sâinformer de toutes les circonstances de la route quâil devra suivre, dâen faire mĂȘme la reconnaissance particuliĂšre , si on lui en donne le temps, alin de nâĂȘtre point 11 ne faut pas plus de quatre quintaux par cheval sur chaque voiture, pour peu que les chemins soient marnais cl la mute longue. 408 MISSIONS SPĂCIALES. pris au dĂ©pourvu, ei de savoir dâavance ce quâil aura h faire dans les endroits difficiles. Quand lâennemi est annoncĂ© en tĂȘte du convoi par la premiĂšre avant-garde, qui se replie au galop sur lâescorte, les voitures serrent autant que possible et s'arrĂȘtent, ou, mieux encore, elles se forment sur deux files, si la largeur de la route le permet. La seconde avant-garde, et le dĂ©tachement de la tĂȘte, prennent position pour recevoir lâennemi ; celui du centre vient se placer h cĂŽtĂ© du premier, en ligne avec lui, ou en Ă©chelon, suivant les localitĂ©s et suivant quâil est plus particuliĂšrement nĂ©cessaire de couvrir un des flancs du convoi que lâautre. Le troisiĂšme dĂ©tachement, qui a appelĂ© h lui lâarriĂšre-garde, reste en rĂ©serve prĂȘt Ă charger lâennemi, quand celui-ci, tournant les ailes de la troupe qui lui rĂ©siste de front, chercherait Ă tomber par le cĂŽtĂ© sur le convoi, pour le couper ou pour y jeter du dĂ©sordre. Cette rĂ©serve doit ĂȘtre immĂ©diatement en tĂȘte des voitures, pour pouvoir facilement passer de la droite Ă la gauche. Dans cette position, elle a lâavantage de rĂ©pondre, parde petits dĂ©placements, aux mouvements excentriques de l'attaquant. Câest lĂ que toute la cavalerie de lâescorte sera rĂ©unie. Si le corps principal se trouvait trop rapprochĂ© de la tĂȘte du convoi, la rĂ©serve, pour conserver une distance convenable, serait obligĂ©e de se placer quelque part sur le flanc du convoi; alors on pratiquerait une ouverture dans lu colonne, pour pouvoir passer de la droite Ă la gauche, sans ĂȘtre obligĂ© de faire le tour. Il est absolument nĂ©cessaire de conserver Ă la rĂ©serve toute sa mobilitĂ©, parce que câest elle qui doit rĂ©pondre Ă toutes les feintes de lâennemi, et repousser les attaques latĂ©rales que le corps principal nâaurait pas pu empĂȘcher. Dans cette circonstance, bien plus encore que dans toute autre, câest en manĆuvrant pour faire front Ă lâennemi, de quelque cĂŽtĂ© quâil arrive, quâon dĂ©jouera ses projets. Il faut donc se mĂ©nager toute la libertĂ© des mouvements, Ă©viter lâencombrc- ment et la gĂȘne. MISSIONS SPĂCIALES. 409 Lâattaque est-elle repoussĂ©e, le commandant du convoi se gardera bien de se mettre h la poursuite de lâennemi, car il ne doit jamais quitter ses voitures, sous peine de tomber dans quelque embuscade, ou de se les voir enlever pendant quâil suivrait Ă©tourdiment lĂ piste dâun ennemi qui le joue. Son unique objet est dâarriver Ă sa destination ; il faut donc quâil fasse tout son possible pour lâatteindre sans perdre une seule voiture. Cela ne l'empĂȘchera pas cependant de marcher h quelque distance au-devant de lâennemi, sâil y voit son avantage, ni de tomber sur lui la baĂŻonnette en avant pour le prĂ©venir; car, nous venons de le dire, ce n'est pas en sâadossant aux voitures quâon les dĂ©fendra efficacement, mais en prenant du champ et en manoeuvrant autour. Ce nâest que lorsquâon est repoussĂ©, quâon se replie sur le convoi pour se dĂ©fendre h la faveur des voitures. Dans ce moment dĂ©sespĂ©rĂ© une trop longue rĂ©sistance peut ĂȘtre jugĂ©e inutile, vu la grande supĂ©rioritĂ© de lâennemi ; il faut alors savoir lui abandonner une partie du convoi pour tĂącher de sauver le reste, en le faisant rĂ©trograder, ou bien lĂącher de le dĂ©truire en coupant les traits des chevaux, brisant les roues, renversant les charriots, et mĂȘme en mettant le feu aux objets qui sont le plus susceptibles de sâenflammer. La dĂ©fense contre une attaque en queue, se conduira dâaprĂšs les mĂȘmes principes le dĂ©tachement du centre se rĂ©unira h celui de la queue et Ă lâarriĂšre-garde pour former la principale rĂ©sistance; celui de la tĂȘte rĂ©trogradera pour se mettre en rĂ©serve. Mais ici le convoi peut et doit continuer sa roule, pendant que les troupes dâescorte soutiennent le combat. Celles-ci manĆuvreront en retraite, pour ne se sĂ©parer que le moins possible des derniĂšres voitures; mais elles tiendront ferme dans les dĂ©filĂ©s et partout oĂč le terrain leur otfrira des avantages solides. Cependant lâavant-garde de cavalerie, Ă laquelle on aura expĂ©diĂ© une estafette dĂšs le Premier moment, viendra se joindre Ă la rĂ©serve. Lâattaque sur le flanc est la plus dangereuse, parce que le 410 MISSIONS SPĂCIALES. convoi offre alors beaucoup plus de prise. Les trois dĂ©tachements doivent, dans ce cas, se rĂ©unir du cĂŽtĂ© de lâattaque et se porter assez en avant pour que lâennemi soit obligĂ© de dĂ©crire un grand cercle, et par consĂ©quent de se mettre en prise quand il voudra se porter sur lâune ou lâautre extrĂ©mitĂ© du convoi. La meilleure disposition Ă prendre, est dâĂ©chelonner le dĂ©tachement du centre par les deux dĂ©tachements des extrĂ©mitĂ©s, auxquels se rĂ©unissent lâavant-garde et lâarriĂšre-garde. Ces trois Ă©chelons, celui du centre en avant des deux autres, formeront sur le cĂŽtĂ© du convoi, un ordre de bataille convexe trĂšs-propre Ă ce genre de dĂ©fense. Ils peuvent se rĂ©unir au besoin pour faire effort; ils sâappuyent rĂ©ciproquement; l'un sert de rĂ©serve aux deux autres, et ils forcent lâennemi Ă sâĂ©tendre pour les dĂ©border. Le convoi, qui a doublĂ© ses voitures, continue Ă marcher en rĂ©glant sa vitesse sur celle des troupes qui le couvrent. Si elles sâarrĂȘtent, il faut quâil sâarrĂȘte, Ă moins que lâennemi nâait que de lâinfanterie, auquel cas le convoi prendra le trot et Ă©chappera par sa vitesse. Mais il nây a aucune probabilitĂ© que lâattaque se fasse sans cavalerie; dĂšs lors, le convoi, pour ne point se dĂ©couvrir, doit rester, connue nous venons de le dire, Ă la hauteur des troupes qui marchent sur son flanc; il sâarrĂȘte si elles sâarrĂȘtent, et ne marche que quand elles marchent. Toutefois on le fera marcher plus vite quand on arrivera Ă quelque dĂ©filĂ© , ou dans quelque localitĂ© oĂč la cavalerie ne lui puisse rien. Nâayant point Ă craindre dâĂȘtre attaquĂ© dans ces endroits, il doit chercher Ă gagner du chemin sous la protection dâune petite avant-garde. En tout cas, l'officier prĂ©posĂ© Ă la conduite des voitures ne doit rien faire que dâaprĂšs les ordres du commandant du convoi. Si celui-ci juge nĂ©cessaire de former le parc dĂ©fensif, le premier cherche en dehors de la route , et du cĂŽtĂ© opposĂ© Ă l'ennemi, un emplacement assez grand pour le recevoir et pour permettre aux voitures de tourner et dâaller prendre leur place. MISSIONS SPĂCIALES. 411 Nous avons oubliĂ© de dire que les soldats, placĂ©s le long du convoi pour contenir les charretiers, ne doivent point les quitter pendant le combat; câest au contraire le moment de les surveiller plus que jamais; les soldats auront lâordre de aire feu sur eux sâils dĂ©telaient leurs chevaux pour sâĂ©chapper. On ne pourra pas toujours se conformer aux dispositions prĂ©cĂ©dentes. Ainsi on peut nâavoir pas assez de monde pour former trois dĂ©tachements; on se contentera alors dâen faire deux, un Ă la tĂšte du convoi, lâautre h la queue; peut-ĂȘtre mĂȘme, quâaprĂšs avoir fourni Ă lâavant-garde et h lâarriĂšre- garde, il faudra, pour ne pas trop se diviser, rĂ©unir tout le reste de la troupe et le faire marcher du cĂŽtĂ© oĂč l'attaque est le plus Ă craindre. Mais 011 est toujours ainsi dans lâesprit de la rĂšgle, qui consiste Ă ne point dissĂ©miner lâescorte tout le long du convoi, mais Ă la rassembler en groupes assez forts pour faire rĂ©sistance. Au surplus, on ne devrait jamais hasarder un convoi de quelquâimportance sans avoir, au prĂ©alable, fait balayer le pays par des colonnes mobiles. Si le convoi se met en route immĂ©diatement aprĂšs lâexpĂ©dition, il a beaucoup de chances de ne faire aucune mauvaise rencontre, et son escorte peut ĂȘtre considĂ©rablement diminuĂ©e. On conclura de ce qui prĂ©cĂšde, que lâattaque dâun convoi est une opĂ©ration peu chanceuse, mĂȘme pour un corps infĂ©rieur Ă lâescorte. Car, si on prend lâennemi en dĂ©faut, on dĂ©truit ou on emmĂšne une partie du convoi ; si on Ă©choue, on en est quitte pour se retirer, sans crainte dâĂȘtre poursuivi. Le corps qui attaque doit ĂȘtre mi-parti dâinfanterie et de cavalerie. Il est clair que si, en se cachant derriĂšre un bois, une hauteur, un champ de blĂ©, etc., on parvient Ă surprendre la tĂȘte ou la queue du convoi, et h lâenvelopper avant que les secours lui arrivent, on obtiendra un plein succĂšs. On doit donc essayer de ce moyen avant dâen venir Ă une attaque ouverte. Mais on ne peut pas supposer assez de nĂ©gligence de la 412 MISSIONS SPĂCIALES. part du commandant du convoi pour admettre quâon le surprendra ainsi. Il faut donc supposer que sa troupe sera rĂ©unie et en bon ordre au moment de lâattaque. DĂšs lors il convient de diviser son attention, en dirigeant contre lui plusieurs petites colonnes et beaucoup de tirailleurs, qui chercheront Ă se frayer un chemin jusquâaux voitures pour tuer les chevaux et embarrasser la route. La cavalerie, faisant un circuit, se porte rapidement sur les parties mal protĂ©gĂ©es. Si elle atteint quelques voitures, elle se contente de chasser les conducteurs et de couper les traits, parce quâainsi toute la partie du convoi qui est en arriĂšre se trouve arrĂȘtĂ©e. Si lâon a la libertĂ© du choix pour le lieu et le moment de lâattaque, il est clair quâelle sâelTectuera quand le convoi sera engagĂ© en partie dans un dĂ©filĂ©, et que lâon pourra en envelopper la tĂšte ou la queue. La rĂ©ussite est alors certaine, l'encombrement inĂ©vitable du dĂ©filĂ©, empĂȘchant une partie des troupes de venir au secours de lâautre. Mais une telle fortune est rare, et il reste encore assez de chances de succĂšs pour attaquer un convoi partout oĂč on le rencontre. Quand on est parvenu h sâemparer de tout ou partie dâun convoi, il faut se hĂąter dâemmener sa prise pour la dĂ©poser en un lieu sur, avant que lâennemi nâarrive en forces supĂ©rieures pour vous la faire abandonner. Mais plutĂȘt que de la lĂącher dans ce cas, on dĂ©truira les voitures, et, ne gardant que ce quâelles renferment de plus prĂ©cieux, on le mettra sur le dos des chevaux pour sâenfuir au plus vite. On doit Ă©viter le combat ; le coup est fait. § 2. - DBS Fourrages. Ou dit quâon fait un fourrage lorsquâon va en troupe ramasser du foin et de la paille dans les granges, ou faucher MISSIONS SPĂCIALES. 413 sur le terrain l'herbe ou le blĂ© vert. Dans le premier cas on fait un fourrage au sec , dans le second un fourrage au vert. Les fourrages Ă©taient autrefois des opĂ©rations plus sĂ©rieuses que de nos jours, parce que les armĂ©es, moins nombreuses, se tenaient plus ramassĂ©es ; leurs divisions, ne laissant entre elles que de petits intervalles, ne trouvaient pas assez de ressources sur le terrain quâelles occupaient immĂ©diatement. CâĂ©tait donc en avant et sur les flancs quâon allait au fourrage, se mĂ©nageant pour les derniers moments, et dans la supposition dâune retraite, tout le pays en arriĂšre de lâarmĂ©e. DĂšs lors les fourrageurs Ă©taient constamment exposĂ©s aux attaques de lâennemi. Maintenant que les armĂ©es sont plus nombreuses et composĂ©es de corps, qui, pouvant se suflire Ă eux-mĂȘmes, campent h dâassez grandes distances, elles trouvent dans lâespace quâelles occupent de quoi nourrir les chevaux. Cependant il nâen faut pas moins user de prĂ©cautions, lorsquâon se dĂ©cide Ă faire un fourrage rĂ©gulier, pour ne pas tomber dans une nĂ©gligence qui tĂŽt ou tard deviendrait fatale. On donne donc aux fourrageurs une escorte assez nombreuse , pour Ă©clairer le pays autour de lâespace que le fourrage doit embrasser, et combattre lâennemi, sâil se prĂ©sente. Au premier signal de son approche, les fourrageurs quittent la place, emportant ce quâils peuvent sur leurs chevaux; la chaĂźne des postes extĂ©rieurs se replie, se concentre, engage le combat, sâil est nĂ©cessaire, et le soutient tant que les fourrageurs ne se sont pas Ă©coulĂ©s. Quand il nây a plus aucun danger pour ceux-ci, lâescorte bat en retraite ; une plus longue rĂ©sistance serait sans utilitĂ©. Pendant tout le temps que dure le fourrage, les troupes, qui sont restĂ©es au camp ou aux cantonnements les plus voisins, se tiennent sous les armes, afin dâĂȘtre prĂȘtes Ă marcher au secours des fourrageurs, et Ă repousser une attaque qui est toujours Ă craindre quand on sâest affaibli de quelque dĂ©tachement. 414 MISSIONS SPĂCIALES. Il semble inutile de dire que ce sont les cavaliers eux- mĂȘmes, qui, munis de cordes et de serpes ou de faux, requises aux paysaus, exĂ©cutent lâopĂ©ration matĂ©rielle du fourrage, aprĂšs que des officiers, prĂ©posĂ©s Ă cela, leur ont distribuĂ© tout le terrain, corps par corps, et ont indiquĂ© Ă chaque dĂ©tachement lâespace quâil doit faucher. Il y a, Ă cet Ă©gard, des rĂšglements dont lâexĂ©cution est principalement confiĂ©e aux olliciers dâĂ©tat-major. Ces rĂšglements prescrivent, entre autres choses, dâexĂ©cuter plutĂŽt deux fourrages quâun seul trop considĂ©rable; 1° parce quâen raison du terrain que ce dernier force dâembrasser, il donne plus de prise Ă lâennemi ; 2° parce que la surveillance y devenant plus difficile, le gaspillage est inĂ©vitable ; 3° parce quâil exige plus de temps. Ils recommandent aussi, dans le cas oĂč les terrains qui doivent ĂȘtre fourragĂ©s, seraient enclos de murs, de haies, ou de fossĂ©s, de pratiquer dâavance les ouvertures nĂ©cessaires pour assurer la communication entre les divers dĂ©tachements de lâescorte. Une reconnaissance prĂ©alable du terrain Ă fourrager doit ĂȘtre faite pour exĂ©cuter ces choses , arrĂȘter la rĂ©partition entre les corps, et faire lâĂ©valuation approximative de la quantitĂ© de fourrages quâon se procurera ainsi. Dans les fourrages au sec il faut Ă©puiser ce que peut fournir un village avant dâaller Ă un autre, et ne pas fourrager dans plusieurs villages Ă la fois, h cause de la difficultĂ© de couvrir suffisamment, au moyen de lâescorte, un aussi grand espace. Et dans ce dernier cas, celui du fourrage au sec, le devoir des officiers de tout grade est de prĂ©venir le dĂ©sordre si facile Ă sâintroduire dans une opĂ©ration de cette nature ; ils empĂȘcheront les soldats dâentrer ailleurs que dans les granges qui leur sont assignĂ©es par des numĂ©ros marquĂ©s dâavance sur les portes, et les feront partir h mesure quâils seront chargĂ©s. Mais ce qui vaut encore mieux, câest de faire apporter par les habitants la quantitĂ© de paille et de foin h laquelle on croit pouvoir taxer le village, dâaprĂšs ce que lâon! sait de ses richesses en fourrages; ils nây ont ordinairement pas de rĂ©pu- MISSIONS SPĂCIALES. 413 gnance, parce quâils sauvent ainsi du pillage leurs propriĂ©tĂ©s, et quâils reçoivent des bons pour les quantitĂ©s fournies. Toutes les gerbes sont dĂ©posĂ©es hors du village ; les cavaliers vien âą nent faire leurs trousses dans remplacement dĂ©signĂ©, et, sous aucun prĂ©texte, on ne les laisse entrer dans le village. Lâescorte seule le traverse pour en occuper les avenues et protĂ©ger lâopĂ©ration. Dans les estimations prĂ©alables que les officiers dâĂ©tat- major ont Ă faire du terrain ou des villages qui sont destinĂ©s aux fourrages, il est nĂ©cessaire que ces officiers sachent apprĂ©cier rapidement ce que chaque culture peut fournir dans une Ă©tendue donnĂ©e. Ils sâaccoutumeront Ă ces estimations en faisant faucher de petites portions pour voir ce quâelles fournissent de foin , comme aussi en vĂ©rifiant, par un toisĂ© approximatif et rapide, ce quâune meule ou une grange en peut renfermer. Au bout de fort peu de temps ils sauront estimer, au simple coup-dâĆil et dâune maniĂšre snflisamment exacte, ce quâun champ, un prĂ© dâune grandeur dĂ©terminĂ©e , ou un village dont le nombre des granges est connu, peut fournir d'herbe, de foin et de paille. Voici, au reste, quelques donnĂ©es qui serviront Ă ces estimations une trousse pĂšse de 120 Ă ISO livres ; deux trousses font la charge dâun cheval. Le foin entassĂ© pĂšse environ 260 livres le mĂštre cube, ainsi le mĂštre fait les deux trousses ou la charge du cheval. La paille ne pĂšse que 170 livres le mĂštre, il faudra donc un mĂštre et demi pour les deux trousses. Si la paille est en gerbes, on compte quâil faut une dixainc de gerbes sĂšches pour faire une trousse, les gerbes pesant 12 Ă 15 livres.âUn arpent renfermant 1800 mĂštres carrĂ©s, peut fournir, en moyenne, les quantitĂ©s suivantes en blĂ© et foin prĂȘts Ă ĂȘtre rĂ©coltĂ©s BlĂ©, 200 gerbes de 15 liv. ou 20 trousses. Foin, 250 bottes de 10 liv. ou 16 trousses. " Cinquante hommes peuvent, en une heure,'couper un arpent. i 416 MISSIONS SPĂCIALES. Quant aux grains, qui se transportent dans des sacs quâon donne aux fourrageurs, on estime que le mĂštre cube fait 120 rations. 11 pĂšse, en avoine, environ 800 livres, et fait la charge de trois chevaux ; en froment, il pĂšse Ă peu prĂšs le double , et fait la charge de cinq Ă six chevaux. Le poids du seigle et de lâorge est intermediaire. Deux trousses suspendues, lâune h droite et lâautre h gauche , font la charge dâun cheval, le cavalier marche h pied et conduit son cheval par la bride ; mais si la distance est courte, il peut, malgrĂ© la charge, monter en selle. Toutes les fois que cela est possible on se sert de voitures pour emporter les fourrages, plutĂŽt que d'en charger les chevaux; car si la distance est grande ce poids les abĂźme. Dans les fourrages , les hommes chargĂ©s de lâopĂ©ration portent, outre les instruments qui leur sont nĂ©cessaires, leurs armes pour se rĂ©unir h lâescorte, en cas de besoin, et repousser une attaque imprĂ©vue. Cela est surtout nĂ©cessaire quand le fourrage est lointain. Et, Ă ce sujet, on pose en principe, quâun fourrage ne doit pas se faire si loin quâon ne puisse lâachever dans la mĂȘme journĂ©e ainsi la plus grande distance peut ĂȘtre fixĂ©e Ă deux ou trois lieues. . On ne fait les fourrages au vert que quand il ne reste plus rien dans les granges, parce quâils ne produisent quâune nourriture Ă©nervante et malsaine , quâils sont toujours plus prĂ©judiciables au pays que les fourrages au sec, et quâenlin ils exigent plus de temps et un plus grand appareil pour ĂȘtre mis Ă exĂ©cution. § 3. Dos Embosoades. Avec le genre de guerre actuel et la grande quantitĂ© dâĂ©claireurs dont les armĂ©es se couvrent, les embuscades ne sont guĂšre possibles quâentre petits corps ou simples dĂ©tache- MISSIONS SPĂCIALES. 417 ments. Les pays trĂšs-accidentĂ©s y sont principalement propres par la facilitĂ© quâils donnent de se cacher. Ce moyen dâattaque par surprise ne peut rĂ©ussir que lorsque lâennemi se nĂ©glige dans ses marches, et ne sâastreint point aux prĂ©cautions dâusage; car aussitĂŽt quâune embuscade est Ă©ventĂ©e, son objet est manquĂ©. Dans une embuscade on doit non-seulement sâarranger de maniĂšre Ă surprendre lâennemi, mais encore Ă lâenvelopper et Ă lui ĂŽter tout moyen de retraite ; Ă cet effet, la troupe embusquĂ©e se partage en plusieurs corps ou dĂ©tachements pour attaquer h la fois par le front, par le liane et sur les derriĂšres. Quand on se rend en embuscade , il faut avoir soin de se faire prĂ©cĂ©der par une petite avant-garde , et de sâĂ©clairer comme de coutume , pour ne pas tomber soi-mĂȘme dans un piĂšge de lâennemi, et pour se saisir de toutes les personnes qui pourraient lui porter des avis. Câest dâailleurs une rĂšgle dont un commandant de troupes ne doit jamais se dĂ©partir, et quâon ne saurait trop rĂ©pĂ©ter, quâen marche, loin ou prĂšs de lâennemi, il faut se faire Ă©clairer. Les parties couvertes et cachĂ©es , telles que les bois, les collines, les fondriĂšres, les rochers, les grandes haies, etc. , sont, il est vrai, les plus avantageuses; mais ce ne sont pas les seules oĂč l'on puisse dresser des embuscades ; des digues, des champs couverts de moissons, et mĂȘme des prĂ©s oĂč lâherbe est haute, ou des plaines traversĂ©es par quelques ondulations, offriront quelquefois d'autant plus de facilitĂ©, que lâennemi, croyant dĂ©couvrir de lâĆil toute la campagne, sâabandonne h trop de sĂ©curitĂ©. Un esprit inventif sait tirer parti de toutes ces circonstances, quand il a reconnu chez son adversaire tine tendance Ă la nĂ©gligence ou Ă la prĂ©somption. Câest ainsi quâAnnibal dĂ©fit Minutius Entre les deux camps, dit Polybe, Ă©tait une hauteur dâoĂč lâon pouvait fort incommoder l'ennemi. Annibal prit la rĂ©solution de sâen emparer le premier; mais s e doutant que Minutius, fier d'un premier succĂšs , ne manquerait pas de se prĂ©senter, il eut recours Ă un stratagĂšme 27 JUSSIONS 418 quoique la plaine que commandait la colline lut rase et toute dĂ©couverte , il avait observĂ© quâil sây trouvait quantitĂ© dâondulations et de cavitĂ©s oĂč lâon pouvait cacher du monde. Il y mit cinq cents chevaux et cinq mille fantassins, distribuĂ©s en petites troupes. Ces mesures lui rĂ©ussirent complĂštement Minutius marcha Ă la dĂ©fense de la colline sans apercevoir lâembuscade qui le prit en flanc et Ă dos; il fut entiĂšrement dĂ©fait. On cherche aussi, pour dresser des embuscades, les endroits oĂč lâennemi ne peut pas se dĂ©ployer facilement, oĂč il est obligĂ© de filer en colonne mince et allongĂ©e ; ceux oĂč il est Ă prĂ©sumer quâen raison des difficultĂ©s locales quelque dĂ©sordre sâintroduira dans sa marche; ceux oit sa troupe sera sĂ©parĂ©e par des obstacles, etc. Ă quelle distance de la route suivie par lâennemi une embuscade doit - elle sâĂ©tablir ? Câest une question qui ne peut se rĂ©soudre que par la nature des lieux et par lâespĂšce de troupes que lâon se propose dâattaquer. Mais on peut dire, en gĂ©nĂ©ral, que si lâon se met trop prĂšs , 'on sera dĂ©couvert par les " ueurs , et que si on se met trop loin, lâennemi aura le temps de vous Ă©chapper pendant que vous viendrez Ă lui. La cavalerie se portera plus loin que lâinfanterie, parce que le hennissement des chevaux la fait dĂ©couvrir aisĂ©ment. Pour cette raison , et parce quâelle ne peut pas se porter dans toute espĂšce de terrain , la cavalerie est moins propre que lâinfanterie aux embuscades. Toutefois on lây fait participer par petits dĂ©tachements. On entre dans lâernbuscade par derriĂšre ou par les flancs, pour que les traces que la troupe laisse sur le chemin ne donnent pas lâĂ©veil Ă lâennemi. On part de nuit pour arriver avant le jour au lieu de lâembuscade et sây poster. Il est bon de prendre dâabord une fausse route, afin que les habitants ne puissent pas vous trahir en faisant connaĂźtre Ă lâennemi I e chemin que vous avez suivis. MISSIONS SPĂCIALES. UIS Une troupe embusquĂ©e nânllume point de feu chaque soldat reste Ă la place quâon lui assigne , soit debout, soit assis ou couchĂ© ; il ne fume point; il tient ses armes cachĂ©es pour qne leur Ă©clat ne le fasse pas dĂ©couvrir, les reflets du soleil se voyant Ă une trĂšs-grande distance, mĂȘme au travers du feuillage. De jour, une partie de la troupe peut dormir, sâil y a longtemps Ă attendre , parce que, voyant de loin venir lâennemi, on a le temps de se prĂ©parer; mais la nuit tout le monde doit ĂȘtre alerte pour saisir le moment et se jeter sur lâennemi au signal convenu. La troupe Ă©tant, comme nous lâavons dit, partagĂ©e en plusieurs corps qui ont des tĂąches particuliĂšres h remplir, il est essentiel que chacun sache bien ce quâil aura Ăą faire, alin dâĂ©viter toute confusion et de mettre de lâensemble dans lâattaque. Lâinfanterie , placĂ©e aussi prĂšs que posssible de la roule , ne fait quâune dĂ©charge en arrivant, et se prĂ©cipite sur lâennemi en poussant de grands cris pour l'effrayer. La cavalerie, postĂ©e plus loin , va, par un circuit, lui fermer le chemin en avant et en arriĂšre. Si, par la nature des localitĂ©s, lâembuscade est tellement rapprochĂ©e de la route, que lâon puisse tirer sur ceux qui y passent, les carabiniers , trĂšs-propres Ă ces sortes dâaffaires, ajusteront les officiers pour dĂ©sorganiser la troupe dĂšs le premier moment. Lâembuscade ne doit sortir quâĂ un signal convenu elle ne bougera pas pour quelques coups de fusil qui ne sont peut-ĂȘtre quâaccidentels. Le commandant juge seul du moment convenable ; câest Ă lui de donner le signal. Trop dâimpatience Ă©venterait lâembuscade la ferait manquer. Câest bien souvent aprĂšs un engagement plus ou moins sĂ©rieux, et en feignant de se retirer devant lâennemi, quâon * amĂšne dans une embuscade. On rĂ©ussit quelquefois, quoique la ruse soit bien connue, pareeque lâennemi, qui se croit 'auiqueur et qui veut profiter dâun premier succĂšs, ne peut Pas toujours prendre toutes les mesures de prudence qui sont usitĂ©es dans une simple marche, et quâaussi la bonne fortune 420 MISSIONS SPĂCIALES. nous rend aisĂ©ment prĂ©somptueux. Il est peu de guerres qui ne fournissent quelques exemples de cette vĂ©ritĂ©. En 1622, le comte de Tilly serrait de fort prĂšs Heidelberg le roi de BoliĂšme et Mansfeld passent le Rhin pour secourir celte place. Tilly, Ă la nouvelle de la marche du roi de BohĂȘme, vient se camper prĂšs de Wislock dans un poste trĂšs-avantageux. Pour lâen tirer, Mansfeld vient lâattaquer, et, pendant le combat, il fait replier scs troupes comme si elles avaient du dessous. Tilly les poursuit chaudement et sâavance jusquâĂ Mingelheim, oĂč Jlansfeld avait embusquĂ© une partie de son armĂ©e et beaucoup d'artillerie. Les Bavarois, pris ainsi Ă lâimproviste, furent dĂ©faits en un instant ; ils eurent 2,000 hommes de tuĂ©s; ils perdirent leurs bagages, leurs canons et beaucoup de prisonniers; la ville de Heidelberg fut dĂ©gagĂ©e. Quand on a Ă©tĂ© prĂ©venu que lâennemi cherche Ă vous dresser une eiiibuscade, c'est un excellent parti Ă prendre que de lui en dresser une Ă lui-mĂȘme ; car, se voyant surpris au moment oĂč il compte surprendre, la dĂ©moralisation se jettera promptement dans ses rangs, et la peur, qui grossit tout, achĂšvera de le perdre. A cet effet, vous devez placer votre embuscade aussi prĂšs que possible de celle de lâennemi, pour quâau moment oĂč celle-ci se lĂšve, lâautre sorte et la prenne en flagrant dĂ©lit. Paulin, gĂ©nĂ©ral dâOthon, instruit par des dĂ©serteurs que CĂ©cinna lui a dressĂ© une embuscade, envoyĂ© une partie de scs troupes sâembusquer prĂšs de celles des ennemis, et il marche avec le reste comme sâil nâavait eu aucun avis. Lâembuscade de CĂ©cinna fut taillĂ©e en piĂšces, parce quâelle perdit courage au moment oĂč celle de Paulin se prĂ©senta. Ceci montre que, mĂȘme en sâembusquant, câest-Ă -dire lorsquâon se croit assez maĂźtre du pays pour pouvoir surprendre lâennemi, il faut encore se tenir sur ses gardes, placer des sentinelles, et bien fouiller les environs du lieu oĂč lâon veut se poster. Les sentinelles sont non-seulement nĂ©cessaires pour la propre sĂ»retĂ© de I embuscade, mais encore pour annoncer V11SSI0XS SPĂCIALES. 421 lâarrivĂ©e de la troupe quâon veut surprendre, et faire passer les divers renseignements qui peuvent intĂ©resser le commandant. 11 faut donc mettre lĂ des hommes intelligents et ayant lâexpĂ©rience de la guerre; il convient mĂȘme de placer en observation un officiel' ou un sous-oflicicr, avec deux ou trois hommes qui transmettront ses rapports. Si les patrouilles ou les sentinelles aperçoivent quelques Ă©claireurs ennemis, elles ne doivent point faire entendre de juĂŻ-vive, mais se cacher ou se retirer sans bruit du cĂŽtĂ© de la troupe embusquĂ©e la moindre indiscrĂ©tion pourrait faire Ă©chouer lâentreprise. Mais si lâennemi vous dĂ©couvre, sortez aussitĂŽt, et tĂąchez de prendre au moins les soldats qui se sont le plus avancĂ©s; ce sera la faible consolation dâune affaire manquĂ©e. Il est bon dâavoir aux deux flancs de lâembuscade de petits dĂ©tachements de cavalerie pour courir aprĂšs les paysans, qui, lâayant dĂ©couverte, chercheraient Ă se sauver pour en donner avis. Mais le hennissement des chevaux, pouvant vous trahir, vous devez choisir les plus tranquilles. Il va sans dire que si la troupe doit rester longtemps cachĂ©e, le commandant, avant de partir, se sera pourvu des provisions nĂ©cessaires aux hommes et aux chevaux. Une fois embusquĂ© personne ne doit quitter le poste, mĂȘme sous dĂ©guisement, crainte dâĂ©veiller les soupçons des habitants, et par suite ceux des ennnmis. Nous terminerons cet article par lâexemple suivant, tirĂ© de la Vie de Bayard , par Ă. deTerrebasse iLc chevalier Bayard, ayant Ă©tĂ© averti par ses espions quâil y avait Ă Naples un trĂ©sorier espagnol qui changeait de lâargent en or, ne douta point que cette somme ne fut destinĂ©e Ă Gonsalve; il rĂ©solut de ne rien nĂ©gliger pour sâen emparer au passage. Ce gĂ©nĂ©ral Ă©tait bloquĂ© Ă Barletta et sans argent pour la solde de ses troupes; les moindres convois Ă©taient pour lui de la derniĂšre importance. Bayard, aux aguets jour et nuit, apprit que le trĂ©sorier avait couchĂ© Ă quinze milles, et quâil se remettrait le 422 MISSIONS SPĂCIALES. lendemain en route pour Barletla, escortĂ© dâun dĂ©tachement de cavalerie. Le bon chevalier savait quâil ne pouvait Ă©viter un dĂ©filĂ© assez Ă©troit situĂ© h trois milles de lĂ , et il alla sâembusquer, avec vingt chevaux seulement, entre deux rochers sur le bord de la route. Son compagnon Tardieu reçut ordre de se poster plus bas avec vingt-cinq Albanais, pour que si le trĂ©sorier venait Ă Ă©chapper dâun cĂŽtĂ©, il fĂ»t pris de lâautre. Vers sept heures du malin, les sentinelles avancĂ©es entendirent les pas des chevaux, et vinrent avertirBayard qui recommanda lopins profond silence. Les Espagnols sâengagĂšrent en toute securitĂ© dans le dĂ©filĂ©, conduisant an milieu dâeux le trĂ©sorier et son valet qui portait lâargent en Croupe. A peine furent-ils passĂ©s, que Bayard et ses gens se prĂ©cipitĂšrent Ă leurs trous- sâes, aux cris de France! France ! Les Espagnols, surpris et croyant avoir affaire Ă des ennemis plus nombreux, sâenfuient vers Barletla, laissant le pauvre trĂ©sorier et son valet entre les mains de Bayard qui ne sâamusa point Ă les poursuivre, ayant tout ce quâil voulait. » g 4. â Des Partisans. Les partisans sont des troupes irrĂ©guliĂšres agissant pour leur propre compte, et ne recevant du chef de lâarmĂ©e que des directions tout Ă fait gĂ©nĂ©rales, et des passe-ports qui lĂ©gitiment leur existence. Sans ces papiers, on pourrait les prendre pour des brigands et les punir comme tels; ils sont sur terre ce que sont sur mer les corsaires. Les opĂ©rations des partisans sont donc indĂ©pendantes de celles de lâarmĂ©e. Elles se dirigent de prĂ©fĂ©rence sur les derriĂšres de lâennemi, parce que câest lĂ quâil y a des prises Ă faire. Mais le butin nâesl. pas leur unique objet; elles ont MISSIONS SPĂCIALES. 423 encore celui dâinquiĂ©ter les armĂ©es et de les forcer Ă se diviser; dâattaquer, disperser les postes isolĂ©s; de tenir les populations hostiles dans lâeffroi; dâencourager au contraire et de faciliter les rassemblements des citoyens que le patriotisme porte Ă sâarmer pour la dĂ©fense du pays. En se multipliant par leur agilitĂ© , les partisans tiennent lâennemi dans une inquiĂ©tude continuelle il est obligĂ© de laisser des garnisons dans les villes, dâĂ©tablir des postes partout, d'escorter les moindres convois. Les partisans sont donc de puissants auxiliaires pour une armĂ©e qui tient la dĂ©fensive; et ils sont dâautant plus utiles, quâopĂ©rant dans un pays quâils connaissent bien, dont les habitants leur otfrenl toute espĂšce de secours, leurs entreprises peuvent ĂȘtre plus hardies et plus lointaines. Mais pour quâils ne soient pas un flĂ©au pour ces mĂȘmes populations quâils doivent dĂ©fendre, il faut quâils soient duement autorisĂ©s et astreints Ă la mĂȘme discipline que les troupes rĂ©guliĂšres. Ils porteront un uniforme aussi s' 'e quâon voudra, mais ils en porteront un qui permette de les reconnaĂźtre et ne les laisse pas confondre avec des contrebandiers, ou avec ces gens quâon ne voit que trop souvent profiter des malheurs dâune guerre, et attaquer, sans distinction, amis et ennemis dans lâespoir du pillage. Le butin quâils font h la guerre est pour eux ; cet appĂąt est nĂ©cessaire pour les engager Ă essayer de ces coups hardis et dangereux, qui ont tant dâelfet sur le moral de lâennemi. Mais ce butin nâest dĂ©clarĂ© de bonne prise, vendu et partagĂ© entre les officiers et les soldats, quâaprĂšs une dĂ©claration authentique dâune autoritĂ© militaire compĂ©tente, telle que le commandant dâun corps dâarmĂ©e, ou le gouverneur dâune place dans laquelle les partisans se seraient retirĂ©s aprĂšs leur expĂ©dition. Les partis, câest-Ă -dire les corps de partisans, doivent ĂȘtre peu nombreux pour Ă©chapper plus facilement aux poursuites °n Ă la surveillance, et trouver partout des gĂźtes suffisants. Il vaut mieux former, avec le mĂȘme nombre dâhommes, deux 42i HISSIONS SPĂCIALES. partis, agissant sur des points diffĂ©rents, que de les rĂ©unir en un seul. Cela ne les empĂȘchera pas de se tendre la main au besoin, et lâennemi en sera bien plus inquiĂ©tĂ©. Câest par leur multiplicitĂ© que ces petits corps le tourmentent et lâobligent Ă se diviser. Ils marchent ordinairement de nuit, sâapprochent furtivement, se cachent dans les ravins, dans les bois, dans les blĂ©s; et, quand ils se voient prĂšs de leur but, ils sâĂ©lancent comme la panthĂšre sur sa proie, tuent, dispersent les gardes, sâemparent dâun convoi ou dâun magasin, emmĂšnent tout ce quâils peuvent, et mettent le feu au reste. Les partisans sont quelquefois tirĂ©s des diffĂ©rents corps de lâarmĂ©e, parmi les volontaires qui se' prĂ©sentent. Les chefs quâon leur donne ne sont pas nĂ©cessairement des officiers ; un bon sous-officier, intelligent, actif, jouissant dâune certaine rĂ©putation parmi ses camarades, et connaissant bien la langue du pays, peut rendre de grands services h la tĂšte dâun parti. Mais, le plus souvent, les partis sâorganisent en dehors de lâarmĂ©e et se composent de gens dĂ©terminĂ©s, qui mettent h leur tĂšte un homme de leur choix. Les partisans sont Ă pied ou h cheval. Les partisans fantassins, sâils nâont pas la vitesse des partisans cavaliers, et sâils nâĂ©chappent pas aussi facilement quâeux aux poursuites, jouissent, en revanche, dâautres avantages ils peuvent mieux se cacher et dĂ©rober leur marche ; ils passent parles sentiers les plus difficiles; ils traversent les bois; ils ont moins de besoins que les cavaliers, qui doivent songer Ă leurs chevaux aussi bien et plus quâĂ eux-mĂ©nies. On ne mĂ©langera pas les deux armes, parce que, dans les plaines, lâinfanterie arrĂȘterait la cavalerie; dans les montagnes, ce serait la cavalerie qui embarrasserait lâinfanterie. Il faut tout un ou tout autre, dans ces corps, dont la mobilitĂ© est la qualitĂ© principale. Pour empĂȘcher que les corps de partisans ne commettent des actes punissables, leurs chefs doivent ĂȘtre astreints Ă rendre compte de la conduite quâils ont tenue pendant tout le temps dâune expĂ©dition. Le gĂ©nĂ©ral, sans les gĂȘner autrement, MISSIONS SPĂCIALES. 4 25 doit exiger dâeux un journal dĂ©taillĂ© de toutes leurs opĂ©rations, du montant des rĂ©quisitions quâils auront faites, en subsistances, en habillements ou en argent, objets pour lesquels ils prĂ©senteront, il lâappui, des certificats dĂ©livrĂ©s par les autoritĂ©s locales. Ceci suppose quâon opĂšre en pays ennemi; chez nous, les partisans nâauraient rien h requĂ©rir des habitants, que la nourriture et le logement ; les bons quâils dĂ©livreraient pour cela, seraient admis par le commissariat, comme ceux des aunes troupes. Un bon chef de partisans nâest pas un homme facile Ă trouver il doit avoir lâinstinct de la guerre pour diriger ses marches, Ă©viter les surprises ou les embuscades, dresser lui-mĂȘme des piĂšges Ă son adversaire, profiter de ses nĂ©gligences, le harceler, le tenir sans cesse dans la crainte dâune apparition soudaine, en tout temps, en tout lieu. Il doit ĂȘtre robuste, fait aux fatigues et aux privations, dâun courage Ă©prouvĂ©, dâun gĂ©nie fĂ©cond en ruses et en stratagĂšmes. Enfin la connaissance exacte de la langue et de la topographie du pays lui est indispensable, pour sây mĂ©nager des intelligences, prĂ©parer ses coups, et mettre Ă exĂ©cution ses entreprises. Il doit ĂȘtre toujours muni de bonnes cartes, qui, jointes aux rapports de ses Ă©missaires, le mettent Ă chaque instant en Ă©tat de connaĂźtre la position de lâennemi et de mĂ©diter ses opĂ©rations. Il aura avec lui des dĂ©guisements de toute espĂšce, pour pouvoir, au besoin, travestir quelques hommes et les envoyer aux informations, ou leur donner toute autre mission. Il conviendra avec ses soldats de certains signes pour se reconnaĂźtre , en toute circonstance, de nuit comme de jour. Quand il mĂ©ditera un coup de main, il aura la prĂ©voyance dâindiquer quelqu'endroil oĂč sa troupe, en cas dâĂ©chec, puisse se rallier ou se cacher. En un mot, lâaudace 11e doit jamais se sĂ©parer chez lui de la prudence et de la ruse. Il revĂȘtira plus souvent la peau du renard que celle du lion. Plusieurs chefs de partisans se sont fait une grande rĂ©pu- Ptitation; les noms du baron de Trenck, de Dumoulin, du 42 le plus frĂ©quenles, parce que câest le moment des entreprises de lâennemi. Câest aussi alors quâon fait partir les dĂ©couvertes, comme il a Ă©tĂ© dit en parlant des reconnaissances. Une patrouille est quelquefois remplacĂ©e par une sentinelle volante câest un soldat intelligent et sĂ»r, qui fait le tour des sentinelles pour les tenir en Ă©veil. Quand cette sentinelle rencontre une troupe quelconque, elle se blottit derriĂšre une baie , un arbre, un buisson , jusquâĂ ce que celte troupe ait passĂ© , et la suit pour dĂ©couvrir ses desseins , si possible. Pour la maniĂšre dont on reconnaĂźt les patrouilles, dont on donne et reçoit le mot, et autres dĂ©tails de service , voyez le RĂšglement pour le service des troupes en campagne. § 2. â De la CastramĂ©tation. Un emploie dans lâĂ©tablissement des camps les lentes , les baraques ou les simples abris en feuillages, suivant les moyens quâon a Ă sa disposition et la durĂ©e du camp. Sâil nâest que de peu de jours, on se contente de feuillĂ©es quâon recouvre de paille ou de planches, et dont on laisse la construction Ă lâindustrie des soldats. Quand, au contraire, le camp doit ĂȘtre occupĂ© assez longtemps, et surtout lorsquâon y doit passer lâhiver, on fait les dĂ©penses nĂ©cessaires pour Ă©lever des baraques en planches, quâon recouvre de chaume et oĂč le soldat se mĂ©nage les petites aisances que comporte un logement aussi Ă©troit. Les tentes ne sont bonnes que pour la belle saison , parce quâalors on peut les ouvrir pour en renouveler lâair. On en fait beaucoup moins usage maintenant quâautre- fois ; elles sont presque exclusivement rĂ©servĂ©es pour les camps dâexercice. Les Français, dans les guerres de la rĂ©volution , ont appris Ă sâen passer, et on sâen trouve bien ; elles 28 454 DU UEPOS DES TROUPES. Ă©taient un grand embarras pour les armĂ©es qui les traĂźnaient avec elles; et, comme on sâen servait alors non-seulement pour des camps de quelque durĂ©e, mais encore pour se loger dans les marches prĂšs de lâennemi, oĂč il est essentiel de rester rassemblĂ© , on Ă©tait souvent obligĂ© de les dresser sur des terrains humides; la santĂ© des soldats en souffrait. On prĂ©fĂšre maintenant faire, en pareil cas, bivouaquer la troupe elle se couche sur la paille quâon lui distribue, souvent mĂŽme tout simplement sur lâherbe ; elle allume degrands feux qui sĂšchent le terrain et tiennent les pieds chauds. Les soldats se font de petits abris contre le vent au moyen de quelques branches ou de planches quand ils peuvent sâen procurer. Mais ordinairement la troupe est rĂ©partie dans les granges, oĂč, quelque serrĂ©e quâelle y soit, elle se trouvera toujours mieux quâa la belle Ă©toile , surtout si le temps est froid ou pluvieux. Le cantonnement est la maniĂšre habituelle de loger les soldats, le bivouac est lâexception. Les circonstances dĂ©cident sâil est permis de sâĂ©tendre pour rĂ©partir la troupe dans les habitations, ou sâil faut la faire bivouaquer pour la tenir plus rassemblĂ©e et lâavoir sous la main. Une armĂ©e passe toujours au bivouac la nuit qui prĂ©cĂšde la bataille. On dĂ©signe quelquefois sous le nom. de camp le terrain quâoccupe la troupe bivouaquĂ©e ou cantonnĂ©e on dira marcher sur le camp de lâennemi, pour marcher sur ses positions; quitter son camp, pour quitter les lieux quâon a occupĂ©s, etc. Ici nous nâavons h parler que des camps proprement dits. Quâon emploie dans lâĂ©tablissement de ces camps des tentes, des feuillĂ©es ou des baraques, les rĂšgles Ă observer sont toujours les mĂȘmes. Et dâabord il faut apporter de lâattention au choix de lâemplacement. Un camp doit toujours ĂȘtre Ă©tabli dans une position favorable, sous le point de vue militaire , et salubre pour les hommes et les chevaux. Il faut se mettre Ă la proximitĂ© de lâeau, mais sâĂ©loigner des marĂ©cages , qui souvent recĂšlent des fiĂšvres pernicieuses. Lâair ne joue pas assez librement dans les grands bois pour quâon sây Bataillon voisin' p 2, U KEl'OS DES TROUPES. 435 renferme ; il faut pourtant sâen rapprocher pour fournir aux besoins du chauffage et de la cuisson. Un troisiĂšme besoin de premiĂšre nĂ©cessitĂ© , celui du repos des soldats et de la nourriture des chevaux , exige quâon recherche les emplacements abondants en paille et en fourrage. VoilĂ pour ce qui est de la commoditĂ© et de la salubritĂ©. ConsidĂ©rĂ© militairement, un camp doit dominer la campagne environnante , ou du moins nâen ĂȘtre pas dominĂ© ; les ailes seront autant que possible appuyĂ©es Ă des obstacles naturels, tels que bois, rochers , lacs , etc. Si une riviĂšre ou un ruisseau coule devant le front du camp Ă une assez grande distance pour permettre Ă lâarmĂ©e de se rassembler et de manĆuvrer, cela nâen vaudra que mieux. Les derriĂšres doivent ĂȘtre libres et offrir une bonne route, si ce nâest plusieurs, pour opĂ©rer la retraite dans le cas oĂč l'on y serait obligĂ©. On voit par lĂ que la position dâun camp est essentiellement dĂ©fensive. Viennent ensuite les mesures de sĂ»retĂ© ainsi, toutes les avenues du camp, en avant, sur les cĂŽtĂ©s, et mĂȘme sur les derriĂšres seront occupĂ©es par des postes ; les ponts seront particuliĂšrement gardĂ©s et couverts par des retranchements ; les guĂ©s seront observĂ©s, les dĂ©filĂ©s occupĂ©s de maniĂšre Ă en ĂȘtre maĂźtres. Outre les postes dĂ©tachĂ©s dont on vient de parler, et qui sont quelquefois assez Ă©loignĂ©s, le camp sera encore immĂ©diatement couvert par des gardes qui occuperont une ligne parallĂšle , Ă la distance de cent Ă deux cents mĂštres, sur le front et sur les flancs. Si le camp est dressĂ© sur un plateau, comme câest presque toujours le cas, les gardes du camp seront placĂ©es sur le bord, et de prĂ©fĂ©rence aux parties saillantes dâoĂč lâon dĂ©couvre le mieux la campagne et les pentes mĂȘmes du plateau. On Ă©tablit ordinairement une garde de camp par brigade ; cependant il pourrait y en avoir deux si la brigade Ă©tait trĂšs-nombreuse ; il le faut pour les brigades des ailes qui ont Ă couvrir les flancs du camp. DU II K PUS DES TllOCPKS. iĂG De peur de surprise, les gardes du camp construisent de petits ouvrages de fortification, Ă la faveur desquels ils peuvent repousser un houra de cavalerie, et mĂȘme rĂ©sister momentanĂ©ment Ă des forces supĂ©rieures dâinfanterie. Ces petits ouvrages seront construits trĂšs-lestement en mettant des travailleurs des deux cĂŽtĂ©s pour creuser un fossĂ© en dehors et une tranchĂ©e en dedans, comme le montre le profil, fig. 29 e . On donnera au parapet l ,n ,50 seulement de hauteur et l ,n ,00 dâĂ©paisseur. La tranchĂ©e intĂ©rieure aura l m ,00 de largeur au fond, 0'â,S0 de profondeur avec de petits talus sur les bords. C'est dans cette tranchĂ©e que les hommes se tiendront pour charger leurs armes. Le fossĂ© aura 2"',00 de largeur en haut, 1 m ,00 en bas avec la profondeur de l m ,00. Une petite banquette intĂ©rieure, de 0 m ,20 de hauteur et l m ,00 de largeur, formera comme un degrĂ© pour tirer par dessus le parapet. Le terrain naturel sera le degrĂ© intermĂ©diaire entre la tranchĂ©e et la banquette. Si lâon ne peut pas donner au prolil exactement les formes prescrites, on se contentera de faire un bourrelet de terre de trois Ă quatre pieds de hauteur. Quant Ă la forme du retranchement, elle se rĂ©duit h celle d'un simple redan, ou dâune lunette dont les faces et les flancs nâont que la longueur voulue pour contenir la garde sous les armes. On compte un mĂštre de parapet par homme. Lâouvrage est fermĂ© Ă la gorge par une petite tranchĂ©e et un bourrelet. On substituera quelquefois des abatis aux retranchements. Cela peut convenir dans les pays boisĂ©s. La garde du camp reste au bivouac ; on ne lui donne ni tente, ni baraque ; on lui fait seulement une feuillĂ©e pour se garantir un peu de la pluie et du vent. Les hommes condamnĂ©s i» la prison, ou dĂ©tenus pour cause quelconque, sont confiĂ©s Ă la garde du camp. A cet effet, on dresse en arriĂšre du retranchement le nombre de tentes nĂ©cessaires pour les recevoir. La rĂšgle principale Ă suivre dans le tracĂ© du camp, c'est MU ĂIKI'OS MES TROIJI'KS. i57 que le front de bandiĂšre, ou, en dâautres termes, la ligne extĂ©rieure du camp, occupe la mĂȘme Ă©tendue que la troupe en bataille ; et cela non-seulement pour les corps entiers, mais encore pour chaque subdivision en particulier, de telle sorte quâun bataillon quelconque dans la ligne trouve en avant de ses logements lâespace nĂ©cessaire pour se dĂ©ployer, ainsi que les intervalles qui le sĂ©parent des bataillons voisins. Il en est de mĂȘme pour les escadrons de cavalerie, pour les compagnies de carabiniers, et mĂȘme pour les batteries, quand elles sont placĂ©es en ligne, ce qui nâa pas toujours lieu. On est au contraire dans lâusage de faire camper lâartillerie derriĂšre lâinfanterie ; elle forme en quelque sorte un petit camp sĂ©parĂ©. Autant que possible , tout le camp pour lâinlanterie et la cavalerie sâĂ©tablit sur une seule ligne, la cavalerie aux ailes, lâinfanterie au centre. Les tentes ou baraques sont alignĂ©es dâune extrĂ©mitĂ© du camp Ă l'autre , et prĂ©sentent des rues bien dressĂ©es. Le chef peut ainsi, dâun coup dâĆil, embrasser le camp dans toute son Ă©tendue; cela contribue au maintien de lâordre. Il ne faudrait pourtant pas se jeter dans des bas- fonds ou sur des terrains peu propres au campement pour conserver cet alignement. Il faut, au contraire, savoir plier le tracĂ© dâun camp, comme un ordre de bataille, aux inĂ©galitĂ©s du terrain. Quand lâarmĂ©e est formĂ©e sur deux lignes, il y a aussi deux camps, lâun devant lâautre. La rĂ©serve a son camp particulier. Les mĂȘmes rĂšgles seront observĂ©es dans chacun de ces camps en particulier, comme sâil Ă©tait seul. Les Romains, si cĂ©lĂšbres par leurs camps, se rangeaient dans un ordre tout diffĂ©rent ; ils disposaient leurs tentes en carrĂ© plein et les divisaient par rues qui se croisaient Ă angles droits. Câest que la nature de leurs armes leur permettait de faire, en peu de temps, une enceinte suffisamment forte autour de ce camp, vĂ©ritable image dâune forteresse, pour le prĂ©server dâune irruption soudaine. DerriĂšre un parapet d& 438 DU REPOS DES TROUPES. quelques pieds de hauteur, couronnĂ© dâune palissade, ils Ă©taient Ă lâabri des attaques de lâennemi. DĂšs lors ils ont dĂ» adopter celte maniĂšre de camper, qui donnait Ă leurs retranchements le moins de dĂ©veloppement; en sorte quâen n'employant au travail quâune faible portion de lâarmĂ©e, et la relevant par intervalles, ils pouvaient, sans trop de fatigue, se fortifier chaque fois quâils prenaient un camp, et souvent chaque jour dâune marche. Ce travail, qui nous semble inoui, Ă©tait rendu plus facile par lâusage de faire porter aux soldats deux ou trois pieux ou palissades, bien plus lĂ©gĂšres que les nĂŽtres, âą et garnies, Ă une de leurs extrĂ©mitĂ©s, de cordelettes ou de courroies pour les lier ensemble. Chaque soldat, plantant lui-mĂȘme ses palissades, lâenceinte Ă©tait faite en peu de temps. Il suflisait dâun fossĂ© de cinq Ă six pieds de profondeur et dâune banquette ou terrasse de quatre pieds de hauteur, sur laquelle les palissades Ă©taient plantĂ©es jointivement, pour avoir un retranchement Ă lâĂ©preuve des armes dont on se servait alors. II est Ă prĂ©sumer que dans les camps de passage, les dimensions du fossĂ© Ă©taient encore rĂ©duites; trois Ă quatre pieds de profondeur devaient sullire. Le camp Ă©tait-il de quelque durĂ©e, on approfondissait et rĂ©largissait son fossĂ©, en mĂȘme temps quâon donnait plus de relief Ă son rempart et quâon doublait les palissades. On allait mĂŽme jusquâĂ construire des tours en charpente pour llanquer les parapets, si lâon avait lâintention de se dĂ©fendre dans le camp. De nos jours, de semblables opĂ©rations sont impossibles, parce que pour faire des parapets Ă lâĂ©preuve du canon et qui couvrent sullisamment, il y a Ă remuer de grandes quantitĂ©s de terre ; pour les armer de palissades il faut dĂ©peupler les forĂȘts. Que si on se contente de simples bourrelets de quelques pieds de hauteur, comme aux gardes du camp , cela ne sera dâaucune valeur contre une attaque sĂ©rieuse. On ne se fortifie donc rĂ©ellement que lorsquâon doit rester longtemps dans un camp et quâon en veut dĂ©fendre la position. Alors on ne nĂ©glige rien pour donner aux ouvrages toute la 1U REPOS DES TROUPES. 439 soliditĂ© possible, et il vaut mieux en faire peu elles faire bien, que d'en commencer une grande quantitĂ© pour ne faire que les Ă©baucher ou leur donner de mauvaises proportions. Cela ne fait que compromettre la troupe en lui inspirant une fausse confiance et en l'enchaĂźnant h de mauvais parapets, qui ne la protĂ©geront quâimparfaitement. Puis donc que nous ne pouvons pas fortifier nos camps Ă la maniĂšre des Romains, il ne nous est pas permis de nous agglomĂ©rer comme eux. Il faut nous dĂ©ployer dans lâordre de bataille, pour quâĂ la moindre alerte la troupe, en sortant de ses tentes, soit prĂȘte au combat. Il faut surtout se garder au loin pour empĂȘcher toute surprise, et, enfin, choisir des positions fortes dâassiette, d'un abord dillicile. Dans un pays dĂ©couvert et uni, la cavalerie campe, comme nous avons dit, aux ailes de lâinfanterie, parce que câest sa place de bataille; mais dans les pays coupĂ©s, elle doit ĂȘtre couverte par lâinfanterie, câest-Ă -dire, quâelle doit camper en seconde ligne. Les parcs dâartillerie sâĂ©tablissent aussi en arriĂšre, car rien nâest plus Ă redouter que la surprise dâun parc par le dĂ©sordre Ă©pouvantable qui en rĂ©sulte. Souvent, pour les mieux couvrir, devra-l-on faire camper des brigades sur les flancs et perpendiculairement Ă la ligne de bataille. Câest principalement lorsquâon manque dâobstacles naturels pour appuyer les flancs, quâil faut avoir recours Ă ce moyen ; on supplĂ©e par la disposition des troupes Ă la faiblesse de la position. Quelquefois mĂȘme, si lâon est entourĂ© dâennemis et si lâon a presque autant Ă craindre par derriĂšre que de front, la seconde ligne devra-t-elle camper le dos tournĂ© Ă la premiĂšre, de maniĂšre quâavec les troupes en potence sur les flancs, le camp offrira un vaste rectangle, dont chaque face sera en mesure de recevoir lâennemi sâil se prĂ©sente. Passant maintenant aux dĂ©tails du camp, nous donnerons les Ă©lĂ©ments sur lesquels est basĂ© le calcul de son Ă©tendue dâabord nous rappellerons que pour estimer lâĂ©tendue dâun bataillon qui fixe celle du front de bandiĂšre, on compte un uo DU REDOS DES TROUPES. demi-mĂšire ' e homme dans le rang; câesl un peu faible, mais on a ainsi Ă©gard Ă tous les hommes qui restent en serre-file. Supposons, par exemple, un bataillon de 690 hommes, formĂ© sur trois rangs, chaque rang sera de 250 hommes en supposant que les serre-files soient aussi dans le rang, lesquels, occupant chacun un demi-mĂštre, donneront un Iront de 115 mĂštres. Telle serait aussi lâĂ©tendue du front de ban- diĂšre. Il nây aurait plus quâĂ tenir compte de lâintervalle quâon laisse entre les bataillons pour avoir lâespace total occupĂ© dans la ligne par le camp du bataillon que nous avons pris pour exemple. Il nâest pas nĂ©cessaire dâune plus grande exactitude dans ce genre de calculs. Pour lâescadron, on assigne un mĂštre par cavalier dans le rang, et, comme la cavalerie se forme toujours sur deux rangs, on a lâĂ©tendue du front en prenant la moitiĂ© du nombre des cavaliers. Les serre-files, quâil faudrait dĂ©falquer du rang, sont pour lâintervalle entre les escadrons, lequel est toujours petit. Ainsi on compterait que le camp dâun escadron de 120 chevaux aurait, y compris lâintervalle, 00 mĂštres dâĂ©tendue. Actuellement les lentes de lâinfanterie et de la cavalerie sont les mĂȘmes; elles sont pour douze h seize fantassins, ou pour six Ă huit cavaliers ces derniers, ayant Ă soigner sous la tente les harnais de leurs chevaux, ne peuvent pas y entrer en aussi grand nombre. Les lentes, quand elles sont dressĂ©es, ont T 1 ",00 de largeur et Gâą,00 de longueur. Mais si lâon compte les cordes et les piquets de tension, les rigoles dâĂ©coulement qui se pratiquent autour, et les petits intervalles quâon laisse entre deux tentes voisines, on pourra, dans le calcul, estimer quâune lente occupe, en tout, un espace rectangulaire de 6 m ,00 de large et 8 ,n ,00 de longueur; ou, pour parler plus exactement, câest lâespace qui est nĂ©cessaire Ă son Ă©tablissement. Voyez la figure 30 e . Les compagnies placent leurs lentes, moitiĂ© Ă droite, moitiĂ© Ă gauche des rues du camp, de maniĂ©rĂ© que Insigrands cĂŽtĂ©s DU REPOS DES TROUPES. 441 des tentes, sur lesquels se trouvent les ouvertures ou portes, se regardent figure 52 e . Il y a donc autant de rues que de compagnies. Les tentes des compagnies contiguĂ«s sont adossĂ©es et ne laissent entre elles que des intervalles qui, dâaprĂšs ce qui prĂ©cĂšde, nâont que 2 m ,OOde largeur. De pareils intervalles subsistent entre les lentes dâune mĂȘme lile. Câest la zĂŽne d'un mĂštre de largeur, que nous avons assignĂ©e h chaque tente pour son Ă©tablissement, qui pourvoit Ă ces intervalles, en sorte que nous en ferons abstraction dans les estimations qui vont suivre. Si, en raison de la disposition que nous venons dâindiquer, I*es rues du camp restaient trop Ă©troites, on mettrait toutes les tentes dâune compagnie sur une seule file; parce que le nombre des files, Ă©tant ainsi rĂ©duit de moitiĂ©, lâespace disponible, qui resterait pour les rues, serait doublĂ©. La limite quâon assigne h la largeur des rues est de fi mĂštres. Câest-Ă -dire, que si elles restent au-dessous de cela lorsquâon campe par demi-compagnies, il faut avoir recours au moyen ci-dessus pour en augmenter la largeur. Les troupes, formĂ©es sur deux rangs, ne sont guĂšre exposĂ©es Ă cet inconvĂ©nient, parce que leur front est ordinairement assez Ă©tendu pour laisser aux rues du camp une largeur convenable. Pour la cavalerie, les rues ne doivent pas avoir moins de 12 mĂštres; parce que les chevaux, attachĂ©s Ă des piquets dans les rues, la tĂšte tournĂ©e vers les lentes, occupent deux mĂštres et demi de chaque cĂŽtĂ© ; on laisse deux mĂštres dâintervalle entre les tentes et les piquets chevaux, et enfin il en faut au moins trois, entre les croupes des chevaux, pour un passage dans le milieu de la rue ; ce qui fait 12 mĂštres en tout. Ainsi le minimum de largeur des rues de camp est, pour la cavalerie , double de ce quâil est pour lâinfanterie. 1 Ces intervalles ont rĂ©ellement 2,"50 Ă 2 m i, pareequâils sont accrus de tout ce quâil y a de libre dans la zone dâun mĂštre, que nous laissons autour des lentes. Les piquets des tentes et les rigoles ne prennent guĂšre que 0â" 40 Ă 0 m 30 de cette largeur. Le âą'este est pour la circulation. 442 DU REPOS DES TROUPES. En avant du front de bandiĂšre, et Ă 10 mĂštres de distance, sont les faisceaux dâarmes. Câest lĂ quâon plante le drapeau, au milieu de la ligne. A 12 m en arriĂšre des tentes des soldats, sont les cuisines, par demi-compagnies, dans lâalignement des tentes de ces demi-compagnies, et Ă©tabliĂȘs parallĂšlement au camp; 15 mĂštres plus loin, sont les tentes du petit Ă©tat-major, dans lâalignement de celle des soldats le petit Ă©tal-major comprend tous ceux qui figurent dans lâĂ©tat-major des bataillons, eL nâont pas le rang dâollicier; on y joint les musiciens, les vivandiers et les blanchisseuses; 15 mĂštres au delĂ , mesurĂ©s de tĂšte Ă tĂȘte, sont les tentes des lieutenants et des sous-lieutenants; 15 mĂštres plus loin encore, sont celles deĂŻi capitaines. Jusque-lĂ toutes les tentes sont tournĂ©es comme celles des soldats, et alignĂ©es sur elles; mais les tentes des capitaines doivent ĂȘtre tournĂ©es en face des rues, et placĂ©es dans le milieu, de maniĂšre Ă voir facilement ce qui sây passe, et Ă les surveiller dans toute leur Ă©tendue. Enfin, en arriĂšre des tentes des capitaines, et toujours Ă 15 mĂštres de distance , sont les tentes de lâĂ©tat-major faisant face au front de bandiĂšre, comme celles des capitaines. DerriĂšre toutes les tentes et dans lâendroit le plus propice, on place les charriots et les chevaux de bataillon , ainsi que les latrines des officiers. Les latrines des soldats sont, au contraire , placĂ©es en avant du front de bandiĂšre , aussi loin que possible, sans cependant dĂ©passer les gardes du camp on les entoure de feuillĂ©es, et on a soin de les construire dans les endroits les plus bas et les plus cachĂ©s. Toutes les distances convenues se prennent trĂšs-promptement au moyen de deux cordeaux, lâun pour le front du camp et lâautre pour sa profondeur, sur lesquels sont marquĂ©s, par des nĆuds de diffĂ©rentes couleurs, les espaces occupĂ©s par les tentes et les rues. On donne Ă chaque bataillon ou escadron un cordeau de front et un cordeau de profondeur , au moyen desquels les officiers tracent eux-mĂȘmes leurs camps particuliers sur les emplacements qui leur sont BU REPOS DES TROUPES. 443 indiques par lâĂ©tat-major. On y joint un cordeau de perpendiculaire , pour que le tracĂ© des rues soit bien dâĂ©querre sur le front de bandiĂšre. Ce cordeau est composĂ© de quatre bouts liĂ©s ensemble et formant un triangle isocĂšle avec sa perpendiculaire voyez la lĂźguro31 mC . Il y a une boucle h chaque angle et une au milieu de la base , pour en tendre les diverses parties. Lorsque la base du triangle est placĂ©e sur la ligne, la boucle du milieu sur le point, le sommet du triangle donne la direction de la perpendiculaire qui passera par ce point. La longueur des parties est ordinairement de 3,4 et 5 mĂštres. Dans ces proportions , lâusage du cordeau est trĂšs-commode. Appliquons les donnĂ©es prĂ©cĂ©dentes au calcul de lâespace quâoccuperait le ranvp dâun bataillon fĂ©dĂ©ral complet sa force est de 750 hommes, non compris l'Ă©tat-major ; la troupe Ă©tant formĂ©e sur deux rangs occuperait 188 mĂštres, et, ajoutant 12 mĂštres pour lâintervalle dâun bataillon Ă lâautre, nous trouvons 200 mĂštres pour lâĂ©tendue du front. Mais il se prĂ©sente ici une difficultĂ© , câest que dans lâordre de bataille la compagnie de chasseurs nâentre pas en ligne; elle se place derriĂšre une des ailes du bataillon. Ainsi donc , contradictoirement au principe le front de bandiĂšre du camp nâest pas Ă©gal Ă celui du bataillon dĂ©ployĂ© ; il est dâenviron 30 mĂštres plus grand. Cela serait sans inconvĂ©nient dans un camp dâexercice, mais il y en aurait beaucoup devant lâennemi. Il faut donc rĂ©duire cet espace Ă 170 mĂštres. Et si lâon fait attention que le service et les maladies rĂ©duisent toujours notablement le nombre des soldats prĂ©sents au camp ', on verra que , mĂȘme en prenant 20 mĂštres sur les 170 pour lâintervalle des bataillons, il restera encore assez de place devant les tentes pour recevoir le bataillon dĂ©ployĂ©, avec les chasseurs en ligne. Nous admettrons doue le chilĂŻre ci-dessus, et nous prendrons i â On Ă©value celte rĂ©duction Ă environ un cinquiĂšme. Câest pourquoi une tente qui rĂ©ellement ne peut recevoirque douze hommes, compte pour quinze ou seize. DU HEDOS DES TROUPES. 444 20 mĂštres pour lâintervalle qu'il faut laisser entre la gauche dâun bataillon campĂ© et la droite du suivant, et ISO mĂštres pour le front de bandiĂšre lig. 52 e . Maintenant le bataillon Ă©tant composĂ© de six compagnies, pour chacune desquelles il faut deux files de tentes perpendiculaires au front de bandiĂšre, il y aura en tout douze liles; et chacune de ces liles occupant, dâaprĂšs ce qui a Ă©tĂ© dit plus haut, un espace de G mĂštres, intervalle compris, cela fera 72 mĂštres Ă dĂ©duire de la longueur du front de bandiĂšre. Il restera donc 78 mĂštres pour les six rues; chacune de ces rues aura par consĂ©quent 15 mĂštres, ce qui est bien au delĂ du nĂ©cessaire. On voit donc, quâavec notre organisation fĂ©dĂ©rale., il nây a point Ă craindre dâavoir des rues trop Ă©troites. On pourrait mĂȘme fixer lâĂ©tendue du front de bandiĂšre uniquement sur les compagnies qui entrent en ligne , en laissant les chasseurs se rassembler derriĂšre , et avoir encore des rues dâune largeur sullisante. Quand on sâarrangerait ainsi, il faudrait Ă©tablir une ligne particuliĂšre de faisceaux pour les chasseurs, soit en avant, soit en arriĂšre des tentes. Câest Ă quoi lâon serait obligĂ© si, comme il en est question, on donnait deux compagnies de chasseurs Ă chaque bataillon. Quant Ă la profondeur du camp, elle rĂ©sulte du nombre de lentes quâil faut mettre Ă la lile pour loger les demi-compagnies. Il en faut huit pour 120 hommes, force normale de la compagnie d'infanterie. Cela fait donc quatre pour une demi- compagnie , lesquelles Ă 8 mĂštres par tente , tout compris, exigent 52 mĂštres. Donc Profondeur pour les tentes des soldats, 52 m Distance des cuisines aux derniĂšres tentes , 12 Distance des lentes du petit Ă©tat-major aux cuisines, 15 Distance des tentes des lieutenants aux prĂ©cĂ©dentes, 15 Distance des tentes des capitaines aux prĂ©cĂ©dentes, 15 Distance des tentes du grand Ă©tat-major aux prĂ©cĂ©d. 15 Largeur de la derniĂšre lile de lentes , 6 110 m nu REPOS DES TROUPES. 445 Ainsi lâespace occupĂ© par les tentes dâun bataillon fĂ©dĂ©ral, campĂ© rĂ©guliĂšrement, est un rectangle de 150 mĂštres de front et 110 mĂštres de >;! ... âd inp Mais si lâon veut Ă©valuer lâespace quâil faut encore en avant et en arriĂšre des tentes, on aura Ă rĂ©unir les quantitĂ©s suivantes ^ ! , -a- Distance des faisceaux dâarmes en avant des tentes , 10 m Distance des gardes du camp en avant des faisceaux, 150 Distance des latrines dâolficiers en arriĂšre du grand ,, Ă©tat-major, au moins, . _ âą â 30 190 m A quoi ajoutant lâespace occupĂ© par les tentes et trouvĂ© ci- dessus Ă©gal Ă 110 mĂštres, nous aurons 500 mĂštres pour la totalitĂ© de lâespace nĂ©cessaire en profondeur, pour camper lâinfanterie. Elle serait gĂȘnĂ©e sur un plateau qui aurait moins que cela. i Quand la profondeur manque, on peut resserrer les intervalles des tentes dâofiiciers, les rĂ©duire, par exemple, Ă 10 mĂštres, au lieu de 15; on peut faire entrer les tentĂ©s des capitaines dans la ligne des lieutenants; on peut mĂȘme , en cas dâabsolue nĂ©cessitĂ© , rĂ©unir les cuisines dans l'intervalle des bataillons, et mettre les tentes du petit Ă©tat- major sur leur emplacement. J-ut Nous avons dit que lâintervalle des bataillons serait de 20 mĂštres dans un campement fĂ©dĂ©ral. Le double est nĂ©cessaire entre deux brigades. On met ordinairement 50 mĂštres dâintervalle entre la cavalerie des ailes et l'infanterie. Il faut remarquer ici que, lorsque les camps de deux troupes voisines font entre eux un angle , on doit augmenter lâintervalle ordinaire, pour que les tentes de la queue du camp ne viennent pas se confondre. Si l'angle est rentrant, cette prĂ©caution nâest plus nĂ©cessaire ; on peut, au contraire, 44i nu REPOS DES TROUPES. dans ce cas, resserrer lâintervalle quand les localitĂ©s lâexigent. La police du camp est confiĂ©e h une garde particuliĂšre qui bivouaque, comme la garde du camp. Elle est Ă©tablie dans lâintĂ©rieur, Ă la hauteur des cuisines, et vis-Ă -vis les intervalles des bataillons , ses armes contre un chevalet. On construit une feuillĂ©e pour son bivouac. Il n'y a quâune seule garde de police par brigade *. Les camps de la cavalerie sont disposĂ©s comme ceux de lâinfanterie, avec cette seule diffĂ©rence que, dans le sens de la profondeur, on laisse entre les tentes des intervalles de 4 mĂštres pour le fourrage. Ainsi, il faut 12 mĂštres en profondeur pour chaque tente de cavalerie. On ajoute une tente surnumĂ©raire, dans chaque file, pour sĂ©parer les fourrages des cuisines, et lâon y loge les ouvriers , les can- tiniers , les conducteurs de charriots. Les chevaux sont attachĂ©s Ă des piquets plantĂ©s Ă 2 mĂštres des tentes, et liĂ©s entre eux par une corde. On laisse une ouverture devant chaque intervalle de tentes, pour arriver de la rue centrale aux dĂ©pĂŽts de fourrages et aux tentes. Voyez la figure 33°, dans laquelle les petits rectangles ponctuĂ©s indiquent les espaces occupĂ©s par les chevaux. Le feu Ă©tant plus Ă craindre que dans un camp dâinfanterie, on sĂ©pare davantage les cuisines des derniĂšres tentes on les met Ă 20 mĂštres. Il nây a pas de tentes de petit Ă©tat-major. Les tentes des lieutenants sont Ă 20 mĂštres des cuisines; celles des capitaines Ă 20 mĂštres de celles des lieutenants. Il nây a pas, dans lâarmĂ©e fĂ©dĂ©rale, de colonels de cavalerie ; câest le 4 La garde de police peut aussi sâĂ©tablir dans le milieu du camp du bataillon, entre les cuisines et les tentes des lieutenants. Le petit Ă©tat-major nâayant pas besoin de plus de-six tentes, il reste une place vide au milieu du camp qui peut ĂȘtre utilisĂ©e ainsi. Cela convient surtout quand le nombre des bataillons de la brigade est impair, pareequâainsi la garde de police se trouve au centre. Lâintcr- tervalle des bataillons est dĂ©gagĂ© ; ce qui vaut mieux. J'Jscadro/i uoLrin PI,LU. f-O- o L'7 EĂź- nu REPOS DES TROUPES. 447 plus ancien capitaine qui est chef de lâescadron ; en consĂ©quence il nây a pas dâautre ligne de tentes. Lâescadron fĂ©dĂ©ral est composĂ© de deux compagnies, chacune de GO chevaux, olliciers non compris; il occupe donc 60 mĂštres, Ă raison dâun mĂštre par cavalier. Telle sera donc aussi lâĂ©tendue, en front de bandiĂšre, du camp de lâescadron. Les deux compagnies camperont sur quatre files, formant deux rues. Les tentes prendront 24 mĂštres sur le front ; et si nous en mettons 4 pour lâintervalle des escadrons ', il en restera 52 pour les deux rues, ou IG pour chacune dâelles; largeur bien convenable. Cette largeur se rĂ©trĂ©cit pour des escadrons moins nombreux. Si elle arrivait Ă la limite de 12 mĂštres que nous leur avons assignĂ©e , ou restait au dessous, il faudrait n'avoir que deux files de tentes, et pour cela camper par compagnies entiĂšres. Dix tentes sont nĂ©cessaires Ă chaque compagnie, non compris celles des olliciers ; savoir, huit pour les cavaliers, h raison de 7 h 8 hommes par tente, et deux pour les ouvriers, les conducteurs , etc. Cela fera donc cinq tentes en profondeur , dont quatre Ă 12 mĂštres et une Ă 8 mĂštres, en tout 56 mĂštres , et lâon aura, si lâon veut Ă©valuer la profondeur du camp, les quantitĂ©s suivantes Espace occupĂ© par les tentes des cavaliers, .SGâ Distance des cuisines aux derniĂšres tentes, 20 Distance des tentes des lieutenants aux cuisines, 20 Distance des tentes des capitaines aux prĂ©cĂ©dentes, 20 Largeur de la derniĂšre file de tentes, G 122 m Lâespace occupĂ© uniquement par les tentes dâun escadron de cavalerie fĂ©dĂ©rale est donc un rectangle de 56 mĂštres de front et de 122 mĂštres de profondeur. ' Câest que les 60 m comprennent cet intervalle, attendu que les serre-files sont Ă dĂ©duire du front de lâescadron comptĂ© pour soixante chevaux. 448 DU REPOS DES TROUPES. La cavalerie Ă©tablit, comme lâinfanterie, ses faisceaux dâarmes Ă 10 mĂštres en avant du front de bandiĂšre. II lui faut aussi un espace de 150 mĂštres jusquâaux gardes du camp, sur le front et sur les cĂŽtĂ©s. En sorte que le plateau sur lequel elle campe ne doit pas avoir moins de 500 mĂštres de largeur, pour quâelle y soit convenablement. Il en est de mĂȘme pour lâinfanterie, ji lii Les camps de lâartillerie sâĂ©tablissent de prĂ©fĂ©rence en seconde ligne. On les dispose de maniĂšre Ă former une enceinte dans laquelle les piĂšces, les caissons et les autres voitures qui marchent avec les batteries, puissent ĂȘtre parquĂ©s. Les instructions nâont rien de bien prĂ©cis Ă ce sujet ; elles laissent beaucoup de latitude pour lâarrangement Ă adopter; elles sâaccordent cependant sur un point, câest que, chaque camp partiel, pour une batterie, doit offrir trois divisions distinctes. Les deux premiĂšres , Ă droite et h gauche du parc, sont pour les soldats du train ou canonniers conducteurs. La troisiĂšme division , placĂ©e en avant ou en arriĂšre du parc, est destinĂ©e aux canonniers servants. Les tentes des officiers sont avec celte division. Les cuisines sont en arriĂšre du tout pour les tenir Ă©loignĂ©es des poudres et des fourrages. Par cette disposition , les piĂšces et les caissons sont sous une bonne surveillance. Appliquons ces rĂšgles Ă une batterie fĂ©dĂ©rale de piĂšces de 12, servie par une compagnie dâartillerie, et composĂ©e comme suit Officiers et un chirurgien , 5 VĂ©tĂ©rinaire, 1 Ouvriers , marĂ©chaux et selliers , 4 Trompettes, 3 Sous-officiers et soldats dâartillerie , 78 Canonniers conducteurs, 46 Total des hommes, 157 ! ' Il nây aura dâautre diffĂ©rence pour une batterie dâun autre calibre que dans le nombre des hommes cl des chevaux qui sera un peu moins considĂ©rable ; la forme du camp restera la mĂȘme. r>Ă UK!'O S DUS TROUPES. 449 Chevaux le selle pour ollioiers, o ut. pour le vĂ©tĂ©rinaire et les sous-otlĂźciers, 8 kl. pour les trompettes, 5 Chevaux de trait, 92 Total des chevaux , 108 On voit de suite , dâaprĂšs celte composition, quâil doit y avoir quelques modifications Ă apporter aux rĂšgles de campement de l'infanterie et de la cavalerie, pour les appliquera lâartillerie. 1°. Le nombre des chevaux Ă©tant trĂšs-considĂ©rable par rapport Ă celui des conducteurs , il faut espacer les tentes , perpendiculairement au front de bandiĂšre , plus quâon ne le fait dans la cavalerie , alin dâavoir de la place pour les fourrages et pour les chevaux aux piquets. 2° Les canonniers conducteurs, ayant Ă soigner des harnais bien plus embarrassants que lâĂ©quipage ordinaire du cavalier, ne peuvent pas ĂȘtre aussi nombreux dans chaque lente. 5° Les sous-olHciers et les trompettes Ă©tant montĂ©s, et ayant aussi Ă soigner des Ă©quipages de cheval, on ne peut pas non plus compter quâune tente serve Ă quinze ou seize hommes, comme dans lâinfanterie Voici comment on pourrait fixer ces Ă©lĂ©ments lâintervalle entre les tentes du train serait proportionnĂ© au nombre de chevaux, en comptant l m ,50 par cheval aux piquets, câest-Ă - dire que sâil y a, par exemple , dix chevaux affectĂ©s Ă une tente, il faudra prendre pour chaque tente quinze mĂštres dans la ligne perpendiculaire au front de bandiĂšre. On logerait par tente G canonniers-conducteurs, ou 10 artilleurs. Cette rĂ©duction dans le nombre des hommes sons la mĂȘme tente est dâautant plus nĂ©cessaire, que lâartillerie nâest pas, comme les autres armes, appelĂ©e Ă un service extĂ©rieur des gardes , et que par consĂ©quent le nombre d'hommes dans les tentes est presque toujours Ă peu prĂšs au complet. fin voit, dâaprĂšs cela, quâil faudra 8 tentes pour le train 29 DU REPOS DES TROUPES. 450 et autant pour les canonnicrs-servants ; Ă quoi nous ajouterons une tente pour le vĂ©tĂ©rinaire et les deux marĂ©chaux, une autre pour les selliers et les trompettes, et enfin 3 pour les officiers. Cela fera en tout 21 tentes pour la compagnie entiĂšre, selon lâeffectif que nous avons admis. La chose essentielle est lâarrangement du parc il faut sacrifier toute autre convenance Ă sa commoditĂ© et Ă sa sĂ»retĂ©. Il doit ĂȘtre encadrĂ©, de droite et de gauche, par les Ă©curies, et ouvert en avant et en arriĂšre, pour que les voitures puissent y entrer aisĂ©ment et en sortir de mĂȘme. Les voilures, rangĂ©es sur quatre de front, les canons en premiĂšre ligne, les caissons ensuite, et aprĂšs, les autres voitures, occuperont une largeur de 14 mĂštres; un passage entre les tentes et les voitures est nĂ©cessaire de chaque cĂŽtĂ© pour isoler, autant que^ossiblc, les caissons et faciliter les communications; chacun de ces passages aura 8 mĂštres. Cela fera 50 mĂštres pour le parc. Nous prendrons autant pour chaque Ă©curie ou fraction de camp destinĂ©e aux canonniers- conducteurs et aux chevaux, savoir pour les deux files de tentes, rigoles comprises, 12 mĂštres; pour deux passages entre les tentes et les piquets des chevaux , 4 mĂštres; pour la rue oĂč sont les chevaux, 14 mĂštres; total, 50 mĂštres. Ainsi les deux Ă©curies et le parc occuperont 90 mĂštres sur le front de bandiĂšre, les trois subdivisions Ă©tant Ă©gales entre elles voyez la figure 54°. Et si lâon se rappelle quâune batterie dĂ©ployĂ©e occupe en bataille GO mĂštres, on verra que le principe dâĂ©galitĂ© entre le front de bandiĂšre dâun camp et celui de la troupe dĂ©ployĂ©e, nâest pas appliquĂ© ici. Mais il y a peu d'inconvĂ©nient, parce que lâartillerie, ainsi que nous lâavons dit plus haut, campe derriĂšre lâinfanterie, et est par consĂ©quent protĂ©gĂ©e par celle-ci contre les attaques inopinĂ©es de lâennemi. De sa position retirĂ©e elle peut se porter partout oĂč sa prĂ©sence est nĂ©cessaire. Nous avons le front du camp dâune batterie ; il est de 90 mĂštres, et le mĂȘme pour les batteries fĂ©dĂ©rales de tous les MJ REPOS DES TROUPES. 45 ! calibres. Quant Ă la profondeur, elle variera selon le nombre des chevaux. Il y en a 108 pour la batterie de douze ; le quart est 27. Il faut donc que les Ă©curies soient assez longues pour recevoir 27 chevaux; or, en comptant un mĂštre et demi par cheval, et laissant au milieu un passage de 3 m ,50, cela fera 44 mĂštres. Actuellement nous placerons les huit tentes des canonniers conducteurs aux huit angles des deux Ă©curies, avec les fourrages dans les intervalles, en laissant toutefois aux deux angles intĂ©rieurs , vers la queue du parc, la place pour la tente du vĂ©tĂ©rinaire , et celle pour la tente des trompettes et des selliers. Toutes ces tentes ont leurs ouvertures du cĂŽtĂ© des chevaux, et tournent le dos au parc. Les tentes descanonniers-servants seront Ă©tablies Ă 20 mĂštres en arriĂšre du parc, et placĂ©es vis-h-vis les Ă©curies sur une seule ligne, quatre Ă droite , quatre h gauche. Leurs ouvertures seront tournĂ©es vers le front de bandiĂšre. La tente du capitaine sera h 20 mĂštres en arriĂšre de celle des soldats, et placĂ©e dans le milieu de lâintervalle. Celles des lieutenants seront placĂ©es 10 mĂštres plus loin , derriĂšre celle du capitaine les unes et les autres faisant front au parc. Cette disposition a Ă©tĂ© adoptĂ©e pour que le capitaine puisse exercer aisĂ©ment sa surveillance, et que les abords du parc ne soient pas gĂȘnĂ©s de ce cĂŽtĂ©. En additionnant toutes les profondeurs qui viennent dâĂȘtre indiquĂ©es, on trouve pour total 100 mĂštres. Ainsi le camp dâune batterie de douze exige un espace rectangulaire de 90 mĂštres de front et 100 mĂštres de profondeur pour les tentes seulement. On ne pourrait pas le placer h moins de 30 ou 40 mĂštres de la queue des camps dâinfanterie ; et comme ceux-ci ont HO mĂštres de profondeur, et mĂȘme 160 en allant jusquâaux latrines des soldats , on voit quâil faut un espace de 500 mĂštres en arriĂšre du front de bandiĂšre pour pouvoir placer ainsi lâartillerie derriĂšre lâinfanterie. Plusieurs batteries rĂ©unies camperaient sur le mĂȘme alignement , en laissant seulement entrâelles des intervalles de 452 I>U REPOS IES TROUPES. 4 mĂštres, comme la cavalerie. Cela suffit pour le transport des fourrages. Dans ces camps, les cuisines seront placĂ©es sur les cĂŽtĂ©s , Ă la hauteur des tentes dâofficiers et Ă©loignĂ©es dâelles autant que possible. Nous avons dit que la troisiĂšme division d'un camp dâartillerie est quelquefois placĂ©e en avant du parc. Cela a lieu lorsquâon fait camper lâartillerie en premiĂšre ligne alors les canonniers-servants sâĂ©tablissent sur le front de bandiĂšre h In maniĂšre ordinaire, et il nây a point de diffĂ©rence entre leur camp particulier et celui dâune compagnie dâinfanterie, si ce nâest quâil n'y a pas de tentes de petit Ă©tat-major. On laisse 50 mĂštres entre la tente du capitaine et le parc, qui de In sorte reste assez en arriĂšre de la queue des camps des bataillons voisins, pour quâon puisse circuler avec les piĂšces. On peut donc, par cette seconde disposition, enchAsser la compagnie dâartillerie entre deux bataillons dâinfanterie, sans ĂȘtre gĂȘnĂ© par lâĂ©tendue de son parc, et sans lui assigner dâautre espace que celui qui lui est nĂ©cessaire en bataille. Quelquefois aussi les chevaux et les canonniers-conducteurs sont logĂ©s dans les granges voisines ; il nây a de campĂ©s que les canonniers-servants. Alors ces derniers se placent comme il vient dâĂȘtre dit, et il n'y a plus de difficultĂ© pour le parc les bouches Ă feu sont rangĂ©es devant le front sur la ligne des faisceaux, ou un peu en avant; les caissons et les autres voitures sont rangĂ©s en arriĂšre du camp, Ă une distance convenable. Je suis entrĂ© dans ces dĂ©tails parce que les rĂšglements, que lâon pourrait consulter, passent trop lĂ©gĂšrement sur les camps dâartillerie qui sont si diffĂ©rents de ceux des autres armes. Je terminerai cet article en faisant remarquer quâil y a de lâavantage, sous plusieurs rapports, h loger le soldat dans des baraques plutĂŽt que sous la toile 1° cela nâexige point de transport, on prend les bois sur les lieux ; 2° les baraques sont plus saines que les tentes; 5° la construction des bara- DU HGPOS DES TROUPES. 453 ques occupe le soldat et dĂ©veloppe son intelligence. Elles se font en feuillage avec couverture de chaume. Quelquefois on les construit plus solidement en charpente, quand le pays est abondant en bois. Quoiquâil en soit, un camp en baraques ne dilfĂšre pas dâun camp en tentes, quant Ă la distribution intĂ©rieure et aux principes de lâĂ©tablissement. § 3. â Des bivouacs. Quand on ne peut pas loger une troupe dans un camp rĂ©gulier et que pourtant on est dans lâobligation de la tenir rassemblĂ©e pour un but quelconque, on la fait bivouaquer. La rĂšgle Ă suivre, dans l'Ă©tablissement dâun bivouac, est la mĂȘme que pour un campement; câest-Ă -dire que chaque troupe prend son bivouac dans son ordre de bataille. Mais si les corps sont sĂ©parĂ©s, ils peuvent se donner du large jusquâĂ occuper un front de bandiĂšre double de lâespace nĂ©cessaire pour se mettre en bataille. Avec cette Ă©tendue on ne sera jamais gĂȘnĂ© ; il est donc inutile de prendre plus de place, cela ne serait pas sans inconvĂ©nient pour le prompt rassemblement de la troupe dans le cas dâune attaque soudaine. Ainsi, il y a des bivouac serrĂ©s et des bivouac Ă©tendus, suivant les cas les premiers se rĂ©duisent strictement en Ă©tendue Ă la longueur de la ligne de bataille , les autres peuvent aller jusquâau double; ils resteront souvent au-dessous et nâiront jamais au-dĂ©lĂ . La ligne des feux de bivouac sera simple dans le dernier cas; elle sera double dans lâautre. Les faisceaux dâarmes sâĂ©tablissent, comme au camp, en avant du front de bandiĂšre et sur un mĂȘme alignement. La premiĂšre ligne de feux sera Ă 20 mĂštres des faisceaux dâarmes; la seconde Ă 15 mĂštres de la premiĂšre. Il y aura quatre feux par compagnie, ou un feu par section les sec- DU REPOS DES TROUPES. AU lions impaires en premiĂšre ligne, les sections paires en seconde; et, comme dans lâorganisation fĂ©dĂ©rale, chaque compagnie occupe 50 mĂštres en bataille, les feux seront Ă 15 mĂštres les uns des autres dans le sens du front de bandiĂšre ; en sorte que les quatre feux dâune mĂȘme compagnie seront aux quatre angles dâun carrĂ© ayant 15 mĂštres de cĂŽtĂ©. Mars dans un bivouac ces mesures ne se prennent pas au cordeau; le pas doit sullirc on comptera alors 30 pas de la ligne des faisceaux au centre des premiers feux, et 22 pas dâun feu Ă lâautre dans les deux sens. Les feux des olliciers sâĂ©tabliront Ă 20 mĂštres, ou 50 pas, en arriĂšre de ceux des soldats ; il y en aura un pour chaque compagnie; les olliciers de lâĂ©tat-major du bataillon y prendront place. Les compagnies de chasseurs formeront, en arriĂšre du tout et Ă 50 pas de distance, des bivouacs particuliers sur une seule ligne, les faisceaux dâarmes en arriĂšre et aussi Ă 30 pas des feux. En sorte que le bivouac serrĂ© dâun bataillon fĂ©dĂ©ral aura 150 mĂštres de front et 95 de profondeur. Soldats et officiers dorment Ă la belle Ă©toile sur la paille, quand on peut sâen procurer, et les pieds au feu. La cuisine se fait aux feux du bivouac. Si la troupe doit rester plusieurs jours au mĂŽme bivouac, les soldats se font des abris contre le vent et la pluie, au moyen de quelques perches et branches dâarbres quâils recouvrent de rameaux, de paille ou de planches '. Les abris-vent , faits En 1851 jâavais adressĂ© Ă tous les Ă©tats-majors de division une lithographie reprĂ©sentant diverses formes de baraques en feuillage et dâabris-vent, pour que les troupes ne fussent pas trop embarrassĂ©es quand il se serait agi dâĂ©tablir un bivouac. Celle feuille Ă©tait accompagnĂ©e dâune courte instruction qui en facilitait lâintelligence. Lâabri le plus simple offrait un seul plan inclinĂ© , couvert de paille ou de feuillage ; il Ă©tait supportĂ© par six piquets , ou branches dâarbres, inclinĂ©s lâun vers lâautre, et liĂ©s deux Ă deux par le liant. On posait sur cette espĂšce de rhevalet une perche horizontale, puis des branches, auxquelles la paille Ă©tait attachĂ©e Ă recou- DU REPOS DES TROUPES. âŠ55 de la sorte, s'Ă©tablissent entre les leux des soldats et ceux des officiers, qui doivent ĂȘtre alors assez reculĂ©s en arriĂšre pour laisser la place nĂ©cessaire Ă ces Ă©tablissements temporaires. Les abris-vent des officiers se construisent aussi derriĂšre leurs feux. Il est facile de voir que, dans ce cas, le bivouac doit ĂȘtre Ă©tendu ; car, mĂȘme en faisant deux lignes dâabri sans intervalles, il nây aurait pas de quoi placer tous les hommes dans la longueur du front, parce que, couchĂ©s, ils occupent plus de place que dans le rang, et quâon ne peut pas dĂ©falquer les serre-files. 11 faut au moins 0 m ,65 par homme, ce qui fait pour les cinq compagnies de ligne 200 m . Mais il osl absolument nĂ©cessaire de mĂ©nager des intervalles entre les feuillĂ©es; ce nâest pas trop de compter un quart en sus pour cela ainsi le front du bivouac dâun bataillon aura pour le moins 250 mĂštres dâĂ©tendue, tandis que son front de bataille nâest que de 150 mĂštres. Il y a donc un allongement nĂ©cessaire de 100 mĂštres, et, comme nous l'avons dit, le bivouac pourrait sâĂ©tendre jusquâĂ 500. Avec 250 mĂštres de front de bandiĂšre, aussi bien quâavec 500, les feux seront Ă©tablis sur une seule ligue, et le bivouac offrira une ligne de faisceaux dâarmes, une ligne de feux, une ligne dâabris-venl sur deux rangs, une seconde ligne de leux et une ligne dâabris pour les officiers. Cela se rĂ©pĂšte pour les chasseurs qui sont derriĂšre. Si on ne pouvait pas sâĂ©tendre, il faudrait doubler les abris- vent qui sc trouveraient ainsi sur quatre rangs. On doit laisser des couloirs dâau moins 5 mĂštres de largeur entre les rangs qui formeront comme autant de ruelles longitudinales, recoupĂ©es par les passages transversaux et perpendiculaires au front de bandiĂšre. Autant que possible, on loge la cavalerie et le train dans les granges des villages voisins, mĂȘme lorsque lâinfanterie est vremcnl dans le sens de la pente, comme le chaume sur les maisons. OU IIEI-OS DES TROUPES. 456 au bivouac. Cependant, quand il faut absolument que les chevaux, aussi bien que les hommes, passent la nuit en plein air, voici comment se dispose le bivouac dâun escadron le commandant le forme en bataille, en arriĂšre de lâemplacement quâil doit occuper ; il fait rompre par pelotons Ă droite ; les chevaux de chaque peloton sont placĂ©s sur une seule ligne, ceux du second rang sâintercalant entre ceux du premier, et ils sont attachĂ©s aux piquets Ă la distance de l m ,50 les uns des autres ; ils sont dĂ©bridĂ©s, mais ils restent sellĂ©s toute la nuit. Les mousquetons ou lances sont formĂ©s en faisceaux derriĂšre chaque rangĂ©e de chevaux ; les sabres et les brides y sont accrochĂ©s. Quand les cavaliers construisent des abris, ils placent contre les parois leurs armes et les brides des chevaux; cela vaut mieux que de les laisser aux faisceaux. Les fourrages sont placĂ©s h la droite des chevaux et dans le prolongement de chaque rang; les feux sont Ă gauche. Il y a un feu par peloton, ou quatre par escadron, lesquels se trouvent Ă 15 mĂštres les uns des autres, puisque lâescadron a 60 mĂštres de front. Câest comme dans les bivouacs serrĂ©s dâinfanterie. Quand les cavaliers construiront des abris, ils trouveront assez de place sur le front de lâescadron pour les faire sur deux rangs seulement. Ils les Ă©tabliront entre les chevaux et la ligne des feux. Lâartillerie ne peut pas avoir de rĂšgle fixe pour bivouaquer; elle est obligĂ©e de se conformer aux localitĂ©s; mais en aucun cas les feux ne doivent ĂȘtre rapprochĂ©s du parc. Un arrangement convenable, quand la place sây prĂȘterait, serait le suivant 1° une seule ligne de feux pour les canonniers-conducteurs et les canonniers-servants; 2° les chevaux sur quatre rangs, disposĂ©s, comme ceux de la cavalerie, perpendiculairement au front de bandiĂšre ; 5° les fourrages; 4° les bouches Ă feu, les caissons et les voitures parquĂ©s en arriĂšre sur deux rangs. Les officiers, ou se rĂ©partiraient aux feux des canon- 1>U HEPOS DES TROUPES. .157 niers, ou formeraient un lâeu Ă pari devant le Iront. La profondeur de ce bivouac, jusquâaux voitures, serait Ă peu prĂšs la mĂȘme que celle du bivouac de lâescadron ; il faudrait donc le mĂȘme espace en Iront et en profondeur pour lâun et pour lâautre, GĂŒ mĂštres sur 80 environ. § 4. â Des Cantonnements. Pour mettre les troupes eu canlonnemĂ©nt, on les distribue dans les villages qui se trouvent sur le terrain occupĂ© par les troupes câest la maniĂšre ordinaire de les loger en temps de guerre, et lâon fait comme on peut. Lorsque lâarmĂ©e est en marche, elle se cantonne dans lâordre oĂč elle se trouve .chaque corps prolitanl des commoditĂ©s que lui oll'rentles villages, hameaux ou fermes quâil occupe; bien entendu que cela se fait en ordre sous la surveillance des chefs, sans quoi les soldats se battraient entre eux pour avoir les meilleurs logements. Mais lorsque lâarmĂ©e doit sĂ©journer quelque temps, on lâĂ©tend davantage, pour moins fatiguer le pays et pour donner plus de large aux .soldats qui sont ordinairement trĂšs-serrĂ©s dans les cantonnements de route. Cette rĂ©partition des troupes entre les diffĂ©rents villages et hameaux dâune contrĂ©e, sâappelle dislocation; elle exige tous les soins des oflicierĂ dâĂ©tat- major, qui en sont ordinairement chargĂ©s, pour allier la sĂ»retĂ© avec la commoditĂ© des troupes, et lâĂ©quitĂ© qui exige de ne pas charger certaines communes plus que dâautres, surtout lorsquâelles doivent pourvoir Ă la nourriture des troupes. Pour faire connaĂźtre les rĂšgles quâils ont Ă suivre dans la dislocation, nous rappellerons dâabord ce que nous avons dit au sujet des cantonnements dans le premier chapitre, câest quâil faut, autant que possible, les Ă©tablir derriĂšre quelque âą158 DU REPOS DES TROUPES. riviĂšre qui en rende lâattaque plus diflicile. Cela est surtout nĂ©cessaire pour les quartiers dâhiver, qui, devant ĂȘtre de plus longue durĂ©e, sont aussi plus Ă©tendus. Les diffĂ©rents corps seront assez rapprochĂ©s pour se secourir mutuellement. On dĂ©signe un lieu de rassemblement, oĂč tous les corps, en cas dâattaque, puissent arriver avant lâennemi, les uns par des marches de flanc, les autres par des marches en retraite, tous se rapprochant ainsi de leurs renforts. Turenne fut battu Ă Ma- riendal pour avoir pĂ©chĂ© contre ces principes voulant profiter de lâĂ©loignement de lâarmĂ©e bavaroise, pour donner du repos Ă ses troupes, il les mit, comme on disait alors, en quartiers de rafraĂźchissement, câest-Ă -dire quâil les cantonna ; il indiqua pour point de rassemblement un lieu Ă peu prĂšs central, mais cependant encore trop prĂšs de lâennemi. Lorsque Merci arriva sur lui avec toutes ses forces rĂ©unies, Turenne nâeut pas le temps de rassembler les siennes; il fut enveloppĂ© et battu. Turenne rappelait souvent cet Ă©vĂ©nement comme une faute quâil se reprochait. Quand on lui parlait de ses victoires Vous oubliez, disait-il, que jâai Ă©tĂ© battu Ă Mariendal. » Les diffĂ©rentes armes doivent ĂȘtre cantonnĂ©es de maniĂšre Ă sâappuyer rĂ©ciproquement. Lâartillerie se place sur les grandes roules ou Ă leur proximitĂ©, pour pouvoir, en tout temps, se porter rapidement lĂ oĂč sa prĂ©sence est nĂ©cessaire ; on la couvre, autant que possible, par les corps dâinfanterie. La cavalerie est bien partout oĂč elle trouve du fourrage et de l'eau, sa vitesse lui permettant de rallier en temps opportun, quels que soient les cantonnements quâelle occupe. H faut cependant Ă©viter de mettre la cavalerie dans des endroits trop exposĂ©s aux surprises, parce quâelle est moins propre que lâinfanterie Ă repousser ce genre dâattaque. Dans chaque cantonnement partiel ou quartier, on lixe une place dâalarmes, oĂč toute la troupe vient se rĂ©unir au premier signal on prend aux environs toutes les mesures de prudence usitĂ©es devant un ennemi actif et entreprenant. Ce sont sur- DU REPOS DES TROUPES. 459 lout les corps placĂ©s Ă la lisiĂšre du cantonnement gĂ©nĂ©ral qui doivent Ă©tablir un service rĂ©gulier dâavant-postes; cela ne dispense pourtant pas ceux qui sont placĂ©s en arriĂšre dâavoir aussi des gardes de sĂ»retĂ©. Câest une recommandation que nous avons faite souvent et que nous rĂ©pĂ©tons ici pour la derniĂšre fois. Il faut, dâaprĂšs ce qui prĂ©cĂšde, que chaque bataillon ait sa place dâalarmes ; que, dans chaque brigade, " _ âsu de rassemblement choisi du cĂŽtĂ© oĂč cette brigade doit marcher pour opĂ©rer la concentration; que, dans chaque division, il y en ait aussi un pris assez loin de lâennemi pour que les brigades puissent y arriver sans crainte de se voir coupĂ©es; quâenlin il y ait pour toute l'armĂ©e une position dĂ©signĂ©e en arriĂšre des cantonnements, oĂč elle se rĂ©unira pour le combat. Cette position doit ĂȘtre connue, non-seulement des commandants des divisions, mais aussi des commandants des brigades, afin que ces derniers, dans le cas oĂč des circonstances particuliĂšres les auraient empĂȘchĂ©s de rejoindre leurs chefs, puissent dâeux-mĂ©mes marcher au rendez-vous gĂ©nĂ©ral. Les communications seront rendues faciles entre les divers lieux de rassemblement Ăč cet effet on rĂ©parera les ponts, on rĂ©largira les chemins dont la voie ne serait pas suffisante, on en ouvrira mĂȘme de nouveaux si cela est nĂ©cessaire. Quel- i que riviĂšre traverse-t-elle les cantonnements, il faut y jeter des ponts pour que les corps ne restent pas sĂ©parĂ©s; y a-t-il des ravins profonds, difficiles Ă franchir, on y pratiquera des rampes et des chaussĂ©es pour le passage de lâartillerie. , Quand les cantonnements ne sont pas couverts par une riviĂšre non guĂ©able, il est bon de couper les chemins par lesquels lâennemi pourrait arriver, de construire des abatis ou des retranchements dans les endroits les plus accessibles. Mais ce qui vaut mieux que lout cela, câest une grande vigilance dans les avant-postes. Toutefois lâun nâempĂȘche pas lâautre. Il va sans dire que les gĂ©nĂ©raux ne quittent point la troupe, DU ISEIâOS DES TUOUl'IiS. 460 mais prennent leurs logements au milieu dâelle, dans lâendroit le plus commode pour expĂ©dier des ordres. En 1694, le comte de Tilly fut enlevĂ© dans un chĂąteau oĂč il sâĂ©tait logĂ©, parce quâun marais le sĂ©parait du lieu oĂč Ă©taient ses troupes. Pareille disgrĂące est rĂ©servĂ©e aux olliciers qui voudront ainsi chercher leurs aises , au lieu de penser Ă leur sĂ»retĂ©. Quand la troupe bivouaque , les gĂ©nĂ©raux doivent bivouaquer avec elle; et, sâils ont des tentes , ils les rĂ©serveront pour mettre leurs cartes et leurs papiers Ă lâabri de la pluie ou de la rosĂ©e ; mais eux coucheront sur la paille comme leurs soldats. 11 ne faut pas que ceux-ci puissent croire que , lorsquâils sont exposĂ©s Ă tous les genres de privations, leurs chefs savent sây soustraire. CelĂą est surtout nĂ©cessaire dans une armĂ©e de milices. Câest le chef dâĂ©tat-major de lâarmĂ©e quiâ, en conformitĂ© des vues du gĂ©nĂ©ral en chef, lixe les limites de lâarrondissement de chaque division , des corps de cavalerie , des parcs dâartillerie. Les gĂ©nĂ©raux de division dĂ©terminent, dans leurs arrondissements respectifs, les limites oĂč doivent se renfermer leurs brigades , leurs dĂ©tachements de cavalerie , leurs batteries. Les commandants de brigades distribuent Ăč leur grĂ© les bataillons et les compagnies de carabiniers, dans les villages, hameaux, fermes isolĂ©es de leurs cantonnements. Les cartes gĂ©nĂ©rales peuvent, h la rigueur, sullire pour prĂ©parer ces dislocations ; mais on les fait bien mieux quand on possĂšde quelquâune de ces belles cartes topographiques qui se font maintenant en France, en PiĂ©mont et dans le royaume Lombardo-VĂ©niticn ', surtout quand elles sont accompagnĂ©es dâĂ©tals statistiques donnant le nombre des couverts de ' La ConfĂ©dĂ©ration nâa pas voulu rester en arriĂšre Ă cet Ă©gard elle fait travailler Ă un atlas gĂ©nĂ©ral de la Suisse en vingt-cinq feuilles ; cĂštte entreprise rencontre de grandes difficultĂ©s dans la nature du pays, et le peu de fonds quâon y peut consacrer chaque annĂ©e. Toutefois, ijuelqucs feuilles sont dĂ©jĂ assez avancĂ©es. Le quarticr- inailre-gĂ©ncral sâoccupe activement de cet important objet. DU Itt'UâOS DUS TROUPKS. 401 chaque lieu , ainsi que ses principales ressources. Mais il faut sâattendre, malgrĂ© cela, Ă de nombreuses rectifications, quand la dislocation sâeffectuera. Câest pourquoi il est toujours plus sur de la prĂ©parer sur les lieux mĂŽmes, dâaprĂšs les directions gĂ©nĂ©rales du chef d'Ă©tat-major. Les oiliciers des Ă©tats-majors des divisions et des brigades se partagent la besogne ; ils dressent chacun un Ă©tat de dislocation particulier pour la partie qui le concerne ; ils font appeler les maires ou prĂ©fets des communes, et assoient, de concert avec eux, leur premiĂšre rĂ©partition , en ayant soin de se tenir en garde contre la tendance de ces oiliciers civils a diminuer leurs ressources pour obtenir quelque allĂ©gement. Ils ne doivent donc pas sâen rapporter uniquement h ce qui leur est dit, mais voir par eux- mĂȘmes. Ils visitent toutes les maisons et assignent le nombre de soldats quâon y peut loger, sans trop de gĂšne pour eux, et sans quâil en rĂ©sulte une charge trop lourde pour les habitants. Ils Ă©vitent, autant que possible , de sĂ©parer les soldats dâun mĂŽme bataillon ; et, pour peu quâune attaque soit Ă craindre , il vaudra souvent mieux, lorsquâun village sera trop petit pour loger tout le monde, faire bivouaquer aux environs, et Ă tour de rĂŽle, tout ce qui ne peut pas ĂȘtre placĂ© dans les maisons, que de partager le bataillon pour le cantonner dans deux villages diffĂ©rents. Quand ce premier travail a reçu les rectifications nĂ©cessaires, chaque officier dresse, un Ă©tat particulier, quâil remet Ă lâadjudant de division ; celui-ci dresse un Ă©tat de dislocation pour la division entiĂšre ; il le dĂ©pose Ă lâĂ©tat-major de lâarmĂ©e oĂč lâon rĂ©unit toutes les piĂšces semblables pour en faire un tableau gĂ©nĂ©ral de dislocation. Il y a donc trois espĂšces de tableaux de dislocation, dont les formes diffĂšrent un peu par la nature des dĂ©tails quâon y fait entrer, ceux des brigades, ceux des divisions et ceux de lâarmĂ©e. Je joins ici les tĂȘtes de,ces divers tableaux, oĂč lâon a visĂ© Ăč atteindre le plus grand degrĂ© possible de simplicitĂ© pour sâassurer une meilleure et plus prompte exĂ©cution. 462 DU REPOS DES TROUPES. Tableau de dislocation de la Brigade N °.... Ă F Ă©poque du.... TĂȘtes des Colonnes. Quartier-gĂ©nĂ©ral de la brigade. Noms des bataillons. NumĂ©ros des compagnies. Cantonnements des compagnies. Lieux de rassemblement des bataillons. Observations. ' Tableau de dislocation de la Division N°.... Ă Fe'poque du.... t Quartier-gĂ©nĂ©ral de la division. I Quartiers-gĂ©nĂ©raux des brigades. I Bataillons. Tktes des Colonnes. 4 §1. Composition de lâarmĂ©e. Ăź>4 §2. Formation des troupes. 68 §3. Armement des troupes. 70 Armes de lâinfanterie . 70 Armes de la cavalerie . 81 Artillerie . 85 Chap. 1U. Des Marches et des Manoeuvres. ....... 01 § 1. RĂšgles Ă observer dans les marches. 91 Ăclaireurs . 99 Avant-garde et arriĂšre-garde .. 101 Force dâune colonne de marche . 109 §2. Marches offensives, actions quâelles amĂšnent. .. 112 Ordre de marche dâune division fĂ©dĂ©rale . 112 .iic TAULE UES MATIĂRES. 468 ' Iâ*6- Passage des dĂ©filĂ©s . 111» Passage des ponts . 123 Passage des bois . 127 Passage des riviĂšres . 128 ArrivĂ©e de la colonne devant l'ennemi . 157 § 3. Dos marches de flanc. 139 § 4. Des marches en retraite. 146 De l'arriĂšre-gartle . 148 Passage dâun pont en retraite . 151 Passage des dĂ©filĂ©s en retraite . 152 §5, Marche simultanĂ©e de plusieurs colonnes. 156 Des Batailles. 167 §1. DĂ©finitions, ordres de bataille. 168 2. Jeu des dillĂ©rentes armes. 180 §5. Des batailles offensives. 189 Reconnaissance . 189 DĂ©termination du point dâattaque . 191 Attaque des hauteurs . 196 Attaque enveloppante . 198 Attaque sur le flanc . 199 Attaque sur le centre . 203 Concentration . 206 Poursuite du champ de bataille . 214 g 4. Des batailles dĂ©fensives. 217 Positions . 217 Dispositions dĂ©fensives . 221 PropriĂ©tĂ©s dĂ©fensives du terrain . 250 Emploi de la fortification . 253 ManĆuvres dĂ©fensives . 257 Retraite du champ de bataille . 240 âą Chnp. V. DĂ©fense ues RiviĂšres et des Montagnes.. . 245 1. DĂ©fense des riviĂšres. 245 Disposition des troupes . 245 TABLE 1ES MATIĂRES. 469 l*ag. TĂȘtes de pont . -47 Moyens secondaires . 254 ManĆuvres . 250 § 2. DĂ©fense des montagnes. 260 Par les habitants . 260 Par les troupes . 201 Secours de lâart . 265 Positions . 264 Retranchements . 271 ManĆuvres . 275 Communications . 285 RĂ©sumĂ© . 288 Des SiĂšges. 290 § 1. Comment on couvre un siĂšge. 290 § 2. Travaux et opĂ©rations du siĂšge. 296 §5. CommentondĂ©fendlesapprocliesd'uneforteresse 502 Chap. VH. Combats ut actions particuliĂšres. 509 §. 1. Combat dâinfanterie contre infanterie. 509 En plaine . 511 Sur les hauteurs . 516 Dans les bois .<. . 519 Dans les villages . 521 § 2. Combat de cavalerie contre cavalerie. 524 §5. Combat de cavalerie contre infanterie. 529 § 4. Attaque dâune batterie. 555 § 5. Attaque et dĂ©fense dâune redoute. 557 § 6. Attaque et dĂ©fense dâune cassine. 541 § 7. Surprise et escalade dâun lieu fortifiĂ©. 549 § 8. RĂ©flexions sur les manĆuvres. 558 Des Reconnaissances. 571 § !âą Reconnaissances Ă maiii armĂ©e. 571 §2. Reconnaissances topographiques. 585 ItinĂ©raires . . ... . 598 470 TABLE DES-MATIĂRES. lâos- Chap. IX. Missions spĂ©ciales . 401 § I. Des convois. 401 §2. Des fourrages. 412 §3. Des embuscades. 410 § 4. Des partisans. 422 Chap. X. Du Repos des troupes . 427 §1. Des avant-postes. 427 § 2. De la castramĂ©tation.. 433 §3. Des bivouacs. 433 §4. Des cantonnements. . 437 AVIS AU RELIEUR POUR LE PLACEMENT DES PLANCHES. Planche I, h gauche, en regard de la page 3 II, â â H7 III, â _ 141 IV, â â 143 V, â â 137 VI, â â ici VII, â â 1G5 VIII, â _ 177 IX, â â 193 X, â â 195 XI, â _ 203 XII, â â 209 XIII, - - 223 XIV, _ â 227 XV, â â 231 XVI, _ _ 239 XVII, - _ 281 * XVIII, _ _ 385 XIX, - _ 393 XX, â _ 435 XXI, â â 447 K! LIBRAIRIE ß»â2lb. flHjerbttlte; et ffotnp. h paris et à ©mĂšne. Autres ouvrages de Al. G. 11. DUFOUR De la Fortification permanente. 1 vol. 4° avec atlas, 24 fp. MĂ©morial pour les travaux df. guerre. 2 e Ă©dition, I vol. in-8° fig. 7 fr. GĂ©omĂ©trie perspective, avec ses s " â 5ns Ă la recherche des ombres. 4 vol. in-8° avec atlas. Instruction sur le dessin des reconnaissances militaires. In-4° fig. MĂ©moire sur lâArtillerie des anciens et sur celle nu moyen Ăąge. In-4° fig. Carnet nu canonnier, Ă lâusage des sous-officiers et soldats de l'artillerie suisse; par J. MASSE, lieutenant-colonel dâartillerie. 4 vol. in-48. Manuel nu canonnier conducteur, Ă lâusage de lâartillerie suisse. 4 vol. in- 48fig. IMPRIMERIE lE K. PELLETIER, RUE DE RHONE.
Paroles de la chanson A chaque jour suffit sa peine par Isleym Papa tape maman On avance avec nos cartables Et nos tristesses sur le dos Tu sais on s'accroche au temps Le RER nous dĂ©passe Et ça y est, on est accro On veut savoir courir Grandir, sourire Et dans la vie ĂȘtre libre Faire en sorte d'ĂȘtre rapide Faire vite et ĂȘtre en rĂšgle avant de partir A chaque jour suffit sa peine.. A chaque jour suffit sa peine.. A chaque jour suffit sa peine.. Rendez vous au petit dĂ©j' Car des soucis j'en ai Mais c'est les sous qu'je veux par centaines Devant la porte les huissiers Mauvaise humeur que tu traĂźnes Impossible d'fuir les problĂšmes On aimerait s'Ă©chapper S'Ă©vader, crier haut et fort Qu'on en a assez de Trimer toute l'annĂ©e Avant, reculer A chaque jour suffit sa peine A chaque jour suffit sa peine.. A chaque jour suffit sa peine... A chaque jour suffit sa peine... A chaque jour suffit sa peine Moi j'respire Ă peine Les keufs et les sirĂšnes m'endorment SĂ»rement Ă Fleury ou Ă Frennes Le daron fait l'AdhĂąn Et moi j'traĂźne seule dehors Hai-hai-haine Oh oh oh A chaque jour suffit sa peine Hai-hai-haine Oh oh oh A chaque jour suffit sa peine..
Paroles de la chanson Ă chaque jour suffit sa peine par Nessbeal Docteur .. NE2S Papa tape maman, mon cartable, ma tristesse Mon lit superposĂ©, mes peÂÂtits frĂšres, ma jeunesse On s'Âaccroche au RER, la vie dĂ©file Ă toute vitesse Courir, grandir, jâme sens libre dans lâivresse Les sous, des soucis, au pâtit dĂ©j' jâen mange par centaines Devant la porte les huissiers, impossible dâfuir les problĂšmes Aujourdhui jâen rigole, Ă chaque jour suffit sa peine Mariages, enterrements, des roses, bouquets de chrysanthĂšmes La flemme, de sârĂ©veiller, de travailler, sĂ©cher les cours Mon destin correctionnel, Dieu seul sait c'ÂÂque j'encours Un jour prochain, y'a plus de suspens dans mon parcours Enfant tĂȘtu, j'ÂÂpeux pas stopper le compte Ă rebours Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ăa meurt pas en silence, un homme qui se noie La traversĂ©e du miroir, nos sourires, jâĂ©tais petit, jâavais peur dans le noir Nuit blanche dans ce couloir, jâmarche, interminable est ce boulevard J'Ă©cris de la main gauche, dĂ©gueulasse est mon buvard Ready to die pour Ă©crire l'histoire, une dĂ©faite, un exploit Ă chaque jour suffit sa peine, demain jâtrouve un emploi Tomber, se relever, partir, tout le monde cherche sa voie Un regard, lâamour, rentre dans ta vie sans lâsavoir Ce monde un grand mensonge, on cache les apparences Un calvaire, du caviar, ça commence par une romance Triompher, regretter, pas le temps dâsouffler que ça recommence A chaque jour suffit sa peine, on sera tous rois avec d'la patience Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Rien ne dure dans ce monde cruel, pas mĂȘme nos souffrances Ă chaque jour suffit sa peine⊠Tu vas tomber, t'ÂÂrelever, jamais reculer Lâessentiel câest que tâavances Ă chaque jour suffit sa peine⊠Grosse dĂ©dicasse, tout passe, seuls les murs restent en place Ă chaque jour suffit sa peine⊠à chaque jour suffit sa haine On trouve pas l'bonheur dans l'ÂÂoseille Ă chaque jour suffit sa peine, moi jârespire Ă peine Les keufs et les sirĂšnes mâendorment SĂ»rement Ă Fleury ou Ă Fresnes, le daron fait l'adhan Et moi je traĂźne seul dehors Hai-hai-haine, oh oh oh, Ă chaque jour suffit sa peine Hai-hai-haine, oh oh oh, Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Un jour tu ris, un jour tu pleures Ă chaque jour suffit sa peine Avancer, tomber s'relever Ă chaque jour suffit sa peine⊠NE2S, NE2S Ă chaque jour suffit sa peine
*> . H . Ăźv. ; âą *'âą*-ÂŁ »r AUS DER BIBLIOTHEK VON OBERSTDIVISIONAR EUGEN BIRCHER AARAU DER BIBLIOTHEK DER EIDGENĂSSISCHEN TECHNISCHEN HOCHSCHULE GESCHENKT $j-ĂŻ ĂźjĂŻĂŻy , y y mĂ©i VINGT MOIS OU LA RĂVOLUTION PARTI RĂVOLUTIONNAIRE, K. A. DE SALVASBĂ, lâon DES QUARANTE DE LâACADĂMIE FRANĂAISE. NOUVELLE ĂDITION. PARIS, VICTOR MASSON, LIBRAIRE, Place' de lâĂcole-de-MĂ©decine, 7. km MiM VINGT MOIS ou LA RĂVOLUTION ET LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. » KTBEUX , UIFRIMKnH! PE A. RĂ R ISSEY. MOIS OU LA RĂVOLUTION KT LK PARTI RĂVOLUTIONNAIRE, PAR N- A- DE SALVANDY, 1,âUM DES QUARANTE DF. I.âaC'AOĂMIE FRANĂAISE. e 11 faut savoir tour Ă tour prĂ©cĂ©der te Ilot populaire et rester en arriĂšre de lui. Il vous dĂ©passe , il vous rejoint il vous abandonne mais lâĂ©ternelle vĂ©ritĂ© demeure avec vous. DE STAĂL, de lâInfluence des LETTRES SUR LES INSTITUTIONS SOCIALES. * 4 NOUVELLE ĂDITIONâ» âąT y VICTOR MASSON, LIBRAIRE, rie lâĂcole Rc-M' ilei'ine . 1. BĂRCHER *„ *3 H *3 PRĂFACE. Novembie *849. Cet ouvrage estune rĂ©impression. Il a paru, pour la premiĂšre fois, Ă la fin de 1831 , sous ce titre SEIZE MOIS, OU LA. RĂVOLUTION DE 1830 ET LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE, câest-Ă -direla rĂ©volution accomplie alors, etla rĂ©volution future, la rĂ©volution imminente, inĂ©vitable, qui pesait dĂ©jĂ de tout son poids sur nos destinĂ©es. La seconde Ă©dition suivit de prĂšs, avec des augmentations considĂ©rables, et le titre de VINGT MOIS, qui a Ă©tĂ© conservĂ© depuis. LâĂ©dition actuelle ne comprend que des changements littĂ©raires, point de politiques. Il nâa Ă©tĂ© fait aucun retranchement, de quelque nature quâil pĂ»t ĂȘtre. Seulement çà et lĂ , au sujet dâhommes Ă©minents , placĂ©s aujourdâhui, ou du moins il y a quelques a. VI PRĂFACE. jours encore, Ă la tĂȘte des dĂ©fenseurs de la sociĂ©tĂ©, quelques vivacitĂ©s, naturelles Ă la polĂ©mique contemporaine, ont Ă©tĂ© restreintes, ou mĂȘme effacĂ©es quand le sujet lâa permis, de peur que le lecteur, malgrĂ© tous les avertissements, ne confondit les Ă©poques, et ne crĂ»t trouver dans nos paroles dâautrefois un ressouvenir actuel des dissentiments passĂ©s, ou de lâingratitude envers de rĂ©els et rĂ©cents services. Nous ne justifierons pas cette nouvelle publication dans les circonstances prĂ©sentes. Lâouvrage Ă©tait Ă©puisĂ© depuis longtemps ; il Ă©tait redemandĂ©. Nous nâavions aucun motif de reculer devant cette exposition animĂ©e de nos sentiments et de nos principes. Le temps et les rĂ©volutions ont passĂ© sur nous, sans les changer. Le temps et les rĂ©volutions nâont fait, Ă nos yeux, que leur donner dâĂ©clatantes consĂ©crations. Sâil faut le dire, câest lĂ peut-ĂȘtre lâintĂ©rĂȘt, et jusquâĂ un certain point lâutilitĂ© de cette publication. En reparaissant aprĂšs le bouleversement social quâil annonçait comme le rĂ©sultat nĂ©cessaire de nos prĂ©jugĂ©s, de nos passions, de nos discordes, le livre des Vingt Mois, Ă©crit il y a tant dâannĂ©es, semble lâavoir Ă©tĂ© en prĂ©sence des Ă©vĂ©nements qui viennent de sâaccomplir et de ceux qui nous environnent. Il est de circonstance encore; il semble lâĂȘtre plus que jamais. Comme il fut composĂ© en prĂ©occupation de lâavenir, son temps est en quelque sorte venu. Il nous a fallu bien souvent, pour Ă©viter des mĂ©prises, rappeler en note que le texte Ă©tait exactement celui de 1831 ou 1832. Cela tient Ă ce que la rĂ©volution de 18Ă»8 et celle de 1830 ne sont que PRĂFACE. VII les deux actes successifs dâun mĂȘme drame. La sociĂ©tĂ© française, en retombant des mains de la restauration et de lâempire dans la carriĂšre des rĂ©volutions, a rapidement descendu la spirale qui la mĂšnerait bientĂŽt aux derniers abĂźmes, si elle ne remontait, par un grand effort, vers un sol plus ferme, pour y asseoir ses destinĂ©es. AprĂšs un point dâarrĂȘt de dix-huit annĂ©es, qui a Ă©tĂ© lâouvrage et qui est la gloire du parti constitutionnel, luttant Ă force de raison et de courage contre les pentes fatales de la situation , nous sommes arrivĂ©s Ă un palier plus bas quâen 1830. Du reste, ce sont les mĂȘmes scĂšnes, les mĂȘmes ressorts, les mĂȘmes pĂ©ripĂ©ties, souvent les mĂȘmes hommes. Rien nâest changĂ©, sinon quâil y a du cĂŽtĂ© de lâordre des forces de moins et des pĂ©rils de plus... Il y a aussi des enseignements de plus, grĂące Ă Dieu ! Ils doivent ĂȘtre la consolation du prĂ©sent et le salut de lâavenir. On ose penser que ces enseignements, si Ă©clatants dans le livre mĂȘme des Ă©vĂ©nements, ressortent aussi, dâune façon prĂ©cise, des considĂ©rations que nous nous hasardons Ă replacer sous les regards de nos concitoyens. Comment ne pas reconnaĂźtre, dans la catastrophe Ă laquelle la France vient dâassister, lâeffet nĂ©cessaire de causes permanentes et profondes, quand on a pu la montrer Ă lâavance, dĂšs 1830, dans un si lointain avenir? Nâest-il pas Ă©vident quâil nây a que des principes vrais et des lois certaines qui puissent fournir des lumiĂšres sur la marche des Ă©vĂ©nements humains. Le fait devient alors lâargument et la preuve des principes, comme les vicissitudes de la mer et du VIII PRĂFACE. ciel, que tout le monde prĂ©voit avec certitude, constatent la vĂ©ritĂ© des grandes lois de lâunivers. Par cela mĂȘme, il a plus dâimportance, plus de grandeur, plus de moralitĂ© historique. On pourra tirer, de tous les spectacles quâil nous a donnĂ©s , des consĂ©quences qui importent Ă©galement Ă notre instruction prĂ©sente et Ă notre sĂ©curitĂ© future. La premiĂšre de ces consĂ©quences est de faire sentir dans ce qui s'est passĂ©, par lâexamen et lâenchaĂźnement des causes, lâaction dâune sorte de fatalitĂ© providentielle, qui ne laisse place ni Ă la responsabilitĂ© des hommes ni aux rĂ©criminations des partis ! Manifestement, la France du dernier siĂšcle, la France de 1791 , la France de toutes les rĂ©volutions passĂ©es rie pouvait manquer de faire les expĂ©riences , de rencontrer les Ă©preuves que la main de Dieu a semĂ©es sur sa route. Nous nâaurions le droit de nous accuser les uns les autres et de nous plaindre du sort ou de nous-mĂȘmes, que si nous ne savions pas mĂ©diter les leçons de lâexpĂ©rience, les comprendre et en profiter. En considĂ©rant quelles avaient Ă©tĂ© nos maximes et nos passions,quelles ont Ă©tĂ© ensuite nos tentatives pour faire de ces passions et de ces maximes la loi de lâavenir, et en voyant ce quâen a fait la Providence, quelle raison serait assez altiĂšre pour douter que, dans nos ouvrages, nous nâeussions pliĂ© bien souvent devant les erreurs profondes de lâesprit public? Les dangers qui nous pressent de toutes parts ont un langage Ă©clatant. Sâils rendent tĂ©moignage du dĂ©vouement et des lumiĂšres de ceux qui travaillĂšrent Ă Ă©carter de nous et les maux l'HKKACIi. IX visibles de lâĂ©tat prĂ©sent et les angoisses inconnues de lâavenir, ne disent-ils pas aussi Ă tout esprit sensĂ© pie, pour sauver la France, il faut abjurer tout ce qui lâa fait arriver une premiĂšre fois si prĂšs de sa perte? Onavu un gouvcrnemenlconstitutiounelemportĂ©par une rĂ©volution de place publique, circonscrite, soudaine et absolue comme une rĂ©volution de palais; un grand prince renversĂ©du trĂŽneaprĂšs un longet grand rĂšgne, en deux heures, par un simple trouble de sa capitale, avec une de ces jeunes et fortes familles qui formaient des appuis aussi solides que brillants pour le trĂŽne et pour lâempire; des institutions, enfin, qui versaient sur la nation des trĂ©sors de sĂ©curitĂ©, de libertĂ©, de prospĂ©ritĂ© infinies, emportĂ©es par une trombe populaire ignorĂ©e du reste du royaume, et qui nâĂ©tait le matin quâun point noir Ă lâhorizon, qui Ă midi avait tout englouti ! Avec dâimmenses sujets de tristesse, il y aurait lĂ pour tout le monde de grands sujets de dĂ©couragement, sj des rĂ©sultats salutaires ne venaient saisir et relever nos Ăąmes. Câen sera un, et immense, de reconnaĂźtre Ă cette fragilitĂ©, si soudaine dans ses effets, des raisons dâĂȘtre souveraines et invincibles, quâil sera en notre puissance de ne plus attacher Ă nos ouvrages. Il en est de plus grands. Les dix-huit annĂ©es sont loin dâavoir Ă©tĂ© perdues pour la France. De leur rude labeur, tout nâa point pĂ©ri avec leur Charte, leurs chambres et leur royautĂ©. IndĂ©pendamment des biens matĂ©riels quâon ne conteste pas, et dont il ne faut point parler avec dĂ©dain , parce X tâKĂlâACE. quâils constituent des Ă©lĂ©ments de sĂ©curitĂ©, de repos et de dignitĂ© intellectuelle pour les peuples, ces grandes annĂ©es ont laissĂ© aprĂšs elles des biens moraux sur lesquels devra se fonder le salut public. Nous allons les dire. On peut voir dans ce livre, car les jeunes gĂ©nĂ©rations ne le savent pas et lâancienne lâa oubliĂ©, deux prĂ©jugĂ©s qui rongeaient le sein de la sociĂ©tĂ© française en 1830 ; lâun Ă©tait une haine fanatique contre la religion, ou du moins contre ses pompes, ses rites et ses ministres; lâautre, une inimitiĂ© ardente et acharnĂ©e contre toute la partie Ă©levĂ©e de la sociĂ©tĂ©, sous la foule de noms que lâesprit de pactisait inventer. Ces deux sentiments auraient rendu la rĂ©volution de 1830 terrible, si un pouvoir modĂ©rateur ne fĂ»t intervenu aussitĂŽt; car elle aurait su partout oĂč adresser ses fureurs. Tant que ces deux passions insensĂ©es existaient, reconstruire nâĂ©tait pas en la puissaneedes Français. Elles n'existent plus lâĂšre qui vient de finir les a Ă la lente action dâun gouvernement rĂ©parateur et Ă celle de lâesprit public rendu Ă lui-mĂȘme, le sentiment religieux a repris sou empire parmi nous. Cette justice est due Ă la rĂ©vo lution de fĂ©vrier, quelle a abjurĂ©, parmi toutes ses rĂ©miniscences, lâimpiĂ©tĂ©. A la diffĂ©rence des exigences opiniĂątres de 1830, elle nâa pas eu dâĂ©lans quâelle nâait appelĂ© la religion Ă les bĂ©nir; elle nâa pas eu de fĂȘtes que Dieu et ses ministres nâv soient intervenus. Elle a montrĂ© dĂ©jĂ Ă nos places publiques , plus souvent que la restauration mĂȘme en quinze annĂ©es, le prĂȘtre sâinterposant entre Dieu et les hommes pour faire descendre PliEFaCE. XI ici-bas la bĂ©nĂ©diction el taire monter lĂ -liant la priĂšre. Des preuves, encore plus rnarcpiĂ©es peut-ĂȘtre, de l'autoritĂ© quâont reprise les choses de la religion , se sont succĂ©dĂ© dans la conduite des affaires et ont frappĂ© tous les yeux. En condamnant la royautĂ© de la terre, lâesprit rĂ©volutionnaire, Ă©pouvantĂ© de son Ćuvre et de lui-mĂȘme,a semblĂ© cette fois sâincliner du moins devant la royautĂ© du ciel. En mĂȘme temps a Ă©clatĂ© un rapprochement marquĂ© entre les classes diverses et les divers partis. Il sâest trouvĂ© cpie les grandes animositĂ©s de 181 Ă et de 1830 sâĂ©taient Ă©vanouies; la rĂ©volution, dans ses colĂšres, a Ă©tĂ© obligĂ©e de sâattaquer Ă la bourgeoisie , obstacle Ă la fois si indĂ©terminĂ© et si vaste quâelle devait sây amortir et sâv briser. Dans ce pĂ©ril commun, les membres trop longtemps dĂ©sunis de lâopinion monarchique, ceux qui sâéßaient lepluscombattus,ontpu se saisir ensemble du timon, sâasseoir au mĂȘme banc de manĆuvre, sâassocier au mĂȘme effort. Sous ces auspices salutaires, le peuple, appelĂ© par le suffrage universel Ă dire son mot sur cette crise incomparable dâune nation qui se trouve Ă son rĂ©veil sans gouvernement, sans institutions, sans lois, parce pie quelques hommes ont dĂ©clarĂ© tout cela mis au nĂ©ant, le peuple a donnĂ© le plus Ă©trange et le plus Ă©clatant des dĂ©mentis Ă toutes les pages du Contrai social, Ă toutes les doctrines de la philosophie rĂ©volutionnaire, par le premier usage quâil a fait des armes quâon y avait trouvĂ©es pour lui; car il a dĂ©clarĂ© et la puissance des noms et les prĂ©rogatives de la naissance et lâautoritĂ© desgloires hĂ©rĂ©ditaires, les plus intimes iuspi- XII phiĂŻFack. rations de lame humaine dans ses Ă©lans naturels et libres, les plus sĂ»rs refuses de lâordre social dans ses naufrages. G Ă©tait la premiĂšre fois, depuis soixante ans, que la France proclamait ces maximes. Câest que, pour la premiĂšre fois aussi, on a vu toutes les classes de la sociĂ©tĂ© enfin ralliĂ©es, tous les partis de lâĂtat comme toutes les rĂ©gions du territoire sâentendre, et par cela mĂȘme avoir complĂštement voix au chapitre, intervenir avec autoritĂ©, opposer enfin la volontĂ© de la France aux dĂ©cisions, jusquâici souveraines et absolues, de la mĂ©tropole des rĂ©volutions du monde. Un autre rĂ©sultat, plus considĂ©rable peut-ĂȘtre, a Ă©tĂ© acquis car il a eu sur ceux quâon vient de dire une influence incontestable et immense ; il peut en avoir une immense sur nos destinĂ©es futures. Une volontĂ©, qui fut invariable et tutĂ©laire, a semblĂ© survivre Ă sa propre puissance, pour imposer encore au monde la poursuite des transactions pacifiques, lerespect des traitĂ©s, la religion du droit des gens, la rĂ©pudiation de lâintervention des armes dans les questions qui soulĂšvent les nations. A cette Europe de 1830, si fortement unie, si puissamment armĂ©e; Ă cette France frĂ©missante dâalors qui ne respirait que vengeances nationales, reprĂ©sailles glorieuses, reprise des frontiĂšres naturelles, et qui reoherchaitsurtout dans le renversement des trĂŽnes le renversement des traitĂ©s, dans les rĂ©volutions, la guerre et la conquĂȘte, le temps, ce grand maĂźtre quand il tst bien dirigĂ©, a substituĂ© une Europe qui sâagite, ou contemple et attend; et, ce qui vaut mieux, une Fârance dont le bon sens, averti par tant de catastrophes et de l'iiliEACK. XIII douleurs, sâest appropriĂ© la politique contre laquelle les jiassions avaient si longtemps luttĂ© elle lâimpose Ă ses gouvernants les plus tĂ©mĂ©raires, Ă©tonnĂ©s de leur subite sagesse. Elle ne professe dâautre ambition que le repos, elle ne craint quâelle-mĂȘme, elle nâa maintenu debout dans ses bouleversements dâautre loi que la loi des nations. Tranquille ainsi au dehors, et dĂšs lors plus tranquille au dedans, elle nâest poussĂ©e hors de ses voies par aucune colĂšre; elle nâest prĂ©cipitĂ©e vers les dĂ©noĂ»- ments nĂ©cessaires par aucune apprĂ©hension. Par lĂ est obtenu ce grand bienfait, que la nation ne sent aucune pression peser sur elle il suffira quâelle sache et veuille. Dieu lui laisse le champ ouvert. Il prend soin dâĂ©carter de nos pensĂ©es, pour la facilitĂ© et lâindĂ©pendance de nos solutions , la main de lâĂ©tranger. De cette situation imposante et nouvelle il est arrivĂ©, par un Ă©trange et heureux contraste, quâalors mĂȘme que le gouvernement descendait aux plus bas fonds des factions anarchiques, la sociĂ©tĂ© se relevait, dâune façon inespĂ©rĂ©e qui a surpris le monde et qui la surprend elle-mĂȘme. Aujourdâhui , on peut se demander si cette rĂ©volution derniĂšre , qui semblait dĂ©chaĂźnĂ©e pour nous prĂ©cipiter dans toutes les subversions, ne nous aura pas fait toucher un moment le fond de lâabĂźme, pour marquer le dernier terme de nos entraĂźnements, le dernier aussi des vindictes du ciel! Lâordre, lâordre vrai, celui qui sâappuie Ă la loi divine et aux grands intĂ©rĂȘts humains, a survĂ©cu par ses seules forces, par celles quâun rĂ©gime de paix, de justice et de sĂ©curitĂ© lui avait rendues en XIV I'HĂFACE. dĂ©pit de tous les envahissements des idĂ©es subversives; lâordre, disons-nous, a surnagĂ©, il remonte ses pentes fatales au milieu du plus grand dĂ©sordre social qui se soit vu jamais chez un peuple. Quel que doive ĂȘtre lâavenir, ce sont lĂ des biens rĂ©els; ce sont aussi des prĂ©sages favorables. On a besoin dây attacher sa pensĂ©e pour discerner les voies de la Providence et y marcher dâun pas assurĂ©. Ces biens ont eu pour principe, et doivent avoir de plus en plus pour consĂ©quence, le besoin dâunion qui sâest fait jour enfin parmi nous. CâĂ©tait, dĂšs 1830,1a pensĂ©e fondamentale du livre des Vingt Mois, pensĂ©e alors solitaire et devenue dĂ©sormais celle de tout le monde. Câest que ce livre fut Ă©crit avec le sentiment des pĂ©rils intimes et immenses qui menaçaient lâordre social. En voyant une royautĂ© battue aux deux cĂŽtĂ©s de son horizon des assauts contraires dâune opposition monarchique et dâuneopposition dynastique tout ensemble, divisĂ©e dans ce qui lui restait dâĂ©lĂ©ments dâaction, et en butte cependant au plus grand dĂ©chaĂźnement de toutes les libertĂ©s qui se fĂ»t vu dans le monde, tandis quâun travail tout Ă la fois souterrain et Ă ciel ouvert, incessant, impuni, insaisissable, minait la sociĂ©tĂ© mĂȘme de lâeffort de toutes les passions et de toutes les thĂ©ories subversives, nous ue pouvions penser que ce travail ne devĂźnt Ă la longue formidable. Le salut de lâavenir nous semblait attachĂ© Ă la formation dâun grand parti, dâune grande armĂ©e de lâordre Int., p. 29, ralliĂ©s Ă la mĂȘme foi et Ă la mĂȘme loi par le sentiment des dangers publics et des devoirs communs. Ce livre nâeut pas l'UKFACli. XV dâautre but, dâautre pensĂ©e que dâexposer devant les partis aux prises lâobligation et la nĂ©cessitĂ© de la concorde entre tout ce qui avait des doctrines et des intĂ©rĂȘts semblables. Câest la consolation de lâauteur de penser que, fidĂšle Ă ces vues, il nâa pas contribuĂ©, par un seul de ses actes dans ces dix-huit annĂ©es, Ă mettre des barriĂšres de plus entre les Français. Il avait vu les classes Ă©levĂ©esimpuissantesĂ soutenir seules la royautĂ© lĂ©gitime! Il prĂ©voyait, toutes les pages de ce livre lâattestent, pour les classes moyennes et la royautĂ© nouvelle, la mĂȘme fortune. En prĂ©sence dâun ennemi funeste, infatigable, il demandait lâaccord des principes et lâunion des forces. Ce miracle a passĂ© la puissance des institutions et de lâĂ©poque. LâĂ©poque et les institutions nâont pu que le prĂ©parer. Il fallait la main de la rĂ©volution pour l'accomplir. Cette main terrible est intervenue; elle a donnĂ© , elle a imposĂ© dâautoritĂ© la concorde. Malheur Ă qui ne travaillerait pas Ă conserver ce bienfait, Ă lâĂ©tendre , Ă lui faire porter tous ses fruits ! Nous bornons lĂ ce quâil nous convenait de dire, Ă cette place, sur la situation prĂ©sente du pays. Le vĆu que nous venons dâĂ©crire est le complĂ©ment naturel de notre sujet, le couronnement et en quelque sorte la moralitĂ© du tableau que nous tracions des pĂ©rils de lâĂ©tablissement de 1830 , il y a dix-huit ans, câest-Ă -dire au temps mĂȘme et au dĂ©but de ses prospĂ©ritĂ©s. Les pĂ©rils se sont rĂ©alisĂ©s. Ils ont Ă©clatĂ© comme la tempĂȘte qui emporte tout devant soi, en nous laissant Ă tous de grandes conclusions Ă mĂ©diter. Ces conclusions , XVI l'lire au. heureusement, sont de nature Ă rendre pins facile, Ă forcer en quelque sorte lâunion des Français. [/Ă©tablissement clu 9 aoĂ»t 1830 avait Ă©tĂ© instituĂ© dans un jour dâorage qui nâĂ©tait pas le fait de la nation ; câest lĂ sa gloire. Il avait Ă©tĂ© Ă©tabli pour rendre le repos Ă la France en conciliant lâordre avec la libertĂ©; il sâest employĂ© sans repos Ă cette grande mission. Il a prouvĂ© que le gĂ©nie des hommes, la libĂ©ralitĂ© des institutions et le bonheur des peuples ne suffisent pas Ă fonder un gouvernement sur des bases solides. Il a prouvĂ© encore que la sociĂ©tĂ© française, telle que lâont faite la rĂ©volution et le temps , nâest pas constituĂ©e de maniĂšre Ă supplĂ©er par elle mĂȘme aux Ă©lĂ©ments de force et de stabilitĂ© qui manquaient Ă son gouvernement. Il a prouvĂ© enfin que lâesprit français, que le caractĂšre, Je gĂ©nie national nâa pas en soi, avec tant de puissance pour crĂ©er et pour dĂ©truire, ce quâil fallait pour rĂ©sister par ses propres forces aux entraĂźnements de la libertĂ© dĂ©mocratique, et soutenir Ă lui seul la double faiblesse des institutions et de la sociĂ©tĂ©. Dâun autre cĂŽtĂ©, il a fait voir aussi, par les maux dĂ©chaĂźnĂ©s aprĂšs sa chute, par les pĂ©rils qui, aujourdâhui eut ore, font de lâavenir un sujet dâalarme pour toute Ăąme française, quels services rendaient ceux qui travaillĂšrent Ă faire vivre ce rĂ©gime si puissant, pensait-on, et en rĂ©alitĂ© si menacĂ©. Leurs efforts, longtemps heureux , ont produit ce retour rĂ©el Ă la foi, ce retour rĂ©el Ă la conciliation, ce retour enfin Ă quelques grands principes sociaux, que nous saluons de nos 1M1 EF ACE. XVH hommages. Ce sont les nncies Ăźle salut. Que ceux Ă Ces lignes, malheureusement trop prophĂ©tiques, Ă©taient Ă©crites trente mois avant la rĂ©volution de 1830. Ce quâon disait alors, on le rĂ©pĂšte aujourd'hui. Si alors quelquâun voyait des concessions dans ce langage conservateur et monarchique, quoique opposant, câĂ©tait une erreur! Nous ne faisons pas de concessions. Si ou lâacceptait comme de lâhabiletĂ©, on avait tort; nous ne sommes pas habile. Mais on nous crie que la France a marchĂ©; câest le mot dâordre de ce temps-ci. En effet, la rĂ©volution a marchĂ©, ou plutĂŽt couru, comme on fait quand on va sans rĂšgle et sans sagesse; mais nous xxiv PltUFACE. 11e saurions croire que les intĂ©rĂȘts generaux des peuples, non plus que les rĂšgles Ă©ternelles sur lesquelles roule ce monde, puissent changer dâun cĂŽtĂ© Ă lâautre dâune barricade. I est des esprits Ă©tranges qui ne comprennent pas que plus on sacrifia aux libertĂ©s publiques, plus on a la rougeur au front Ă lâaspect de tout ce qui les profane; plus aussi par cela mĂȘme on Ă©prouve le besoin de protester contre tout ce qui les fausse et les compromet. VoilĂ les motifs et les sentiments de l'Ă©crivain, puisquâon a voulu pĂ©nĂ©trer au delĂ du livre. CondamnĂ© Ă parler de nous contre notre usage, que ce mot nous soit permis nos contradicteurs seront bien habiles si, en interrogeant notre cĆur, ils trouvent que la politique l ait jamais Ă©mu pour dâautres intĂ©rĂȘts que la grandeur, la libertĂ© et lâhonneur de la France. VINGT MOIS LA RĂVOLUTION ET LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. INTRODUCTION. Ătal politique et social de la France. â Sujet de cet Ouvrage. DĂCEMBRE 1831 Cecy est un livre de bonne foy. » Montaigne. Cu livre est destinĂ© Ă Ă©tablir les vĂ©ritables principes de lâordre social, et Ă rappeler les conditions nĂ©cessaires dâun gouvernement libre. Nous avons foi aux bonnes maximes. Nous croyons au devoir de les professer, quels que soient les temps. Lâesprit de dĂ©sorganisation plane sur la France. Il a tout envahi, la politique et la littĂ©rature, les journaux et les théùtres, les rues et les pouvoirs. Il entraĂźne, il domine trop souvent les hommes P 2 INTRODUCTION. de bien qui luttent contre le torrent avec courage, et qui croient lui rĂ©sister avec succĂšs, parce que câest Ă reculons quâils descendent vers les abĂźmes ! On ne sait si lâĆuvre de la dĂ©molition par les lois fut poussĂ©e plus vivement, aux dĂ©buts de la premiĂšre RĂ©volution. RoyautĂ©, Charte, Chambres, collĂšges Ă©lectoraux, jury, municipalitĂ©s, conseils-gĂ©nĂ©raux, conseil dâEtat, gardes nationales, organisation militaire, administration, finances, rapports de lâĂtat et de lâĂglise, instruction publique , rĂ©gime colonial, Code pĂ©nal, Code civil la nomenclature Ă©pouvante ! , tout a Ă©tĂ© repris Ă la fois en sous-Ćuvre. Le tour de la pairie est venu. Ce dernier rempart de lâordre, ce dernier tronçon de la monarchie devait tomber en poussiĂšre. Lâavenir dira quâil fut un temps et un pays , oĂč lâenfant qui comptait dix-huit mois Ă peine Ă©tait plus vieux que lâĂ©difice entier des institutions de la patrie ! Encore, le gouvernement nouveau nâest-il pas achevĂ©, que dĂ©jĂ les entrepreneurs de destruction brandissent de nouveau la hache et la torche. Il leur faut table rase une seconde fois. A lâexemple de la rĂ©volution de 1789 qui ne tarda pas Ă voir surgir dans son sein une seconde gĂ©nĂ©ration de rĂ©formateurs auxquels la Constitution de 91 ne pouvait suffire, la rĂ©volution de 1830 est dĂ©sormais aux prises avec un arriĂšre-ban rĂ©volutionnaire impatient de se remettre Ă lâĆuvre. Ce nâest plus seulement lâĂ©tat politique tout entier, INTRODUCTION. 3 câest lâĂ©tat social mĂȘme que ceux-lĂ sapent dans les fondements. Il ne reste debout parmi nous quâun trĂŽne qui sâĂ©lĂšve sans Ă©tais, et la propriĂ©tĂ© qui demeure sans boulevards. Us veulent balayer le trĂŽne, dĂ©truire la propriĂ©tĂ©. Elle est la royautĂ© domestique, la pairie Ă©ternelle quâils entendent abattre. Pourquoi non ? Quelle est la puissance qui a commandĂ© lâabandon de la pairie ? Le pouvoir, par lâorgane de M. Casimir PĂ©rier, sâest chargĂ© de rĂ©pondre. Câest au prĂ©jugĂ©, Ă la passion populaires , Ă Xivresse dĂ©magogique , Ă la haine aveugle de toutes les supĂ©rioritĂ©s , a-t-il dit hardiment, quâaura Ă©tĂ© fait cet immense holocauste ! Eh bien ! quâon le sache une nation, dont les lĂ©gislateurs auraient reçu dâelle en effet le mandat de sacrifier sur de semblables autels, cette nation se serait dĂ©clarĂ©e, Ă la face du monde, ignorante encore et incapable de la libertĂ©. Un pays, au sein duquel le dĂ©sordre marche ainsi officiellement le front levĂ© et la sape Ă la main, ce pays malheureux nâa pas rĂ©glĂ© tous ses comptes avec la colĂšre du ciel. Or, ceci Ă©tait la grande bataille de la politique rĂ©volutionnaire. Elle lâa gagnĂ©e ! Ce nâest plus par nos institutions que nous pouvons ĂȘtre dĂ©fendus contre les entreprises de la faction anarchique, et contre ses folies. A dater de ce jour, le bon sens public est notre seule sauvegarde. Quâil fĂźt dĂ©faut un jour, tout croulerait. Il faut dĂ©sormais, dans toute la suite des temps, quâĂ chaque soleil INTRODUCTION. 4 qui se lĂšvera, la raison et la conscience nationales restituent, par leur assistance, Ă lâordre dĂ©sarmĂ© la force que, chez les sociĂ©tĂ©s bien faites, il doit trouver dans les pouvoirs et dans les lois. Tous les principes sont donc intervertis parmi nous. Car câest prĂ©cisĂ©ment pour supplĂ©er aux dĂ©faillances de la conscience et de la raison mobiles des peuples, quâil y a des lois parmi les hommes. Il faut le dire Ă la France vainement lâordre attaquĂ©, battu en brĂšche de toutes parts, gagne- ra-t-il dans les rues des batailles par les armes, sâil doit continuer Ă les reperdre, sâil les a reperdues Ă lâavance irrĂ©parablement, dans les institutions. Un jour, Mirabeau sâĂ©cria Silence aux Trente ! Les Trente se turent. Le commandement du prince de la tribune Ă©tait si bien lâexpression de la pensĂ©e nationale, quâon le vit dâabord obĂ©i de ces Trente, inconnus et dĂ©daignĂ©s, Ă la tĂȘte desquels figurait obscurĂ©ment, avec une certaine renommĂ©e de philanthropie et de vertu , un orateur mĂ©diocre qui sâappelait Robespierre. Un jour devait venir oĂč ces Trente, quâon mĂ©prisait, rempliraient les assemblĂ©es, les tribunaux, les pouvoirs, les armĂ©es, et seraient toute la France. Sur le penchant de cet abĂźme, le gĂ©nĂ©ral La- fayette sembla un moment arrĂȘter le cours de la rĂ©volution, comme il travaille aujourdâhui Ă la prĂ©cipiter. On le vit courageusement mitrailler les Ă©meutes rĂ©publicaines dans le Chainp-de-Mars. Au INTRODUCTION. 5 spectacle de ce combat livrĂ© pour la cause de la monarchie et pourle triomphe delĂ Constitution, la France respira elle se crut sauvĂ©e. Les espĂ©rances et les travaux se ranimĂšrent ; lâavenir sourit Ă toutes les imaginations; tous les rĂȘves de 1789, rĂȘves de paix, de concorde, de libertĂ©, rentrĂšrent dans les cĆurs ; on crut Ă un avenir immense dâordre et de prospĂ©ritĂ©. Au bout d'une halte pacifique, apparurent le 10 aoĂ»t et le G septembre, le papier-monnaie et lâanarchie, la banqueroute et la terreur ! DâoĂč vint ce changement ? Le voici. Les cahiers des Etats-GĂ©nĂ©raux, en 1789, attestent que la France voulait uniquement la monarchie constitutionnelle ; admirable, mais difficile systĂšme, qui rĂ©sout seul pour les grands empires le problĂšme dâunir la libertĂ© Ă lâordre et Ă la puissance. Cependant la volontĂ© publique fut intervertie et violentĂ©e par le plus grand, par le plus effroyable des mensonges. Câest que Mirabeau, câest que le gĂ©nĂ©ral Lafayette, câest que lâAssemblĂ©e constituante avaient fait passer dans les lois les vĆux des Trente et leurs doctrines. Les Trente rĂ©gnĂšrent. Ce nâest pas en effet la volontĂ© des peuples qui fait leurs destinĂ©es ce sont leurs institutions, ce sont les principes sur lesquels ils les ont fondĂ©es. Quand câest prĂ©cisĂ©ment lĂ que le mal rĂ©side, quand il a pĂ©nĂ©trĂ© ainsi dans les boulevards créés pour dĂ©fendre la sociĂ©tĂ© de ses atteintes, nulle 6 INTRODUCTION. force ne peut plus prĂ©valoir contre lui. Un peu plus tĂŽt, un peu plus tard, toutes les tentatives, toutes les luttes ont, Ă un jour donnĂ©, une issue fatale. Câest Ă©crit. De 1789 Ă 1792, trois ans avaient passĂ© dans la perpĂ©tuelle illusion des gens de bien, qui faisaient faire chaque jour Ă la monarchie constitutionnelle un pas de plus vers la rĂ©publique et la dĂ©magogie, sans vouloir ni de la dĂ©magogie, ni de la rĂ©publique. Ce systĂšme fit ses ravages nĂ©cessaires. La dissolution politique et sociale alla croissant. BientĂŽt les factions elles-mĂȘmes tremblĂšrent de lâavenir quâelles commençaient Ă voir ouvert devant elles. Les Girondins nâĂ©taient pas encore maĂźtres pleinement de la France, et ils sâeffrayaient dĂ©jĂ de trouver des maĂźtres, Ă leur tour, dans les furieux qui les dĂ©bordaient. Un jour lâĂ©vĂȘque Lamourette monte Ă la tribune. Il expose que ce qui fait tout le mal de la patrie, ce sont les dissensions civiles ; câest le vĆu des uns pour lâĂ©tablissement des deux chambres, lâinclination des autres pour lâabolition de la royautĂ©. Il dĂ©montre que si chacun renonçait Ă sa chimĂšre, câen serait fait de toutes les discordes , et que lâon aurait lâĂąge dâor. Il propose, en consĂ©quence, de dĂ©crĂ©ter lâanathĂšme, Ă lâunanimitĂ©, contre la rĂ©publique Ă la fois et contre le systĂšme des deux chambres. CâĂ©tait lâidĂ©al du juste-milieu. La proposition, faite avec onction, est accueillie INTRODUCTION. H avec enthousiasme. Le cĂŽtĂ© droit et le cĂŽtĂ© gauche, les Girondins et les Feuillants se jettent dans les bras les uns des autres, en mĂȘlant des pleurs de tendresse et de joie. On dĂ©crĂšte que lâacte de rĂ©conciliation sera envoyĂ© aux quatre-vingt-trois dĂ©partements du royaume. Louis, en apprenant ces fortunĂ©s transports, accourt avec la reine, pour consacrer le pacte dâalliance entre tous les enfants de la grande famille. Le cri de vive le roi! jaillit de tous les coeurs, comme aux plus beaux jours de la monarchie toute la France le rĂ©pĂ©ta. Et, prĂ©cisĂ©ment un mois aprĂšs, le plus bienveillant des rois, la plus noble des reines et des femmes , tombaient du palais de leurs ancĂȘtres dans un cachot, dâoĂč le couple auguste ne devait sortir que par un attentat plus grand ! Pourquoi ce rapide retour? Parce que lâAssemblĂ©e , dans son dĂ©cret de rĂ©conciliation, et la France, dans son allĂ©gresse, nâavaient oubliĂ© quâune chose, câest quâil nâĂ©tait pas au pouvoir des hommes de repousser Ă la fois et la rĂ©publique et les deux chambres. Des deux systĂšmes, dĂ©nier lâun, câĂ©tait de toute nĂ©cessitĂ© se vouer Ă lâautre. On ne vit pas quâil fallait choisir. La Providence chĂątia lâaveuglement de nos pĂšres en choisissant pour eux. La Constitution de 91, cette Constitution caduque en naissant, nâa point pĂ©ri seulement, comme on le suppose dâordinaire, par un Ă©qui- 8 INTRODUCTION. libre imparfait des pouvoirs, par une dĂ©limitation mauvaise de la prĂ©rogative, par lâimpuissance enfin de la royautĂ©, toutes choses qui auraient pu en effet tuer la royautĂ© la plus populaire, la plus bienveillante, la plus habile. Non ! Plus profond Ă©tait le mal. Le vice ne rĂ©sidait pas uniquement Ă la tĂȘte de lâEtat ; il Ă©tait aussi dans les entrailles de la sociĂ©tĂ©, il Ă©tait dans lâesprit qui avait dictĂ© les lois de toute cette dĂ©mocratie royale. La vieille couronne dâAngleterre, Ă tout prendre, ne sâenorgueillit pas de beaucoup plus de fleurons que la couronne remaniĂ©e de Louis XVI, roi des Français. Mais la couronne dâAngleterre possĂšde, dans lâĂ©tat social des Anglais, des boulevards puissants, et la nĂŽtre nâen trouvait nulle part. Une royautĂ©, qui nâavait point de garanties, reposa sur une sociĂ©tĂ© qui nâen avait plus elle-mĂȘme, qui allait ĂȘtre aussi mobile que les sables dâAfrique, aussi friable sous le souffle des ouragans. La rĂ©volution, qui fonda cette sociĂ©tĂ© orageuse, eut le tort de lâasseoir sur des principes subversifs. Elle appela les masses, non Ă lâĂ©galitĂ©, mais Ă la suprĂ©matie ; non Ă la libertĂ©, mais Ă la domination. Câest par lĂ que lâĂ©difice sâĂ©croula. Nul moyen ne sâoffrait dĂšs lors pour donner Ă cette domination terrible ni contre-poids, ni barriĂšre. CâĂ©tait vouloir un torrent sans digues, un ocĂ©an sans rivages. Par une loi de sa nature, il devait ĂȘtre furieux, indomptable, destructeur, INTRODUCTION. g et en mĂȘme ternes changeant, fantasque, inhabile Ă rien laisser debout, hormis tout au plus les Ă©chafauds. Aussi, la royautĂ© et lâillustration, le talent et la vertu vinrent-ils expier lĂ leur long rĂšgne, jusquâĂ ce quâenfin le peuple, fatiguĂ© de lui- mĂȘme et dĂ©senchantĂ© de son ivresse fatale, abdiquĂąt sa fausse et funeste souverainetĂ© aux mains dâun grand homme. Tel il a Ă©tĂ©, tel il sera toujours mĂȘmes vices , mĂȘmes flĂ©aux, mĂȘmes chĂątiments. De tous les spectacles de cette triste Ă©poque, je ne sais lequel est le plus douloureux, de ses crimes ou de ses faiblesses. M. rie Serre avait raison de le dire Toujours la majoritĂ© fut saine ! » Saine dâesprit, mais faible de cĆur, et câest ce qui perdit tout. Sauf lâAssemblĂ©e constituante, oĂč les esprits Ă©taient fascinĂ©s, oĂč rĂ©gnaient un Ă©blouissement universel et une sorte de sublime dĂ©lire, toutes les lĂ©gislatures firent le mal, comme les nĂŽtres, Ă contre-cĆur, mais Ă bon escient. Lâabolition de la monarchie fut une concession de la LĂ©gislative. La tĂȘte de Louis XVI fut une concession de la Convention. Mais la Gironde, dans la LĂ©gislative, en livrant la monarchie, croyait sauver lâordre, incapable quâelle Ă©tait, avec tout son gĂ©nie, de comprendre que lâordre nâĂ©tait dĂ©jĂ plus, et lâombre qui en restait sâĂ©vanouit en effet avec la royautĂ©. Mais la Gironde et la Plaine unies, dans la Convention, en livrant Louis aux bourreaux, croyaient IO INTRODUCTION. rassasier avec ce noble sang la furie populaire ; et il fallut quâelles donnassent le leur, puis, avec le leur , celui de la France. Câest que la justice divine a une maniĂšre sĂ»re et facile de punir les exigences, les passions, les faiblesses subversives elle laisse les pouvoirs qui servent dâinstrument Ă ces flĂ©aux, sâenfoncer dans leurs voies fatales. Ils vont alors, sans sâinquiĂ©ter de la carriĂšre quâils ont dĂ©jĂ fournie, nâattacliant dâimportance quâau pas quâils sâapprĂȘtent Ă faire, comptant toujours que celui-lĂ sera le dernier, et disant Ă leur raison qui sâĂ©pouvante, comme Louis XI Ă sa vierge de plomb Encore un ! » Mais le poids des fautes commises vous pousse, vous entraĂźne, et on pĂ©rit Ă©crasĂ© sous ce rocher de Sysyphe. Nous savons lâĂ©ternelle rĂ©ponse. On nous crie que la rĂ©volution de 1830 ne ressemblera pas Ă la rĂ©volution de 1791, que le volcan est Ă©teint. Mais câest prĂ©cisĂ©ment la question qui est posĂ©e; et nous accepterons toutes les espĂ©rances, si vous nâĂštes pas aussi tĂ©mĂ©raires que vos devanciers, aussi prompts Ă dĂ©truire, aussi disposĂ©s Ă cĂ©der aux fantaisies populaires, câest-Ă -dire Ă la volontĂ© des tribuns qui sây appuyent ou sâen prĂ©valent. Mais il sera trop permis de craindre quâun peuple puisse, deux fois en quarante ans, fournir la mĂȘme carriĂšre de fautes et de malheurs, quand vous, qui parlez, vous recommencez toutes les fautes de vos INTRODUCTION. I 1 pĂšres. On sera bien forcĂ© de dire que la rĂ©volution de 1830, courra, tĂŽt ou tard, aux mĂȘmes dĂ©sastres que son aĂźnĂ©e, si la France lance son char sur le penchant des mĂȘmes prĂ©cipices. La marche sera plus ou moins lente, selon quâon aura laissĂ© subsister plus ou moins de points dâarrĂȘts ; mais elle sera Ă©galement inĂ©vitable. On arrivera Ă©galement au terme fatal. Partout et toujours, lâesprit de 91 portera les mĂȘmes fruits. Au ciel, il enfanterait lâanarchie, comme sur la terre. Quand on nâentend pas marcher Ă un abĂźme, il ne faut pas prendre le chemin qui y mĂšne. Quand on condamne un principe, il faut avoir le courage de repousser les prĂ©misses, sous peine de voir et la logique inexorable des partis, et la logique austĂšre de la fortune dĂ©duire toutes les consĂ©quences. Autrement, ce serait planter un arbre en ne voulant pas de ses fruits ; ce serait bĂątir sur le cratĂšre fumant, avec la prĂ©tention de dormir en paix. Nous le croyons fermement. AprĂšs un demi- siĂšcle de rĂ©volutions, la France aujourdâhui nâaspire Ă rien de plus, Ă rien de moins quâau dĂ©but de cette Ăšre dâessais et de mĂ©comptes. Tout a changĂ© sans cesse parmi nous, hormis la volontĂ© nationale, restĂ©e immuable sous les ruines de tout ce qui y a Ă©tĂ© substituĂ© par les factions. Cependant, une fois encore, la France se laisse, Ă son insu, entraĂźner loin du but. Quelque jour, elle 12 INTRODUCTION. sâĂ©tonnera de voir quâil a fui loin dâelle, parce quâelle va Ă la dĂ©rive sans se rendre compte du chemin quâelle parcourt. Il faudrait, aux peuples emportĂ©s par les rĂ©actions, quâon pĂ»t dresser de ces colonnes, oĂč , dans les pays de montagnes et de prĂ©cipices, on marque, pour lâinstruction et le salut des voyageurs, le passage des avalanches ou le progrĂšs des flots. Câest la tĂąche Ă laquelle nous nous dĂ©vouons. Ce livre nâa pas dâautre but. Quâon nous permette de le dire. Il nous appartenait dâentreprendre cette mission. La monarchie reprĂ©sentative, avec toutes ses conditions dâordre et de libertĂ© , a Ă©tĂ© la passion, le travail, lâĂ©tude de notre vie. Elle sâoffrit Ă nos regards quand tout ce rĂ©gime de gloire, premiĂšre illusion de quiconque Ă©tait jeune alors et portait un cĆur français, venait de sâĂ©crouler sous le poids de lâEurope soulevĂ©e. En fuyant, de victoire en victoire, devant les peuples qui poursuivaient les armĂ©es de la France au cri de libertĂ©, en entendant ce cri rĂ©pĂ©tĂ© par les villes et les hameaux Ă mesure que les aigles attristĂ©es repliaient leur vol, comment ne pas comprendre quâil existait quelque chose de plus grand que la force, mĂȘme rehaussĂ©e par le gĂ©nie et parĂ©e par la victoire ? CâĂ©tait le droit, câĂ©tait la libertĂ©. Ces deux grandes choses reparurent ensemble. La royautĂ© antique frappait Ă la porte de nos citĂ©s dĂ©solĂ©es, en criant Ouvrez ! câest la fortune de la France. La LibertĂ© se rĂ©veilla pour ou- INTRODUCTION. l3 vrir elles se donnĂšrent la main. CâĂ©tait le droit sous toutes ses formes, avec tous ses prestiges, et toute sa puissance. La libertĂ© se montrait liĂ©e Ă tous les souvenirs de la patrie, pure des crimes qui avaient profanĂ© son nom, dĂ©fendue par sa Constitution monarchique contre tout entraĂźnement Ă des excĂšs nouveaux, fĂ©conde cependant et en biens sans nombre, et en progrĂšs sans terme. Sâil fallait acheter, au prix de combats opiniĂątres, le dĂ©veloppement des institutions promises, comment ne pas aimer ces combats oĂč se dĂ©ployait le gĂ©nie dâun grand peuple, oĂč tous les talents marchaient Ă la tĂšte des camps divers, oĂč chaque assaut affermissait les franchises de la patrie ; combats gĂ©nĂ©reux qui, ajant une arĂšne fixĂ©e par les lois, et venant se conclure nĂ©cessairement au pied dâun trĂŽne respectĂ©, ne nous laissaient jamais craindre lâintervention de lâanarchie, et nâadmettaient, la violence ni comme ennemie, ni comme alliĂ©e ! Câest ce que lâorateur romain appelle Gertamen honestum et disputatio splendida. Que la France garde, de ces jours de luttes glorieuses et de discussions magnifiques, bonne mĂ©moire! Ils lui ont appris tout ce quâelle sait de libertĂ©. Maintenant quâils sont loin de nous, on aime Ă proclamer les biens quâils ont versĂ©s sur la France, surtout aprĂšs leur avoir tant demandĂ© dâen verser davantage encore, afin quâils fussent Ă©ternels. Ce sont les plus calmes, les plus prospĂšres, et les plus libres que la France, jusquâĂ ce jour, ait comptĂ©s ! INTRODUCTION. l4 Au terme de cette carriĂšre close par un abĂźme, il est deux choses dont nous sommes heureux, câest de nâavoir dĂ©sertĂ© jamais, ni les droits, ni les devoirs de la libertĂ© constitutionnelle. Depuis la douloureuse Ă©poque de lâoccupation Ă©trangĂšre, on ne citera point une faute de la restauration que nous ayons laissĂ© passer sans la combattre; et, certes, il nây avait Ă cela nul mĂ©rite; Il est des natures malheureuses qui sont facilement en contrariĂ©tĂ© avec la fortune. Quand on voit une opinion victorieuse, quel que soit son nom, mĂ©connaĂźtre ce quâon croit la justice et la sagesse, on court Ă leur aide sans rĂ©flexion et malgrĂ© soi-mĂȘme, comme si on voyait un ami se dĂ©battant dans les flots et emportĂ© par le courant. Mais aussi nous sommes-nous abstenus, dans une longue opposition, de toute alliance et de toute doctrine quâil aurait fallu dĂ©savouer un jour en approchant du pouvoir. Ce fut dans le feu mĂȘme de la polĂ©mique la plus animĂ©e, et en prĂ©voyance de retours inĂ©vitables, que fut tracĂ©e lâhistoire de la Pologne, pour frapper le public français des exemples terribles de cette malheureuse nation, qui, se relevant dix fois avec courage sous les coups de la Providence, a pĂ©ri, parce que le corps Ă©lectoral, sorte de bourgeoisie guerriĂšre sous le nom dâordre Ă©questre, crut ĂȘtre plus libre en gouvernant sans partage, et assurer mieux son Ă©galitĂ© jalouse en dĂ©niant aux deux autres pou- INTRODUCTION. i5 voirs la prĂ©rogative tutĂ©laire de lâhĂ©rĂ©ditĂ© ! Le » moment, disait la PrĂ©face1, peut paraĂźtre » mal choisi pour signaler les pĂ©rils de la libertĂ© » et de lâĂ©galitĂ© extrĂȘmes. Mais quand on a devant » soi une montagne, on doit songer quâon aura » bientĂŽt Ă descendre. » CâĂ©tait le temps oĂč nous Ă©crivions dans un journal cĂ©lĂšbre En visitant » naguĂšre, Ă Edimbourg , dans le sombre manoir » dâHoly-Rood, toutes fleurdelysĂ©es encore et » toutes prĂ©parĂ©es, les salles oĂč S. A. R. Mon- » sieur, comte dâArtois , aujourdâhui S. M. Cliar- » les X, tenait les levers de lâexil, une doulou- » reuse sensation nous a saisis... Mais non ! les » Bourbons proscrits auront trouvĂ© des conseils » de modĂ©ration et de sagesse sur la couche des » Stuarts 2 ! » Et Holy-Rood a retrouvĂ© ses hĂŽtes augustes ! Les Bourbons , ce qui ne sâĂ©tait pas vu encore , sont tombĂ©s du trĂŽne le lendemain et dans lâĂ©blouissement dâune victoire. Ils sont lombĂ©s du premier trĂŽne de lâunivers, aprĂšs lâavoir relevĂ© par les lois, honorĂ© par les sciences et les lettres, agrandi par les armes. Ils trouvĂšrent la France Ă©puisĂ©e dâargent, dâhommes, de courage ils lâont laissĂ©e populeuse, prospĂšre, passionnĂ©e pour 1 Histoire de Pologne, avant et sous le roi Jean Sobieski. PremiĂšre Ă©dition. â Paris , 4 827. 2 Les DĂ©bats 182G. i6 INTRODUCTION. toutes les entreprises et prĂȘte pour toutes les gloires. Nos finances Ă©taient anĂ©anties ils ont laissĂ© le trĂ©sor le plus riche et le crĂ©dit le plus haut du continent. Les mers avaient oubliĂ© notre pavillon ; ni le commerce , ni la guerre ne le leur montraient plus depuis vingt ans ils ont laissĂ© une marine puissante et victorieuse qui couvrit de ses voiles tous les ocĂ©ans, humilia Rio-Janeiro, emporta Cadix, illustra Navarin. En un mot, quand ils parurent, lâEurope tenait captifs Paris et nos provinces, lâEurope amenĂ©e au cĆur de la France par lâĂ©toile fatale de lâesprit de conquĂȘte ! ils ont laissĂ© la France redoutable Ă lâunivers, libĂ©ratrice en Orient, conquĂ©rante en afrique, portant ses frontiĂšres jusquâaux pieds de lâAtlas, et embrassant dĂ©sormais les deux rives de la MĂ©diterranĂ©e dans son domaine !... Cependant, ils sont tombĂ©s ! Innocent de leur chute, nous prions le ciel quâune catastrophe si grande et si haute ne soit pas, du moins comme une leçon terrible, perdue pour notre pays. Puisse- t-elle enseigner quâil y a pour tous les pouvoirs des conditions vitales quâaucuns dâeux ne peuvent mĂ©connaĂźtre impunĂ©ment, quelque soit leur titre ou quelle que semble leur puissance ! Les partis, dans leurs triomphes et quelquefois mĂȘme dans leurs adversitĂ©s, ne savent quâobĂ©ir Ă dâaveugles instincts. Une voix fatale leur crie toujours Marche ! marche ! Puis vient le jour oĂč la mesure INTRODUCTION. '7 de la bontĂ© du ciel est comblĂ©e, et tout Ă coup la terre manque sous leurs pas ! Ces choses, nous les avons dites cent fois Ă la monarchie qui a passĂ© sans les entendre. Nous les redisons Ă la libertĂ© serons-nous mieux entendu? La restauration ne se rendait pas compte quâellĂ© portait dans son sein un ennemi public contre les envahissements duquel elle devait de perpĂ©tuelles sĂ»retĂ©s Ă la France. Cet ennemi Ă©tait lâesprit contre, rĂ©volutionnaire, câest-Ă -dire le penchant Ă dĂ©duire sans rĂ©serve toutes les consĂ©quences extrĂȘmes du principe de la lĂ©gitimitĂ©; lâempressement Ă renverser, au profit des intĂ©rĂȘts anciens, lâĂ©tat social et politique, créé par la rĂ©volution et consacrĂ© par le temps, par la Charte, par mille serments. CâĂ©tait le cancer qui la rongeait. On le lui a criĂ© quinze ans, et il lâa dĂ©vorĂ©e. La royautĂ© nouvelle nourrit dans ses flancs un autre flĂ©au câest lâesprit rĂ©volutionnaire , Ă©voquĂ© du chaos sanglant de notre premiĂšre anarchie au bruit de la rapide victoire des masses sur la royautĂ©. Cet esprit funeste pĂšse sur les destins de la France de 1830 comme son mauvais ange. Nous Ă©crivons pour signaler toutes ses Ćuvres câest prendre lâengagement de combattre Ă peu prĂšs tous les actes du parti dominant et toutes ses doctrines. La contre-rĂ©volution ne semblait redoutable que grĂące Ă dâinĂ©vitables intelligences avec la 2 18 INTRODUCTION. royautĂ©, qui encourageait involontairement les plans de rĂ©action par son indulgence, et qui, tout en leur refusant longtemps ses armes, leur prĂȘta trop souvent son manteau. Lâesprit rĂ©volutionnaire, de son cĂŽtĂ©, a une alliĂ©e puissante, qui fait sa force par sa propre force, et lui donne lâautoritĂ© dâune sorte de droit par son propre droit. Cette alliĂ©e, câest la dĂ©mocratie qui rĂšgne sur la France en despote , câest-Ă -dire sans modĂ©ration , sans sagesse, et ne sâapercevant pas quâelle rĂšgne au profit de lâesprit de dĂ©sordre , qui la flatte et la caresse pour mieux la dominer. Il est temps de lui parler un sincĂšre langage, de rappeler enfin des principes vieux comme le monde, qui nâont jamais Ă©tĂ© violĂ©s impunĂ©ment par les nations, et qui disparaissent successivement du milieu de nous, Ă©touffĂ©s sous le poids dâinstincts grossiers, de passions tĂ©mĂ©raires, de concessions pusillanimes, de lois subservives. Les choses en sont venues Ă ce point quâil faut du courage pour exposer , pour dĂ©fendre ces principes sacrĂ©s ; et cependant il y va de toutes les fins de lâĂ©tat social, du progrĂšs vĂ©ritable des nations, de la dignitĂ© rĂ©elle de la nature humaine, de la libertĂ© enfin ; car cette libertĂ©, dont le nom brille au frontispice de tous nos monuments, Ă la porte de toutes nos citĂ©s, Ă la flamme de tous nos drapeaux, ne sera quâun Ă©clatant mensonge, si lâair que nous respirons est chargĂ© dâanarchie, comme dâune conta- INTRODUCTION. iq gion inĂ©vitable, si le flĂ©au marque chaque jour de sa croix fatale une de nos maximes, une de nos lois, un de nos pouvoirs, en attendant quâil puisse, dans un jour dâaudace et de fortune , dĂ©vorer la sociĂ©tĂ© entiĂšre. Comment et pourquoi le taire ? LâĂ©tat moral de cette sociĂ©tĂ©, si confiante et si menacĂ©e, est ce qui nous Ă©pouvante bien plus encore que son Ă©tat politique. Contemplez-vous ces populations dâordinaire calmes, laborieuses, avides de jouir en paix des biens que la main de Dieu a versĂ©s sur le sein de notre riche et belle France, vous prendrez espoir, vous envisagerez dâun Ćil rassurĂ© lâavenir. Mais scrutez le fond de ces masses quâaucune pensĂ©e religieuse ne soutientetnâenchaĂźne, quâaucune foi ne console dans leurs douleurs et nâarrĂȘte dans leurs colĂšres, qui frĂ©missent Ă lâidĂ©e de toute hiĂ©rarchie, qui ne comprennent et ne tolĂšrent aucune supĂ©rioritĂ© , quâun esprit fatal instruit Ă confondre , dans une haine sauvage, Dieu et le prĂȘtre, le magistrat et lâautoritĂ©, les grands et les rois ! Reportez vos regards sur la rĂ©gion oĂč grondent les partis ; voyez ces tentatives opiniĂątres de soulever, dans la multitude, toutes ces mauvaises passions qui minent lâordre social, de les rĂ©veiller lorsquâelles sont assoupies, de les enrĂ©gimenter lorsquâelles sont flottantes, dâen faire, quelquefois au profit des banniĂšres opposĂ©es, une mĂȘme milice, pour marcher comme ces chevaliers de lâArioste, sur 20 INTRODUCTION. un seul coursier, Ă la conquĂȘte dâune proie quâon se disputera ensuite clans le sang! Assistez Ă ces clubs clandestins qui dĂ©libĂšrent, de sang-froid la mort des princes, des administrateurs, de dix mille citoyens , pour mettre en appĂ©tit la furie populaire ; ou bien Ă ces prĂȘches Saint-Simoniens qui font de la prostitution un sacerdoce, et du renversement de la propriĂ©tĂ© une religion, quand toute autre religion semble proscrite! Voyez cette jeunesse enrĂ©gimentĂ©e de nos Ă©coles qui porte Ă la boutonniĂšre le triangle dâacier-, bĂȘlas ! qui y porte mĂȘme des spĂ©cimens de la guillotine infĂąme; car ce sont lĂ les hochets de notre temps, malheureux enfants qui se vantent des crimes quâils nâont pas commis, et placent leur vie innocente encore, sous lâinvocation des Marat, des Saint-Just, des monstres qui Ă©gorgeaient leurs pĂšres ! Comment sâempĂȘcher de reconnaĂźtre, dans ce dĂ©lire des passions destructives, bien moins les signes funestes qui suivent les secousses violentes, que ceux qui prĂ©cĂšdent et annoncent les secousses nouvelles?.. .. Tandis que nous hĂ©sitions sur ces lignes, nous demandant si elles ne formeraient pas un contraste trop grand avec la sĂ©curitĂ© publique, si nous ne devrions pas faire flĂ©chir lâexpression animĂ©e de notre profonde conviction devant le sentiment gĂ©nĂ©ral du pays et du temps, voilĂ que la colĂšre du ciel a Ă©clatĂ© sur cette France fascinĂ©e ! La rĂ©volte, INTRODUCTION. 2 I lâassassinat, la guerre civile ont ensanglantĂ© la seconde de nos citĂ©s 1, et il y aurait folie Ă sâen Ă©tonner. On sĂšme l'anarchie Ă pleines mains ; câest une moisson qui ne manque jamais. Aujourdâhui, comme il y a quarante ans, trois sortes dâhommes conspirent au triomphe de cette anarchie dĂ©testable. Les uns lâaiment pour elle- mĂȘme ; ils la veulent, ils lâattendent des souffrances publiques, de la disette, de la guerre, de tous les flĂ©aux par lesquels lâinclĂ©mence du ciel caresse leur espoir. Ce sont les rĂ©volutionnaires avouĂ©s, câest lâextrĂȘme gauche. Ceux-lĂ ne sont pas les plus dangereux Ă notre sens; nous ne savons pas mĂȘme sâils sont les plus coupables. Dâautr âąes dĂ©testent les saturnales de la terreur, sans oser le dire. Au fond, ils en redoutent le souvenir ; ils nâen souhaitent pas le retour. Voulant la libertĂ©, ils mesurent tous les pĂ©rils de la libertĂ© extrĂȘme. La dĂ©mocratie, dans ses dĂ©bordements, les inquiĂšte et mĂȘme les afflige. Et cependant, câest tantĂŽt par leur complicitĂ© irrĂ©flĂ©chie, tantĂŽt par leurs condescendances calculĂ©es, que le dĂ©sordre a fait ses conquĂȘtes ; câest par eux que nous avons vu toutes nos destinĂ©es remises en question , par eux cpie nous restons suspendus sur lâabĂźme , par eux que les partis espĂšrent obtenir de leur Ă©toile la restauration de la puissance populaire. Ils sont 1 RĂ©volte de Lyon, 483L 22 INTRODUCTION. toujours prĂȘts Ă gorger le monstre pour lâendormir, au risque de sâen faire dĂ©vorer. Ils dĂ©pouilleront piĂšce Ă piĂšce, ils laisseront cheoir la monarchie constitutionnelle quâils veulent, ils ia briseront plutĂŽt que de se sĂ©parer de lâanarchie qu'ils jugent et quâils redoutent. Ce camp funeste est la gauche proprement dite. On sait ses programmes, ses passions, ses peurs, son chef. Dâautres vont plus loin encore ils poussent droit aux bouleversements comme les premiers, tout en les dĂ©testant autant et plus que les seconds. Parcequâun Ă©lĂ©ment dâordre a pĂ©ri, ils demandent au dĂ©sordre de se montrer logique, câest-Ă -dire dâĂȘtre complet et absolu ; ils somment la rĂ©volution de se perdre, comme la lĂ©gitimitĂ©, en sâĂ©puisant politique extraordinaire qui se croit le droit de jeter la patrie dans des voies impĂ©nĂ©trables et terribles pour avoir raison contre la fortune, et attendre des rĂ©parations de lâexcĂšs des maux ! Mais ces calculs ont Ă©tĂ© faits dĂ©jĂ ne sait-on pas ce quâils ont produit? Quâon se rappelle, Ă lâaurore de nos tourmentes, ce camp oĂč les journĂ©es de 1793 Ă©taient comptĂ©es comme autant dâĂ©chelons par lesquels lâancien rĂ©gime remonterait Ă la puissance ! Lâancien rĂ©gime resta dĂ©trĂŽnĂ©. Ă lâintĂ©rieur, ses partisans, vrais ou supposĂ©s, hommes, femmes, jeunes filles, furent guillotinĂ©s, fusillĂ©s, noyĂ©s, mitraillĂ©s les nobles comptant pour des royalistes, les propriĂ©taires pour des nobles, les INTRODUCTION. a3 fermiers pour des propriĂ©taires, et Ă la fin, les marchands, les victimes du maximum comptant pour tous. Au dehors, lâĂ©migration se vit dispersĂ©e par toute la terre; et, quand elle rentra enfin, ce fut pour voir le dernier des CondĂ©s tomber, de la mort des Bourbons au siĂšcle oĂč nous sommes, dans les fossĂ©s de Yincennes, et le chef de lâEglise effacer ce sang, aux yeux des peuples, sous les onctions qui consacrent les rois! Il fallut quinze ans pour que la monarchie impĂ©riale sâĂ©croulĂąt sous le long suicide de sa gloire. Un cri de vive le roi ! put alors sâĂ©chapper de dessous les dĂ©combres, et les princes de Coblentz parurent avec lâhabit de gardes nationaux, en criant que rien nâĂ©tait changĂ©, quâil nây avait que des Français de plus! Louis XVIII fit son entrĂ©e dans Paris, ayant les marĂ©chaux de lâempire, les gĂ©nĂ©raux de la rĂ©publique pour tout cortĂšge. Il venait promulguer une Charte dont le premier article stipula lâĂ©galitĂ© devant la loi. Charles X, Ă son tour, est restĂ© longtemps assujetti Ă ce grand contrat; et quand, aprĂšs seize annĂ©es passĂ©es Ă prendre position , la restauration sâest dĂ©cidĂ©e Ă tenter enfin les aventures, Ă faire une entreprise , comme la plus malheureuse des femmes et la plus auguste lâa dit si bien I, voilĂ que la foudre tombe du ciel, et tout disparaĂźt dans lâabĂźme ! f Câest une entreprise, dit madame la Dauphine, en apprenant les ordonnances de juillet 1830. Cela ne nous a jamais rĂ©ussi, » 2l\ INTRODUCTION. Maintenant, beaucoup de ceux qui demandaient Ă lâautoritĂ© dâessayer Ă tous risques de se fixer sans partage au faite de lâEtat, font cause commune avec le parti qui travaille Ă l'asseoir aux derniers rangs des masses sans lumiĂšres. Etrange tĂ©mĂ©ritĂ© ! dĂ©plorable mĂ©pris de lâordre matĂ©riel qui nâest pas tout, mais qui est quelque chose! Oubli funeste des conditions auxquelles lâordre vĂ©ritable s'Ă©tablit chez les nations ! Nous nous abusons fort, ou dĂ©montrer hautement la vanitĂ© des tentatives de notre dĂ©mocratie, lui dĂ©montrer, sâil se peut, Ă elle-mĂȘme, son impuissance Ă constituer des libertĂ©s solides sur la base des intĂ©rĂȘts et des prĂ©jugĂ©s rĂ©volutionnaires, câest faire un acte meilleur que dâoffrir Ă cette dĂ©mocratie, ivre dĂ©jĂ dâassez dâencens et de passions, la consĂ©cration antique de ses utopies, et en quelque sorte le sacre de sa rĂ©publique , dans les anathĂšmes du prĂȘtre Samuel contre les rois, et dans les commandements du Dieu qui lâinspirait 1. AssurĂ©ment, un semblable emploi du gĂ©nie du christianisme est aussi pĂ©rilleux quâinattendu, et il nâest pas nouveau. Le livre de Sidney sâappuie aux mĂȘmes fondements. Sâil faut tout dire, nous ne saurions entendre que le grand Ă©crivain auquel nous faisons allusion promette aux Français la royautĂ© abaissant sous Henri V ce que la monarchie avait encore de trop 1 Brochure de M. de Chateaubriand 1834. INTRODUCTION. 25 haut sous la restauration , et se convertissant en une espĂšce de prĂ©sidence royale , pour mener , dans trente ou quarante ans, la France et lâEurope Ă un avenir rĂ©publicain ! A. ces conditions, que devient la perpĂ©tuitĂ© des trĂŽnes, dogme qui repose sur la stabilitĂ© de lâavenir autant et plus peut-ĂȘtre que sur la durĂ©e du passĂ©? Comment douter quâavec une prĂ©rogative rĂ©elle et des institutions conservatrices, la pire des usurpations ne fĂ»t meilleure Ă la France et Ă lâEurope que cette quasi-royautĂ© provisoire, ce quasi-trĂŽne rĂ©publicain, juste-milieu entre quelque chose et le nĂ©ant? Câest une cote mal taillĂ©e entre dâinconciliables extrĂȘmes ; câest le jugement de Salomon pris au sĂ©rieux. De cet enfant que se disputent lâexil et la royautĂ©, une moitiĂ© Ă Y ami de Washington , Ă la jeune France , aux hommes gĂ©nĂ©reux, aux dĂ©mocrates, un mot, car ce sont lĂ les noms quâon leur dĂ©fĂšre ; lâautre moitiĂ© aux royalistes ! Tout cela ne fait pas un roi. Et câest un roi quâil faut instruire la France Ă vouloir et Ă comprendre. Il faut lui crier que, dĂ©mocratique, continentale, libre et prĂ©tendant le rester, elle a besoin de royautĂ©, dâune royautĂ© rĂ©elle, câest-Ă -dire forte et respectĂ©e, pour lui ĂȘtre ce que fut Ă lâAngleterre, durant des siĂšcles, son aristocratie au dedans, ce que lui est au dehors son ocĂ©an. VoilĂ comment les passions contraires vont Ă©garant de concert lâesprit public, et frappant Ă 2Ă INTRODUCTION. plaisir de vertige cette France qui nâa que trop souffert depuis quarante ans , qui a plus souffert quâelle nâa failli. Car ce nâest pas elle qui siĂ©gait il y a quarante ans dans le ComitĂ© de salut public ; ce nâest pas elle non plus qui a prĂ©sentĂ© Ă la signature de son roi, en juillet 1830, les ordonnances fatales. Et elle a payĂ© pour toutes les factions auxquelles il a plu de jouer lâempire Ă quitte ou double, et qui toutes ont perdu Ă ce coupable jeu. Pour nous, au milieu de toutes les tĂ©mĂ©ritĂ©s et de toutes les dĂ©raisons, nous poursuivrons jusquâau bout la route que nous nous sommes tracĂ©e nous dirons la vĂ©ritĂ© quand mĂȘme, en prĂ©sence de tous les pouvoirs. Sous tous les rĂ©gimes, nous tirerons, Ă nos risques et pĂ©rils , lâhoroscope des mauvais actes et des mauvaises doctrines ; convaincus que nous sommes quâil est deux choses que nul nâa le droit de sacrifier, dans les troubles politiques, pas plus Ă la haine quâĂ la peur ce sont la justice et la vĂ©ritĂ©. Lâholocauste est trop grand pour de tels dieux. Les devoirs du citoyen , dans les grandes conjonctures telles que cellesci, sont, Ă nos yeux, semblables Ă ce que les relations dâun naufrage, cĂ©lĂšbre il y a quelques annĂ©es, disaient dâun jeune officier, marchant, sur une frĂȘle embarcation, au secours dâun navire incendiĂ©, que ballottait la mer en furie. La main sur la barre, lâoreille fermĂ©e JKTRODDCXIOiN . 2? aux cris de ses compagnons, inĂ©branlable sous lâassaut des vagues, oubliant tout hormis le devoir, il passa la nuit entiĂšre, le regard attachĂ© Ă une Ă©toile qui seule dirigeait sa course. Nous tous, pilotes volontaires qui nous offrons Ă conduire la nef de notre cher pays au milieu des orages, ne devons-nous pas ainsi regarder, non Ă nos pieds, non autour de nous, mais plus haut? 11 est aussi des Ă©toiles qui nous dirigent; il est des principes Ă©ternels qui sont nos flambeaux. Les prĂ©dilections les plus chĂšre, les intĂ©rĂȘts les plus saints, les questions les plus augustes doivent disparaĂźtre devant ces guides immuables. Les dĂ©laisser pour se jeter dans la tourmente par un coup de dĂ©sespoir, et attendre de lâaveugle furie des flots le retour au port ; apostasier en faveur de lâanarchie ; pactiser avec ses doctrines, soit ouvertes, soit cachĂ©es ; encenser ses grands hommes ; caresser leurs colĂšres , exalter leurs espĂ©rances , prĂȘter des armes Ă leurs passions, risquer de compromettre la France pour complaire Ă leur furie , saluer au passage leurs thĂ©ories contraires, baisser le fer devant leur rĂ©publique caduque ; tremper enfin dans la corruption et l'anarchie croissantes des esprits, avec lâespoir dâappliquer un jour la lance dâAchille on ne sait quel jour ! aux blessures profondes quâon aura faites ainsi au corps social tout entier, nous disons quâil nâest point de cause si sainte quâelle lĂ©gitimĂąt de tels actes, ou si impĂ©rieuse 28 INTRODUCTION. t^ĂSnvw quâelle puisse les commander. Il faudrait douter du Dieu qui ordonnerait dâapprĂȘter des malheurs Ă la patrie. La main doit se sĂ©cher plutĂŽt que de consentir Ă carasser l'anarchie, mĂȘme pour la trahir. Ah ! ne semons pas les tempĂȘtes ! Laissons ce soin au ciel et au temps. La responsabilitĂ© serait trop pesante pour de simples hommes ! On comprend Guillaume Tell maudissant la barque hors laquelle il sâest jetĂ©, et du pied la chassant vers la tempĂȘte. Mais, lui dehors, elle nâavait plus rien de commun avec la patrie et sa fortune; elle ne portait Ă la tempĂȘte que lâĂ©tranger. Nous pouvons montrer notre pensĂ©e sans rĂ©serve. TĂ©moin dâune rĂ©volution que nos vĆux nâappelaient pas , mais que notre pays a reconnue sans coup fĂ©rir, nous nous sentons incapables de renier ce qui a Ă©tĂ©; nous nous Ă©pouvanterions de nous-mĂȘmes, si nous pensions Ă Ă©branler ce qui est, car câest encore un refuge; Ă contester une planche de salut Ă la France, car câest la derniĂšre. On ne nous verra pas traverser les efforts tentĂ©s pour donner des digues au torrent. Nous ne nous attacherons pas Ă des personnes, Ă un parti, Ă une cause. Nous nous attacherons Ă ces grands intĂ©rĂȘts qui ne tombent et nâabdiquent jamais lâordre et la libertĂ© ; la patrie , son indĂ©pendance et sa gloire. Quoi quâil advienne , une Ăšre nouvelle sâest ouverte; de nouvelles combinaisons seront essayĂ©es INTRODUCTION. 2y par les sociĂ©tĂ©s pour trouver le repos et la grandeur sur ces bases dĂ©sormais indestructibles, mais mouvantes et pĂ©rilleuses, la libertĂ© civile, lâexamen universel, lâuniverselle controverse, la publicitĂ©. Dans lâattente dâun avenir inconnu qui peut renfermer en ses flancs tant de chances extraordinaires, et donner une face inattendue Ă toute notre vieille Europe , la sagesse nous trace une loi impĂ©rieuse, qui pourra ĂȘtre mĂ©connue, mais Ă laquelle il faudra, sous peine de pĂ©rir, revenir tĂŽt ou tard câest dâabjurer les anciennes divisions, de ne plus connaĂźtre dĂ©sormais que deux partis, lâun pour l'adopter et le dĂ©fendre, lâantre pour le combattre ; lâun comprenant quiconque, par ses intĂ©rĂȘts, ses opinions, son intelligence de la liante nature de lâordre , est nĂ©cessairement dĂ©vouĂ© Ă sa cause ; lâautre qui, par des utopies de boue et de sang, est le dĂ©sordre mĂȘme. Dans le premier, nous ne demanderons pas Ă tel ou tel quelles sont ses affections dans le second, Ă celui-ci sâil diffĂšre de celui-lĂ par des arriĂšres- pensĂ©es. Nous ne voyons que les thĂ©ories quâon propage, que les maux prĂ©sents quâon fait. 11 est des doctrines conservatrices , fĂ©condes, les seules vraiment favorables aux progrĂšs de lâhumanitĂ©; nous les embrassons. Il en est dâanti-sociales, nous les rĂ©pudions ; et nous flĂ©trissons leurs dĂ©fenseurs volontaires, nous combattons leurs opiniĂątres champions, nous essayerons dâĂ©clairer leurs pro- 3o INTRODUCTION . sĂ©lytes Ă©garĂ©s. Ensuite, plus habile que nous, le temps rĂ©soudra le grand problĂšme d'un assemblage de trente-deux millions dâhommes qui ont renversĂ© tous les principes sur lesquels le monde a roulĂ© six mille ans , et qui entendent rester paisibles et prospĂšres, grands et libres. Mais ce que le temps ne fera pas, câest quâil y ait un pacte possible entre la dĂ©magogie, lâathĂ©isme, tous ces montres, et la civilisation, le repos, la libertĂ©. La Providence mĂȘme a marquĂ© la barriĂšre; sachons la reconnaĂźtre et la respecter. Câest Ă faire sentir la nĂ©cessitĂ© de constituer, dĂšs Ă prĂ©sent, dans lâĂ©tat social de la France, sans se souvenir des dĂ©chirements passĂ©s, sans attendre des malheurs nouveaux, le grand parti, la grande armĂ©e de lâordre, que ce livre est consacrĂ©. Il sâadresse donc aux hommes de bien de tous les partis; Ă ceux qui sont rĂ©solus Ă tenir tĂȘte Ă lâanarchie, quelles que soient ses promesses, quelles que soient ses menaces ; Ă ceux qui, en courant au-devant dâelle, craindraient de lui livrer lâempire , et de rĂ©pondre devant Dieu et devant les hommes, du sort inconnu de la France. On sâadresse Ă eux, rĂ©solu de dĂ©voiler aux regards de notre pays toutes ses plaies , de poursuivre jusque dans leurs causes les maladies profondes qui nous tourmentent. Les causes en dĂ©finitive peuvent se rĂ©duire Ă une seule, Ă une grande mĂ©prise, celle prĂ©cisĂ©ment qui a une premiĂšre fois scindĂ© en INTRODUCTION. deux la patrie et conduit ce grand corps sur le penchant de sa ruine. Les Français parlent depuis cinquante ans de libertĂ©, et câest le gouvernement par les masses quâils travaillent Ă fonder. LâĂ©galitĂ© est leur passion, et ils la confondent avec le nivellement. On peut l'affirmer sans crainte tant que ce double prĂ©jugĂ© rĂ©gnera parmi nous , nous ne trouverons lâordre que dans le despotisme , et ne trouverons nulle part la libertĂ© libertĂ©, ordre, dernier terme de la civilisation, les deux plus belles des conquĂȘtes de lâhomme, celles qui assurent tontes les autres et sans lesquelles toutes les autres sont incomplĂštes et fragiles! Mais Dieu attache des conditions Ă ces biens. Puisse notre pays savoir les comprendre enfin et les remplir ! >'! A oiĂź/ Un-'h I Ăź n,i; A o '' fi iĂźfi'Oi S'il *nOf> D'5-UfiKK? fl r Ăź LIVRE PREMIER. PRINCIPES GĂNĂRAUX. On qualifiera ce systĂšme dâaristocratie ! Mais la nature a-t-elle donnĂ© h tous les citoyens Ă©galement en partage la force, le courage, lâactivitĂ©, lâindustrie, la patience ? PossĂšdent-ils par portions Ă©gales la richesse, les connaissances, la rĂ©putation, lâesprit, la sagesse? Tout le genre humain rĂ©pondra Non. Eh bien ! la propriĂ©tĂ©, la naissance et le mĂ©rite doivent avoir leurs poids dans lâopinion et les dĂ©libĂ©rations publiques, et lâauront toujours. Un grand service Ă rendre Ă lâhumanitĂ© est de fixer au juste quel doit ĂȘtre ce poids. John Adams prĂ©sident des Etats-Unis, DĂ©fense des Constitutions amĂ©ricaines. LIVRE PREMIER PRINCIPES GĂNĂRAUX. CHAPITRE PREMIER. LA LIBERTE. Quel que soit le prix do cette noble libertĂ©, il faut la payer aux dieux. Montesquieu , Dialogue d'Eucrate. Il est des hommes qui aiment la libertĂ© de passion ; nous avons toujours Ă©tĂ© de ces hommes. Il est des hommes qui, sous tous les rĂ©gimes, la dĂ©fendront envers et contre tous; nous sommes encore de ces hommes. Mais il en est qui commettent une perpĂ©tuelle mĂ©prise, qui parlent de la libertĂ©, croient l'aimer, croient la vouloir, et câest avec la dĂ©magogie quâils la confondent. Comme firent, nos pĂšres depuis la journĂ©e du Jeu de Paume jusquâau 9 thermidor, ils disent fort sincĂšrement, toutes les fois que le pouvoir se fixe Ă un degrĂ© plus bas de lâĂ©chelle sociale, que la libertĂ© est en progrĂšs, 36 LIVRE PREMIER. quâelle sâĂ©tend et sâaffermit nous nâavons pas cette façon de voir. Ceux-lĂ pensent aussi que la libertĂ© est le rĂ©gime le plus aisĂ© Ă conquĂ©rir, quâil sâagit simplement de descendre dans la rue, de mettre en dĂ©route la force publique et de crier Vive la libertĂ© ! Ils sont tout prĂȘts Ă prendre la libertĂ© pour une Ă©meute. Nous, qui la rĂ©vĂ©rons, nous en avons une tout autre idĂ©e. Ils imaginent encore que rien nâest plus facile que de la conserver; quâil suffit, pour rester libres, de le vouloir; que, sâil y a lutte, tout consiste Ă ĂȘtre les plus forts; quâen ayant pour soi le nombre, on possĂšde la libertĂ© la plus solide de la terre. Ce sont, Ă notre sens, autant dâhĂ©rĂ©sies grossiĂšres et fatales. Suivant eux, renverser de fond en comble les institutions de la patrie ; tenir Ă fleur de terre tous les pouvoirs ; saper principalement les puissances morales ; avoir en dĂ©dain les souvenirs et les croyances, niveler tous les rangs, encourager dans le citoyen la dĂ©sobĂ©issance au magistrat, dans le soldat le mĂ©pris du capitaine, dans lâavocat ou lâaccusĂ© lâinsulte au juge, dans le pauvre la haine du riche, dans le fils la dĂ©rision des opinions et des volontĂ©s du pĂšre, dans les masses la jalousie contre les supĂ©rioritĂ©s et la colĂšre contre les illustrations; extirper enfin du cĆur des peuples tout sentiment de respect, Ă©nerver dans leur sein toute notion PRINCIPES GĂNĂRAUX. 3 7 de devoir, proscrire de leurs pensĂ©es, comme de leurs lois, le nom du LĂ©gislateur souverain de la race humaine, tout cela sâappelle travailler pour la libertĂ©. Or, nous avons des doutes Ă ce sujet, et une autoritĂ© imposante nous appuie la Convention pensait comme nous. Elle ne se contenta point de donner par dĂ©cret Ă lâhomme une Ăąme immortelle, et Ă lâunivers un Ătre suprĂȘme elle comprit dans la dĂ©dicace de ses fĂȘtes les AncĂȘtres, la Vieillesse, la Gloire, aussi bien que la Raison et la Vertu. Il nây avait quâun malheur, câest quâelle nâavait plus le droit de consacrer de semblables hommages Ă Dieu, aux ancĂȘtres, au passĂ© de la patrie. CâĂ©tait le parricide Ă©levant un autel, de ses mains sanglantes, Ă la mĂ©moire de son pĂšre. Dans lâhistoire, il fait beau voir les Romains, quand ils veulent changer les lois quâils ont hĂ©ritĂ©es des siĂšcles prĂ©cĂ©dents, et qui ont assurĂ© leur libertĂ© comme leur grandeur, appareiller patiemment une flotte pour envoyer dâillustres citoyens en cours de dĂ©couverte dans la GrĂšce, avec la mission de consulter les dieux, de presser les oracles, de recueillir, comme les oracles de la sagesse antique, les institutions de Solon ou de Lycurgue, et les leçons dâun plus grand maĂźtre encore, celles du temps. De nos jours, on ne regarde pas de si prĂšs Ă reprendre aux fondements la Constitution de tout un peuple. On commence par dĂ©crĂ©ter lâabo- 38 LIVRE PREMIER. lition des Ă©tablissements qui importunent, sauf Ă voir ensuite ce qui devra ĂȘtre assis sur les dĂ©blais. L âinstinct de la foule 1 est le seul gĂ©nie que lâon reconnaisse pour guide, le seul oracle que lâon consulte ; et il sâagit de constituer la libertĂ© dâun empire populeux et vaste deux cents fois comme la rĂ©publique de Sparte ou dâAthĂšnes ! On ne peut penser que des lois, ainsi faites, soient destinĂ©es Ă durer autant que celles qui fleurirent Ă lâombre du Capitole et mĂȘme du ParthĂ©non. Nous avons toujours cru que les gouvernements libres Ă©taient les plus compliquĂ©s de tous, les plus difficiles Ă instituer, ceux qui doivent rĂ©unir le plus dâĂ©lĂ©ments dâordre pour sâĂ©tablir, le plus de ressorts pour se mouvoir, le plus de garanties morales pour sâaffermir. Ces conditions, ces ressorts, ces garanties, on les exposera rapidement, tels que lâauteur de ce livre les conçoit, tels quâil les a conçus toujours. Le grand et saint nom de libertĂ© comprend deux choses , qui sont entiĂšrement diffĂ©rentes , et que lâon confond sans cesse des droits individuels et des pouvoirs publics. Les pouvoirs sont des garanties instituĂ©es pour la dĂ©fense et le maintien des droits. Les droits appartiennent au citoyen ; ils constituent les libertĂ©s privĂ©es. Les pouvoirs spĂ©ciaux prĂ©posĂ©s Ă leur garde, et quâon ! Discours de M. PĂ©rier sur la pairie PRINCIPES GĂNĂRAUX. 3 9 nomme en consĂ©quence des garanties, appartiennent Ă la nation; ils constituent la libertĂ© publique. Ainsi, la libertĂ© individuelle; la libertĂ© de conscience; la libertĂ© dâenseignement, en ce qui touche le droit sacrĂ© du pĂšre de famille Ă la direction spirituelle, morale, intellectuelle de son enfant; la libertĂ© de la pensĂ©e, en tant que facultĂ© reconnue Ă chacun de publier sa plainte, son opinion, son vĆu par la voie de la presse; enfin, toutes les libertĂ©s civiles sont des droits. Les fonctions Ă©lectorales, au contraire, sont un pouvoir puisquâelles constituent la participation Ă la puissance lĂ©gislative par lâunique moyen quâait un grand peuple de lâexercer, par la reprĂ©sentation. Un citoyen est libre quand il jouit des immunitĂ©s nĂ©cessaires Ă son indĂ©pendance et Ă sa sĂ©curitĂ©, en vertu des lois. Une nation est libre quand elle participe Ă la puissance souveraine par des corps et des procĂ©dĂ©s qui sont les gardiens de toutes les immunitĂ©s lĂ©gales. Dans la monarchie prussienne, les sujets ont des franchises Ă©tendues 1; mais elles sont garanties par les institutions moins que par les mĆurs, elles nâont pas pour sauvegarde lâintervention du pays dans la conduite des affaires publiques lĂ , les citoyens sont libres, dâune libertĂ© incomplĂšte et prĂ©caire ; la nation ne lâest pas. Dans la monarchie anglaise, lâaristocratie {{ Ceci est Ă©crit en 1834. LIVRE PREMIER. 40 fait contre-poids au pouvoir royal par les deux Chambres elle met ainsi Ă lâabri des empiĂštements de la couronne les droits de tous. LĂ , les deux libertĂ©s fleurissent. Or, nous prĂ©tendons que la perfection de lâordre politique consiste en ce que les libertĂ©s privĂ©es, solidement garanties, soient Ă titre Ă©gal le patrimoine de tous les citoyens. Cette situation est, Dieu merci, celle de la France; elle lâest, sans exception, Ă un degrĂ© de rĂ©alitĂ© et de gĂ©nĂ©ralitĂ© inconnu Ă lâAngleterre et aux Etats-Unis, mĂȘme sans parler de lâIrlande Ă propos de lâAngleterre, ni de lâesclavage Ă propos des Etats-Unis. La perfection de lâordre social consiste en ce que les pouvoirs constitutionnels dans lesquels rĂ©side la libertĂ© publique soient attribuĂ©s par les lois ou par les mĆurs Ă la partie Ă©clairĂ©e des nations. Ils doivent sâappuyer tous Ă la propriĂ©tĂ©, comme au roc qui brave les tempĂȘtes. Encore lâĂtat chancelle-t-il, battu par tous les courants de lâopinion, si, parmi les pouvoirs constitutionnels, il nâen est pas qui soient permanents, pour ĂȘtre plus sĂ»rement conservateurs ; ceux-lĂ , en ayant leurs racines dans la nation plus profondĂ©ment encore que la pairie, trop artificielle et trop Ă fleur de terre, de la restauration, doivent sâappuyer Ă lâillustration comme Ă une garantie de plus haute nature que la richesse, comme Ă la plus noble et Ă la plus inviolable des propriĂ©tĂ©s. Lâillustration, PRINCIPES GĂNĂRAUX. 4l en effet, a pour fondement et pour sanction, autant que la propriĂ©tĂ© mĂȘme, les plus saintes des lois divines et les plus profonds des sentiments populaires. Car le peuple, lorsquâil est livrĂ© Ă lui- mĂȘme, ne manque jamais de la rechercher, de lâhonorer, de la couronner. Par un juste et noble orgueil, câest devant elle quâil aime Ă incliner la tĂȘte 1. Plus la sociĂ©tĂ© sera dĂ©mocratique par ses mĆurs, par ses prĂ©jugĂ©s, par ses lois civiles, plus il faudra demander Ă son gouvernement de ne pas lâĂȘtre par les lois politiques, pour quâil ait la puissance de rĂ©sister Ă ce flux et reflux de trente-deux millions dâhommes Ă©gaux et libres. Le temps des vieilles aristocraties, des aristocraties immobilisĂ©es et exclusives, est passĂ©. Le gĂ©nie français nâen saurait admettre que dâaccessibles Ă tous. Mais dans notre pays, tous peuvent parvenir Ă lâillustration ; car les routes qui y mĂšnent sont ouvertes. Tous, par l'effet de nos lois, peuvent parvenir Ă la propriĂ©tĂ© ; car la propriĂ©tĂ© est Ă une enchĂšre permanente oĂč le mĂ©rite le plus simple est toujours assurĂ© du succĂšs. Dans un tel Ă©tat social, est-ce crime de demander que le pouvoir soit dĂ©fĂ©rĂ© Ă ceux qui ont usĂ© du droit universel et sont parvenus Ă la gloire ou Ă la propriĂ©tĂ©, Ă 1 La rĂ©volution do FĂ©vrier, par ses Ă©lections les plus Ă©clatantes, est venue rendre tĂ©moignage de la vĂ©ritĂ© de cette apprĂ©ciation. LIVRE PREMIER. 42 ceux qui ont pris place Ă la tĂȘte de lâĂ©chelle relative de la commune, du dĂ©partement, de lâĂtat tout entier! Non, ce nâest pas crime; car, lâĆil sur lâhistoire du monde, on est bien assurĂ© quâil nây a de civilisation, quâil nây a de grandeur, quâil nây a de libertĂ© quâĂ ce prix. La libertĂ©, en effet, sâest alliĂ©e Ă lâaristocratie rĂ©guliĂšre et sensĂ©e, dans tous les siĂšcles. La plupart des Ătats aristocratiques, depuis lâantiquitĂ© jusquâĂ nos jours, ont joint la gloire de la libertĂ© Ă toutes les gloires. Enfants, on nous allaite avec la libertĂ© de Rome ; citoyens, la libertĂ© anglaise faisait autrefois notre envie. Il est Ă remarquer, au contraire, que la libertĂ© ne sâest pas montrĂ©e encore aux cĂŽtĂ©s de la dĂ©mocratie dans lâancien monde. Il y a dĂ©mocratie - Ă Constantinople ; il y eut dĂ©mocratie sous le comitĂ© de salut public ; point libertĂ©. Aux Etats-Unis, la lĂšpre de lâesclavage couvre les deux tiers du sol amĂ©ricain ; et en outre, câest de lâesprit, des prĂ©cĂ©dents, des croyances, des lois civiles de la sociĂ©tĂ© anglaise, que vit cette vieille sociĂ©tĂ© transplantĂ©e quâon appelle faussement nouvelle, parce quâelle est toute entiĂšre appliquĂ©e Ă dĂ©fricher un sol nouveau. Cette dĂ©mocratie incomplette, contenue et tempĂ©rĂ©e par son travail de conquĂȘte sur tout un monde, par ses traditions et ses principes dâautoritĂ© paternelle , par ses religions dâEtat, par son systĂšme fĂ©dĂ©ratif, par son bon sens hĂ©rĂ©ditaire, PRINCIPES GĂNĂRAUX. 43 doit Ă ces contre-poids tout Ă fait exceptionnels , la glorieuse exception qui montre unies sous son empire la dĂ©mocratie et la libertĂ©. Partout ailleurs , ce sont choses essentiellement distinctes, pour ne pas dire contraires. Les institutions peuvent devenir plus dĂ©mocratiques sans devenir plus libres. On a beaucoup dit, et avec raison, que la monarchie fĂ©odale se rapprocha par degrĂ©s de lâĂ©galitĂ© sous Richelieu et sous Louis XIV; assurĂ©ment, elle ne se rapprochait pas de la libertĂ©. Quand la rĂ©volution danoise triomphe, elle dĂ©crĂšte le pouvoir absolu et en investit la royautĂ©. Quand la rĂ©volution française rĂšgne, elle se substitue le soldat du 13 vendĂ©miaire ; elle lui met au front une couronne, le remercie dâencliaĂźner des rois en mĂȘme temps que sa patrie, et elle sâenorgueillira de pĂšre en fils dâune sujĂ©tion que la France calmĂ©e et lâunivers vaincu ont fait baptiser du nom de gloire. Quel est le principe de cette pente fatale qui mĂšne inĂ©vitablement la dĂ©mocratie au despotisme ? Serait-ce que les esprits qui sont incomplĂštement Ă©clairĂ©s nâont ni le gĂ©nie, ni lâindĂ©pendance, ni les goĂ»ts dâordre indispensables pour constituer un gouvernement libre ? serait-ce que la libertĂ© nâest pas leur premiĂšre passion, mais bien le nivellement ; que le despotisme leur donne satisfaction comme la dĂ©magogie, mais Ă moins de frais et LIVRE PREMIER. kk avec moins dâefforts ; que si le despotisme institue lâĂ©galitĂ© de la servitude, il fait cependant peser de prĂ©fĂ©rence son joug de fer sur les plus hautes tĂȘtes, et procure aux nations la plupart des biens de lâordre, en Ă©vitant Ă la multitude cette domination des classes Ă©clairĂ©es qui est lâĂ©pouvantail Ă©ternel des masses, tout en Ă©tant lâune des conditions les plus constantes de la libertĂ© ? Chose certaine , lâaristocratie a souvent maintenu, dans la rĂ©publique lâordre, et dans la monarchie la libertĂ©. La partie dĂ©mocratique des nations a toujours livrĂ© la monarchie au despotisme , la rĂ©publique Ă lâanarchie, chacun de ces gouvernements Ă son excĂšs, Ă sa corruption, Ă son flĂ©au. CHAPITRE II LE POUVOIR. La libertĂ© nâest pas le premier besoin des peuples ; elle nâest que le second. Le pouvoir est le premier de tous. Câest le pouvoir qui veille aux cĂŽtĂ©s du citoyen, sur sa vie, sur ses biens, sur son honneur, qui garde la borne des hĂ©ritages et le seuil du domicile, qui rĂšgle et assure les transactions, qui protĂšge le travail, qui prend sous sa garde les capitaux, qui Ă©tablit la paix, crĂ©e la sĂ©curitĂ©, donne et conserve, par la stabilitĂ© des lois et des frontiĂšres, ces loisirs intelligents et fĂ©conds dâoĂč naissent les pompes des arts, les dĂ©couvertes des sciences, les crĂ©ations des lettres, les spĂ©culations de la philosophie, les conquĂȘtes pacifiques et les institutions bienfaisantes de la Religion, toute cette noble part enfin des destinĂ©es et des grandeurs humaines; câestlui qui assure ainsi Ă lâexistence sociale tous ses dĂ©veloppements et toutes ses douceurs. Câest par le pouvoir que la sociĂ©tĂ© subsiste; câest en lui quâelle rĂ©side tout entiĂšre. Il lui sert Ă la fois de lien et de rempart il dĂ©fend au dedans ses mĆurs, ses intĂ©rĂȘts, ses LIVRE PREMIER. 46 lois ; au dehors, ses droits et sa puissance. En un mot, lâindĂ©pendance et lâordre, tels sont les bienfaits du pouvoir. Quâil disparĂ»t un jour, la sociĂ©tĂ© serait dissoute. Câest la civilisation , par ses progrĂšs, la civilisation, crĂ©ation du pouvoir et son honneur, qui mĂšne lâhomme Ă la libertĂ©. Elle dĂ©veloppe en lui une seconde nature ; elle suscite en lui des besoins nouveaux, ceux de lâordre moral. La sĂ©curitĂ© matĂ©rielle ne lui suffit plus il nâavait que des intĂ©rĂȘts dâabord ; il sent en soi quelque chose de plus prĂ©cieux, de plus haut, de plus sacrĂ©; ce sont des droits. Il veut la sĂ©curitĂ© politique. Alors, sa vie extĂ©rieure le prĂ©occupe moins que cetle vie intime qui bouillonne en lui. Il sâindigne des barriĂšres, et veut sâĂ©lancer sans entraves vers les thĂ©ories qui lâattirent, vers les dĂ©couvertes qui lâagrandissent, vers le Dieu intime quâil conçoit et quâil rĂ©vĂšre. Le champ quâil fĂ©conde de ses sueurs , la maison quâil a hĂ©ritĂ©e de ses pĂšres, le tombeau quâil a Ă©levĂ© Ă leurs cendres, le trĂ©sor qu'il entend lĂ©guer Ă ses fils, ne sont plus les propriĂ©tĂ©s uniques dont il soit jaloux. Il a enfin dâautres richesses qui le touchent davantage ses convictions et sa fiertĂ©, le nom et la gloire de ses ancĂȘtres, lâindĂ©pendance de ses fils et leur dignitĂ©. Il nâavait conçu dans le commencement quâun besoin , celui de se prĂ©munir contre ses semblables, et le pouvoir avait Ă©tĂ© armĂ© par lui pour Ă©chap- PRINCIPES GĂNĂRAUX. [fj per aux tentatives et aux assauts de forces ennemies , en y opposant lâaction tutĂ©laire de la force publique; maintenant, câest contre le pouvoir mĂȘme, tel quâil Ă©tait instituĂ© jusquâalors, que la sociĂ©tĂ© se prĂ©munit. Elle craint lâusage quâil peut faire des forces dont elle lâavait armĂ© pour sa dĂ©fense ; elle veut des sĂ»retĂ©s contre lui, comme il lui en donnait contre elle-mĂȘme. En un mot, comme la sociĂ©tĂ© enfanta le pouvoir pour sa sauvegarde, la civilisation, pour la sienne , enfante la libertĂ©. Mais cette libertĂ© intelligente et sensĂ©e, nâentendra pas mettre Ă nĂ©ant ce pouvoir sans lequel elle nâeut jamais pris naissance, sans lequel elle ne vivrait pas un jour. Elle veut le partager, le diviser, lui crĂ©er des contre-poids, sans lui retrancher des forces, instituer des ressorts nouveaux plus que briser les anciens ressorts. Elle 11e dĂ©truit pas le pouvoir; elle lâĂ©lĂšve, elle le consacre, elle le complette. Tels sont les gouvernements libres, rĂ©publiques, ou monarchies constitutionnelles, peu importe! Tous consistent surtout en ce que la responsabilitĂ© est instituĂ©e auprĂšs de lâautoritĂ©, les moyens de contrĂŽle auprĂšs des moyens dâaction, la pondĂ©ration auprĂšs de lâinitiative et de lâunitĂ© rĂ©elles du pouvoir soigneusement maintenues. Câest pour cela que, prĂšs le trĂŽne du prince ou la chaise curule du consul, sâĂ©lĂšvent ces trĂŽnes populaires qui, sous le nom de tribunes, lui serviront, selon les LIVJIE PREMIER. 48 temps, de barriĂšres ou de remparts. On conçoit que si tout gouvernement est une machine difficile, celui-lĂ est plus difficile et plus compliquĂ© quâaucun autre sa nature est de compter autant de contre-poids que dâinstruments. Cependant, le pouvoir doit y rester fort, autant et plus quâailleurs ; car il a exactement Ă remplir la mĂȘme mission conservatrice et tutĂ©laire que dans les autres gouvernements , avec plus dâentraves et plus de rouages, plus d'obstacles et plus de pĂ©rils. Les pĂ©rils naissent du soulĂšvement opiniĂątre des passions; les obstacles, du contrĂŽle malveillant et des rĂ©sistances actives de la foule ; les entraves , de la division et de la lutte intĂ©rieure des diverses branches de la puissance souveraine. Dans ces conflits, la tribune domine-t-elle ? lâĂtat tombe dans lâanarchie. Quâelle plie et sâabaisse, il retourne au despotisme. Dans tous les cas, lâĂ©quilibre entre le pouvoir et la libertĂ© est renversĂ© ; la Constitution de lâĂtat pĂ©rit. Et ce nâest pas tout la constitution mĂȘme de la sociĂ©tĂ© court aussi des hasards. Toutes les dĂ©clamations philosophiques, qui commencĂšrent dans le dernier siĂšcle par des sophismes et finirent par des crimes, ces dĂ©clamations , qui ressortent aujourdâhui de dessous les crimes avec les mĂȘmes sophismes et le mĂȘme cortĂšge, nâempĂȘcheront pas un fait Ă©ternel qui est toute la nature de lâhomme câest quâil y a dans PRINCIPES GĂNĂRAUX. 49 la sociĂ©tĂ© deux intĂ©rĂȘts, deux forces, deux passions aux prises. Vous les rencontreriez, quand vous rĂ©duiriez la sociĂ©tĂ© Ă deux hommes. Dâune part est lâesprit de conservation, le premier-nĂ© de la propriĂ©tĂ©, le gardien jaloux de lâordre social, le gĂ©nie familier des classes Ă©levĂ©es, le dieu des sociĂ©tĂ©s antiques. Il est tellement inhĂ©rent aux rĂ©gions supĂ©rieures, que, si on lui laissait pleine carriĂšre, il irait jusquâĂ immobiliser la puissance aux mains dâordres privilĂ©giĂ©s, pour concentrer et immobiliser plus sĂ»rement la propriĂ©tĂ© elle- mĂȘme. Dâautre part est le besoin de changement, lâesprit novateur, la recherche des amĂ©liorations indĂ©finies, lâardeur dâacquĂ©rir par toute voie et Ă tout prix, instinct fĂ©cond Ă la fois et redoutable, qui est surtout propre aux couches secondaires de la sociĂ©tĂ©, qui les porte sans cesse Ă envahir lâĂtat tout entier. Câest pour mener les masses violemment Ă la propriĂ©tĂ© quâil les pousse Ă la puissance. Eh bien ! que le pouvoir populaire, que les tribunes qui le reprĂ©sentent et le rĂ©sument, appartiennent sans partage Ă ce gĂ©nie entreprenant le voilĂ qui sape, mine, ronge toutes les institutions et tous les droits ! Il ne sâarrĂȘtera que lorsque la sociĂ©tĂ© bouleversĂ©e sera, aussi bien que lâEtat, reprise aux fondements. Certes, ce nâest pas pour dĂ©truire que la libertĂ© 4 LIVRE PREMIER. 5 O fut inventĂ©e ; câest pour conserver tout ensemble et amĂ©liorer les sociĂ©tĂ©s, pour agrandir, pour dĂ©fendre, pour glorifier les Etats. Ellenâa mission que dâastreindre le pouvoir Ă parfaire sa tĂąche bienfaisante, et Ă sây renfermer. Elle est mise au monde pour le rĂ©gler, point pour le renverser. Toute tribune doit donc, non pas le battre en brĂšche, mais rassurer, en le dĂ©fendant de lui-mĂȘme, de ses Ă©garements , de ses excĂšs. A qui livrer dĂšs-lors cette citadelle redoutable, ce capitole politique, sinon Ă une Ă©lite des citoyens, Ă ceux qui sont intĂ©ressĂ©s Ă maintenir la Constitution rĂ©gnante, et qui sauraient au besoin la fortifier? Aussi divise-t-on dâordinaire cette puissance vraiment tribunitienne en deux chambres, prĂ©cisĂ©ment pour pouvoir Ă©tendre ses bases sans danger. Quâon lâattribuĂąt Ă des classes qui risquent toujours dâĂȘtre ennemies du pouvoir Ă un double titre, et parce que câest surtout pour les tenir en bride quâil a Ă©tĂ© inventĂ© , et parce quâelles sont Ă©galement inhabiles ou Ă comprendre toute sa mission ou Ă la remplir elles-mĂȘmes, il est manifeste que la libertĂ© ainsi pratiquĂ©e, loin dâamĂ©liorer le sort des hommes, ne fera que le corrompre et lâaggraver. Au lieu de leur assurer des trĂ©sors nouveaux, elle renversera les barriĂšres qui gardaient leurs richesses Ă©ternelles. Lâordre, le bien- ĂȘtre , la prospĂ©ritĂ© publique disparaĂźtront, entraĂźnant h la longue la civilisation dans leur chute ; PRINCIPES GĂNĂRAUX. car les nations perdent tout dans lâanarchie; et, avant tout, elles y perdent la libertĂ©. A moins de refaire la nature humaine, il faut se soumettre Ă une observation cpie voici câest cjuetout pĂ©riclite aux mains de classes qui ne parviennent jamais Ă lâempire que parla violence; depuis que le monde existe, les jacqueries nâont jamais su rĂ©gner, et il est trop Ă©vident que câest la violence seule, lâeffet seul de coups de main heureux qui peut çà et lĂ leur livrer lâEtat pour un jour. Nous disons pour un jour. Car, pour bien manier le pouvoir, comme pour bien concevoir et bien dĂ©fendre la libertĂ©, il faut un apprentissage qui saisisse lâhomme au berceau. A la situation sociale se rattachent deux choses sans lesquelles on ne fait pas de gouvernemenis libres les lumiĂšres et lâindĂ©pendance. Otez ces deux biens , vous ferez des esclaves ou des tyrans ; mais des citoyens et des magistrats, jamais. Câest donc Ă trouver le difficile et nĂ©cessaire Ă©quilibre entre le progrĂšs et la conservation, Ă Ă©tablir dans les pouvoirs divers de lâEtat et dans les forces actives de la sociĂ©tĂ©, que tous les fondateurs de gouvernements pondĂ©rĂ©s doivent appliquer leur gĂ©nie. Aujourdâhui tout le monde met la main hardiment Ă des rĂ©volutions, câest-Ă -dire Ă des renversements dâinstitutions et de rĂ©gimes ; et personne ne pense Ă mĂ©diter sur ces vastes questions 32 LIVRE PREMIER. qui renferment toutes les destinĂ©es du genre humain ' Pourtant chacun a sur ses tablettes des constitutions toutes faites, des en cas de libertĂ© pour tous les peuples de lâunivers! LâantiquitĂ©, plus circonspecte, reconnaissait dans les grands hommes qui avaient rĂ©solu lâimmense problĂšme des sociĂ©tĂ©s humaines, lâinspiration des dieux. Voyez aussi, chez les anciens, combien de prĂ©cautions et dâombrages! La libertĂ© reposait sur quatre fondements la force du patriciat, lâinfluence du sacerdoce, la division des classes , lâodieux, mais commode nĂ©ant du grand nombre esclave. Encore, avec tous ces secours, les lĂ©gislateurs ne se croyaient-ils pas assez forts contre les orages du Forum et de lâAgora. Ils avaient senti le besoin de constituer, au sein delĂ sociĂ©tĂ©, un principe conservateur placĂ© au-dessus de toute contestation , partout prĂ©sent, opposant une digue Ă chaque flot, tenant en bride toute cette fougue des jeunes gĂ©nĂ©rations avides de nouveautĂ©s et dĂ©daigneuses de lâexpĂ©rience et de la sagesse ; enfin un contre-poids de la mĂȘme nature que la lĂ©gitimitĂ© dans les monarchies modernes. CâĂ©tait la puissance paternelle. Dans la GrĂšce, le pĂšre disposait du sol ; Ă Rome, il avait droit de vie et de mort. On pensait que ce nâĂ©tait pas trop dâune royautĂ© absolue par famille pour rĂ©sister aux Ă©branlements inĂ©vitables des Ă©tats libres. On PRINCIPES GĂNĂRAUX- 53 avait outrĂ© un principe saint, pour avoir une utile barriĂšre. LâAngleterre repose exactement sur les mĂȘmes maximes. Il y a une monarchie absolue par foyer, pour porter le poids de la libertĂ© politique du peuple anglais. Le chef de famille est pour tous les siens, pour sa femme, pour ses enfants, un maĂźtre souverain; les fils dĂ©pendent Ă©ternellement du pĂšre, et les frĂšres du frĂšre aĂźnĂ©. Nous ne disons pas que ce soit un bien , nous disons que câest un fait. Nous disons que le caractĂšre de cette sociĂ©tĂ© si libre, et prĂ©cisĂ©ment pour quâelle puisse ĂȘtre libre, câest que le principe dâautoritĂ© y est partout. Ces barriĂšres nâexistent point parmi nous, non plus quâaucune autre. Il rĂ©sulte de lâĂ©galitĂ© des partages un bien immense lâĂ©galitĂ© des frĂšres. Il en rĂ©sulte, ainsi que de tout lâensemble de nos lois civiles, un immense pĂ©ril le relĂąchement et presque la suppression du premier chaĂźnon de lâautoritĂ© parmi les hommes, la puissance du pĂšre de famille. Par cette cause, et par beaucoup dâautres, cette puissance salutaire nâexiste pas parmi nous, non plus quâune autre qui sây rattache et qui est une des colonnes de lâAngleterre, lâesprit de famille. Le sentiment de la subordination, celui mĂȘme de la coliĂ©tion et de la stabilitĂ©, ne se rencontrent nulle part, ni dans la famille, ni dans la sociĂ©tĂ©, ni dans lâEtat. Aussi avons-nous vu na- LIVRE PREMIER. 54 guĂšres cent jeunes gens, dont aucun nâĂ©fait majeur selon la loi civile elle-mĂȘme, gourmander en termes altiers nos Chambres lĂ©gislatives 1 sur ce que les pouvoirs leur marchandaient , disaient-ils, la libertĂ©! En Angleterre, cette folie, en mille ans, ne leur serait pas passĂ©e par lâesprit. A Rome, le tribunal domestique leur eĂ»t appris, dâune façon terrible, Ă ne pas usurper ce nom de libertĂ© , dans un Ăąge oĂč il ne leur Ă©tait permis que de mourir pour les lois, et oĂč, loin de pouvoir les outrager en tribuns, iis nâauraient mĂȘme pas Ă©tĂ© admis Ă les invoquer en suppliants. Le gouvernement que la sociĂ©tĂ© française institue pour veiller Ă sa dĂ©fense, est donc dĂ©pourvu du secours que lui prĂȘtait chez les anciens, que lui prĂȘte chez les Anglais, pour contenir la libertĂ© publique, un gouvernement antĂ©rieur Ă tout autre, celui du toit domestique. En France, les Ă©tudiants trouvent tout simple de nous bĂątir desgouver* nements, dâimposer des rĂ©volutions Ă leurs pĂšres ! En mĂȘme temps, le gouvernement est dĂ©pourvu parmi nous de lâappui que lui donnent partout ailleurs les hiĂ©rarchies sociales, toutes Ă©galement intĂ©ressĂ©es Ă payer dâun retour entier dâobĂ©issance lâassistance que chacune dâelles attend du pouvoir suprĂȘme pour tenir les rangs infĂ©rieurs subordonnĂ©s. 1 PĂ©tition des Ă©coles de MĂ©decine et de Droit aux deux chanx- lires, 1 831. PRINCIPES GĂNĂRAUX. LĂ , non plus, nous ne disons pas que ce soit un bien, mais que câest un fait. Parmi nous, la sociĂ©tĂ© plus bienveillante que nulle part ailleurs pour les situations infĂ©rieures, les voit dĂ©jĂ , les verra toujours de plus en plus sâagiter et se soulever contre elle, sans quâil existe une force morale ou positive pour les dominer. Par lĂ mĂȘme, lâĂ©tat de la sociĂ©tĂ© française est le moins disposĂ© qui se soit vu dans le monde Ă lâorganisation et Ă la durĂ©e dâun gouvernement libre. Si donc la libertĂ©, dans notre gouvernement, ne se subordonnait pas elle-mĂȘme aux principes qui ont toujours rĂ©gi les nations, si elle ne se mettait pas, par un effort permanent de sa propre sagesse, hors des atteintes de ces trois conjurĂ©s infatigables lâesprit brouillon, lâesprit rĂ©volutionnaire, lâesprit anti-social, cette libertĂ©, tant cherchĂ©e, disparaĂźtrait inĂ©vitablement quelque jour, perdue par ses fautes, et dĂ©laissĂ©e par les Français. Quâelle se montre Ă la longue incompatible, par lâeffet du vice des lois , avec tout gouvernement durable et fort le jour viendra oĂč elle pĂ©rira; car les peuples renoncent Ă tout, hormis au pouvoir, leur protecteur nĂ©cessaire. On les verra bien le mĂ©connaĂźtre et lâoutrager dans les jours de repos et de bien-ĂȘtre ; on les verra le dĂ©truire mĂȘme dans une heure de dĂ©lire, mais pour revenir bientĂŽt sur leurs pas, honteux et 56 LIVRE PREMIER. repentants jusques Ă la servitude. La raison en est simple avant de vouloir ĂȘtre libres, les nations veulent ĂȘtre. Les principes que nous posons sont donc ceci Le pouvoir est la vie et la force des nations. Toutes les institutions doivent ĂȘtre tournĂ©es Ă cette fin raffermir, en le rĂ©glant. En consĂ©quence, Faction doit toujours ĂȘtre dĂ©volue au pouvoir, sans partage et sans entrave. VoilĂ le gouvernement. Les droits, soit privĂ©s, soit publics, ont pour appui et pour dĂ©fenses des garanties constitutionnelles, qui se rĂ©sument toutes dans le contrĂŽle constant et rĂ©gulier des actes du pouvoir ; dâoĂč il rĂ©sulte que partout oĂč il y a action, il doit y avoir contrĂŽle contrĂŽle, par exemple, au milieu de nous, des corps municipaux auprĂšs des maires ; des conseils, auprĂšs des prĂ©fets ; des chambres, auprĂšs du gouvernement mĂȘme. VoilĂ la libertĂ©. Lâexercice du droit de contrĂŽle, Ă ces divers degrĂ©s, doit ĂȘtre soumis Ă des pouvoirs Ă©lectifs, et lâĂ©lection, quelles que soient ses formes, directe ou indirecte, plus restreinte dans le premier cas, plus Ă©tendue dans le second , doit ĂȘtre conçue de maniĂšre Ă fixer gĂ©nĂ©ralement la puissance publique dans la rĂ©gion des garanties et des lumiĂšres relatives, soit par lâeffet des mĆurs, soit Ă leur dĂ©faut, par lâeffet des lois. VoilĂ lâordre. PRINCIPES GĂNĂRAUX. D 7 Car Dieu a voulu que les sociĂ©tĂ©s et les nations marchassent comme les simples hommes que ce fĂ»t la tĂȘte qui menĂąt tout. Alors seulement, câest la puissance intelligente, ce sont les forces morales qui dominent, et de toutes les combinaisons politiques, celle qui a besoin dâĂȘtre la plus intelligente et la plus morale, câest la libertĂ©. Car elle est lâordre Ă sa plus haute puissance. En effet, quâest-ce que lâordre ? CHAPITRE III. lâordre. Lâordre est la conformitĂ© des choses de ce monde avec les lois qui les rĂ©gissent. Dans son expression la plus Ă©levĂ©e, il est la conformitĂ© des choses humaines avec la loi divine, de laquelle tout Ă©mane. Câest lâordre moral. Dans son acception commune, il est la conformitĂ© des faits sociaux avec les lois positives, soit quâil sâagisse de ces lois secondaires qui changent avec les lieux ou les temps , soit quâil sâagisse aussi de celles qui ont leur principe et leur sanction plus haut que nous et qui forment le code Ă©ternel tracĂ© par la main divine dans la conscience humaine. Câest lâordre positif, lâordre matĂ©riel, ou comme on dit, lâordre public. Câest pour assurer lâordre dans leur sein que les peuples ont instituĂ© le pouvoir. Nous disons que la libertĂ© est lâordre Ă sa plus haute puissance, parce quâelle est la jouissance de tous les droits que le pouvoir, dans sa perfection absolue, doit garantir et dĂ©fendre Ă lâĂ©gal de tous les autres intĂ©rĂȘts sociaux. Dans notre premier Ă©crit, avant PRINCIPES GĂNĂRAUX. vingt ans, nous la dĂ©finissions lâordre parles lois. Cette dĂ©finition nous parait bonne encore nous la maintenons. LâĂ©tat social, en effet, ne se compose pas seulement dâintĂ©rĂȘts matĂ©riels il se compose aussi, il se compose surtout d'intĂ©rĂȘts moraux. Câest pour les mieux assurer que les hommes les ont placĂ©s, les uns et les autres, sous une commune Ă©gide, celle des gouvernements constituĂ©s. Les intĂ©rĂȘts matĂ©riels se rĂ©sument tous dans la propriĂ©tĂ©. La propriĂ©tĂ© est, selon Rousseau mĂȘme, le fondement de la sociĂ©tĂ© civile. LâĂ©branler sous les pas de lâhomme, câest commettre le plus grand crime qui puisse ĂȘtre conçu par la pensĂ©e envers l'homme et envers son auteur ; câest nous dĂ©pouiller de ce besoin de conservation, de cet intĂ©rĂȘt au progrĂšs, de cet Ă©lĂ©ment de perpĂ©tuitĂ©, de ce prix du labeur et de lâĂ©conomie, de ce moyen de loisir et de mĂ©ditation, source de tous les travaux, de toutes les dĂ©couvertes de la pensĂ©e, et, par suite, principe de tous les dĂ©veloppements de lâĂąme et de la conscience. Câest renverser tout ce qui fait la puissance de lâhumanitĂ©, tout ce qui atteste la bienveillance de Dieu envers la crĂ©ature faite Ă son image. Est-il besoin de dire que les intĂ©rĂȘts moraux ne sont pas moins chers, ni moins sacrĂ©s ? Tels sont, par exemple, le respect gĂ©nĂ©ral du juste et du bon en toutes choses ; le respect de la sĂ»retĂ© % 6o LIVRE PREMIER. de la libertĂ© personnelles, celui des droits de la pensĂ©e, celui des droits de la conscience ; le respect des croyances intimes, et par consĂ©quent du culte qui les rĂ©vĂšle ; le respect des sentiments, des jouissances et des droits de la famille ; le respect de lâautoritĂ© paternelle ; le respect des supĂ©rioritĂ©s naturelles fondĂ©es sur les mĂȘmes titres, sur lâexpĂ©rience acquise et les services rendus ; le respect des souvenirs, des illustrations, ces lĂ©gitimitĂ©s premiĂšres , qui sont les plus vieilles de ce monde, et tiennent Ă ce quâil y a de plus Ă©levĂ© dans notre nature, câest-Ă -dire au soin du passĂ© et Ă la soif de lâavenir ! Ces intĂ©rĂȘts sacrĂ©s se rattachent dâanneau en anneau au trĂŽne de la grandeur divine. Plus nous considĂ©rerons de prĂšs les sociĂ©tĂ©s humaines, plus nous reconnaĂźtrons quâen elles tout vient aboutir Ă ces deux termes Dieu et la propriĂ©tĂ©, le ciel et la terre. Pesez un Ă un ces intĂ©rĂȘts augustes, puis avisez- vous de les retrancher au genre humain ! Vous croirez que la main qui le crĂ©a se retire de lui il ne sera plus que lâenfant maudit, dĂ©shĂ©ritĂ© par son pĂšre. DâoĂč il suit que ces Ă©lĂ©ments essentiels de la famille et de la sociĂ©tĂ© sont des principes supĂ©rieurs Ă toutes nos institutions; quâils dominent toutes nos lois, quâils constituent un droit suprĂȘme, et en quelque sorte une charte Ă©ternelle et inaliĂ©nable des nations. AprĂšs toutes les folies dont une Ă©cole fatale a, depuis cent ans, empoisonnĂ© PRINCIPES GĂNĂRAUX. 61 lâesprit des peuples, il est temps de rĂ©tablir les bases du contrat social vĂ©ritable; on le tentera ailleurs on fera voir que ce contrat saint fut Ă©crit de la main qui traça les tables du Thabor ; quâil stipule pour nous contre nous-mĂȘmes, câest-Ă -dire pour nos droits nĂ©cessaires, nos sentiments intimes, nos grandes destinĂ©es, contre nos passions brutales ; quâil forme le patrimoine immuable des sociĂ©tĂ©s; que le peuple, ou plutĂŽt les factions qui parlent pour lui, nâont pas plus que les rois le droit de le dĂ©serter et de lâabolir; que toute autoritĂ© qui lâenfreint, prince, Ă©meute, sĂ©nat ou convention, viole la loi divine, et vient tĂŽt ou tard sây briser ; quâil est enfin la condition universelle de lâordre vĂ©ritable, et par consĂ©quent la vraie mission du pouvoir, la vraie fin des gouvernements et de la libertĂ© parmi les hommes. Câest pour veiller au maintien de ces droits de tous les temps, quâil y a une puissance publique cbez les nations ; câest pour rendre inviolables ces fondements de lâĂ©tat social, que lâĂ©tat politique est instituĂ© ; enfin, câest en dehors de ce contrat immortel, mais en sây appuyant, que sâĂ©tablit, au sein de chaque sociĂ©tĂ©, un contrat particulier qui comprend les conditions spĂ©ciales sous lesquelles elle sâest formĂ©e ses lois civiles, ses mĆurs nationales, ses croyances religieuses, son gouvernement, ses libertĂ©s, tout ce qui fait son caractĂšre, son gĂ©nie, sa fortune. Ce contrat a passĂ© dans le sang 6a LIVRE PREMIER. mĂȘme de la sociĂ©tĂ©, sous la sanction des siĂšcles. Il nâa quâun rĂ©formateur lĂ©gitime, câest le lĂ©gislateur qui le fonda ; câest le temps. Car le temps seul assure aux modifications quâil opĂšre lâassentiment successif des gĂ©nĂ©rations intĂ©ressĂ©es. Il ne fait passer dans les lois que les changements accomplis dans les mĆurs , et il nâaccomplit pas dans les mĆurs et les esprits une rĂ©volution quâil ne manifeste et ne rĂ©alise bientĂŽt dans le gouvernement tout entier. Il fait ainsi, dâune longue suite de transactions successives entre tous les intĂ©rĂȘts et entre tous les Ăąges, le pacte permanent des peuples. LĂ est le droit. Lâordre politique roule sur un principe fondamental câest que la force matĂ©rielle, par le fait mĂȘme de lâĂ©tablissement de la sociĂ©tĂ© , a Ă©tĂ© solennellement abdiquĂ©e. LâEtat, qui est la sociĂ©tĂ© constituĂ©e, ne se conserve que par cette abdication irrĂ©vocable, par le besoin de plier uniquement devant une autoritĂ© lĂ©gitime, devant des transactions rĂ©guliĂšres, devant un droit public, image plus ou moins imparfaite du droit absolu que la sociĂ©tĂ© conçoit et rĂ©vĂšre. Toute conjuration qui tente de substituer ses fantaisies particuliĂšres Ă la loi commune, quels que soient du reste ses attributs et ses mobiles, ne fait autre chose que lever lâĂ©tendard de la rĂ©bellion contre la condition essentielle de lâordre politique, contre la garantie PRINCIPES GĂNĂRAUX. 63 premiĂšre de lâordre social, qui est le rĂšgne du droit et lâabjuration de la force. Ce qui est vrai pour le corps entier du peuple, le sera, Ă plus forte raison, pour les partis. La minoritĂ© peut rĂ©clamer le maintien du droit public, comme la majoritĂ© mĂȘme. Il lie Ă©galement le fort et le faible ; il appartient Ă©galement Ă tous. Peu importent les formes, plus ou moins spĂ©cieuses, plus ou moins mensongĂšres, au nom desquelles il serait violĂ©. Câest violer la conscience humaine. Que ce soit le fait du prince, ou du peuple, il y a toujours tyrannie. Lâintervention et la volontĂ© actives du grand nombre ne seraient pas une excuse. Car le nombre serait la force encore elle nâest point le droit. Elle nâest point la souverainetĂ©. Il nây a point de souverainetĂ© contre ce droit suprĂȘme que nous avons dit. Il est la souverainetĂ© mĂȘme. Ce qui revient Ă dire quâil nây a dâautoritĂ© lĂ©gitime, ni dans les majoritĂ©s, ni dans le glaive, mais dans le droit, dans la justice dâoĂč il suit que les dĂ©bats, qui divisent trop souvent les grandes familles politiques, nâont quâune conclusion Ă©quitable, les transactions. Maintenant, croiriez-vous assurer le contrat social et ses rĂšgles souveraines, le droit, la justice, les transactions, en concentrant le pouvoir lĂ©gal aux mains des classes qui ne savent que la livre premier. 64 force, et qui sont toujours prĂȘtes, dans les dĂ©bats soit privĂ©s, soit publics, Ă faire intervenir cet arbitre sauvage, pour vider leurs diffĂ©rends? Donnerez-vous exclusivement Ă garder le dĂ©pĂŽt des intĂ©rĂȘts moraux, celui des souvenirs, des renommĂ©es, des croyances, aux classes qui en sont encore Ă vivre sans passĂ© et sans lendemain, Ă celles qui nâont pas rĂ©ussi Ă se donner par elles-mĂȘmes, ni quelquefois Ă accepter des bienfaits de lâEtat, la prĂ©voyance et les lumiĂšres, Ă celles que des instincts Ă©troits dominent trop souvent, Ă celles qui vivent aujourdâhui, la plupart du temps, dans nos citĂ©s, Ă©trangĂšres Ă la foi et au culte de la patrie ? PrĂ©poserez-vous exclusivement au soin de conserver les richesses matĂ©rielles des nations et avant tout la propriĂ©tĂ©, les classes qui nâont pas Ă conserver, celles dans le sein desquelles sâagitent, sous Faction de tant de ferments ennemis, des passions envieuses et destructives ? Non, non ! lâordre ne peut pas fleurir Ă ces conditions. Le gouvernement des nations, quelles que soient les formes adoptĂ©es fut-ce celle du suffrage universel, doit appartenir dĂ©finitivement Ă la propriĂ©tĂ© et au savoir, Ă lâillustration, aux talents, aux services, derniĂšres noblesses incontestĂ©es de lâĂąge indĂ©pendant oĂč nous sommes. La rĂ©gion cjui comprend ces biens, peut seule exercer le pouvoir, parce quâelle en fera un usage utile PRINCIPES GĂNĂRAUX. 65 Ă tous ; elle comprendra et maintiendra les lois Ă©ternelles du monde social. Ailleurs, on nâa droit quâaux libertĂ©s privĂ©es et Ă lâĂ©galitĂ© civile. L ''ordre tout entier rĂ©side dans cette distinction. Car Montesquieu lâa dit Autant que le ciel est Ă©loignĂ© de la terre, autant le vĂ©ritable esprit dâĂ©galitĂ© lâest-il de lâesprit dâĂ©galitĂ© extrĂȘme ; » et il fait voir que le dernier nâa jamais menĂ© les peuples quâĂ la tyrannie dâun seul par la tyrannie de tous. LâĂ©galitĂ© vĂ©ritable est celle que nous possĂ©dons, et que lâunivers ignore. U y a Ă©galitĂ© parmi nous, entre tous les frĂšres, entre tous les hommes, entre tous les Français. Tous sont, au mĂȘme titre et Ă des conditions pareilles, les sujets de la loi, et ne le sont que de la loi seule. Il nây a point de forts ni de faibles ; nul nâest le dĂ©pendant obligĂ© dâun autre; nul nâa au-dessus de sa tĂȘte une hiĂ©rarchie qui arrĂȘte sa croissance et lâempĂȘche de grandir; tous peuvent atteindre Ă tout. Le pouvoir nâa pas la main si forte ni si habile quâil lui fut possible de frapper impunĂ©ment la tĂȘte du plus inconnu ou du plus indigent dâentre nous. Câest lĂ la plus noble et la plus belle des conquĂȘtes; câest lĂ une crĂ©ation immense, incomparable. Onpeutaccuser dâingratitude ceux qui, parlant toujours de conquĂȘtes nouvelles Ă poursuivre, oublient que la plus difficile et la plus grande de 5 G6 LIVItF toutes sâachĂšve, se consacre sous nos yeux. Il faudrait la bien reconnaĂźtre, se bien pĂ©nĂ©trer des devoirs quâelle nous impose , avant de passer outre. Serait-ce que, pourvues de lâĂ©galitĂ©, en jouissant Ă lâombre des lois, les masses sont dĂ©shĂ©ritĂ©es de la libertĂ© ? Non, sans doute. Les droits dont la libertĂ© se compose , nous disons les droits , ces droits augustes et sacrĂ©s, sont le patrimoine de tous. Telle est la libertĂ© de conscience; la libertĂ© des cultes; la libertĂ© individuelle ; la libertĂ© de la pensĂ©e; la facultĂ© donnĂ©e Ă chacun dâintervenir par la presse, par lespĂ©titions, par tous les moyens individuels, sans avoir rien Ă craindre des hommes, sans rencontrer nul empĂȘchement de la part des lois, dans les affaires de lâĂtat. Ces droits dans notre France appartiennent, ce qui ne sâest vu nulle part sous le soleil, aux trente-deux millions dâhommes qui vivent sous la mĂȘme loi. M. de Constant avait donc raison de proclamer, lâune des derniĂšres fois quâil ait tenu la tribune , que le mendiant mĂȘme a des droits, et non pas seulement, comme il le disait, des droits privĂ©s. 11 a les droits civils de tous les Français ; il a leurs droits politiques. Mais il nâa pas le pouvoir politique; il nâa pas celui de lâĂ©lection; il nâa pas celui de lâĂ©ligibilitĂ©, voilĂ le vrai! Ajoutons que la France est le seul pays de la terre oĂč la loi nâenchaĂźne par aucun lien le PRINCIPES GĂNĂRAUX. 67 vice Ă la fortune, et le talent Ă la pauvretĂ©; le seul oĂč la propriĂ©tĂ© ne soit substituĂ©e dans les mains de personne, oĂč personne ne trouve au- dessus de soi des obstacles qui arrĂȘtent son essor vers la richesse, vers le pouvoir, vers la grandeur. Sous de telles lois, il nây a pas de privilĂšge; car il nâest pas de situations si hautes quâelles ne soient accessibles Ă tous. PĂ©rissable au grĂ© des Ă©vĂ©nements dans les mains de chacun, la propriĂ©tĂ© nâest point la noblesse, ni rien qui y ressemble. Elle est le droit dans toute sa simplicitĂ©, puisque les avantages se proportionnent Ă trois choses que la propriĂ©tĂ© comprend, et que la raison proclame les charges, la capacitĂ©, les services. On a pu aisĂ©ment enlever aux classes Ă©clairĂ©es tous les privilĂšges. On peut, et avec injustice, leur contester tous les droits. Une prĂ©rogative leur restera ; celle dâĂȘtre les dĂ©positaires de tous les Ă©lĂ©ments de lâamĂ©lioration sociale et politique des nations. La pratique des arts, lâapplication des dĂ©couvertes des sciences, lâamour des lettres, la culture de toutes les branches de la civilisation forment le patrimoine de cette partie riche, polie, industrieuse des sociĂ©tĂ©s humaines vers laquelle gravite la sociĂ©tĂ© entiĂšre. Ce quâon s'est mis rĂ©cemment Ă proscrire sous le nom dâ oisivetĂ©, est ce travail intellectuel et moral qui consiste Ă rĂ©pandre toutes les vĂ©ritĂ©s utiles, Ă faire 68 LIVRE PREMIER. passer la philosophie dans les lois, Ă fonder des hĂŽpitaux et des Ă©coles, Ă mĂ©diter, Ă mĂ»rir, Ă former les grandes entreprises, Ă appeler les niasses courbĂ©es sous le joug de lâindigence, Ă lâinstruction qui les relĂšve, Ă lâordre qui les enrichit et les Ă©pure. Quel pouvoir dĂ©magogique nous versera ces biens ? Ah ! si nous voulonsvoir le termede nos misĂšres, gardons-nous dâĂ©tendre Ă la France moderne les sentiments quâexcitĂšrent les hiĂ©rarchies exclusives et dĂ©faillantes du dernier siĂšcle ! Reconnaissons que nul pays dans le monde ne voit dans les classes Ă©clairĂ©es autant de sacrifices et dâefforts pour provoquer des progrĂšs au sein des masses, sans autre but, sans autre salaire que les satisfactions de la conscience. Sâil vous plaĂźt de trier des noms, de faire des distinctions dans lâĂ©lite de notre patrie, de sĂ©parer lâancienne aristocratie de la classe moyenne, voyez sâil est une catĂ©gorie qui nâapporte pas son contingent Ă toutes nos gloires ; si les dĂ©bris de cette aristocratie dĂ©truite ne se recommandent pas par des services et des talents nouveaux ; si la littĂ©rature, la politique, la guerre ne sâhonorent pas chaque jour de noms dĂ©jĂ inscrits depuis des siĂšcles dans nos annales ! La classe Ă©clairĂ©e, ou, si lâon veut, lâaristocratie actuelle, mobile et ouverte Ă tous, est une dans ses Ă©lĂ©ments divers ; elle marche toute entiĂšre Ă la tĂȘte de PRINCIPES GĂNĂRAUX. Q notre civilisation ; toute entiĂšre, elle fait les grandeurs prĂ©sentes de notre patrie ; et, si on ne tient compte que des services rendus Ă la cause des institutions libres, quâon veuille bien rĂ©pondre Ă ceci Qui, durant les seize annĂ©es de la restauration, plaida pour le peuple et en son nom, la cause de la lĂ©galitĂ©, la cause des lois? La foule sait admirablement combattre pour la libertĂ© ; mais ce sont les classes Ă©clairĂ©es qui la conçoivent, la dĂ©veloppent, en font descendre les notions et les bienfaits au sein des masses ; et câest lĂ encore un de leurs titres au respect des gens de bien. La libertĂ© est, de tous les progrĂšs du gĂ©nie de lâhomme, le plus noble, le plus Ă©levĂ©; câest en mĂȘme temps le plus fragile. Elle nâest venue au monde, dans la GrĂšce , que deux mille ans aprĂšs le despotisme. Aujourdâhui encore, elle nâest acclimatĂ©e que dans quelques rares rĂ©gions favorisĂ©esdu quelles mains remettra-t-on cesaintdĂ©pĂŽt, sinon Ă celles qui en possĂšdent dĂ©jĂ un autre, plus grand et antĂ©rieur, celui de la science et des lumiĂšres , celui de la civilisation mĂȘme ? Celles-lĂ seules sauront le gĂ©rer. Fille des hauts lieux, la libertĂ© dĂ©pĂ©rit et succombe partout ailleurs. Ensuite, quand vous aurez assis vos institutions sur leurs lĂ©gitimes fondements, vous en confierez les destinĂ©es Ă la monarchie, ou Ă la rĂ©publique ; peu importera. Deux consuls peuvent faire dâun peuple le maĂźtre du monde on le sait. 7 ° LIVRE PREMIER. Dix archontes, un doge , un landammam , peuvent abriter sous leur toge Tordre et les lois. On le voit depuis trois mille ans dans lâhistoire. La seule chose qui ne se soit pas vue sous le soleil, câest un peuple menĂ© par en bas et bien conduit ; menĂ© par en bas, et libre ! Ce serait une pyramide renversĂ©e sur le faĂźte. Il nâest pas de miracles qui pussent la tenir debout. La rĂ©publique nâest si mal famĂ©e parmi nous , que parce que le parti qui la professe nâa point dâautre maniĂšre de la comprendre, que dĂ©magogique dâoĂč il suit que ceux qui la redoutent la voient toujours coiffĂ©e du bonnet rouge , les bras nus, subversive enfin , et par consĂ©quent abominable, absurde, impossible. Ils ont raison, dĂšs lors. La dĂ©mocratie, sans des contre-poids puissants, arrive de toute nĂ©cessitĂ© Ă lâanarchie populaire. Elle nâa quâun moyen dâĂ©chapper Ă sa destinĂ©e, quâun moyen de sauver lâordre , câest le despotisme ; et de lĂ vient quâelle finit toujours par aller, lasse et sanglante, se reposer Ă son ombre. Câest pourquoi la monarchie constitutionnelle est considĂ©rĂ©e comme prĂ©fĂ©rable Ă la rĂ©publique la mieux ordonnĂ©e elle donne un arbitre aux diverses classes ; elle oppose un contre-poids aux forces diverses. Le prince, qui tient en main la balance, Ă©quilibre , par son propre poids, les bassins. Dâun autre cĂŽtĂ©, il ne peut rien entre- PRINCIPES GĂNĂRAUX. 7 1 prendre contre la loi du pays ; ou bien si, dans un moment dĂ©colĂ©rĂ©, dâemportement, de crainte peut-ĂȘtre, il le tente jamais, toutes les forces se retirent de lui, et, dans cet impuissant effort, il tombe. Ceci ne nous ramĂšne que trop Ă notre France. CHAPITRE IV. LA. LĂGITIMITĂ. La lĂ©gitimitĂ© est lâordre dans la monarchie r lâordre entendu de la question fondamentale des Ă©tats monarchiques, qui est la transmission de la couronne. Il peut ĂȘtre violĂ©, interverti, renversĂ©. Cela sâest vu. Il ne sâest pas vu que ce fut sans les plus extrĂȘmes calamitĂ©s. Sous ce rapport, la monarchie reprĂ©sentative nâa point de maximes, point de conditions, point de destinĂ©es Ă part. Toute la diffĂ©rence avec les autres monarchies est quâelle place la lĂ©gitimitĂ© sous la garantie de deux grands principes constitutionnels qui sont les corollaires nĂ©cessaires lâun de lâautre la responsabilitĂ© ministĂ©rielle et lâinviolabilitĂ© royale. LĂ , les rois ne pouvant mal faire, ne peuvent pas tomber. Il y a autant de cas de responsabilitĂ© que la nation le veut. 11 nây a point, il ne peut jamais y avoir de cas de rĂ©volution j ou, si on en fait Ă plaisir, si on en invente, que ce soit le prince ou la nation , on peut dire avec certitude malheureux roi ! malheureuse nation! HĂ©las ! oui, nous en avons fait lâĂ©preuve. On a inventĂ© des cas de rĂ©volution pour la France ! Les PRINCIPES GĂNĂRAUX. 73 bouleversements ont recommencĂ© pour elle ! On a vu ce que coĂ»te aux princes le renversement des lois! La loi de'lâinviolabilitĂ© royale peut alors cesser de les dĂ©fendre. Par eux Ă©lait remis en question lâordre constitutionnel ! Lâordre monarchique pĂ©rit en eux. On voit aussi ce que coĂ»te aux nations le renversement du principe de la monarchie, mĂȘme quand on le justifie par le droit de la guerre, par lâintĂ©rĂȘt de la dĂ©fense, par lâĂ©lan de la victoire. LâĂtat Ă©branlĂ© ne se rassied pas au prix des plus longs efforts. Les imaginations Ă©mues, les passions dĂ©chaĂźnĂ©es ne savent plus se plier au joug des pouvoirs constituĂ©s et de la libertĂ© lĂ©gale. Cette libertĂ© patiente, sage, rĂ©guliĂšre , gĂȘne et irrite, comme un obstacle, ceux qui, ayant vaincu par le glaive, nâimaginent plus dâarbitre meilleur que le glaive pour la conduite des choses humaines. A lâinsurrection pour les lois succĂšde sans cesse et partout lâinsurrection contre les lois. De toutes parts, on veut des conquĂȘtes nouvelles, un avenir nouveau et cette inquiĂ©tude dĂ©vorante ne connaĂźt plus de barriĂšre devant laquelle sâarrĂȘtent les ambitions et les haines , les thĂ©ories et les destructions. Yoyez sâil ne semble pas que tous les droits aient pĂ©ri dans un seul. Il nâest pas dâinstitution qui ne soit attaquĂ©e, pas dâintĂ©rĂȘts qui ne se sentent compromis câest un dĂ©sordre dâidĂ©es universel; universelle est aussi lâanxiĂ©tĂ© des esprits. La citĂ©, avec cent mille hommes sous les armes dans LIVRE PREMIER. 74 ses rues, ne se croit pas en sĂ»retĂ©. Si parfois lâesprit public se relĂšve, câest pour retomber bientĂŽt, aprĂšs quelques trĂȘves dĂ©cevantes, sous le poids dâexcĂšs et de pĂ©rils plus grands. Il y a une impuissance indĂ©finissable et partout prĂ©sente de rendre au corps politique sa paix, sa sĂ©curitĂ© , sa foi en lui-mĂȘme. Que sâest-il donc passĂ©? Simplement ce fait. La force, la force populaire, fatalement provoquĂ©e, est intervenue dans la dĂ©cision des destinĂ©es publiques; une fois intervenue, elle a tranchĂ© des questions sur lesquelles il y avait un vieux droit national, solennel et consacrĂ©. Elle les a tranchĂ©es , nonobstant les clauses dâun autre droit national, nouveau et auguste, celui de la Charte, qui servait au premier de sanction et de dĂ©fense. Et lâapparition de la force, mĂȘme quand elle sâest produite pour la dĂ©fense et au nom des lois, est une atteinte si profonde Ă lâordre rĂ©gulier des sociĂ©tĂ©s humaines, que toutes les existences ont Ă©tĂ© mises par cela seul en pĂ©ril ; tous les principes, en question. La force est intervenue pour combattre un roi dont lâautoritĂ© avait fait appel Ă la force ; et non contente de le combattre, de le vaincre, elle lâa renversĂ©, et avec lui toute une lignĂ©e de rois. Les fils aĂźnĂ©s dâune race royale, qui brillait sur la scĂšne du monde avant que le monde moderne fĂ»t sorti des tĂ©nĂšbres de son enfance barbare, ont disparu en un jour du milieu de nous; ils ont dis- PRINCIPES GĂNĂRAUX. 75 paru, emportant des siĂšcles avec eux, mais emportant aussi le dogme politique qui est lâarc-boutant des trĂŽnes, et avec lui, on lâoublie trop, les deux autres dogmes de lâinviolabilitĂ© royale et de la responsabilitĂ© ministĂ©rielle, sur lesquels prĂ©tend sâasseoir la nouvelle monarchie constitutionelle quâon travaille Ă fonder, câest-Ă -dire tout ce qui devait servir Ă notre libertĂ© dĂ©mocratique de digue Ă la fois et de support. Il nâen a pas fallu davantage pour susciter dans la sociĂ©tĂ© toutes les audaces , dans lâĂ©tat toutes les subversions. La terre tremble parce quâa Ă©tĂ© arrachĂ© le principe mĂȘme qui a pour mission dâaffermir le sol sous les pas des nations. Serait-ce que cet Ă©lĂ©ment auguste et sĂ©culaire de lâordre politique est Ă nos yeux lâordre tout entier ? Sommes-nous de ceux qui jugent son inviolable maintien, une condition nĂ©cessaire de la vie des empires, la pierre angulaire des sociĂ©tĂ©s, celle sans laquelle tout pĂ©rit, tout tombe fatalement jusquâĂ ce que lâempire, battu des orages , vienne sây rasseoir, ou quâil se perde dans la guerre civile et la conquĂȘte ? RĂšgle si inviolable que si une atteinte y a Ă©tĂ© portĂ©e, le citoyen doit dĂ©sespĂ©rer sans retour de sa patrie , comme le Troyen quand EnĂ©e eut emportĂ© ses dieux , et que rien ne resta dâIlion, hormis des cendres et des ruines ! Nous expliquerons notre pensĂ©e, dans les termes mĂȘmes dont nous faisions usage, au sein LIVRE PREMIER. 76 de la monarchie triomphante, pour enlever Ă ses conseils lâaveugle confiance qui, en dĂ©finitive, a tout perdu. Le temps des superstitions politi- » ques est passĂ©, disions-nous; ne nous fions pas » sans bornes au simple appui dâun dogme, appui » trompeur qui manquerait sous le premier des » pas que nous ferions en dehors des lois. Les » peuples connaissent Ă©galement aujourdâhui et » leurs immunitĂ©s, et leurs annales. Le trĂŽne le » plus ancien de la chrĂ©tientĂ© ne lâest pas telle- » ment que nous ne l'ayons tous vu sâĂ©lever » dans lâhistoire, que nous nâayons en quelque » sorte entendu tous ce seigneur plus ancien que » la royautĂ© qui disait du chef des CapĂ©tiens » Qui lâa fait roi ? » De quelle source Ă©mane donc la lĂ©gitimitĂ© ? » Dâun contrat antique, Ă©crit dans le consente- » ment des gĂ©nĂ©rations qui se sont succĂ©dĂ©es; » contrat auguste et saint, prĂ©cisĂ©ment parce que » les affections, les intĂ©rĂȘts, les doctrines de toutes » les gĂ©nĂ©rations y trouvent leur consĂ©cration et » leur garant. Mais Ă qui espĂ©rerait-on cĂ©ler, au- » jourdâhui, que les nations, en remettant cet » immense dĂ©pĂŽt, tiennent en rĂ©serve , par une » clause tacite que rĂ©vĂšlent les rĂ©volutions des » empires, un droit terrible dont elles ne font usage que dans les temps qui sont toujours des t Vues politiques, ISIS. PRINCIPES GĂNĂRAUX. 77 » calamitĂ©s publiques , quand une secousse vio- » lente les a rĂ©veillĂ©es du sommeil des siĂšcles ? câest » ce droit de rĂ©sistance et de salut par soi-mĂȘme, » sur lequel la Constitution anglaise se fonde, et » dont Fox a dit quâil serait bon que les rois sâen » souvinssent toujours, que les peuples ne sâen » souviennent jamais. » Ces maximes ont reçu, depuis le temps oĂč elles furent tracĂ©es, une sanction mĂ©morable dans lâouvrage dont M. le vicomte de Chateaubriand, Ă lâheure mĂȘme de la rĂ©volution de juillet, enrichissait nos fastes historiques. Ses Discours sur lâhistoire de France lient, et mĂȘme subordonnent, dans notre patrie, le principe monarchique au droit national. Lâillustre Ă©crivain rappelle que tous nos rois ont Ă©tĂ© sacrĂ©s Ă Reims sous lâauspice de cette formule Peuple, est-ce bien lĂ celui que vous » Ă©lisez pour seigneur et roi ? » Tous? HĂ©las, non ! Il en est un qui, aprĂšs huit cents ans , raya du ri- tuaire de son inauguration ce tĂ©moignage des libertĂ©s antiques, et il nâa plus au front dâautre couronne que celle de lâadversitĂ©. La vĂ©ritĂ© est assurĂ©ment quâil nây a point de pouvoir indĂ©fini sur la terre. Supposez la lĂ©gitimitĂ© sans limite possible, elle sera supĂ©rieure Ă toutes les lois humaines. Religion, mĆurs, sociĂ©tĂ© civile , tout tombera Ă sa merci. La nation entiĂšre appartiendra corps et Ăąme Ă son chef ; tout devra plier sous sa volontĂ©, sous son caprice , jusquâĂ ce LIVRE PREMIER. ?8 quâil se prĂ©cipite avec toute sa monarchie dans les abĂźmes , comme ce Charles IV, dâEspagne, il y a vingt ans, livrant son peuple, son trĂŽne, et sa dynastie Ă lâĂ©tranger. A ces conditions, ce ne serait pas la royautĂ© ce serait la tyrannie perpĂ©tuelle. HĂ©las! supposez au contraire que lâincontestable droit du pays sur lui-mĂȘme sâintitule souverainetĂ© ; que cette souverainetĂ© prĂ©tendue se dĂ©clare sans bornes ; quâau lieu de reposer, silencieuse et inactive, dans lâarsenal dĂ©fensif des peuples, comme la ressource dern iĂšre et extrĂȘme des extrĂȘmes fatalitĂ©s, elle soit une arme offensive suspendue sans cesse Ă leur ceinture, ce ne sera bientĂŽt plus le corps entier de la nation qui en aura le dĂ©pĂŽt ; chaque faction pourra sâen saisir, chaque jour la voir briller sur la place publique; il nây aura ni sĂ©curitĂ©, ni ordre, ni libertĂ©. Le parti vainqueur se croira toujours le droit de changer les institutions et le gouvernement de la patrie. Par-dessus tout, une classe se dira, se croira le peuple. Ce sera la tyrannie encore, une autre sorte de despotisme, mais subalterne et grossier, oĂč tout sera violence et subversion , jusquâĂ ce quâenfin le peuple vĂ©ritable , fatiguĂ© de ce rĂšgne destructeur et mensonger, Ă©chappe par lâabdication au suicide. La tyrannie des masses aura donnĂ© soif Ă chacun de la tyrannie dâun seul. Heureusement, Dieu ne soumet point Ă des principes si absolus les choses de ce monde. Aussi, de PRINCIPES GĂNĂRAUX, 79 toutes les tentatives que fait la rĂ©volution de 1830, ce nâest pas celle dâintervertir lâordre de succession, si grave quâelle soit dĂ©jĂ par elle-mĂȘme, qui est en effet surhumaine. Lâhistoire de lâunivers offre Ă nos yeux nombre dâexemples de cette nature. LâEurope est sillonnĂ©e des courses errantes de dynasties renversĂ©es, et les nations ont vĂ©cu. En dĂ©pit de la chute absolue des Wasas, la SuĂšde prospĂšre. Il est advenu Ă lâAngleterre de faire, en principe, autant que les lĂ©gislateurs de juillet, et Dieu lui a dispensĂ©, depuis lors, cent cinquante ans de grandeur. Est-il donc vrai de penser que la France soit nĂ©cessairement une nation condamnĂ©e du Ciel ; que le droit se trouve banni Ă toujours de son sein ; que la force puisse seule dĂ©sormais y avoir lâempire ; que toutes les chances dâordre et de durĂ©e lui soient ravies sans retour; que ses misĂšres aient une cause unique et insurmontable; que nous tous, qui croyons quâil nây a de salut que par la monarchie dans la situation politique et sociale de la France, nous devions jeter, comme on dit, le manche aprĂšs la cognĂ©e, et attendre de pied ferme que le dĂ©sordre, deux cornes dâabondance Ă la main, verse dâabord tous les maux, dans lâespoir quâensuite il Ă©panchera les biens ? Non ! nous ne saurions admettre, quels que fussent du reste nos sentiments personnels, que cette triste fatalitĂ© pĂšse invinciblement sur notre patrie. 8o LIVRE PREMIER. Dans notre conviction, si la France sait et veut, le droit, condition de toute stabilitĂ©, peut ne pas rester exilĂ© du milieu dâelle. Nulle famille ne le possĂšde dâune façon si intime, Ă un titre si saint, quâelle puisse lâattacher Ă sa fortune, et en dĂ©shĂ©riter lâavenir tout entier dâun peuple. Mais nous avons dit si France sait et veut. Câest-Ă -dire si elle sait reconnaĂźtre et entend respecter, au-delĂ de la lĂ©gitimitĂ© des rois , dâautres principes, antĂ©rieurs Ă la lĂ©gitimitĂ© elle-mĂȘme, dâune origine plus haute encore, Ă qui la lĂ©gitimitĂ© empruntait sa force, et sans lesquels il ne sâest pas vu dâEtats se tenir debout et fleurir. Ainsi, nous citions lâexemple de lâAngleterre, exemple qui a exercĂ© une si dĂ©cisive influence sur les rĂ©solutions et les destinĂ©es de la France. Mais remarquons quâen se privant de la puissance politique de la lĂ©gitimitĂ©, lâAngleterre ne rĂ©pudia point sa constitution sociale. Remarquons quâelle tint son aristocratie et son Eglise debout la clĂ© de voĂ»te abattue , elle respecta les fondements. Elle crut avoir fait assez en un jour de crĂ©er une royautĂ© nouvelle, et elle se reposa ; elle ajourna de cent ans et plus lâĂ©mancipation, lâabolition de la traite des noirs, lâĂ©tablissement de la libertĂ© de la presse, toutes ces grandes entreprises auxquelles ses lĂ©gislateurs consacrent des trente annĂ©es de discussion, mais qui durent toujours. Supposez que le peuple an- PRINCIPES GĂNĂRAUX. glais eĂ»t prĂ©tendu renverser du mĂȘme coup que le trĂŽne des Stuarts, ses lois civiles et sa Chambre hĂ©rĂ©ditaire, accomplir la rĂ©forme, refaire le jury, changer lâadministration du royaume, du comtĂ©, de la commune, Ă©nerver tous les pouvoirs, courber tous les rangs sous le flĂ©au populaire, Ă©tendre enfin ses innovations radicales Ă lâEtat, Ă lâĂ©glise, Ă lâarmĂ©e, Ă la sociĂ©tĂ© mĂȘme ; supposez encore que le peuple anglais eĂ»t applaudi, entre mille autres folies coupables et subversives, la prĂ©dication de doctrines qui sont lâanarchie vivante, ou bien quâil eĂ»t tolĂ©rĂ© la dĂ©dicace de temples nouveaux , oĂč lâanarchie, restant logicienne et devenant mystique, fĂźt une religion de la loi agraire *; supposez enfin que ce fĂ»t sous le coup, en prĂ©sence, dans lâivresse dâinsurrections furibondes, tantĂŽt pour les prĂ©venir et tantĂŽt pour les contenter, que le Parlement eĂ»t promenĂ© la hache sur toutes les institutions existantes, que la royautĂ© nouvelle eĂ©it Ă©tĂ© contrainte de proclamer la rĂ©pudiation de tous les souyenirs, dç renier son propre passĂ©, dâabdiquer mĂȘme sa gĂ©nĂ©alogie et son histoire, câest-Ă - dire dâabjurer la part de droit qui subsistait en elle jusque dans la violation du droit, nous disons que la rĂ©volution de 1688, en procĂ©dant ainsi, aurait conduit le peuple anglais Ă des subversions sans terme, et quâelle se fut hĂątĂ©e de rĂ©trograder avec 1 Le Saint-Simonisme. 6 82 LIVRE PREMIER. effroi, ou bien quâeile nâaurait enfantĂ© que des tyrannies sauvages, et quâelle aurait pĂ©ri quelque jour noyĂ©e dans le sang et dans les pleurs. Cela vient de ce quâil est des intĂ©rĂȘts et des principes qui tiennent, plus intimement que la lĂ©gitimitĂ© mĂȘme, Ă la vie des Etats. Ce sont ceux sur lesquels la sociĂ©tĂ© se fonde, et quâon a exposĂ©s plus haut comme constituant la grande et Ă©ternelle charte delâhumanitĂ©. Us sont de droit divin, et par consĂ©quent de droit universel; la lĂ©gitimitĂ©, au contraire, comme la monarchie elle-mĂȘme, est simplement de droit public. Mais ce quâil faut ajouter, et ici nous dirons toute notre pensĂ©e, câest quâune grave erreur serait de mĂ©connaĂźtre son caractĂšre vĂ©ritable, qui est dâĂȘtre la sanction de ces intĂ©rĂȘts primordiaux que nous signalons, la sauvegarde de ces principes sacrĂ©s, si bien que , dans une monarchie, surtout qui a vĂ©cu des siĂšcles, elle fait corps avec eux par mille attaches, et participe ainsi Ă leur haute nature. Elle en est Ă la fois lâapplication , la garantie, la consĂ©cration. Si donc, nous ne sommes pas de ceux qui croient quâelle est tout, ne soyons pas non plus , Ă Dieu ne plaise! de ceux qui pensent quâelle nâest rien ou peu de chose, et qui, Ă©loignĂ©s de nourrir le goĂ»t du dĂ©sordre et les passions mauvaises, sont prĂȘts cependant Ă sâapplaudir de sa chute quâon nous passe lâexpression, comme dâun dĂ©barras. Quoi! ne voient-ils pas que le droit royal PRINCIPES GĂNĂRAUX. 83 interverti, tous les droits ont flottĂ© sur leurs bases ? Quoi ! nâont-ils pas entendu depuis vingt mois, la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme mise en question chaque jour par des doctrines qui sont une sĂ©dition morale, et par des sĂ©ditions positives, qui sont ces doctrines armĂ©es? Quoi ! nâont-ils pas vu la VendĂ©e Ă©mue jusquâĂ la guerre civile, et Lyon dĂ©lirant jusquâĂ la Jacquerie ? Quoi ! ne sentent-ils point lâordre tout entier chanceler sous leurs pas ? Et on voit quâils ne le sentent que trop dans leurs pages admirables dâesprit, de courage et de talent 1! Non, non ! en prĂ©sence des tristes et mystĂ©rieux spectacles qui nous ont entourĂ©s sans cesse, ne contestons plus les biens de la lĂ©gitimitĂ© ! Comment nier quâil y ait lĂ un principe tutĂ©laire, une sanction haute et puissante qui se lie Ă bien des besoins matĂ©riels et moraux, puisquâon ne peut lâabjurer, sans que le sol tout entier ne tremble ? La lĂ©gitimitĂ© est Ă lâĂ©difice des monarchies une clĂ© de voĂ»te donnĂ©e par lâhistoire. Elle place le pouvoir royal sous lâabri des siĂšcles, en le rendant respectable par ce double sceau de lâavenir et du passĂ© quâelle porte en elle-mĂȘme ; elle appuie toutes les institutions du pays Ă un Ă©lĂ©ment Ă©ternel dâordre et de stabilitĂ©. Il y a plus elle nâest pas sans doute le droit absolu, mais elle en est lâimage et le symbole. Elle tient par lĂ aux fonde- 1 De la Monarchie de 1830, par M. Thiers, LIVRE PREMIER. et dâune longue infĂ©rioritĂ© par un rapide nivellement ! On ne regarde jamais, dans les assemblĂ©es, que les chefs qui remplissent la tribune. Il faut voir le troupeau qui remplit les bancs. LĂ est lâinstinct qui meut, la volontĂ© qui pousse, la force qui prononce. Par le doublement du Tiers, la royautĂ© avait elle-mĂȘme renversĂ© la constitution antique , et appelĂ© la dĂ©mocratie Ă lâempire. Mais lâĂ©loquence, mais le gĂ©nie, mais la gloire en un mot, Ă quoi tout cela tint-il ? Incontestablement, Ă cette cause unique, que lâAssemblĂ©e Ă©tait la reprĂ©sentation, sinon prudemment ordonnĂ©e , du moins vraie et complĂšte, de la France ; quâelle rĂ©unissait dans son sein lâĂ©lite vĂ©ritable de la nation ; que toutes les supĂ©rioritĂ©s y furent conviĂ©es comme tous les intĂ©rĂȘts ; que le gĂ©nie national y parut dans tout ce que la monarchie avait de grand et de renommĂ©. Si ce ne fut point assez la tĂȘte de la France qui voulut pour la France , du moins ce fut elle qui reprĂ©senta pour le corps entier de la nation. Supprimez les deux premiers ordres dâalors ; croyez-vous nâenlever que la milice altiĂšre qui combattait derriĂšre Maury etCazalĂšs ? Point ; vous enlevez au parti des idĂ©es nouvelles, Mathieu de Montmorency, Talleyrand-PĂ©rigord, Clermont- Tonnerre, Lally-Tollendal, Liancourt, lâabbĂ© SyĂšyes, lâabbĂ© GrĂ©goire , Duport, les deux La- 121 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. metli, le duc dâOrlĂ©ans, enfin les princes de la rĂ©volution, Lafayette et Mirabeau ! A part les personnages cĂ©lĂšbres, supprimez dans lâAssemblĂ©e le contre-poids de lâaristocratie ancienne. Laissez le Tiers, seul maĂźtre de la France, seul aux prises avec une rĂ©volution , ayant Ă la museler sans secours ou Ă la prĂ©cipiter sans obstacle. A quelles tentations, Ă quelles extrĂ©mitĂ©s, livrĂ© ainsi Ă lui-mĂȘme, nâeĂ»t-il pas Ă©tĂ© emportĂ© dâabord ? Ce quâil eĂ»t fait, les deux annĂ©es qui suivirent nous le rĂ©vĂšlent. LâAssemblĂ©e lĂ©gislative laisse Ă©chapper en mĂȘme temps la puissance et la renommĂ©e. Elle a fait le 10 aoĂ»t ; elle a renversĂ© le trĂŽne, et ces grands coups ne lui ont pas valu la gioire. Pourquoi les a-t-elle portĂ©s ? Pourquoi ont-ils Ă©tĂ© stĂ©riles pour elle, et brille-t-elle dâun si faible Ă©clat? Câest quâelle nâĂ©tait, de la France, quâune image incomplĂšte, quâun torse mutilĂ© ; tous les partis ne siĂ©geaient pas dans son sein , tous les intĂ©rĂȘts nây avaient point leurs reprĂ©sentants et leurs dĂ©fenseurs ; Ă©mondĂ© par les dissensions civiles, le tronc national nây montrait quâune partie de ses rameaux. Dâun autre cĂŽtĂ© , la puissance publique Ă©tait descendue dâun Ă©chelon et dĂšs-lors lâinfluence qui domina le pays , la passion qui maĂźtrisa les pouvoirs , la force qui les assista , dâoĂč serait-elle venue , sinon de ces zones infĂ©rieures, oĂč le penchant naturel est le nivellement , oĂč le gĂ©nie est la Ă22 LIVRE SECOND- destruction , oĂč la politique est la force , et partant la tyrannie. La tyrannie , disons-nous ; aussi lâhistoire des passions dĂ©mocratiques, dans tout lâunivers, se rĂ©duit-elle Ă ces deux phases lâexercer ou la subir. Une fois vaincue et dĂ©vastĂ©e la rĂ©gion sociale oĂč rĂ©side le dĂ©pĂŽt des lumiĂšres , de lâopinion , de la conscience des peuples , voyez ce qui resta de la puissance publique, la terreur ; de lâordre, le sang et les ruines ; de la libertĂ© , une grande profanation et une cruelle mĂ©prise. La Convention , jusquâau 31 mai, a une tribune encore. Elle compte dans ses rangs les Vergniaud , les Guadet,les GensonnĂ©, les Isnard, cette Gironde Ă©loquente quâelle a reçue delĂ LĂ©gislative et quâelle brĂ»le de passer aux Ă©chafauds. Comment fait-elle pour les rĂ©futer? Lâinsurrection prend sĂ©ance, escalade la tribune, gourme le talent, saisit au collet le courage, trouve plus simple de jeter bas ses adversaires que de les entendre , et plus facile , comme Lanjuinais le dit si bien , de les assommer que de leur rĂ©pondre. Mis au monde pour exercer les pleins pouvoirs de la multitude, le sĂ©nat populaire se distinguait encore de la multitude par tous ces hommes qui voulaient lâimpossible qui voulaient la rĂ©publique par les masses, et avaient dans lâesprit une autre libertĂ© que le niveau , dans le cĆur- une autre politique que la vengeance. Derniers reprĂ©sentants de lâindĂ©pendance des opinions, ils 123 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. lie trempaient quâĂ regret dans le crime. Derniers dĂ©positaires de la parole , ils ne cĂ©daient pas sans protestation Ă la violence brutale. La Convention les rejette de son sein elle les livre Ă la furie populaire ; et, Ă dater de ce jour, il se fait silence dansson enceinte, comme dans le Forum quand les PlĂ©bĂ©iens eurent vaincu. On ne parle plus quâaux Cordeliers pour dĂ©noncer, et aux Jacobins pour proscrire. La Convention a cessĂ© dâĂȘtre une assemblĂ©e reprĂ©sentative qui discute câest une cour Ă©toilĂ©e qui frappe. La France, avec sa libertĂ© rĂ©volutionnaire , est arrivĂ©e en mĂȘme temps au silence et au deuil des tombeaux. La libertĂ© de la presse reste-t-elle du moins, comme un dernier asile, lâapanage de la pensĂ©e, du droit, Ă©crasĂ©s sous le poids de toute cette dictature sanglante qui sâappelle la libertĂ© ? Non, cette puissante franchise sâest Ă©vanouie avec celle de la tribune. Le malheureux Camille Desmoulins a cru que les membres de ce corps qui rĂ©gnait sur la France , que ceux au moins qui venaient de condamner le tyran Louis XVI, Ă©taient en droit de faire de lâopposition contre les tyrans subalternes et atroces du jour, contre un Lebon et un Carrier point ! le rĂ©gicide ne dispense pas de la servitude. Sa tĂȘte tombe, parce que sa main a Ă©crit. Les intĂ©rĂȘts , les talents, les partis aux prises ont perdu jusquâau dernier vestige de ces arĂšnes indĂ©pendantes que lâĂšre de 1789 avait promises Ă la F rance, LIVRE SECOND. 124 et qui constituent la libertĂ©. Il nây a plus de luttes dâopinion quâentre la voix de Marat demandant toujours des victimes, et le poignard de Charlotte Corday qui lui rĂ©pond. Câest alors que brillent, lâinjure Ă la bouche et la hache Ă la main, les Saint-Just, les BarrĂšre, les Robespierre enfin, tous ces montres dont on sâest mis depuis quelques annĂ©es Ă cĂ©lĂ©brer le gĂ©nie. Ah ! il y a plus homme de gĂ©nie quâeux tous câest le bourreau ! Le malheur de la dĂ©mocratie est ce perpĂ©tuel entraĂźnement Ă substituer la force Ă la loi, Ă trancher tous les diffĂ©rends par le glaive, Ă compter le nombre pour le droit et la justice? Et accepte-t-on, pour vider les dĂ©bats des opinions et des partis, un autre glaive que la parole, un autre champ de bataille que la tribune, un autre jugement de Dieu que les solutions pacifiques de discussions sans entraves, la libertĂ© nâest plus. Quand madame Roland marcha, poussĂ©e par la furie populaire, vers lâĂ©- cliafaud oĂč Marie-Antoinette avait portĂ© sa tĂȘte sacrĂ©e, elle dut se rappeler quâelle avait trouvĂ© tout simple, une annĂ©e auparavant, que cette mĂȘme furie populaire se levĂąt en armes, au nom de la libertĂ©, contre une constitution entourĂ©e des serments de la France, et quâelle chassĂąt Marie-Antoinette, avec toute sa race, dâun trĂŽne qui devrait ĂȘtre dĂ©fendu par lâautoritĂ© des lois nouvelles, en mĂȘme temps que par huit siĂšcles assis sur ses degrĂ©s. LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. . I 25 Certes , la terreur fut grande justiciĂšre, et grĂące Ă la haine des factions pour leurs chefs dissidents, il en sera toujours ainsi. Elle promena son glaive impitoyable sur toutes les tĂȘtes qui avaient invoquĂ© le rĂšgne de la force, qui avaient mis, Ă la place de la libertĂ©, la guerre et son ivresse. Les Chabot comme les Camille Desmoulins, les Barbaroux comme les Danton , vinrent expier leur faute sur lâautel sanglant, et les sacrificateurs ne furent pas Ă©pargnĂ©s par la vindicte du ciel. La terreur, en expirant se replia sur ses auteurs, sur Robespierre et ses complices; elle les dĂ©vora. Si Louis XVI, qui ouvrit, comme un roi, cette marche lugubre, avait aussi expiĂ© des fautes, ce nâĂ©taient pas les siennes du moins câĂ©taient celles de la royautĂ© absolue, celles de ses pĂšres. 4ussi le martyr auguste demanda-t-il en vain que son sang ne retombĂąt point sur la France. La priĂšre du fils de Saint-Louis ne fut pas exaucĂ©e tout son sang devait retomber sur la France. Nous savons quelles explications ont Ă©tĂ© donnĂ©es des attentats et des folies de cette Ăšre abominable. On a fait de lâĂ©chafaud un champ de bataille, de la terreur une guerre dĂ©fensive , et sans dĂ©corer ces affreuses vindictes du nom de justice, on les a consacrĂ©es sous celui de nĂ©cessitĂ©. Câest une excuse , trouvĂ©e aprĂšs coup par des hommes de talent engagĂ©s dans une lutte qui a faussĂ© leur grand LIVRE SECOND. I 2b sens 1. Comme ils se laissent prendre Ă cette perpĂ©tuelle confusion des mots de dĂ©mocratie et de libertĂ©, ils se sont cru obligĂ©s de justifier Ă tout prix la premiĂšre pour lâhonneur de la seconde. Leurs commentaires se fondent sur des anachronismes. Ce nâest pas pour parer Ă des pĂ©rils que la rĂ©volution assouvit sa fureur, et certes le moyen Ă©tait mal choisi ; car elle nâeĂ»t fait que les accroĂźtre. Câest pour obĂ©ir Ă ses instincts grossiers ; câest parce quâelle Ă©tait le gouvernement des masses, la dĂ©magogie en action, voilĂ tout. Car si elle tua le prince que lâAssemblĂ©e constituante avait par dĂ©crets surnommĂ© le restaurateur de la libertĂ©, ce fut quand elle venait de vaincre la coalition, de conquĂ©rir la Belgique, dâemporter Mayence, dâoccuper Francfort, quand elle faisait trembler lâAllemagne , et pouvait, terrible et glorieuse, dicter la paix. Ce furent au contraire ses victoires qui lui donnĂšrent le courage de ses crimes. Ce furent aussi ses crimes, qui ranimĂšrent la coalition, y firent entrer lâAngleterre, soulevĂšrent la VendĂ©e, la Bretagne, le Midi, Lyon enfin, et mirent la rĂ©volution Ă deux doigts de sa perte. La rĂ©volution aurait pĂ©ri par lâattentat du 21 janvier, si elle avait pu pĂ©rir. Mais elle Ă©tait invincible ; ce qui faisait sa tyrannie et ses spoliations, fit aussi sa force. Elle 4 M. Thiers ; M. Mignet. LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I27 avait les masses avec elle ; ces masses furent hĂ©roĂŻques contre lâĂ©tranger. Elles enfantĂšrent les armĂ©es, les capitaines, les victoires ; aussi ne servirait-il de rien aujourdâhui dâaccuser lâorigine de la sociĂ©tĂ© nouvelle, de lui objecter les mĂ©faits qui suivirent sa naissance. Il en est des rĂ©volutions comme des enfants des barbares quâon livrait au cours des fleuves pour les Ă©prouver, et nâavouer que ceux qui rĂ©sistaient aux flots. Elle a rĂ©sistĂ© Ă toutes les tempĂȘtes. Telle est sa nature, quâelle a revĂȘtu dâune insurmontable puissance tous les gouvernements créés ou reconnus par elle, soit quâelle se chargeĂąt elle-mĂȘme de se rĂ©gir sous lâombre dâun comitĂ© de salut public, soit quâelle ceignĂźt avec le plus grand de ses fils le bandeau des rois, et poursuivĂźt les restes des projets de Pilnitz dans toutes les capitales et sur tous les trĂŽnes. Et si lâEurope devait finir par prendre sur les armes françaises une revanche terrible, les intĂ©rĂȘts nouveaux nâĂ©taient plus en question depuis longtemps. Ils avaient depuis longtemps assurĂ© leurvictoire. LâEuropeĂ Campo-Formio, Ă Amiens, partout, les avait reconnus sans retour. Ce fut non plus lâesprit dĂ©mocratique, mais lâesprit militaire, non plus la passion de la libertĂ©, mais la passion des conquĂȘtes qui souleva les rĂ©sistances offensives des tĂȘtes couronnĂ©es. Des envahissements dynastiques avaient remplacĂ© la propagande rĂ©volutionnaire. NapolĂ©on en personne, NapolĂ©on 128 LIVRE SECOND. seul Ă©tait l'antagoniste de l'univers. De tout cet assaut de principes, de toute celte guerre commencĂ©e au nom de la libertĂ© et de lâĂ©galitĂ©, il ne restait au dehors quâun duel de rois. Au dedans, il restait de cette subversion effroyable la division de la propriĂ©tĂ© et sa mobilitĂ©, une nouvelle loi civile et lâĂ©galitĂ© devant la loi ; faits Ă©normes qui, assurant la diffusion du bien- ĂȘtre public et privĂ© entre tous les enfants de la grande famille, et donnant Ă lâEtat social une base nouvelle, exigeaient de la constitution politique de nouveaux moyens de force et de stabilitĂ© ! Pour que la libertĂ© put sâĂ©tablir un jour, il fallait dâabord lâinstitution dâun gouvernement puissant, le retour aux principes Ă©ternels de lâordre, la conciliation de ces principes avec la sociĂ©tĂ© nouvelle, la rĂ©union des deux Frances divorcĂ©es pour leur commun malheur. Les termes du pacte de conciliation devaient se trouver tĂŽt ou tard, puisque deux choses demeurent Ă©galement constantes ; câest que lâancienne aristocratrie, lâEurope, le monde seraient impuissants pour dĂ©truire lâordre nouveau , comme lâordre nouveau lâest lui-mĂȘme pour fonder et maintenir un vĂ©ritable systĂšme reprĂ©sentatif. Aussi, la rĂ©volution se reconnut-elle, sous la longue Ă©preuve des misĂšres publiques, incapable du pouvoir non moins que de la libertĂ©. Elle avait eu horreur dâelle-mĂȘme; elle se chercha un tuteur LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1 29 et le trouva dans un soldat lĂ©gislateur. Il advenait Ă la France fatiguĂ©e, ce que Tacite dit de Rome , aprĂšs le rĂšgne des triumvirs elle se rĂ©fugiait sous les lois dâun maĂźtre. Câest ainsi que lâordre renaĂźt, et le monde nous appelle la grande nation. Mais nos chĂątiments ne sont pas finis car lâordre nâest venu quâavec le despotisme. Nos chĂątiments touchent Ă leur terme ; le despotisme vient avec le gĂ©nie qui le justifie et la gloire qui le rehausse. CHAPITRE III. RESTAURATIONS SUCCESSIVES. â RESTAURATION AVANT LA CHARTE, . OĂŒ LâEMPIRE. Une longue restauration sociale prĂ©cĂ©da le retour des Bourbons lâEmpire. Une autre restauration, celle-lĂ toute politique, devait accompagner la royautĂ© capĂ©tienne ce fut le rĂ©gime de la Charte. Une troisiĂšme, passionnĂ©e, subversive, fatale, pouvait suivre la nation crut en voir lâaurore dans les ordonnances de juillet 1830, et de lĂ est venue la nouvelle rĂ©volution. CâĂ©tait, disons-nous, une restauration, que le rĂ©tablissement des autels, la rĂ©intĂ©gration du calendrier, des locutions et des usages de la sociĂ©tĂ© ancienne, le rappel de ses restes fugitifs, la renaissance dâune ombre de puissance paternelle, celle des distinctions honorifiques, celle des titres transmissibles, celle des majorats hĂ©rĂ©ditaires, celle dâune cour, celle dâun trĂŽne, oeuvres inattendues et magnifiques du conquĂ©rant de lâEgypte et de lâItalie. Ajoutez la crĂ©ation de codes magnifiques, et. lâorganisation dâun pouvoir Ă©galement fort et tutĂ©laire, dâun pouvoir impartial quoique LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. l3l absolu. Par-dessus tout, voyez le systĂšme entier prendre pour appuis les deux supports nĂ©cessaires de lâautoritĂ© parmi les hommes, lâillustration et la propriĂ©tĂ©. NapolĂ©on mĂ©rita le titre de restaurateur de lâordre, que ses contemporains lui dĂ©fĂ©rĂšrent ; câĂ©tait avec raison celui qui flattait le plus son orgueil. Or, cette restauration Ă©tait indispensable Ă la rĂ©volution mĂȘme. Otez du milieu des hommes les lois, le pouvoir, la sĂ©curitĂ©, le respect, un culte; la bĂȘte fauve nâa point de plus grossiers destins. Aussi la sociĂ©tĂ© nouvelle sâaffermit-elle sous la main du gĂ©ant qui la rĂ©gla. Son autoritĂ© glorieuse pacifia les esprits, accoutuma le Bleu et le VendĂ©en Ă vivre et combattre ensemble; mit la nouvelle France, dâabord athĂ©e, puis thĂ©ophilanthrope la veille, aux genoux du chef de lâEglise romaine ; restitua aux pontifes, Ă leurs pompes, Ă leurs rites, les hommages de la foule ; plia le rĂ©publicain et le dĂ©mocrate Ă voir, Ă servir des tĂȘtes couronnĂ©es ; apprivoisa lâopinion avec la renaissance de lâaristocratie ancienne par la crĂ©ation de la nouvelle ; assit enfin cette France flottante, au sein de laquelle pas une institution et pas un principe nâĂ©taient restĂ©s debout, sur ces grandes lois que lâEmpire portait en quelque sorte incarnĂ©es en lui le respect des croyances, des supĂ©rioritĂ©s, des pouvoirs. Mais lâordre social ne fut reconstituĂ© par le pre- Ăź32 LIVRE SECOND. mier consul et lâempereur quâau profit des intĂ©rĂȘts nouveaux. Si un trĂŽne sâĂ©levait au sein de cette terre, oĂč la charrue rĂ©volutionnaire avait passĂ©, un parvenu y siĂ©geait. Sa cour brillait de gloires rĂ©centes; les rejetons des vieilles races nâĂ©taient admis, quelque fut lâĂ©clat des noms , quâaux rangs secondaires, et semblaient nâĂȘtre lĂ que pour donner du relief et des supports Ă toute cette improvisation dâune noblesse sans aĂŻeux, dâune monarchie sans passĂ©. Un Montmorency pouvait bien arriver au titre de comte, point Ă celui de duc, de peur que lâancienne sociĂ©tĂ© ne se crĂ»t rĂ©intĂ©grĂ©e en lui ; une superbe jalouse ne lui permettait pas mĂȘme le titre de baron, comme si le premier baron chrĂ©tien eĂ»t lait ombrage aux premiers soldats de la rĂ©volution et de lâunivers. Dans cette monarchie faite de main dâhomme, il fallait que rien ne sentĂźt la main du temps ; tout continua Ă dater des ruines de la Bastille; lâordre ancien restait vaincu. La libertĂ© ne pouvait, par cela mĂȘme, trouver place dans le gouvernement du 18 brumaire. Lâancienne France aurait fait un perpĂ©tuel effort pour prendre, sur ces champs de bataille des Ă©lections, de la presse, des deux tribunes, oĂč le nombre ne fait pas la victoire, des revanches de ses longs revers. Lâaristocratie impĂ©riale serait restĂ©e sans dĂ©fense contre les hĂ©ritiers de cette autre aristocratie, plastronnĂ©e de siĂšcles et rehaussĂ©e de LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1 33 malheurs, qui eussent attaquĂ© sa suprĂ©matie dans le sentiment public, toujours contraire en France aux pouvoirs rĂ©gnants, avec toutes les armes. Les feux croisĂ©s de lâesprit rĂ©publicain et de lâesprit royaliste lâauraient criblĂ©e. Lâempereur mĂȘme nây aurait pas tenu ; il ne serait restĂ© que le grand homme; alors tout croulait. La longue guerre de lâAngleterre et de lâempire ne fut pas seulement, comme on lâa dit beaucoup, une autre guerre de Rome et de Carthage, une rivalitĂ© de la puissance territoriale et de la puissance industrielle, un effort du sceptre du continent pour briser, comme on parlait alors, le trident des mers. NapolĂ©on, vraisemblablement, portait plus loin sa pensĂ©e câĂ©tait contre la tribune anglaise quâil avait mĂ©ditĂ© la descente ; câĂ©tait contre la presse anglaise quâil avait fulminĂ© les dĂ©crets de Milan et de Berlin ; câĂ©tait la libertĂ© que ses manifestes nommaient le gĂ©nie du mal, et il avait raison. Il ne restait de libertĂ© dans le monde que sous les voĂ»tes de Westminster et sur le rocher de Cadix il sây brisa. La chute de NapolĂ©on Ă©tait la suite nĂ©cessaire de sa mission immense et fatale. Il ne pouvait dompter lâanarchie quâĂ lâaide du pouvoir absolu; car Dieu nâaurait pas rĂ©glĂ© le chaos, si le chaos avait Ă©tĂ© libre. La condition du pouvoir absolu Ă©tait de donner Ă la France la perpĂ©tuelle distraction de la gloire, la perpĂ©tuelle indemnitĂ© de la LIVRE SECOND. 1 34 conquĂȘte. Mais la conquĂȘte pouvait-elle avoir un autre rĂ©sultat que la rĂ©union de tous les peuples et de tous les rois dans un intĂ©rĂȘt commun, en mĂȘme temps que la lassitude, lâĂ©puisement, lâanimadversion de la France? Le jour devait venir oĂč la France se retirerait du colosse. Ce jour vint, et il tomba faute dâappui. Gloire Ă©ternelle Ă cet homme du destin, non pas pour avoir promenĂ© au milieu des nations le char de la France en foulant sous sa roue altiĂšre les peuples et les rois ; non pas pour avoir Ă©tĂ© le plus grand capitaine des temps modernes, et peut- ĂȘtre de tous les temps ; mais pour avoir rendu ce service immense de dĂ©brouiller le chaos rĂ©volutionnaire , de former, dans le sein de la sociĂ©tĂ© bouleversĂ©e, un gouvernement fondĂ© sur les seules maximes que puissent accepter les nations civilisĂ©es, de frayer enfin la route oĂč la puissance publique doit sâaffermir parmi nous, si nous voulons une fois nous reposer Ă lâombre dâinstitutions stables et rĂ©guliĂšres ! Il nous enseigna Ă prendre les supĂ©rioritĂ©s de toute nature pour remparts. Il pensa que la gloire Ă©tait un vain nom, si elle ne maintenait les fils dans les hautes rĂ©gions oĂč sâĂ©taient Ă©levĂ©s les pĂšres ; que lâhĂ©rĂ©ditĂ© Ă©tait nĂ©cessaire Ă lâambition comme le but Ă la course, sous peine de la voir dĂ©cheoir en spĂ©culations misĂ©rables, et se contenter du lucre qui du moins se transmet. En mĂȘme temps, il fonda une adminis- LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 135 tration, une et puissante Ă son image, qui fait de notre sociĂ©tĂ© Ă©parse un seul corps, qui rend notre dĂ©mocratie compacte et gouvernable, qui est notre lien et notre force uniques. Cette administration a donnĂ© Ă la restauration sa puissance matĂ©rielle et ses chances de durĂ©e câest un bienfait que la France mĂ©connaĂźt, et, aujourdâhui encore, elle en vit. On juge des gouvernements par ce quâils ont fait de leur vivant ; câest une mĂ©prise. Il faut juger dâeux par ce quâils ont laissĂ© aprĂšs leur chute. Lâancien rĂ©gime nourrit dans ses flancs la rĂ©volution, la dĂ©magogie, lâimpiĂ©tĂ©, tous nos flĂ©aux. Lâempire, dont nous admirons la splendeur guerriĂšre, laissa deux fois, en tombant, lâĂ©tranger assis sur ses ruines et les nĂŽtres. Mais il nous tira de notre anarchie sanglante, et nous fit aptes Ă la monarchie et Ă la libertĂ©. Toutes deux purent sortir du milieu des dĂ©bris de nos longs naufrages et rĂ©gner ensemble sur la France. VoilĂ son ouvrage, ses monuments, sa gloire. CHAPITRE IV. RESTAURATION SELON LA CHARTE LES BOURBONS. La seconde, la grande restauration, la restauration selon la Charte commence. Elle devait ĂȘtre, elle fut Ă lâĂ©tat politique ce que la restauration selon la gloire avait Ă©tĂ© Ă lâĂ©tat social câĂ©tait l'ordre encore, mais Ă un degrĂ© plus haut, avec toutes ses garanties et tous ses bienfaits lâordre avec des institutions libres. Quâon nous pardonne si, en abordant un sujet consacrĂ© dĂ©sormais par dâinouĂŻs malheurs, nous Ă©prouvons dâabord le besoin de renverser une mĂ©prise funeste, un malentendu injurieux, qui ne calomnie pas seulement dâillustres infortunes, qui outrage aussi la patrie. Tout notre sang bout dans nos veines Ă la pensĂ©e que des princes, qui ont marchĂ© quinze ans Ă la tĂȘte de la France, nâaient rĂ©gnĂ©, suivant lâexpression de M. de Salverte, que par la grĂące de ĂŻ Ă©tranger. On ne sait si tous ces orateurs, tous ces publicistes qui trouvent plaisant de mentira lâhistoire pour satisfaire Ă des haines et Ă des vengeances, eussent Ă©tĂ© dâhumeur, LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. l?'] pour leur compte, Ă plier devant un Tartare, un Allemand, un lieutenant enfin de lâennemi victorieux. Mais notre cĆur français nous crie que pour commander Ă la France , la premiĂšre condition est dâĂȘtre Français et dâĂȘtre voulu par elle. Qui ne sait les hĂ©sitations, les rĂ©pugnances , les combats des hauts alliĂ©s ? Qui ne sait que ce fut malgrĂ© la coalition, peut-ĂȘtre, que Bordeaux, Nancy, Troyes, Paris enfin, appelĂšrent les Bourbons pour sâinterposer entre la patrie et ses revers ? Les Bourbons reparurent par leur propre vertu, comme reparaĂźt, aprĂšs le passage du torrent, lâarbre sĂ©culaire que le torrent a couvert de ses flots. La rĂ©volution avait rĂ©tabli la monarchie le trĂŽne vacant, une dynastie Ă©mĂ©rite sâoffre Ă le remplir. Lâempire avait créé une noblesse une autre noblesse, consacrĂ©e par les mĆurs quand elle ne lâĂ©tait plus par les lois, se fait voir, dans ce grand dĂ©sastre de lâempire, agitant un drapeau, et criant Vive le roi! La France, affamĂ©e de repos, demandait la paix Ă grands cris ce drapeau lâapporte. La France, Ă©crasĂ©e de tyrannie, demandait dâune seule voix la libertĂ© ce roi promet le systĂšme reprĂ©sentatif. La France, Ă©puisĂ©e dâimpĂŽts, demandait non moins haut la destruction des droits rĂ©unis la rĂ©volution royale fait comme toutes les rĂ©volutions passĂ©es et futures ; elle crie Plus de droits rĂ©unis ! 138 LIVRE SECOND. Câest ainsi que la restauration sâopĂ©ra. Ce fut la Chambre des dĂ©putĂ©s de lâempire, ce furent les conseils gĂ©nĂ©raux de lâempire, ce fut ce SĂ©nat, pairie de la rĂ©volution, ce fut le conseil municipal de Paris, qui proclamĂšrent le rappel des Bourbons au trĂŽne de leurs pĂšres. CâĂ©tait lâhomme dâEtat, de nom et de sang illustre, mais associĂ© Ă lâordre nouveau par le plus de services et par le plus de garanties, qui venait nĂ©gocier le pacte dâalliance de la France avec ses princes proscrits, et on dirait quâil resta, pendant tout le cours de la restauration , attachĂ© Ă la premiĂšre marche du trĂŽne, comme le MacĂ©donien, pour rappeler aux Bourbons quâils Ă©taient mortels. Le second envahissement, celui de 1815, ne fut, pas plus que le premier, conduit par la maison royale ou pour elle. Il y eut, au 20 mars, soulĂšvement unanime des peuples, des aristocraties, des rois de lâEurope contre la rĂ©apparition du gĂ©nie des conquĂȘtes. Vainement subissait-il, non sans rĂ©volte assurĂ©ment, la loi de se retremper dans son origine rĂ©volutionnaire câĂ©tait accuser son infirmitĂ© native, mais longtemps cachĂ©e, sans se rendre moins insupportable Ă toute cette Europe, Ă©pouvantĂ©e doublement du spectre de la dĂ©magogie et de celui de lâempire, La maison de Bourbon nâintervint quâun jour ce fut le lendemain des nouveaux dĂ©sastres si tĂ©mĂ©rairement provoquĂ©s. La bataille de Waterloo LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 3q avait livrĂ© la France Ă la merci de lâĂ©tranger. On sait quels conseils donnaient la colĂšre et la victoire. Alors paraĂźt, malgrĂ© les efforts des deux puissances, un vieillard qui, du sein de la capitale envahie, jette, entre la France et la coalition, son bien et son arme uniques, son bĂąton de voyageur. Mais ce bĂąton est le sceptre de nos soixante rois. Louis XVIII couvre de son droit le royaume entier, comme il a voulu couvrir de son corps le pont dâIĂ©na. Les rois sâarrĂȘtĂšrent devant ce principe de la lĂ©gitimitĂ© , Ă lâaide duquel le reprĂ©sentant de la France vaincue avait su, Ă Vienne, sauver la Saxe, et qui Ă Paris combattit pour la France. Pour en finir avec ces douloureuses questions, qui raniment tous les souvenirs de nos malheurs, nous ajouterons sur-le-champ quâil nâest pas vrai non plus que, dans sapeur de la France, la restauration nous ait tenus sous la loi de lâĂ©tranger afin dây trouver force et appui. Les hommes qui ont vu de prĂšs les affaires savent que le gouvernement royal a Ă©tĂ© lâun des plus incommodes Ă lâEurope, et des plus rebelles Ă cet esprit dâassimilation qui la dominait. LâĂ©vacuation gĂ©nĂ©rale du territoire français fut le premier voeu , la premiĂšre sollicitude de Louis XVIII et de ses ministres. La guerre dâEspagne sâaccomplit malgrĂ© lâAngleterre ; la guerre de GrĂšce, malgrĂ© lâAutriche; la guerre dâAlger, malgrĂ© tout le monde. Câest aussi malgrĂ© LIVRE SECOND. 140 tout le monde que fut entreprise une autre grande guerre, celle des ordonnances du 25 juillet 1830, contre la Charte et les lois. Toutes les cours, et la Russie plus quâaucune autre, multipliĂšrent en vain les reprĂ©sentations et les conseils. La Charte avait lâappui de lâĂ©tranger, et non pas le coup dâEtat. La meilleure preuve de lâindĂ©pendance de Charles X, câest sa chute. Nous voulons le dire de ce prince auguste et malheureux, dont nous avons assez souvent blessĂ© le cĆur sur le trĂŽne pour avoir le besoin et le droit dâenvoyer une vĂ©ritĂ© consolante Ă son exil. Il avait trop de hauteur dâĂąme pour ĂȘtre le vassal de personne. Sa fiertĂ© ne mesurait que trop bien la grandeur de la couronne de France. Il ne lâaurait pas humiliĂ©e devant lâĂ©tranger ; il lâa perdue pour ne pas lâincliner mĂȘme devant les Français. Il nâest donc pas vrai davantage, quâune haine vivace, puisĂ©e Ă ces sources, nâait cessĂ© de fermenter dans le cĆur des Français, contre la maison royale que nous entourions tous de nos hommages. La popularitĂ© que Louis XVIII conserve, les acclamations des deux avĂšnements, les fĂȘtes de lâAlsace, des annĂ©es dâune obĂ©issance universelle, paisdale, facile, empressĂ©e, sont des tĂ©moignages dâassentiment qui nous semblent authentiques. Nous ne croyons pas aux comĂ©dies de quinze ans, sauf des natures privilĂ©giĂ©es peut-ĂȘtre ; LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 4 T mais ce rĂŽle ne va pas Ă tout un peuple. Il serait trop long et trop habile pour un tel acteur. Nul doute que la restauration selon la Charte ne fĂ»t le vĆu unanime de la France; et, ce qui le prouve, câest quâau milieu de toutes les dĂ©clamations outrageuses, on ne cesse de rĂ©pĂ©ter que, sans le coup dâEtat, la monarchie fĂ»t Ă©ternellement restĂ©e debout. Imagine-1-on la France Ă©ternellement enchaĂźnĂ©e Ă un joug bai et mĂ©prisĂ© ! Legs funeste de NapolĂ©on , les traitĂ©s, qui nous ont rĂ©gis depuis nos revers, Ă©taient un malheur pour la patrie , une dĂ©faite peut-ĂȘtre pour la dĂ©magogie et lâempire, pour personne une humiliation. 11 nây en a pas Ă ĂȘtre vaincu quand on est seuls contre tous comme la premiĂšre fois, et que de plus on est divisĂ©s comme la seconde. Câest seulement un avertissement de ne point se mettl e seuls contre tous, et de ne point se diviser. Le premier parti peut ne pas dĂ©pendre de nous ; le second en dĂ©pend toujours; et, pour y parvenir, il faut dâabord bannir ces rĂ©criminations violentes, iniques, odieuses. Quand de nos deux Frances, si longtemps dĂ©sunies , il en est une quâon accuse de nos dĂ©sastres, injustice et mensonge ! Ce nâest pas elle qui Ă©tait allĂ©e chercher au fond du Nord lâa- valanclie sous laquelle notre fortune tomba Ă©crasĂ©e. Ce nâest pas elle qui se serait complu Ă dĂ©- cheoir du rang, qui fut celui de la France dans le monde, depuis des siĂšcles. Ah ! sachons une fois l/j2 LIVRE SECOND. ĂȘtre vrais, bienveillants entre nous, comme des frĂšres qui se sont disputĂ© un commun hĂ©ritage, qui ont tous eu peut-ĂȘtre leur part de torts , mais que mille liens attachent, qui ont dans les veines le mĂȘme sang, qui sont nĂ©s sur la mĂȘme couche, qui doivent vivre du mĂȘme sillon, qui ne peuvent prospĂ©rer quâensemble, et qui tous portent des Ăąmes Ă©galement Ă©mues Ă ces grands noms de France et de patrie ! CHAPITRE V. SUITE DU PRĂCĂDENT. LA CHARTE. On a fait voir quâil nâĂ©tait pas vrai que la restauration se fĂ»t accomplie par lâĂ©tranger. 11 est une autre mĂ©prise, conçue dans les rangs royalistes, qui a Ă©tĂ© Ă©galement fatale; câĂ©tait de croire que la rĂ©volution fut vaincue avec lâempire, et, de supposer en consĂ©quence, que parce que ce fut le roi qui, par octroi, donna la Charte, il aurait pu ne pas la donner. Par qui la France nouvelle aurait-elle Ă©tĂ© vaincue ? Par lâancienne France ? Depuis quinze ans elle nâavait pas tirĂ© lâĂ©pĂ©e. Par les rois conjurĂ©s ? Les rois ne le croyaient pas. Ce nâest plus Ă elle quâils faisaient la guerre ; et tel Ă©tait leur effroi de la voir reparaĂźtre sur les champs de bataille, quâils nâintervinrent dans nos affaires domestiques que pour hĂąter la proclamation de cette Charte qui consacrait, sans exception, tous les intĂ©rĂȘts , tous les principes, tous les droits inaugurĂ©s par la rĂ©volution de 1789. Les couronnes allĂšrent jusquâĂ prendre le pacte fondamental sous leur garantie LIVRE SECOND. i44 commune, par un traitĂ© formel, tant leur sagesse avait compris quâil y allait du repos de la France et de la paix du monde ! Yeut-on savoir si le nouveau droit public du royaume, instituĂ© pour clore quarante ans de dissensions civiles, attribuait Ă lâĂ©migration la victoire? Quâon dise si on combattait Ă Coblentz pour lâĂ©galitĂ© devant la loi, si on sâĂ©tait confĂ©dĂ©rĂ© Ă Pilnitz pour la conquĂȘte du systĂšme reprĂ©sentatif. Le caractĂšre delĂ restauration et sa vertu furent prĂ©cisĂ©ment dâeffacer les distinctions de vaincus et de vainqueurs. CâĂ©tait la rĂ©conciliation de la sociĂ©tĂ© française avec la sociĂ©tĂ© europĂ©enne, avec elle-mĂȘme, avec ses propres annales. CâĂ©tait la restitution de tout ce que le passĂ© a dâauguste et de sacrĂ©, avec le maintien de toutes les conquĂȘtes prĂ©sentes, et la garantie de tous les progrĂšs futurs. La Charte rĂ©intĂ©grait simplement le passĂ© dans son droit ; elle lâĂ©levait Ă lâĂ©galitĂ© ; et, en mĂȘme temps quâelle rendait Ă la classe violemment dĂ©pouillĂ©e, les titres de ses pĂšres, aux illustrations parĂ©es de siĂšcles le droit dâanciennetĂ© , Ă la postĂ©ritĂ© de Henri IV le sceptre des quarante rois dont elle est issue, elle rendit Ă la nation la possession pleine et entiĂšre des institutions politiques que les cahiers des Etats-GĂ©nĂ©raux avaient unanimement revendis quĂ©es en 1789. Il y eut ainsi transaction entre les deux camps LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 45 rivaux lâun attacha la couleur de Fontenoy aux enseignes de la patrie ; lâautre imposa ses codes, ses moeurs, ses maximes. Le premier plaça lâhĂ©rĂ©ditĂ© au faĂźte des pouvoirs ; le second assura aux hommes nouveaux la majoritĂ© dans lâassemblĂ©e hĂ©rĂ©ditaire, dans les conseils, et presque dans la cour. Alors le clergĂ© prit place au sein des corps politiques, mais avec lâunique mission de reprĂ©senter le grand intĂ©rĂȘt de lâEglise dans le conflit de tous les intĂ©rĂȘts sociaux. Le grand seigneur des anciens temps, nos capitaines chargĂ©s de victoires, lâavocat, le citoyen que la tribune avait Ă©levĂ©s au niveau des plus illustres serviteurs du trĂŽne, se rencontrĂšrent dans les conseils du prince, les rangs nâĂ©tant marquĂ©s entre eux que par les services, par lâautoritĂ© personnelle, par le talent; et tous nâexercĂšrent le pouvoir que sous la condition de faire sanctionner la dĂ©lĂ©gation royale parles majoritĂ©s parlementaires, du haut de ces tribunes puissantes qui se relevĂšrent en mĂȘme temps que le trĂŽne de Louis XIV. Dans ce rĂ©gime, il y avait Ă gagner pour tous. Lâaristocratie ancienne reprenait ses honneurs, sans offense Ă la nouvelle. Que disons-nous? La nouvelle y trouvait une sanction auguste et un lustre inattendu. Elle avait plus de foi en elle- mĂȘme depuis quâelle marchait cĂŽte Ă cĂŽte avec les illustrations anciennes , au lieu de les primer. Cette alliance Ă©tait une gĂ©nĂ©alogie toute faite 10 LIVRE SECOND. ĂźZjb pour nos gloires rĂ©centes. De son cĂŽtĂ©, la nation s'Ă©levait de plusieurs degrĂ©s, en mĂȘme temps que sa double Ă©lite ; elle sâĂ©levait par ces institutions gĂ©nĂ©reuses qui sont la noblesse des peuples ; elle sâĂ©levait par les richesses matĂ©rielles et morales dont lâinĂ©puisable mine Ă©tait cachĂ©e au pied de ce triple trĂŽne de la royautĂ©, de la pairie, de la reprĂ©sentation nationale, sanctuaires de toutes les grandeurs, buts de tous les talents, remparts de tous les droits, de tous les perfectionnements, de toutes les prospĂ©ritĂ©s. Ainsi, pour le peuple, pour le commerce, pour lâindustrie, pour les arts, pour les lettres, le repos, la paix, lâordre, lâindĂ©pendance personnelle, la libertĂ© publique ; pour les grands dâorigine nouvelle, les jouissances aprĂšs la conquĂȘte, une cour sans despote, et le pouvoir hĂ©rĂ©ditaire de la pairie ; pour les restes de la sociĂ©tĂ© dâautrefois, Ă la place de lâabaissement ou de lâexil, une patrie, des grandeurs, un trĂŽne!. France! France! combien on avait raison de dire alors que la Charte Ă©tait un fonds commun , grĂące auquel nous avions tous fait fortune en meme temps ! Eu disciplinant la sociĂ©tĂ©, en quelque sorte fĂ©brile , qui Ă©tait sortie des flancs de lâanarchie, indocile et violente comme sa mĂšre, NapolĂ©on nâavait pas eu besoin de donner de charte Ă la France ; sa charte, câĂ©taientson extraction et ses batailles. La rĂ©volution n'avait enfantĂ© jusquâalors LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I [fj que des intĂ©rĂȘts matĂ©riels. Elle avait englouti bien des principes, mais nâen avait pas mis au monde ou avouĂ© un seul car elle ne sâinquiĂ©tait de lâĂ©galitĂ© que comme de lâintĂ©rĂȘt positif du grand nombre. Comme principe, comme rĂšgle divine, comme accomplissement dâune amĂ©lioration sociale, la rĂ©volution ne lâentendait pas, et la preuve, câest quâelle traitait en ilote lâĂ©lite de la nation. Aussi des garanties matĂ©rielles pouvaient-elles parfaitement lui suffire; et la communautĂ© dâorigine, la communautĂ© dâintĂ©rĂȘt et de destinĂ©e, assurĂšrent la puissance du soldat du 13 vendĂ©miaire, du pacificateur de Campo-Formio, du hĂ©ros des Pyramides. Encore se crut-il obligĂ© dây ajouter une communautĂ© de plus celle du crime. Il complĂ©ta sa charte dans les fossĂ©s de Vincennes ; et, quand il eut mis du sang des rois Ă ses mains, il nâhĂ©sita plus Ă saisir la couronne, certain que la rĂ©volution le reconnaĂźtrait Ă cette grande tache jusque dans le cortĂšge des rois. Heureuse en effet de jouir enfin de sa fortune, elle sâendormit sous un despotisme protecteur, oubliant sans peine la libertĂ© dont elle nâavait connu que des impostures hideuses, rassurĂ©e sur lâĂ©galitĂ©, parce que les couronnes ducales ne brillaient quâau front des soldats de la rĂ©publique ou de ses tribuns, et que le chef de lâempire avait beau rappeler les pompes de Versailles, il nâĂ©tait, au milieu de ses pompes, que le premier des acquĂ©reurs de biens nationaux, car il rĂ©gnait au Louvre. LIVRE SECOND. i/»8 On a parlĂ© sans cesse de la force de NapolĂ©on, et Dieu sait les contre-sens funestes qui en sont nĂ©s ! Il semble que la force des trĂŽnes consiste Ă nourrir des rĂ©solutions immuables et passer des revues 1. On ne doute pas que si, en outre, on fait quelques expĂ©ditions brillantes, si on joint la gloire Ă la fermetĂ©, on nâait rempli toutes les conditions voulues pour ressaisir la succession entiĂšre de lâempire, et prendre son fonds, en quelque sorte, sans que la France sâaperçoive que la dictature a changĂ© de main. Erreur Ă©trange et fatale ! M. de Bourmont pourra attacher son nom Ă la conquĂȘte dâAlger, saris pousser des racines dans lâesprit public. La restauration pourra briller de lâĂ©clat de la victoire sans imposer davantage Ă la France. Si sa politique alarme les intĂ©rĂȘts nouveaux, elle ne fera que dĂ©populariser la victoire. Câest que la force, en politique, ne rĂ©side ni dans la rĂ©solution des hommes ni dans leur gĂ©nie leviers puissants, leviers inutiles, sâils nâont un point dâappui ; et le point dâappui se trouve dans les 4 Ce chapitre et la plus grande partie de ce livre, sauf quelques mots quâon va lire, avaient Ă©tĂ© Ă©crits avant la rĂ©volution, en juin 4830. Ils faisaient partie dâun ouvrage sur la situation de la France auquel les ordonnances vinrent couper court. On nâa rien changĂ© que des considĂ©rations ou des expressions aujourdâhui intempestives. Quand on se respecte, on ne peut parler aujourdâhui du gouvernement du roi Charles X, comme on lâaurait fait alors. Note des Ă©ditions de 4834 et 4832 seize mois et vingt mois LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I ZCJ intĂ©rĂȘts dont le pouvoir se fait le reprĂ©sentant. NapolĂ©on avait la force de la rĂ©volution incorporĂ©e en lui tout entiĂšre ; il avait la force de la multitude, qui jouissait de le voir, roi lui-mĂȘme, vaincre et humilier les rois, parce quâelle les humiliait par lui. De lĂ vient la popularitĂ© profonde que ce grand nom conserve. NapolĂ©on est toujours restĂ© peuple, malgrĂ© lui-mĂȘme. Il Ă©tait le peuple couronnĂ©; câest pourquoi il put rĂ©gner comme le peuple rĂšgne, par le pouvoir absolu. M. de Chateaubriand a donc raison de railler, dans son dernier Ă©crit 1, les grosses cervelles qui croyaient, en 1814, que les Bourbons nâavaient rien Ă changer au rĂ©gime de Bonaparte, hors les draps du lit. Mais ce nâest point parce que Bonaparte avait la gloire pour compagne de couche. Des princes, qui reprĂ©sentaient parmi nous dix siĂšcles de nos annales, nâĂ©taient pas une nouvelle connaissance pour la gĂźoire, qui dâailleurs nâĂ©tait quâune des figurantes de la cour impĂ©riale. La compagne vĂ©ritable de NapolĂ©on, câĂ©tait la rĂ©volution ; elle dormait tranquille sur le sein du despotisme impĂ©rial, comme une mĂšre auprĂšs dâun fils. La guerre et la victoire nâĂ©taient lĂ que pour servir Ă bercer ce salutaire sommeil. Mais, Ă lâapproche de la lĂ©gitimitĂ©, la rĂ©volution devait se 1 Sur la proposition Bricqueville le bannissement des Bourbons.â 1831, LIVRE SECOND. 1 5o rĂ©veiller ; elle nây manqua pas. Carnot, qui sâĂ©tait tĂ» sous NapolĂ©on, Ă©crivit sous les rois. On vit les hommes de lâempire, le front encore marquĂ© du joug dâor quâils avaient portĂ©, la main Ă peine libre du joug de fer quâils avaient appesanti sur les peuples, ne plus trouver assez de libertĂ© sous le soleil pour respirer en paix. Ce fut assez dâavoir Ă©tĂ© lieutenant de mamelucks pour compter parmi les libĂ©raux, dâavoir brillĂ© dans la cour impĂ©riale comme chambellan, page, comte ou duc, pour se montrer intraitable en fait dâĂ©galitĂ© ; et au fond il nây eut pas inconsĂ©quence, autant quâon put le dire et le penser. Tous ces hommes se sentirent dĂ©sormais contraints de dĂ©fendre en personne des intĂ©rĂȘts que le despotisme impĂ©rial dĂ©fendait auparavant pour eux. En vain les Bourbons, une fois absolus, auraient proclamĂ©, sous la foi dâun serment nouveau, Ă chaque soleil qui se serait levĂ©, lâinviolabilitĂ© des propriĂ©tĂ©s nationales, le maintien des pensions, des grades, des honneurs de toute origine, la tolĂ©rance religieuse, lâĂ©galitĂ© civile mĂȘme en croyant Ă leur loyautĂ©, la France ne se serait pas abandonnĂ©e Ă leur parole ; car la parole des princes est subordonnĂ©e aux intĂ©rĂȘts et aux passions des partis qui les dominent, et elle voyait autour dâeux lâancienne monarchie sortie dâexil ou ranimĂ©e du tombeau Ă leur aspect. Sans la garantie des institutions reprĂ©sentatives, le paysan, ennemi LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 5 I de la corvĂ©e; lâouvrier, des jurandes; le bourgeois, du privilĂšge, auraient tons regardĂ© comme une menace permanente le drapeau blanc qui flottait sur leur clocher. Auraient-ils eu tort ? Entendons M. de Peyronnet 1. Il eĂ»t fallu, a dit rĂ©cemment ce ministre, » en parlant du coup dâEtat, tant de modĂ©ration » aprĂšs lâavoir achevĂ©! Il fallait de la force pour » en user, plus de force encore pour nâen pas abu- » ser; de la force envers les autres , plus de force » sur soi-mĂ©me ! » Câest justement pourquoi le despotisme, eĂ»t-il Ă©tĂ© possible Ă tout le monde, ne lâaurait pas Ă©tĂ© aux princes de la vieille France. La lĂ©gitimitĂ©, qui faisait leur force au sein dâinstitutions tutĂ©laires, aurait fait, avec un pouvoir sans contrainte , leur perpĂ©tuelle fragilitĂ© ! Il fallait Ă la France nouvelle des places de sĂ»retĂ© , comme en donnaient jadis les rois Ă la faible minoritĂ© protestante, pour gages des promesses du trĂŽne. Mais de nos jours les places de sĂ»retĂ©, ce sont les lois ; câest lâintervention des peuples dans la direction de leurs destinĂ©es. Or, le systĂšme reprĂ©sentatif Ă©tait le boulevard donnĂ© par les Bourbons , sous le nom de droit public, aux Français. La Charte fut, on peut le dire aujourdâhui, la condition de lâadhĂ©sion nationale, le sinon non de la I Questions de juridiction parlementaire Ă lâoccasion du procĂšs des anciens ministres de Charles X. LIVRE SECOND. i5a France *, condition heureuse qui rattachait tous les progrĂšs Ă tous les souvenirs , et faisait une nĂ©cessitĂ© aux Bourbons, pour conserver leurs droits ,. de nous restituer les nĂŽtres et de les respecter ! La libertĂ© Ă©tait donc le garant nĂ©cessaire de la rĂ©conciliation opĂ©rĂ©e par la restauration entre les deux principes, entre les deux Ă©lĂ©ments de la sociĂ©tĂ© française, comme cette rĂ©conciliation Ă©tait Ă son tour lâindispensable fondement de la libertĂ© ! Cette libertĂ© sacrĂ©e que nous avions cherchĂ©e au milieu de tant dâorages , nous la trouvions enfin', et câĂ©tait au port de la restauration, qui, seule obligĂ©e de nous la donner, pouvait, seule aussi, nous la donner pleine, entiĂšre et durable, parce quâelle avait lâavantage immense de reposer Ă la fois sur tous ces grands principes, sur toutes ces rĂšgles Ă©ternelles quâon a signalĂ©es comme les premiĂšres conditions de lâordre et delĂ libertĂ©. CHAPITRE VI. DU GOUVERNEMENT DE LA. RESTAURATION ET DE SES FRUITS. Le gouvernement de la restauration Ă©tait une monarchie mixte et libre. Il Ă©tait monarchique par son essence; il lâĂ©tait par les prĂ©rogatives rĂ©servĂ©es Ă la couronne. Il Ă©tait libre, on ne le conteste plus. LâinviolabilitĂ© de la propriĂ©tĂ© et celle du domicile, la libertĂ© individuelle, la libertĂ© religieuse , la libertĂ© de la presse , lâĂ©galitĂ© devant la loi, lâindĂ©pendance de lâordre judiciaire, lâĂ©tablissement du jury , la fixitĂ© des juridictions, la responsabilitĂ© des agents du pouvoir, le droit de pĂ©tition enfin, assuraient tout ce quâil y a jamais eu de libertĂ©s privĂ©es dans lâunivers. La libertĂ© publique consistait dans la division des pouvoirs, le partage de la puissance lĂ©gislative entre le roi et le peuple, lâindĂ©pendance de lâune des deux chambres, le principe Ă©lectif de lâautre , la responsabilitĂ© des ministres devant toutes deux, le vote annuel de lâimpĂŽt, le vote annuel et minutieux des dĂ©penses , la libertĂ© de la presse, lâinstitution enfin du gouvernement reprĂ©sentatif tout entier. LIVRE SECOND. I 54 Ce gouvernement Ă©tait mixte enfin ; car il Ă©tait aristocratique par le maintien de la nouvelle et de lâancienne noblesse, par la crĂ©ation dâune pairie hĂ©rĂ©ditaire, par lâattribution delĂ seconde branche du pouvoir lĂ©gislatif aux quatre-vingt millecitoyens les plus imposĂ©s du royaume, par lâobligation de choisir, comme Ă AthĂšnes, les reprĂ©sentants dans le premier quart des Ă©lecteurs ; enfin par le cautionnement de deux cent mille francs, imposĂ©, comme garantie envers lâordre public, pour lâĂ©tablissement de ces tribunes mobiles et formidables quâon appelle les journaux. La loi du double vote avait fortifiĂ© cette tendance gĂ©nĂ©rale et positive de la Charte. Dâun autre cĂŽtĂ© , la dĂ©mocratie nâĂ©tait, Ă Dieu ne plaise, ni mĂ©connue ni dĂ©sarmĂ©e. Car, dans un rĂ©gime oĂč lâaristocratie est une sorte dâhĂŽtellerie ouverte Ă quiconque sait et veut, elle fait partie de la dĂ©mocratie, comme la tĂȘte fait partie du corps. Le corps entier de la sociĂ©tĂ© avait pour soi lâĂ©galitĂ© universelle devant la loi, lâuniverselle admissibilitĂ© et lâadmission rĂ©elle de tous Ă tous les emplois publics, lâĂ©galitĂ© forcĂ©e des partages, lâĂ©galitĂ© des charges publiques , lâaccĂšs du pouvoir Ă©lectoral et du droit dâĂ©ligibilitĂ© moyennant une annĂ©e de cens, lâintroduction des patentes dans les quotes contributives, la prĂ©pondĂ©rance manifeste et inĂ©vitable de la classe moyenne dans les collĂšges Ă©lectoraux, en dĂ©pit de toutes les restric- x 55 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. tions de la loi, et enfin, non plus un droit, non plus une facultĂ©, mais un pouvoir dont lâesprit dĂ©mocratique a presque le monopole, et qui est immense, la domination de la presse pĂ©riodique. Exposer le rĂ©gime de la Charte tel quâil Ă©tait, ce nâest pas lâapprouver dans toutes ses parties. La constitution du gouvernement Ă©tait Ă nos yeux vicieuse, invalide. La chambre des pair s , illustre par sa composition et indĂ©pendante par son hĂ©rĂ©ditĂ© , ne posait pas assez sur la nation ; elle nây avait pas suffisamment de points dâappui. Elle ne reprĂ©sentait directement aucun des grands intĂ©rĂȘts sociaux. Elle nâeut ainsi aucune des forces nationales avec elle. La chambre Ă©lective, par une Ă©trange singularitĂ©, semblait participer de cette faiblesse, grĂące Ă la base Ă©troite de lâĂ©lectorat. Et, en rĂ©alitĂ©, seule investie des forces, ou, pour mieux dire, de lâomnipotence du principe Ă©lectif , elle y puisait une telle puissance quâelle pouvait toujours engager la lutte avec la couronne , et quâau premier choc elle devait la briser. Ce que nous entendons seulement Ă©tablir, câest que de ce rĂ©gime ainsi constituĂ© il a pu ĂȘtre dit, par de grands esprits, quĂš la dĂ©mocratie y coulait Ă pleins bords 1. Personne nâa dit quâexĂ©cutĂ© loyalement il mĂźt les libertĂ©s publiques en pĂ©ril, quâil ? M. Royer-Collard. i56 LIVRE SECOND. leur laissĂąt peu de garanties, que le pouvoir absolu y pĂ»t Ă©merger jamais. Aussi lâesprit constitutionnel est-il le premier-nĂ© de la Charte de 1814. Il a dĂ» le jour au mariage de raison des Bourbons avec la libertĂ©. Il puisa Ă cette source le respect et lâintelligence du droit, unique base sur laquelle la libertĂ© puisse sâĂ©tablir parmi les hommes. Il fit des progrĂšs rapides , des progrĂšs universels, des progrĂšs irrĂ©vocables, parce quâil grandit au sein de toutes ces classes auxquelles le nom de la libertĂ© , promulguĂ© quand on prenait des tĂȘtes , avait longtemps fait horreur. La propriĂ©tĂ©, l'industrie, le commerce, se sont attachĂ©s au systĂšme reprĂ©sentatif, comme Ă un gardien assurĂ© qui ne pouvait pas tourner contre eux ses armes. On sentait quâil dĂ©fendrait le pays contre le trĂŽne, ou le trĂŽne contre lui-mĂȘme, sans jamais rappeler la multitude Ă son effroyable dictature. Quâon le croie bien, il avait fallu, pour que lâordre pĂ»t ĂȘtre acceptĂ© de la France rĂ©volutionnaire, quâil lui fĂ»t prĂ©sentĂ© par un soldat heureux, par un roi parvenu. Et, dâun autre cĂŽtĂ©, pour quâa- prĂšs tant de prĂ©ventions et de mĂ©comptes, la libertĂ© trouvĂąt accueil dans des classes dont le concours lui Ă©tait indispensable afin de croĂźtre et de fleurir, il fallait quâelle y fĂ»t apportĂ©e par les Bourbons. Lors de la promulgation de la Charte, la France nâavait aucune notion des principes dâun gouvernement libre et de ses conditions. Cette rĂ©volution IA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 5 1 ] de quarante annĂ©es, qui avait passĂ© sur nous en mugissant sans cesse le nom de la libertĂ©, sâĂ©tait Ă©coulĂ©e tout entiĂšre sans laisser une idĂ©e, un sentiment de libertĂ© parmi nous. Des coups dâEtat, câest-Ă -dire des coups de force du parti populaire, composent toutes ses annales, aussi bien que toute sa science; et ces coups dâEtat ne blessaient pas la conscience publique, comme contraires Ă la libertĂ© vĂ©ritable, qui repousse toujours la force et cherche toujours la justice. Non! ces victoires successives des factions ne faisaient que lâenvie , que le dĂ©sespoir des partis contraires. CâĂ©tait Ă qui sâarracherait ces armes terribles. Dâun cĂŽtĂ© , on Ă©tait disposĂ© Ă nommer ordre les triomphes obtenus ainsi; de lâautre, on les appelait libertĂ©. Mais violence , mais iniquitĂ©, mais attentats aux lois de la civilisation ; mais retour aux temps barbares, on ne les nommait, on ne les jugeait ainsi nulle part. Aussi NapolĂ©on avait-il trouvĂ© sa tĂąche facile. DĂšs les premiers jours du consulat, sa main hardie frappe sans relĂąche des coups dâEtat sur lâanarchie; il dĂ©porte par ses dĂ©crets les citoyens, casse des jugements, supprime les libertĂ©s, renverse des lois ; enfin , il confisque la rĂ©publique tout entiĂšre au profit de son Ă©pĂ©e, et la France attentive fait silence , ou plutĂŽt elle applaudit. Car la tyrannie frappait les tyrans, et si le parti vaincu murmurait, câĂ©tait dâĂȘtre vaincu, non pas de lâĂȘtre par de telles armes; câĂ©tait dâĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ© du t 58 LIVRE SECOND. pouvoir, non pas de lâĂȘtre de la libertĂ©. La saintetĂ© des lois , le droit des nations de nâobĂ©ir quâĂ des rĂšgles lĂ©gitimes, point Ă lâautoritĂ© injurieuse des baĂŻonnettes, personne nâinvoquait ces maximes. Les mĂ©contents mĂȘme, gens au gĂ©nie inventif, ne les inventent pas. Câest que les passions dĂ©mocratiques nâont jamais mis au monde des idĂ©es, jamais compris des droits. Ce quâelles entendent bien, câest le fait, le nombre, la force , et, comme on lâa dit plus haut, la tyrannie ; ce mot embrasse tout le reste. 11 Ă©tait rĂ©servĂ© Ă la restauration de nous donner un bien plus prĂ©cieux que les provinces soumises par le glaive câest le sentiment, la passion de la lĂ©galitĂ©, sentiment auquel le peuple mĂȘme sâĂ©leva rapidement, et qui nâĂ©tait pas, il y a quarante ans, devinĂ© de ses chefs. Ce sentiment est puissant et noble comme la justice; il est le fils de la civilisation, et le pĂšre de la libertĂ©. Câest lui qui, dans les journĂ©es de juillet 1830, fit lâordre au sein dâune rĂ©volution Ă main armĂ©e, et maintint le respect des lois quand il nây avait plus de lois. Câest lui qui nous retient depuis lors sur le penchant de tous les abĂźmes. Câest lui qui fait que la rĂ©volte, mĂȘme violente, mĂȘme ensanglantĂ©e, mĂȘme victorieuse, sâabdique tout dâabord; comme il vient d'advenir encore dans cette France qui pourrait tant ĂȘtre heureuse si elle connaissait ses biens ! La multitude, quand elle a secouĂ© le LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 09 joug de la loi, sâĂ©pouvante bientĂŽt dâelle-mĂȘme, comme lâenfant qui a frappĂ© sa mĂšre. Dans tout le cours de cet ouvrage, on distinguera soigneusement lâesprit et le parti constitutionnel, dĂ©vouĂ© Ă la cause de la monarchie reprĂ©sentative dans son double Ă©lĂ©ment, le trĂŽne et la Charte, de lâesprit et du parti rĂ©volutionnaires incapables dâaccepter ni Fun ni lâautre joug ; car cet esprit funeste, ce funeste parti est incapable de plier sous aucun gouvernement il veut le gouvernement rĂ©publicain, il le croit du moins, parce quâil confond la rĂ©publique avec la dĂ©magogie. Au fond, il a pour gĂ©nie la terreur, pour leviers les masses, pour instruments le carbonarisme, les sociĂ©tĂ©s secrĂštes, les conspirations de toute nature. Lâesprit constitutionnel comprend ceux qui voulaient les Bourbons sans excepter la Charte de leur adhĂ©sion, ou qui voulaient la Charte en acceptant Ă ce prix les Bourbons, câest-Ă dire quâil rassemble en un noble et puissant faisceau la propriĂ©tĂ© et les capitaux, le commerce et lâindustrie , les illustrations et les lumiĂšres de la France. LâĂšrede la restauration marquera Ă©ternellement dans lâhistoire par ce long labeur du gouvernement reprĂ©sentatif, faisant son Ă©tablissement parmi nous, sans autre force que la libre controverse, sans autre secours que le bon sens public, sans autre milice que ces orateurs des partis opposĂ©s qui se sont succĂ©dĂ©s dans lâarĂšne parlemen- LIVRE SECOND. 1 6 o taire, et y ont combattu avec la puissance du talent pour la recherche du vrai, du juste, de lâutile. La France, dans ces quinze annĂ©es , a offert l'un des plus magnifiques spectacles quâait donnĂ©s un peuple, celui de vieilles factions aux prises dans le sanctuaire seul des lois, celui de libertĂ©s nouvelles conquises par la discussion, et conquises seulement quand elles Ă©taient mĂ©ritĂ©es. Câest que pour la premiĂšre fois alors la loi rĂ©gna sur la France. Pour la premiĂšre fois aussi, toutes les classes, toutes les forces, tous les talents, toutes les richesses, au milieu de la lutte inĂ©vitable des partis, concoururent Ă un but commun la grandeur de la patrie. Pour la premiĂšre fois, la pensĂ©e, affranchie de toute entrave, se trouva maĂźtresse dans lâunivers, put sonder sans obstacle les profondeurs de la philosophie ; interroger la religion sur son trĂŽne ; poursuivre la science dans tous ses mystĂšres ; refaire le passĂ© comme le prĂ©sent ; Ă©manciper aussi lâhistoire, et porter la lumiĂšre dans toutes les routes de lâintelligence ; chercher partout la vĂ©ritĂ©, partout la justice; tout tenter, tout accomplir dans lâintĂ©rĂȘt du bonheur et de la dignitĂ© des hommes. Pour la premiĂšre fois, il y eut un travail rĂ©flĂ©chi et uniforme de la sociĂ©tĂ© pour Ă©tendre aux classes infĂ©rieures les bienfaits de lâordre social, les relever par lâinstruction , les rendre plus heureuses en amĂ©liorant Ă la fois leur condition et leur moralitĂ©. La vertu dâun tel rĂ©- LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. l6t girne fit Ă©clore de toutes parts un bien-ĂȘtre inaccoutumĂ© dans le peuple, le goĂ»t du travail et de lâenseignement ; dans les ateliers, une activitĂ© immense ; dans les citĂ©s, des constructions, des villes entiĂšres ; partout lâaisance , les dĂ©couvertes , la prospĂ©ritĂ© ! Elle enfanta sans mesure les travaux littĂ©raire^, les conquĂȘtes scientifiques, et multiplia enfin les miracles de ce gĂ©nie national qui trouvait, pour la premiĂšre fois dans son essor, le secours delĂ paix, de la concorde et de la libertĂ©. Il faut le dire la France, durant ces quinze annĂ©es, a dĂ©passĂ© tous les peuples, moins un peut- ĂȘtre , dans la carriĂšre de la civilisation comme de la libertĂ© , et, tout pesĂ© , pas un du moins nâa le pas sur elle. La tolĂ©rance a presque partout conquis, sinon les lois, du moins les mĆurs. LâEurope, Ă peu prĂšs tout entiĂšre, la professe. Mais la Charte de 1814, en proclamant la religion catholique ce quâelle est depuis dix-huit siĂšcles, la religion de la France, avait la premiĂšre, avait, seule dans le monde, Ă©tabli lâĂ©galitĂ© des sectateurs de toutes les croyances devant la loi politique. LâAngleterre reconnaĂźt encore des distinctions, mĂȘme depuis la rĂ©cente Ă©mancipation de lâIrlande, et la plupart des Constitutions de lâAmĂ©rique du Nord exigent, pour lâexercice des fonctions publiques, le serment de croire, soit Ă lâancien et au nouveau Testament, 11 LIVRE SECOND. l 62 soit Ă la religion protestante, soit simplement Ă la rĂ©vĂ©lation. M. de Lafayette nâa jamais songĂ© Ă citer ce fait curieux. Il reconnaĂźtra que la France, dĂšs la restauration, avait fait un pas de plus que les Etats-Unis. La France eut une autre gloire ce fut dâavoir mieux compris, plus complĂštement appliquĂ© quâaucune autre nation lâĂ©galitĂ© devant la loi. Elle seule jusquâĂ ce jour lâa proclamĂ©e tout haut, et câest Louis XVIII qui lâĂ©crivit en propres termes sur le frontispice de son code. Les Etats-Unis quâon vante conservent lâesclavage, cette honte de lâhumanitĂ©, et il y est plus cruel quâailleurs. La confiscation sâadoucit par toute la terre. Mais il nây a au monde quâune seule nation qui ait rendu par ses lois au droit de propriĂ©tĂ© son inviolabilitĂ© souveraine ; câest toujours la France. La Charte de 1814 a eu encore cette gloire dâabolir, pour la premiĂšre fois dans lâunivers, une loi barbare dont la rĂ©volution avait si affreusement abusĂ© contre la vieille France toute entiĂšre, et Louis X VIII eut un mĂ©rite plus grand que celui dâinscrire cette magnifique conquĂȘte de la civilisation dans ses lois, ce fut dây tenir, au lendemain des cent-jours, quand lâEurope armĂ©e pouvait prĂȘter force Ă toutes les rĂ©actions, quand les longues misĂšres de lâĂ©migration sollicitaient des rĂ©parations et pouvaient solliciter des vengeances. Le parti 163 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. de la rĂ©volution venait d'ailleurs de faire beau jeu. Il ne sâĂ©tait assis quâun jour au pouvoir, et sâĂ©tait hĂątĂ© dâabolir lâarticle tutĂ©laire de la Charte royale, dâĂ©crire dans la Charte des cent-jours Je confisquerai. Certes, lâauteur de cet ouvrage, bien jeune alors, a protestĂ©, assez haut, lorsque tant dâautres se taisaient, contre les emportements de 181 5. Maintenant que la rĂ©action qui les suscita sâest dissoute depuis bien des annĂ©es, et que ses dĂ©bris sont plus que jamais dispersĂ©s et vaincus, câest justice de dĂ©dier au parti royaliste cette inscription glorieuse Il ne confisqua point. Ceci donne Ă penser que tout rĂ©gime qui sâappuie Ă la propriĂ©tĂ© vaut mieux, par cela mĂȘme, que les systĂšmes qui sâappuient Ă la multitude. La peine de mort charge encore le code de toutes les nations partout sâaccomplissent dâun bout du monde Ă lâautre, sur des théùtres Ă©levĂ©s au milieu des places publiques, ces drames dâhommes, de femmes, de jeunes filles, de vieillards se dĂ©battant, avec des cris de rage et dâhorreur, contre un homme qui les apprĂȘte pour les Ă©gorger de par la loi on convie les peuples Ă ces spectacles de sang, afin de les prĂ©munir, dit-on, contre le goĂ»t du sang ! Cependant, partout sâadoucissent et les lois et les supplices, et câest un bonheur pour nous de retrouver notre pays Ă la tĂȘte des nations dans cette heureuse voie. LIVRE SECOND. I 64 Nos codes sâĂ©purent de tout ce quâils avaient encore de cruel; le lĂ©gislateur y Ă©monde le superflu des chĂątiments, peut-ĂȘtre au risque de nây pas conserver le nĂ©cessaire de la rĂ©pression ; la mort surtout cesse dâen attrister toutes les pages, et grĂące Ă cette heureuse combinaison de la double latitude laissĂ©e dĂ©sormais aux juges et aux jurĂ©s, lâĂ©chafaud nâensanglantera plus que de loin Ă loin nos places publiques. Mais Ă lâombre de quelles institutions des publicistes gĂ©nĂ©reux ont-ils pu Ă©veiller des scrupules inattendus dans la conscience du lĂ©gislateur, demander compte Ă la loi de ce sang quâelle rĂ©pandait sans remords, depuis six mille ans, au milieu des nations, lâinterroger sur son droit, lâintimider sur cet usage universel de sa puissance, la faire reculer par lâintervention des mĆurs publiques, en attendant quâelle abdique le glaive, et reconnaisse cpie lâhomme nâa sur lâhomme, quand le crime le domine, quâun seul droit certain, câest de le rendre impuissant; quâun seul pouvoir lĂ©gitime, câest de le rendre meilleur ! Nos rĂ©volutionnaires, en Ă©crivant sur leurs drapeaux la libertĂ© ou la mort! en rĂ©sumant ainsi, avec un laconisme effroyable, toutes les barbaries des temps passĂ©s, avaient laissĂ© une longue et profitable horreur. La mort pour des opinions et des croyances, commence Ă rĂ©volter la conscience humaine. Les amnisties, dont les rois couvrent les crimes politiques, alors mĂȘme quâelles semblent LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1 G5 le plus restrictives, marquent encore le passage du droit ancien au droit nouveau. On veut ici rappeler, dans lâintĂ©rĂȘt de toutes nos Frances et de toute notre histoire, quâil y eut parmi nous une rĂ©volution qui sâaccomplit sans reprĂ©sailles sanglantes, et qui fut la premiĂšre dans le monde Ă donner ce magnifique exemple. La restauration de 1814, Ă laquelle ne manquaient pas les griefs, resta purede vengeance. Depuis lors, la rĂ©volution de 1830 lâa imitĂ©e son plus beau jour est celui oĂč la Chambre des dĂ©putĂ©s 1 cria Ă cette pairie si digne de lâentendre Tu ne tueras point! Mais enfin, sous lâempire de quel rĂ©gime, de quelles discussions fĂ©condes se sont formĂ©es les mĆurs publiques qui ont dotĂ© lâhumanitĂ© de cette conquĂȘte immense ? On vient de le dire. La guerre tombe dans tout lâunivers comme tous les autres flĂ©aux. Il a Ă©tĂ© secouĂ©, depuis les jours de juillet, mille fois plus de brandons qu'il nâen eĂ»t fallu autrefois pour mettre le feu au monde, et le monde est restĂ© en paix. Câest que les congrĂšs des seize derniĂšres annĂ©es ont commencĂ© une Ăšre nouvelle. La confĂ©rence de Londres consacre cet incommensurable progrĂšs. La force nâest plus lâunique truchement des Etats dans leurs discordes. Les rois ont appris Ă aimer un 4 Au sujet du procĂšs des ministres. i66 LIVRE SECOND. autre arbitrage que celui du dieu des batailles. Le principe des transactions pĂ©nĂštre dans le droit des gens. On peut prĂ©dire quâil sây sera bientĂŽt affermi, si la France en dĂ©lire ne proscrit pas de son droit public cette loi bienfaisante, et nâallume pas dans son sein , par la conflagration des partis, un incendie qui sâĂ©tendrait sĂ»rement Ă lâEurope entiĂšre. Mais ce changement de lâĂ©tat du monde, quelle part nây a pas eue la France de ces derniĂšres annĂ©es, avec ce rĂ©gime de dĂ©bats pacifiques, qui ont remuĂ© toutes les questions, Ă©clairĂ© tous les droits, instruit tous les peuples, jetĂ© sur tous les rapports des partis et des Etats un jour nouveau ! Ajoutons que la nature de notre gouvernement a créé un Ă©lĂ©ment de paix qui nâexiste nulle part ailleurs. Nos discussions de budget, Ă livres, sous et deniers, inconnues Ă toutes les autres monarchies constitutionnelles, sans exception de lâAngleterre, et propres, sous trop de rapports, Ă Ă©nerver le pouvoir, ont du moins ce rĂ©sultat heureux de faire un contre-poids puissant au droit royal de paix et de guerre, et de rendre les guerres plus difficiles, par cela mĂȘme plus rares, plus rares, en obligeant les gouvernements Ă ne tirer lâĂ©pĂ©e quâavec lâadhĂ©sion des peuples. Quand nous rĂ©clamions de M. de VillĂšle et obtenions la spĂ©cialitĂ© des dĂ©penses, qui est inconnue en Angleterre, combien peu dâesprits se doutaient que LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 167 cette conquĂȘte nouvelle des libertĂ©s publiques renfermĂąt le germe dâune bienfaisante rĂ©volution pour lâunivers ! Si on demandait quels ont Ă©tĂ© les principaux ressorts de ces progrĂšs de la civilation française sous la restauration, les principaux mobiles de lâĂ©tablissement de lâordre constitutionnel pendant ces quinze grandes annĂ©es, on en citerait trois sans balancer Dâabord, la puissance dâune royautĂ©, source auguste de toutes les institutions et image de tous les droits ; donnant Ă la sociĂ©tĂ©, nĂ©e de la rĂ©volution , un gouvernement antĂ©rieur Ă la rĂ©volution et supĂ©rieur Ă ses orages ; ralliant aux institutions nouvelles tous les partis, toutes les classes, et, en quelque sorte, tous les siĂšcles de la patrie ; relevant le pouvoir dans tous les degrĂ©s des hiĂ©rarchies politiques, par cela seul quâil Ă©manait dâelle ; contenant la libertĂ©, et la renfermant dans des bornes lĂ©gitimes, comme une digue inviolable au pied de laquelle venait nĂ©cessairement se briser lâesprit dâinnovation et de bouleversement ; Ensuite, la circonspection du systĂšme Ă©lectoral, mal assis assurĂ©ment, et par lĂ mĂȘme trop restreint, mais qui, Ă travers ses variations successives, a rendu le service de maintenir la puissance lĂ©gislative dans une rĂ©gion conservatrice, et em- i68 LIVRE SECOND. pĂȘchĂ© lâesprit de dĂ©sordre et de sĂ©dition, sinon de pĂ©nĂ©trer dans les assemblĂ©es, du moins dây rĂ©gner ; Enfin, la sagesse de la Chambre haute, corps illustre et populaire, qui a dĂ©fendu nos libertĂ©s naissantes contre leurs ennemis et contre elles- mĂȘmes, opposĂ© un Ă©gal boulevard aux passions contraires, tenu avec fermetĂ© la balance entre les partis, et contraint quiconque conspirait la chute des lois, sous des motifs divers, de se jeter par des entreprises dĂ©sespĂ©rĂ©es en dehors des lois. On rĂ©sumera ainsi le rĂ©gime sous lequel nous avons accompli les plus belles conquĂȘtes que jamais nation ait faites, des conquĂȘtes dont lâAngleterre nâa obtenu que la moitiĂ©, la partie politique, au prix des siĂšcles, et dont elle ne poursuivrait lâautre moitiĂ©, la partie sociale, que dans les convulsions Lâordre rĂ©gnait avec toutes ses conditions dans la sociĂ©tĂ© française. LâĂ©galitĂ© Ă©tait consacrĂ©e par les mĆurs et par les lois ; tous pouvaient arriver et arrivaient Ă tout. La noblesse de sang Ă©tait reconnue par la Constitution, mais primĂ©e par la noblesse dâintelligence et par la noblesse de cĆur, câest-Ă -dire par lâhonneur et le talent. Le talent Ă©tait une magistrature souveraine. La parole, lâesprit, le droit rĂ©gnaient. Dans lâordre politique, les masses faisaient si- LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 169 lence autour des pouvoirs publics; et, des deux tribunes, il en Ă©tait une qui garantissait un long avenir Ă la libertĂ© française, parce quâelle Ă©tait Ă©galement forte contre le trĂŽne, contre la multitude, contre les factions ; parce quâelle reposait sur le premier des intĂ©rĂȘts, sur le premier des sentiments, dĂ©veloppĂ©s au sein des sociĂ©tĂ©s humaines, nous voulons dire sur cet instinct conservateur qui a besoin dâavenir, et nây croit que lorsquâil sâappuie au passĂ©. Enfin, dans lâordre moral, sur cette triple base du droit royal, du principe, aristocratique et des pouvoirs populaires, de lâĂ©galitĂ© civile, fortement balancĂ©s et sagement contenus, câest-Ă -dire sur la base du droit partout, il y avait, pour lâesprit ascendant qui est propre Ă notre temps et Ă notre pays, des mobiles autres que lâintĂ©rĂȘt, que le lucre, que la richesse. Il y avait dâautres aiguillons que des Ă©moluments; lâargent nâĂ©tait pas tout. On pouvait prĂ©tendre Ă fonder une famille, Ă laisser un nom, Ă transmettre une illustration honorĂ©e du pays et consacrĂ©e par les lois. Maintenant, il faut faire fortune. Câest lâunique ambition lĂ©gale quâadmette la Charte de 1830! Quâon nous pardonne ce vice ou ce prĂ©jugĂ© nous prĂ©fĂ©rions, pour la gloire de notre pays et dans lâintĂ©rĂȘt des moeurs publiques, les ambitions tirĂ©es du vieux ressort de lâhonneur français. LIVRE SECOND. I70 CâĂ©tait donc la perfection ? va-t-on dire. HĂ©las ! non car ce qui est parfait nâest pas vulnĂ©rable aux coups de la fortune Nous ne reconnaissons Ă personne le droit de nous apprendre quels Ă©taient les cĂŽtĂ©s faibles. Nous allons retracer ceux qui importent Ă notre sujet. Mais nous disons que les plus essentiels ne faisaient point partie de la restauration selon la Charte. CHAPITRE VII. PLAIES DE LA RESTAURATION. IDĂES CONTRE - RĂVOLUTIONNAIRES. La restauration avait une grande infirmitĂ©, et la voici dâune main, elle versait sur la France des trĂ©sors de libertĂ©, dâinstruction, de prospĂ©ritĂ© ; de lâautre, des trĂ©sors dâingratitude. A cĂŽtĂ© de tous lesbiens, un seul manquait!. Mais celui dont lâabsence neutralise tous les autres dans lâesprit des hommes, celui que NapolĂ©on donnait avec tout son despotisme, et qui le rendait acceptable aux Français, celui qui est le premier besoin des nations la sĂ©curitĂ©. Et la sĂ©curitĂ© ne fut pas seulement absente des foyers populaires ; elle dĂ©serta aussi la couche du monarque. Le roi, au milieu de sa grandeur et de sa puissance, le peuple, au milieu de son bien-ĂȘtre et de sa libertĂ©, ne sâendormaient pas sans se demander ce que serait le lendemain. On ne recherchera pas Ă qui Ă©tait la faute, qui suscita le premier des alarmes fondĂ©es, ou en conçut le premier dâillĂ©gitimes. Devant des coups de la fortune comme ceux que nous avons vus, LIVRE SECOND. I72 on risquerait de 11e plus ĂȘtre impartial. Dâailleurs, quâimporte aujourdâhui? Ce qui importe, et ce qui nâest que trop certain, câest que des deux cĂŽtĂ©s on avait un fantĂŽme qui entretenait lâĂ©pouvante. Les masses croyaient toujours sentir la contre-rĂ©volution sâavancer sous terre ; le monarque voyait toujours face Ă face la rĂ©volution. Câest que, pour notre commun malheur Ă tous, une troisiĂšme restauration aurait pu ĂȘtre tentĂ©e, ou plutĂŽtrĂȘvĂ©e câĂ©tait la restauration contre la Charte. Celle-lĂ aurait mis, Ă la place dâune transaction entre les partis, la victoire de lâancienne France sur la nouvelle. Elle aurait rĂ©tabli lâinĂ©galitĂ© dans les fortunes, de haute lutte, pour la rĂ©tablir plus sĂ»rement dans les rangs. La grande propriĂ©tĂ© se serait reconstruite par les lois de lâancien rĂ©gime, et, suivant quelques conseils, plus promptement que par les lois. Au grĂ© des publicistes divers, on eĂ»t complĂ©tĂ© le rĂ©tablissement de lâordre, relativement aux personnes, en ne comptant que les services royalistes; relativement aux classes, en restituant les privilĂšges dĂ©truits; relativement aux intĂ©rĂȘts, en rĂ©tablissant purement et simplement le droit dâaĂźnesse et les substitutions ; relativement aux pouvoirs, en relevant les couvents abattus, les sociĂ©tĂ©s abolies, les corporations supprimĂ©es, sauf Ă couronner lâĂ©difice, selon deux gĂ©nies divers qui auraient Ă©tĂ© aux prises bientĂŽt, soit par la puissance absolue du Saint-SiĂšge , soit par celle des rois. LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1^3 Cette restauration subversive et impossible est ce que la polĂ©mique nommait la contre-rĂ©volution, expression impropre car, Ă parler exactement, les trois restaurations que nous avons dites, en comprenant sous ce nom lâempire comme il convient, Ă©taient Ă©galement contre-rĂ©volutionnaires, puisque toutes trois, en rĂ©alitĂ©, Ă©taient la condamnation des actes ou des principes de la rĂ©volution Ă des degrĂ©s divers, et au mĂȘme degrĂ© la condamnation de ses crimes. La restauration contre la Charte diffĂ©rait de lâautre, en ce quâelle nâĂ©tait bonne pour personne au monde, ni pour les Bourbons, ni pour les Français. Les Français? elle pouvait les bouleverser; les Bourbons ? les perdre voilĂ toute sa puissance. Il ne sâagissait pour elle de rien moins que dâune rĂ©volution politique et sociale tout ensemble ; dâune rĂ©volution aussi complĂšte, aussi vaste que celle de 1789, mais Ă rebours, mais Ă contre-courant , mais en brisant cette force de lâesprit moderne et de lâaction populaire par laquelle la VendĂ©e, lâĂ©migration et le monde avaient Ă©tĂ© Ă©crasĂ©s vingt-cinq ans ! Son premier acte aurait Ă©tĂ© de substituer Ă la libertĂ© le pouvoir absolu ; et ceci, quoi quâon en ait pu dire, de toute nĂ©cessitĂ©. Comment espĂ©rer que le systĂšme reprĂ©sentatif reprĂ©sentĂąt autre chose que les intĂ©rĂȘts rĂ©gnants ? Ou, si on pouvait passagĂšrement obtenir de ce vaste instrument un mensonge, la nation ne sây serait pas trompĂ©e. Un moment soumise Ă la fie- LIVRE SECOND. 174 tion, elle aurait bientĂŽt pris les armies contre la rĂ©alitĂ©. Aussi ses dĂ©fiances associaient-elles toujours ces deux flĂ©aux pouvoir absolu, contre-rĂ©volution , sans sâinquiĂ©ter quel serait cel ui des deux qui mĂšnerait Ă lâautre. Ces entreprises,, qui auraient Ă©tĂ© Ă la fois coupables et surhumaines â Ă©taient prĂ©cisĂ©ment les dangers contre lesquels Louis XVIII avait entendu rassurer la France, quand il sâĂ©tait hĂątĂ© de donner la Charte Ă toujours. Tous les biens contenus dans ce mot Ă toujours Ă©taient infirmĂ©s par le parti qui lisait hautement dans un article de la Charte lâart. 14, le droit de la mettre tout entiĂšre Ă nĂ©ant, sans voir quâen frappant de provisoire toutes nos franchises et toutes nos prospĂ©ritĂ©s, il en frappait aussi la monarchie. Vainement, ce parti, puissant aux jours de 1815, sâĂ©tait-il vu graduellement affaibli, transformĂ©, conquis par la Charte le comte dâArtois avait Ă©tĂ© son chef, et, roi, il ne sut jamais se rĂ©soudre Ă rompre hautement avec ce vieux compagnon qui le flattait jusquâĂ le perdre. Tout le monde sentait que, si jamais il se voyait acculĂ© aux limites de la Charte pour la querelle delĂ prĂ©rogative, il accepterait, plutĂŽt que de flĂ©chir, les interprĂ©tations de lâarticle 14, que lui offrait ce serviteur funeste; la France savait que son roi en viendrait lĂ , avant quâil en fĂ»t convenu avec personne, ni peut-ĂȘtre avec lui-mĂȘme. Dâun autre cĂŽtĂ©, lâesprit rĂ©volutionnaire, en- LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1^5 dormi quinze ans aux pieds de NapolĂ©on, sâĂ©tait rĂ©veillĂ© au seul aspect de la monarchie lĂ©gitime. TantĂŽt cacliĂ© Ă lâombre de lâopinion loyalement constitutionnelle, tantĂŽt marchant Ă dĂ©couvert, il traitait le pouvoir en ennemi public, parce que les princesqui en avaient le dĂ©pĂŽtĂ©taient ceux pour qui avaient combattu lesCharetteetlesBonchamps. LâimpiĂ©tĂ© sâĂ©tait agenouillĂ©e devant les autels relevĂ©s par Bonaparte; elle se rua sur les autels hantĂ©s par les Bourbons. La dĂ©magogie sortit de terre en mĂȘme temps. Voltaire et Rousseau, alors dĂ©laissĂ©s, redevinrent subitement des idoles. La restauration de M. de Lafayette, oubliĂ© depuis vingt-deux ans, fut le contre-coup de celle du trĂŽne. On le tira, populaire, de son impopularitĂ© de 1792, simplement parce quâon se rappela que la reine Marie- Antoinette, qui lâavait bien traitĂ© Ă Versailles, parlait mal de lui aux Tuileries, parce quâon sut que les Bourbons, qui lâauraient dĂ©popularisĂ© de nouveau avec un sourire, venaient de se refuser cette victoire. Dans le choix des noms, les plus hostiles Ă la royautĂ© Ă©taient toujours recommandĂ©s Ă lâopinion publique par la presse et les comitĂ©s. Les Ă©lections allĂšrent jusquâĂ montrer aux Bourbons les juges de Louis XVI quâon ne montrait plus Ă Bonaparte couronnĂ© ; la restauration anglaise avait arrachĂ© la vie Ă leurs devanciers, dans des mutilations et des supplices abominables; la restauration française LIVRE SECOND. I 7 6 les avait, Dieu merci, laissĂ©s vivants ; mais devait-elle sâattendre Ă se les voir opposer en insulte ou en dĂ©rision ? CâĂ©tait un des points que la Charte avait omis de prĂ©voir. Enfin, tous les mauvais noms Ă©taient Ă©voquĂ©s Ă la fois, avec toutes les mauvaises maximes, comme si la rĂ©volution ne pouvait assurer ses conquĂȘtes quâĂ lâaide de toutes ses armes et de tous ses hĂ©ros ! De lâamour prĂ©tendu des rĂ©volutionnaires pour la libertĂ©, de lâamour sincĂšre et exaltĂ© des royalistes de toutes les nuances pour la royautĂ© lĂ©gitime, naquit un double malentendu presque constant entre le roi et son peuple. Ce que le public nommait libertĂ©, le roi lâappelait rĂ©volution ; ce que le roi appelait ordre t pouvoir, prĂ©rogative, Ă©tait contre-rĂ©volution aux yeux de lâopposition qui mailrisait la France. Dans la pratique souvent dĂ©sordonnĂ©e de la libertĂ©, lâopposition voyait surtout le droit; Je roi voyait surtout les excĂšs il ne pouvait entendre que les excĂšs Ă©taient les consĂ©quences du droit, et, en quelque sorte, ses preuves. Dans la prĂ©rogative, au contraire, le prince ne voulait voir que le droit rigoureux, tandis que lâopinion inquiĂšte sâattachait aux circonstances, aux noms - propres , et, par suite, aux intentions, aux arriĂšre-pensĂ©es, enfin au fantĂŽme, Ă la contre-rĂ©volution. Comment lâautoritĂ© royale, au milieu de ces Ă©cueils contraires, 11e se serait-elle pas fourvoyĂ©e LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. lâj'J sans cesse dans le partage quâelle avait Ă faire entre le pouvoir et la libertĂ©, entre le passĂ© et le prĂ©sent, entre les droits de la couronne et ses intĂ©rĂȘts bien entendus ? Ainsi, croyait-elle faire merveille de conserver la nomination des conseils- gĂ©nĂ©raux, au lieu de les instituer sur des bases solides, de maniĂšre Ă y trouver des points dâappui . Ainsi, employait-elle une Chambre dĂ©vouĂ©e et fidĂšle, Ă garder dans les lois lâarme de la censure, Ă y attacher le glaive du sacrilĂšge, menaces stĂ©riles et mauvaises , au lieu de profiter dâĂ©lections favorables pour raffermir la propriĂ©tĂ©, la famille et les influences lĂ©gitimes, par des modifications sensĂ©es de la loi civile, sans touchera ses bases essentielles; pour rĂ©gler dĂ©finitivement toutes nos libertĂ©s incohĂ©rentes ou incertaines encore; enfin, pour complĂ©ter, finir la Charte, et donner au pays des garanties de plus, tout en asseyant la monarchie sur des principes dâordre et de conservation plus fortement instituĂ©s dans la famille, dans la sociĂ©tĂ©, dans lâĂtat. Ainsi, avait-elle assez souci de lâopinion pour ne pas nourrir un seul jour, dans les quinze annĂ©es, la pensĂ©e de restituer Ă nos provinces leurs noms historiques ; ce qui eĂ»t Ă©tĂ© possible pourtant, sans blesser la circonscription administrative, grĂące aux circonscriptions judiciaires, acadĂ©miques , militaires ;*ce qui eĂ»t Ă©tĂ© pour lâancienne France une inoffensive et lĂ©gitime satisfac- 12 LIVRE SECOND. I78 lion ; ce que la France nouvelle nâaurait pu voir de mauvais Ćil, quand les associations libĂ©rales ressuscitaient elles-mĂȘmes sans cesse ces noms antiques de Bretagne ou de Lorraine; ce qui nâeĂ»t rien fait, au bout du compte, que de naturaliser nos enfants dans lâhistoire de leur patrie, au lieu de les laisser dĂ©paysĂ©s et perdus dans la gĂ©ographie nationale comme des Ă©trangers. Et, tandis que la couronne avait de ces circonspections, elle sâopiniĂątrait Ă ne montrer nul mĂ©nagement pour le sentiment public dans le sujet qui avait le plus besoin de rĂ©unir tousâles sentiments et tous les vĆux, lâĂ©ducation du jeune hĂ©ritier de la couronne ! Câest en vain quâon lui criait que ce ri Ă©tait pas assez quil fĂąt lâenfant du miracle , qriil fallait le faire lâenfant de la France ; quâil ne sâĂ©tait pas vu que des miracles eussent jamais empĂȘchĂ© un trĂŽne de cheoir , ou relevĂ© un trĂŽne abattu , tandis que la sympathie et la confiance des peuples avaient suffi souvent Ă lâune et lâautre lĂąche 1 ! La grande calamitĂ© de la restauration Ă©tait que la royautĂ© , dans ses alarmes et ses griefs, justes ou non, nâimaginait pas de moyen plus sĂ»r , pour se dĂ©fendre dâun extrĂȘme, que de demander Ă lâautre extrĂȘme des forces qui nây Ă©taient pas. CâĂ©tait sâenfoncer dans la nue en voulant fuir lâorage. 1 Journal des De'bats, LA SOCIĂTĂ FIĂAĂVĂ AISE. I 79 De cette sorte, chaque rĂ©action portait aux intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes du pouvoir , aux Ă©lĂ©ments de lâordre, aux saines notions de la libertĂ©, un coup funeste; lâesprit public en restait profondĂ©ment faussĂ©. Le dĂ©sordre faisait des progrĂšs sĂ©rieux et rapides. Lâopinion constitutionnelle sâen laissait entamer Ă son insu; la France devenait manifestement ingouvernable, et on sait des gens qui lâĂ©crivaient dĂšs lors. Lâadministration Ă©tant tournĂ©e Ă des fins impopulaires, toute administration, toute autoritĂ© parut dĂ©ception, fraude, tyrannie. Lâanimadversion pour la religion, ses pompes et ses ministres , dĂ©passa promptement les fautes quâon reprochait au sacerdoce. Ce fut assez de la tentative avouĂ©e de reconstruire la propriĂ©tĂ© nobiliaire , pour rendre impossibles les modifications dĂ©sirables, et pour faire Ă la propriĂ©tĂ© mĂȘme des ennemis. Il est advenu ainsi, par une Ă©trange fatalitĂ© , que la restauration nuisit beaucoup Ă ces doctrines conservatrices dont elle semblait porter en elle-mĂȘme la source et le dĂ©pĂŽt. Ou pouvait craindre quelquefois que la France ne reculĂąt de tout le chemin que lâempire lui avait fait faire dans les voies de lâordre et du pouvoir. Tels Ă©taient les rĂ©sultats funestes du perpĂ©tuel qui-vive du pays et du trĂŽneâ. II vint un moment oĂč les bons esprits purent mesurer, dans toute son Ă©tendue , la grandeur du mal. LIVRE SECONO. 180 M. Thiers a dit 1 que la Charte, excellente en soi, resta stĂ©rile seize ans ; que sa nature Ă©tait de fonder le gouvernement de la majoritĂ© ; quâil nâen fut rien_Erreur de fait. Pendant les seize annĂ©es, il nây eut pas un ministĂšre qui ne sâappuyĂąt sur la majoritĂ© et ne tombĂąt avec elle la premiĂšre exception devait se voir en 1830 ; elle a emportĂ© la monarchie. Mais, au commencement de 1828, la Charte donna de sa souverainetĂ© active une preuve Ă©clatante ce fut la chute dâune administration dont lâhabiletĂ© et les doctrines Ă©taient chĂšres au prince, et que la puissance du prince cessa de soutenir devant la puissance des Ă©lections; ce fut le renversement dâun systĂšme tout entier par le simple jeu de la machine constitutionnelle; ce fut lâavĂ©- nement dâun ministĂšre nĂ© de la nĂ©cessitĂ© lĂ©gale, oĂč se reconnut la couronne, de faire flĂ©chir ses conseils personnels devant le vĆu national. CâĂ©tait le systĂšme reprĂ©sentatif dans toute sa vertu ; le droit de la majoritĂ© Ă©lectorale et de la majoritĂ© parlementaire se montrait la dans toute sa puissance. La France retrouvait, sous la monarchie, le self government des Ătats-Unis, le gouvernement par soi-mĂȘme. Charles X acceptait, de la Charte, ses derniĂšresâconsĂ©quences, et triomphant de ses sentiments personnels, donnait, de tous les 1 Monarchie de 1830. LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. l8ĂŻ gages, le plus grand, Ă lâordre constitutionnel. LâAlsace prouva que les peuples payaient avec usure au monarque sa prompte condescendance. Mais quel usage la majoritĂ© fit-elle de cette fortune ? Nous le dirons hardiment. CHAPITRE VIII. SUITE DU PRĂCĂDENT. CE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Il est un parti qui nâa jamais fait que du mal Ă la France ; qui, pendant les seize annĂ©es, a entravĂ© lâaffermissement des institutions libres; qui a sus- pendu ou refoulĂ© tous les progrĂšs, et risquĂ© souvent de les dĂ©truire dans leur principe mĂȘme , en les compromettant jusque dans lâadhĂ©sion et la confiance publiques. Lâalliance dĂ©fensive de lâopinion constitutionnelle avec ce parti nĂ©cessairement aggressif et destructeur, a Ă©tĂ© la grande fatalitĂ© de la restauration. Ce parti, que sa gĂ©nĂ©alogie rattache Ă nos temps de crimes et de malheurs, naquit aux cents-jours, du mariage forcĂ© de NapolĂ©on avec la dĂ©magogie, tenant de lâun et de lâautre, apĂŽtre du progrĂšs des lumiĂšres et vivant des rĂ©miniscences de la rĂ©volution ou de l'empire; traĂźnard de tous les rĂ©gimes, et nâen gardant que des souvenirs corrompus ; ne reconnaissant le pouvoir quâĂ la tyrannie, 183 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. et la libertĂ© quâĂ la licence; souple sous NapolĂ©on tant quâil rĂšgne aux Tuileries, levant la tĂȘte quand NapolĂ©on revient mutilĂ© du champ de douleur et de revers, parlant de dĂ©chĂ©ance alors que câeĂ»t Ă©tĂ© le cas de parler de gloire, de guerre, de dĂ©sespoir ; se hĂątant de prendre les devants sur lâEurope , dâachever le lion quâelle a Ă©crasĂ©, de gagner Ă lâĂlysĂ©e-Bourbon sa victoire de Waterloo, sons les yeux de lâĂ©tranger; humiliant enfin le grand homme comme a fait la fortune, le contraignant, pour dernier outrage , dâabdiquer Ă ses pieds, lui contestant le titre de soldat aprĂšs celui de prince, et lâobligeant dâaller sâoffrir seul, nu, dĂ©couronnĂ©, aux mains de lâAngleterre ; gens qui semblaient nâavoir dâautre ambition que de laisser lâhistoire indĂ©cise sâil Ă©tait tombĂ© devant M. de Lafayette ou devant lord Wellington. CâĂ©tait le moment de combattre ? point; de traiter ? point. Les soldats, les capitaines multiplient en vain dâinutiles miracles de dĂ©vouaient et de courage. Ces vieilles bandes, qui arrivent du champ de bataille dĂ©labrĂ©es et sanglantes, nâont pas Ă©tĂ© assez mutilĂ©es par la fortune. La Chambre des reprĂ©sentants se met elle-mĂȘme Ă les mutiler de nouveau par le plus imbĂ©cile et le plus pusillanime des calculs ; elle leur enlĂšve leur chef, elle les dĂ©possĂšde de son gĂ©nie en mĂȘme temps que lui de sa cour onne, de peur quâil ne se relĂšve par une LIVRE SECOND. 184 victoire. Les hommes qui, depuis lors, nâont cessĂ© dâavoir la bouche pleine des hontes de la France, ne sont occupĂ©s quâĂ cette Ćuvre de briser aux mains de NapolĂ©on le sceptre et lâĂ©pĂ©e, dans lâespoir de tendre avec plus de succĂšs leurs mains dĂ©sarmĂ©es Ă lâĂ©tranger qui les repousse. Et quand ils lâont brisĂ©e en effet, cette Ă©pĂ©e qui intimidait encore le monde, ils ne sâoccupent plus que dâune chose, câest dâĂ©laborer une constitution quâils dĂ©dient aux gĂ©nĂ©rations futures, et Ă laquelle, du reste, eux-mĂȘmes nâont plus songĂ© depuis. VoilĂ quâau milieu de la discussion de lâarticle 90, sâil y a un article 90, ou tel autre, les bataillons anglais et prussiens apparaissent sous les murs de Paris consternĂ©; alors on songe au salut public, et les commissaires de lâassemblĂ©e sâacheminent vers les camps Ă©trangers , pour aller , de quartier-gĂ©nĂ©ral en quartier-gĂ©nĂ©ral, quĂȘter un roi qui ne fĂ»t pas Bourbon, et, par consĂ©quent, selon toute apparence, qui ne fĂ»t pas Français. Vient la rĂ©action royaliste de 1815. Dâautres parlent, dâautres Ă©crivent, dâautres protestent, dâautres plaident la cause de la mansuĂ©tude, de la politique, de la Charte enfin ; dâautres demandent quâon rĂ©ponde Ă coups de cloche aux exigences de VĂ©tranger, que les VĂȘpres siciliennes soient nos traitĂ©s avec la coalition 1 qui tenait notre grande 1 La coalition et la France* i85 LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. France sous ses lois ; et, si on se le rappelle bien, celui qui laissait Ă©chapper ces accents pĂ©rilleux resta tout seul ; sa voix nâeut dâĂ©clios quâau fond des cĆurs français. Mais, dĂšs quâun ministĂšre, qui prĂ©tend lier sa cause Ă celle des intĂ©rĂȘts nationaux, et qui rompt avec les royalistes le ministĂšre Decaze, sâest affermi au pouvoir, le parti, dĂšs-lors rassurĂ©, se montre superbe et intraitable le premier usage quâil fait de lâaffranchissement de la presse est de cĂ©lĂ©brer , par amour pour la libertĂ© , NapolĂ©on et le ComitĂ© de salut public ; le premier usage quâil fait de lâaffranchissement de la tribune est de demander le rappel des Conventionnels; le premier usage quâil fait de l'affranchissement des Ă©lections est dâasseoir un RĂ©gicide Ă la Chambre comme on plante un drapeau. Ces violences provoquent dans les esprits une rĂ©action qui, en un jour de deuil et dâĂ©pouvante 1, passe aisĂ©ment des esprits dans les conseils. Le ministĂšre tombe, et le parti lâabandonne sans dĂ©fense aux attaques les plus cruelles. Un ministĂšre, conciliateur encore, et sage, loyal, habile, celui du duc de Richelieu, succĂšde le parti imagine de sâallier, pour lâabattre, avec ses ennemis naturels, avec les royalistes extrĂȘmes, sachant bien que ce nâest pas Ă lui que servira la victoire. Il ne se trompe pas Ă ce point sur lâĂ©tat de la cour et de 1 13 FĂ©vrier 1820, Assassinat de M. le due de Berry. i86 LIVRE SECOND. la France. Non; il pousse aux roues de la rĂ©action, simplement parce que le char nâira point trois mois, dit-il, sans se briser. Cette coupable coalition, ce tour dâaffranchis Ă©lĂšve le ministĂšre VillĂšle, qui dure sept annĂ©es, et qui malheureusement passe sans rien fonder ! Un tel succĂšs obtenu dans les AssemblĂ©es, le parti rĂ©volutionnaire recourt au carbonarisme, aux conspirations, aux rĂ©voltes sanglantes , pour renverser son ouvrage, et il ne fait quâexaspĂ©rer ainsi le rĂ©gime quâil a créé. La guerre dâEspagne Ă©clate le parti Ă©migre; il fait Ă©migrer avec lui le drapeau tricolore; il le promĂšne en Catalogne, mariĂ© aux bandes Ă©trangĂšres; il ressuscite enfin et sâapproprie, pour les faire battre par des Français, cescouleursqui ont vaincu le monde. Par lĂ il grandit dâautant le triomphe des adversaires qui ont trouvĂ© en lui un marche-pied officieux pour arriver Ă la puissance. La victoire des royalistes est complĂšte; elle domine les Ă©lections; elle envahit les journaux mĂȘme du parti rĂ©volutionnaire, qui se livrent, se vendent, sâeffacent Ă lâenvi. La Chambre des pairs reste seule inĂ©branlable, comme un roc que battent tour Ă tour les flots contraires; seule elle dĂ©fend , seule elle reprĂ©sente cette restauration selon la Charte, dont elle semble lâexpression la plus haute et la plus vive image. Hormis ce grand corps, tout faisait silence et pliait la I,A SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 187 tĂȘte, quand un gĂ©ant arrive du camp royaliste, qui lâa follement chassĂ© de ses conseils. M. de Chateaubriand, Ă©vincĂ© par une fraction de ses anciens amis quâil dĂ©nonce Ă la France comme des barbares , chĂątie impitoyablement sa disgrĂące sur la royautĂ© qui y a consenti, en tendant Ă la libertĂ© constitutionnelle sa main gantelĂ©e , en la couvrant du drapeau blanc, en lui rendant courage Ă son ombre ; et il rallie une armĂ©e par ses grands coups qui valent des armĂ©es. Tout habile, tout opiniĂątre que pĂ»t ĂȘtre la dĂ©fense du pouvoir, on voyait chaque jour tomber de la place assiĂ©gĂ©e un pan de muraille, chaque jour se dĂ©tacher du faisceau rompu de nombreux, de riches tronçons qui prĂȘtaient du lustre et de la force Ăą lâopinion constitutionnelle, Ă celle qui voulait la restauration selon la Charte, rien de plus. De progrĂšs en progrĂšs, la victoire est acquise ; les Ă©lections la dĂ©clarent, Qui lâa obtenue ? Consultez les listes des Ă©crivains, des candidats , des Ă©lus. Yous verrez que ce furent les Royalistes dissidents, les Constitutionnels sincĂšres et loyaux. Mais qui se chargera de la corrompre et de la ruiner? Laissez faire au parti rĂ©volutionnaire. Le voilĂ ! il perdra tout. En effet, le ministĂšre Martignac, nĂ© de la victoire Ă©lectorale, a promis une loi quibrise le glaive delĂ censure et une autre qui assure la sincĂ©ritĂ© des Ă©lections. Câest une Charte toute entiĂšre ; câest le i88 LIVRE SECOND. gouvernement reprĂ©sentatif Ă©levĂ© Ă sa plus haute puissance. LâAngleterre a mis cent ans pour arriver Ă la premiĂšre de ces libertĂ©s ; et elle nâa point lâautre. Ces lois sont prĂ©sentĂ©es. La France pousse un cri de gratitude. Ce cri, M. Benjamin de Constant le formule, pour son compte, dans un journal, et y attache son nom. Mais tout Ă coup le parti rĂ©volutionnaire se ravise. Tout ceci nâest que de la libertĂ©; par consĂ©quent du repos, lâordre, la monarchie. Le parti dĂ©clare les lois vandales ; et câest le mĂȘme M. Benjamin de Constant qui est chargĂ© dâouvrir l'assaut tous sây prĂ©cipitent; et, Ă dater de ce moment, harceler, calomnier lâadministration conciliatrice, multiplier en mĂȘme temps les coups que lâon sait les plus sensibles au monarque dans tous les votes parlementaires, câest, pendant deux sessions entiĂšres, lâĆuvre de tous les jours, et, par malheur , le parti constitutionnel dans la chambre Ă©lective se fait lâinstrument de la faction subversive que ses rangs recĂšlent. Dans lâintervalle, le cabinet multiplie, aux regards de la France, les victoires delĂ Charte sur toutes les rĂ©sistances des prĂ©ventions ou des alarmes royales, et il a droit dâattendre que lâesprit rĂ©volutionnaire recule dâautant de terrain que lâordre nouveau en a conquis. Ainsi , les portes des conseils se sont ou- LA SOC [ĂTĂ FRANĂAISE. 1 89 vertes devant les publicistes et les orateurs, qui ont combattu longtemps pour la Charte, et qui ont vaincu. Ainsi, des rĂ©formes nombreuses se sont Ă©tendues de lâadministration Ă la cour et Ă lâEglise. Ainsi, des ordonnances mĂ©morables ont fait raison du grand grief de lâopinion, la sociĂ©tĂ© de JĂ©sus; la conscience du monarque sâest mĂȘme pliĂ©e Ă cet Ă©gard, pour donner des gages plus surs, Ă des exigences qui dĂ©passent, dans la question du moins de lâaffirmation obligatoire, lâattente des bons citoyens et peut-ĂȘtre le vĆu des lois. BientĂŽt, des lois qui doivent instituer nos libertĂ©s communales et dĂ©partementales arrivent Ă la tribune. Lâopposition qui a demandĂ© ces lois, et qui mĂȘme sâavoue satisfaite de lâune des deux, trouve plaisant de se coaliser de nouveau, contre le ministĂšre habile et loyal qui les a obtenues du trĂŽne, avec ceux qui ne veulent ni de lâune ni de lâautre , qui condamnent toutes les concessions. Le ministĂšre demande quâon discute dâabord celle qui satisfait les esprits, celle qui est la base naturelle du systĂšme, celle qui pose et tranche des questions dont la solution est indispensable au reste des dĂ©bats, celle qui a Ă©tĂ© introduite la premiĂšre, rapportĂ©e la premiĂšre, prĂ©sentĂ©e la premiĂšre Ă lâordre du jour , la loi communale enfin. Câest assez pour que lâopposition dĂ©cide de tout bouleverser, de commen- LIVRE SECOND. 19° cer par ce qui fera orage, par ce qui ajournera dâune annĂ©e, au moins, les libertĂ©s municipales dont on se dit avide. Pourquoi cette dĂ©cision ? simplement pour molester, Ă tort et Ă travers, un pouvoir coupable de se montrer constitutionnel et dĂ©bonnaire. Quâon donne une autre raison on en dĂ©fie. Enfin , la loi dĂ©partementale est livrĂ©e Ă la discussion. Au premier article, le nom des conseils dâarrondissement se trouve rappelĂ© ; quelquâun propose de les abolir, de renverser, par un amendement auquel personne nâasorigĂ©, sans discussion prĂ©alable, le systĂšme entier de lâadministration française et toute lâĂ©conomie de la loi. Le ministĂšre dĂ©clare que cette folie, que cette offense Ă la prĂ©rogative royale comme au bon sens, ne sera point subie. Raison de plus; il faut voir si le roi osera. Cette expĂ©rience est le seul intĂ©rĂȘt qui tente car les conseils dâarrondissement ne font rien Ă personne; la preuve en est que, depuis juillet, le parti a eu carte blanche, quâil a pensĂ© Ă toutes les destructions, et nâa plus pensĂ© Ă celle-lĂ . Il renonce Ă de grandes institutions pour recommencer le jeu des coalitions de 1822. Il vote avec lâextrĂȘme droite, en criant que, si les lois Ă©taient retirĂ©es, il remuerait ciel et terre. Le roi retire Ă lâinstant les lois. Le parti fait silence, plie la tĂȘte ; une conquĂȘte pacifique est ajournĂ©e sans coup fĂ©rir. LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. IQ t Par malheur, la facilitĂ© de la victoire en exagĂšre la portĂ©e aux yeux de la couronne ; et la France a obligation Ă cette opposition turbulente et stĂ©rile de lâavĂ©nement du ministĂšre du 8 aoĂ»t 1829, celui du prince de Polignac. Câest exactement ainsi que le tribunat avait procĂ©dĂ© avec NapolĂ©on , dĂ©jĂ rĂ©parateur, et constitutionnel encore. Une opposition, Ă tort et Ă travers, le prĂ©cipita dans le pouvoir absolu qui le conduisit Ă sa ruine par excĂšs de gloire. Charles X, entrant dans les voies constitutionnelles, Ă©tait accueilli avec les mĂȘmes emportements, et allait en tirer les mĂȘmes conclusions pour son malheur et pour le nĂŽtre. Aujourdâhui, on procĂšde dĂ©jĂ de la mĂȘme maniĂšre, envers la monarchie de 1830. Tant que ce fatal esprit sera celui de notre patrie, tant que les gouvernements seront dâautant plus combattus quâils seront moins affermis ou plus dĂ©bonnaires, la libertĂ© y sera impossible. Nous aurons le destin des rĂ©publiques espagnoles. Il n'y aura de permanent parmi nous que les rĂ©volutions ! â De lâexposĂ© qui prĂ©cĂšde, on peut conclure que le parti rĂ©volutionnaire nâa point le droit dâaccuser la restauration; car, il a fait les ministĂšres par qui les actes impopulaires se sont accomplis. U nâa point le droit de se plaindre des quatre cents millions de la guerre dâEspagne et du milliard de lâindemnitĂ©. Il nâa pas non plus le droit 192 LIVRE SECOND. de parler dâĂ©conomie ; car il a coĂ»tĂ© Ă la France, outre ces deux chapitres, les deux milliards du 20 mars 1815 et le quantum de la rĂ©volution de 1830. Il nâa point le droit de parler de la libertĂ© ; car il ne lâa jamais comprise, llnâa jamais su lâaccueillir quand elle sâest offerte Ă lui. Il ne connaĂźt quâune chose les subversions. Encore exige-t-il, infatigable artisan, que ce soient des toiles de PĂ©nĂ©- loppe. Nous sommes contraint pour la leçon de lâavenir , dâinsister sur ce point Pourquoi faut-il quâen 1828 et 1829, le parti rĂ©volutionnaire obtĂźnt trop souvent, dans les votes de chaque jour, lâadhĂ©sion de constitutionnels loyaux, qui auraient dĂ» mettre leur gloire, comme leur politique, Ă se sĂ©parer de lui jusquâĂ ce quâil sâabjurĂąt? Les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes avaient créé une seconde royautĂ© qui balançait la royautĂ© vĂ©ritable, ou plutĂŽt la surpassait dĂ©jĂ dans la sollicitude des hommes publics. La popularitĂ© commençait de rĂ©gner, sa tĂȘte de MĂ©duse Ă la main. Dieu sait de quels amis, de quels serviteurs de la couronne elle enchaĂźnait les votes aux opinions populaires, et la mauvaise Ă©toile de la monarchie voulut quâun grand esprit, qui gouvernait alors la Chambre des dĂ©putĂ©s, au lieu de rapprocher le centre gauche du centre droit qui avait Ă©galement pour symboles le roi et LA. SOCIĂTĂ iq3 la Charte, mit toute sa sagesse Ă maintenir lâalliance contre nature des amis de la Charte et de la royautĂ© avec ceux qui ne voulaient ni de roi ni de Charte. Cette alliance formidable fut le prĂ©texte de toutes les accusations, lâaliment de toutes les mĂ©fiances, lâobstacle Ă toutes les transactions ! / 13 CHAPITRE IX. MINISTĂRE DU 8 AOUT 1829. CONFLIT ENTRE LA PRĂROGATIVE ROYALE ET LA CHAMBRE ĂLECTIVE. Le malheur du trĂŽne et de la France fut que le roi sentit les torts quâon vient dâexposer, non en successeur de Louis XVIII, mais en hĂ©ritier de Louis XIV.. Le malheur du trĂŽne et de la France fut que le roi vit dans ces fautes, moins la preuve du mal produit par les rĂ©actions prĂ©cĂ©dentes, que lâoccasion et le motif lĂ©gitime dâune nouvelle rĂ©action, dâune revanche pour la royautĂ©. On ne peut douter que lâopinion publique ne fĂ»t vivement frappĂ©e de toutes les tĂ©mĂ©ritĂ©s de lâopposilion. Lâivresse passagĂšre qui avait entraĂźnĂ© des gens d'honneur et de loyaux amis des lois Ă incliner leurs votes devant le parti rĂ©volutionnaire, cette ivresse fatale Ă©tait tombĂ©e. La mise en coupe rĂ©glĂ©e de tous les services publics, dans la discussion des deux budgets, avait frappĂ© tous les gens sensĂ©s, comme le symptĂŽme dâun travail de dĂ©sorganisation qui accusait une grande plaie LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. ig5 sociale et politique. Tous les esprits droits Ă©taient rĂ©solus Ă rompre enfin avec la faction qui venait de trahir hautement le dessein dâasservir et de perdre la monarchie. Nul doute que lâautoritĂ© royale nâeĂ»t trouvĂ© dans la session suivante, au sein de la Charte, et avec lâappui de la raison publique, les forces qui lui avaient manquĂ© dâabord. Le roi prĂ©fĂ©ra une autre expĂ©rience. Au lieu de conformer plus longtemps ses conseils aux mouvements de la majoritĂ©, il rĂ©solut de plier la majoritĂ© aux loix dâun ministĂšre selon son cĆur et sa pensĂ©e persuadĂ© que la faiblesse du trĂŽne faisait lâaudace de ses ennemis ; que tout flĂ©chirait devant des dĂ©terminations assez dĂ©cidĂ©es pour ne pouvoir sembler passagĂšres ; quâen restant de fait dans la Charte, mais en se montrant par ses choix prĂȘt Ă en sortir, sâil le fallait, il ne trouverait pas de Chambres qui osassent tenir tĂȘte Ă la couronne, et que, si elles lâosaient.... Accepter cette pensĂ©e, câĂ©tait avoir franchi le Rubicon. Car dissoudre constitutionnellement la Chambre Ă©tait impossible. On aurait eu pis. Il fallait donc briser la Constitution mĂȘme. Par cette pensĂ©e, le roi infirmait la restauration dans la premiĂšre de ses garanties, lâinviolabilitĂ© de la Charte. Il mettait contre lui le bon droit câĂ©tait y mettre la fortune. Ce prince vĂ©nĂ©rable nous semble avoir con- 196 LIVRE SECOND. fondu Ă ce moment tous les Ă©lĂ©ments de sa monarchie. Rester soumis Ă la lettre de la Charte, aux formes du gouvernement reprĂ©sentatif, et porter au pouvoir des hommes qui y faisaient monter avec eux le cortĂšge entier des alarmes publiques, câĂ©tait une inutile contradiction. Il se trouva quâil nây eut quâun Français qui crĂ»t le roi fidĂšle encore Ă la loi constitutionnelle câĂ©tait le roi. Quels que fussent les desseins, il y avait tort et pĂ©ril dans ce dĂ©fi sans actes qui ne semblait quâune ostentation dâimpopularitĂ© ; car la couronne se rendait plus malaisĂ© Ă opĂ©rer, et le mal, et le bien. Il lui devenait plus difficile de rester dans la Charte, plus difficile mĂȘme dâen sortir. Cependant, le roi Ă©tait loin de sâabuser sur lâĂ©tendue des voies oĂč il sâengageait. Il savait trĂšs- bien quâil mettait son trĂŽne au hasard de deux batailles, lâune dans les Chambres, lâautre dans les rues. Mais il ne faisait pas un doute quâil ne dĂ»t gagner la premiĂšre, et comptait bien, par consĂ©quent, nâavoir pas besoin de livrer la seconde. Celle-ci, il en pesait toutes les chances. Les journaux redirent son mot souvent rĂ©pĂ©tĂ© QuâaprĂšs tout, il aimait mieux ĂȘtre un roi exilĂ© quâun roi avili. Une pensĂ©e fatale lâentretenait dans la rĂ©solution dâaffronter toutes les menaces de lâavenir. Il croyait Ă une vaste conspiration contre sa cou- LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1 97 ronne. Il comprenait dans le complot tout ce qui nâĂ©tait que dĂ©sordre dâesprit, dans les trames contre son gouvernement tout ce qui nâĂ©tait quâimpuissance de plier sous aucun gouvernement rĂ©gulier. PĂ©rir pour pĂ©rir, il aimait autant que ce lĂ»t par les armes que par les lois, en sortant de la Charte quâen y restant. Je sais bien, disait-il un jour, que les Français dâaujourdâhui ne veulent pas faire tomber ma tĂšte comme cellede mon frĂšre Louis XVI. Non, personne nâa cette intention. Mais ce quâon veut, câest de dĂ©pouiller si bien et de si bien dĂ©grader la royautĂ©, que le roi ne soit plus quâune espĂšce de prĂ©sident hĂ©rĂ©ditaire jusquâau jour oĂč on mettr a Ă sa place un prĂ©sident tout simplement. Je ne me prĂȘterai pas Ă ces dĂ©chĂ©ances. Je ne sais sâil y a des princes Ă qui elles pourraient convenir. Pour moi, jâaimerais mieux ĂȘtre scieur de long. » On retrace ces graves paroles, parce quâelles Ă©taient prophĂ©tiques. Elles honorent le jugement de ce prince. Elles attestent une intelligence du mal plus sĂ»re et plus exacte que ne le fut le choix des remĂšdes. On avait le remĂšde sous la main. On le chercha oĂč il nâĂ©tait pas, oĂč il ne pouvait pas ĂȘtre. Toutes les difficultĂ©s accidentelles de la situation nous ne parlons pas des difficultĂ©s fondamentales qui pouvaient venir de la sociĂ©tĂ©, ou de la Constitution, et tenir en rĂ©serve dâautresjpĂ©rils tenaient LIVRE SECOND. 198 Ă la longue union des centres avec lâextrĂȘme gauche, autrement dit des constitutionnels avec les rĂ©volutionnaires. Cette union, que fallait-il pour franchir le dĂ©fdĂ© oĂč on Ă©tait engagĂ© ? La rompre. Et la sagesse, la loyautĂ©, jointes Ă la fermetĂ©, y eussent rĂ©ussi sans peine. Au contraire, le roi la resserrait par une dĂ©monstration hostile. Il la lĂ©gitimait en quelque sorte; il la justifiait jusque dans le passĂ© ; il la fortifiait Ă ce point quâelle allait renverser le trĂŽne en trois jours. A la nouvelle des choix extraordinaires de la couronne, quelquâun Ă©crivit sur-le-champ au roi Votre MajestĂ© joue sa monarchie Ă quitte ou » double le doule nâexiste pas. Les voies oĂč » le roi sâengage nâont quâun issue, les coups » dâEtat ; et les coups dâEtat auront pour lende- » main un 20 mars, oĂč le peuple jouera le rĂŽle » de Bonaparte. » La France entiĂšre discerna lâavenir renfermĂ© dans le 8 aoĂ»t 1829 avec un admirable instinct. Un an aprĂšs, jour pour jour, il y avait une autre royautĂ©. Lâopinion prit les noms qui lui Ă©taient jetĂ©s comme des cartels, et le dĂ©fi lâĂ©pouvanta. Tout le monde vit qu'il sâagissait de la Charte. Comment les hommes qui avaient quelque prĂ©voyance dans lâesprit nâauraient-ils pas compris quâil sâagissait par cela mĂȘme de la couronne ! Jamais situation plus extraordinaire ne se vit dans lâhistoire. Le trĂŽne et la nation sâobservaient LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. ] 99 comme sur un cliamp de bataille; on semblait sâattendre. La couronne faisait ses prĂ©paratifs, en sâoccupant de ranger la gloire de son parti par lâexpĂ©dition dâAlger. La nation mettait du sien la loi. Tandis que le prince proclamait ses rĂ©solutions immuables , un arrĂȘt des magistrats, rendu au nom du roi, dĂ©clara crime toute entreprise contre la Charte et nos serments. De part et dâautre, cependant, la Charte restait fidĂšlement observĂ©e ; le ministĂšre poussa la circonspection au point de laisser intactes les ordonnances de juin contre la sociĂ©tĂ© de JĂ©sus, celles qui avaient coĂ»tĂ© le plus dâefforts et valu le plus de haine au ministĂšre renversĂ©. Dâun autre cĂŽtĂ©, la royautĂ© continuait de recueillir une soumission universelle ; le pays donnait sans murmure et ses trĂ©sors, et ses soldats. La restauration ne fut jamais plus grande au dehors quâĂ ces derniers jours, oĂč une invisible main la tenait suspendue sur un abĂźme. Câest quâelle ne fut jamais plus obĂ©ie au dedans. Jamais non plus la France nâavait professĂ© si haut le principe fondamental de la monarchie que ne le fit lâopposition mĂȘme, dans cette adresse des 221, oĂč la Chambre des dĂ©putĂ©s, en revendiquant la Charte tout entiĂšre et refusant au ministĂšre son concours , dĂ©clara, par lâorgane de M. Royer - Collard, la lĂ©gitimitĂ© nĂ©cessaire aux peuples encore plus quâaux rois. Cette dĂ©claration Ă©tait solennelle. Elle pouvait, 200 LIVRE SECOND. elle devait ĂȘtre salutaire. Elle fut stĂ©rile. Elle Ă©tait insuffisante Ă contenter le roi ; tout au plus lâenhardit-elle. Il dĂ»t penser, en voyant qui la profĂ©rait, qui sâen portait garant, quâelle ne serait pas oubliĂ©e ; et elle lâa Ă©tĂ© ! Dans ce conflit, tout le monde avait tort. La Chambre, en refusant son concours sur des noms propres, ne considĂ©rait que le fond des choses, que lâesprit de la Constitution ; le roi, en dĂ©niant ce droit aux chambres, en les sommant dâattendre les actes et de statuer uniquement sur des griefs lĂ©gaux, ne sâattachait quâĂ la lettre de la Charte ; des deux parts, on poussait son droit Ă lâextrĂȘme sans vouloir dâune rĂ©volution , on le poussait jusquâĂ une rĂ©volution. La couronne, oubliant que le pouvoir doit toujours lâexemple de la sagesse, avait pris lâinitiative de ce dĂ©fi. Les 221, en repoussant la rĂ©daction dĂ©posĂ©e dans lâamendement Lorgeril par les royalistes Ă©prouvĂ©s du centre droit, firent la faute de resserrer leur menaçante alliance avec les passions rĂ©volutionnaires ; et par lĂ affermirent le ministĂšre contre lequel ils protestaient. A vrai dire, il nây avait plus de ministĂšre. Nous Ă©tions dĂ©jĂ placĂ©s en dehors de lâordre constitutionnel. Leroi et la France se voyaient face Ă face. La France, disons-nous! car lâopposition comptait dans son sein tous les corps politiques, industriels, commerciaux, littĂ©raires, les tribunaux .20 I LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. comme les acadĂ©mies, les colleges Ă©lectoraux comme les deux chambres, et lâancienne sociĂ©tĂ© en grande partie comme la nouvelle. En arrivant aux confins de la Charte, le pouvoir royal arrivait Ă la solitude. Depuis les jours de 1815, lâopinion royaliste Ă©tait changĂ©e. Les pĂšres avaient fait place Ă des fils imbus de lâesprit nouveau, grandis avec la Charte, et fiers de leur part de libertĂ©. Les royalistes constitutionnels sâĂ©taient fortifiĂ©s chaque annĂ©e dâillustres conquĂȘtes sur lâancienne droite, et chaque nom reprĂ©sentait tout un ordre dâidĂ©es et de rangs que le mĂȘme progrĂšs avait entraĂźnĂ© avec lui. Seize annĂ©es de formes reprĂ©sentatives, avaient liĂ© Ă ce rĂ©gime toutes les classes et tous les esprits. La cour presque toute entiĂšre sây Ă©tait attachĂ©e par les habitudes de la Chambre des pairs et par les conseils dâune expĂ©rience de tant dâannĂ©es. On faisait remarquer un jour Ă quelquâun, dans la salle du trĂŽne, que le systĂšme dominant nây comptait pas une voix sur dix. Quâattendre du reste de la France ? Et le systĂšme dominant nâĂ©tait pas encore le coup dâEtat ! Ce systĂšme ne sâannoncait, par lâorgane de M. le prince de Polignac, chef du ministĂšre, que comme une sorte de torysme monarchique ; il recevait lâappui de royalistes qui, croyant la prĂ©rogative intĂ©ressĂ©e dans la lutte de la couronne pour un ministĂšre mĂȘme pris en dehors de 202 LIVRE SECOND. la majoritĂ©, prĂȘtaient secours au trĂŽne, sans entendre quâil sâagit de sacrifier la Charte et la paix publique Ă ce funeste dĂ©bat. Le coup dâEtat, mis aux voix dans la cour, ou bien dans la garde royale, nây aurait pas trouvĂ© dix partisans. Tout le monde sait aujourdâhui quâil nâen comptait pas mĂȘme dans le conseil. La sociĂ©tĂ© française Ă©tait donc parvenue Ă ce point, oĂč la transaction, commandĂ©e par les intĂ©rĂȘts de tous et Ă©crite dans les lois, avait passĂ© dans les esprits et dans les mĆurs plus que la France ne le savait elle-mĂȘme, et câĂ©tait alors que cette grande transaction allait ĂȘtre brisĂ©e pour longtemps ; nous ne voulons pas dire pour toujours. Car Ă notre avis, câen serait fait de la France. Le duel se rĂ©duisait Ă ces deux contendants le pays presque tout entier uni, et un roi qui, dans sa fiertĂ© blessĂ©e, dans ses apprĂ©hensions persĂ©vĂ©rantes, dans ses tĂ©mĂ©ritĂ©s excitĂ©es, demandait Ă la monarchie absolue la solution de difficultĂ©s, la vengeance dâagressions inhĂ©rentes Ă la monarchie constitutionnelle. CâĂ©tait un roi de soixante-dix ans, et deux fois Ă©prouvĂ© par lâexil, qui allait mettre sa couronne Ă la pointe de lâĂ©pĂ©e, de peur de la transmettre amoindrie Ă ses neveux. CâĂ©tait un prince, de religion sincĂšre, qui, parvenu aux limites de la Charte, ne sâarrĂȘtait pas Ă une barriĂšre gardĂ©e par des serments. Cependant, dâun cĂŽtĂ©, il y avait, 203 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. en rĂ©alitĂ©, la France, le retenant par toutes les voix des jxmvoirs constitutionnels, de la fidĂ©litĂ©, du dĂ©voĂ»ment, du sang mĂȘme, car on sait quelles Ă©taient les pensĂ©es et les priĂšres de la fille auguste de Louis XVI ; de lâautre, Ă©taient les voix solitaires qui exhortaient sa rĂ©solution, lui criant dâaller toujours, quâil aurait pour lui les soldats, le peuple, la gloire!... La gloire! Oui! Alger tombait Ă ce moment 7 juillet sous les coups des soldats de la France. HĂątons-nous de recueillir ses trophĂ©es, pour en parer une grande ruine ! Que cette royautĂ© de mille ans tombe dâune façon digne dâelle et de la France! Que ce soit en gagnant des batailles, en imposant Ă lâunivers ! Et, du moins, les clĂ©s dâune ville conquise brilleront sur ses restes, comme celles de Randon sur la dĂ©pouille de Duguesclin. rfxĂŻuxitattĂši. ÂŁ vcĂźkis^i fi 1 > ' , - . '-.'Ăßï;fĂŽKĂ t.* %*>*>* * âŠ!/ ri,* â* /* 'Ăźirflifji'Ă© . v > tiĂąĂzĂ Ăźi ' W , , V* -41%' itli *v r Ăź. ' Ăź s,. JM .- .. i4i ' i âą ' âą -r.* ' f j i ;âąâą. âąâąnT- .-' i ; w& 'v'^ r -w V- v,^.. ,.4j^. r . , , . ; v V âą '-. . .»!. -. âHĂźy .â >' â ! \? ; h t*;âą. !âą tmfliu ; itv>Vâ " .'.>' âąÂ» ,^> 5ĂŒn1f;ri,- >fi âąit - >'it *Mt> f»i4 r! LIVRE TROISIĂME. RĂVOLUTION DE 1830. Ce serait bien mal Ă propos que nos ancĂȘtres, h lâĂ©poque de la rĂ©volution de 1688, auraient mĂ©ritĂ© leur rĂ©putation de sagesse, sâils nâavaient pas trouvĂ© dâautre sĂ©curitĂ© pour leur libertĂ© que dâaffaiblir le gouvernement et de rendre son titre prĂ©caire, sâils nâavaient pas trouvĂ© de meilleur remĂšde contre le pouvoir arbitraire que la confusion de lâEtat. Burke . LIVRE TROISIĂME. RĂVOLUTION DE 1830. CHAPITRE PREMIER. LES JOURNĂES DE JUILLET. VICTOIRE DE LA CHARTE. EFFETS DE LâESPRIT CONSTITUTIONNEL. .... Quo tcnditis ultra ? Si cives, lmc usque licet ! Lucain. Le dimanche 25 juillet, le soleil se coucha pur et radieux sur une monarchie florissante et victorieuse, sur un peuple prospĂšre et libre, qui vaquait en paix Ă ses fĂȘtes. Le lundi 26, il se leva sur un peuple inquiet dĂ©jĂ , et bientĂŽt morne , pressĂ© tout entier dans les rues comme dans une mĂȘme attente, les boutiques closes comme dans les jours de calamitĂ© publique. On nâentendait que ces 2o8 livre troisiĂšme. mots La Charte est renversĂ©e... La monarchie tremblait sur ses fondements. Ce jour-lĂ , le Moniteur avait publiĂ© tout Ă coup les ordonnances cĂ©lĂšbres du 25 juillet par lesquelles la couronne , ressaisissant la puissance lĂ©gislative que la Charte royale avait dĂ©lĂ©guĂ©e Ă toujours aux trois pouvoirs, brisait la loi des Ă©lections , la loi de la presse, et substituait au droit constitutionnel le principe Si veut le roi, Si veut la loi, » sâautorisant de lâart. 14 de la Charte, mais sâen autorisant, suivant lâexpression de M. de Chateaubriand, pour confisquer la Charte tout entiĂšre. Le lendemain, mardi 27 , Ă la pointe du jour, des officiers de police et des soldats se prĂ©sentent Ă la porte dâimprimeries qui Ă©taient fermĂ©es. On ordonne dâouvrir de par la loi. Mais il nây a plus de lois, et les portes restent fermĂ©es. Les agents appellent un homme du mĂ©tier pour ouvrir ; et ce nâest point Ă Paris seulement, câest Ă Lyon, au Havre, Ă Bordeaux, dans toute la France, quâil ne se trouve pas un ouvrier, pas un apprenti qui obĂ©isse ! En dehors de la Charte, ils ne connaissent point de roi. Les agents recourent aux tribunaux les tribunaux les repoussent. U nây a plus de justice. Reste la force. On Ă©branle des bataillons ; on les pousse sur ces masses de peuple dĂ©sarmĂ©es, immobiles, silencieuses. Des officiers brisent leur LA RĂVOLUTION DE I 83 o. 209 Ă©pĂ©e ; dâautres croisent les bras et attendent que la mort vienne, nâimporte dâoĂč, affranchir leur conscience bourrelĂ©e. Les soldats hĂ©sitent; beaucoup se dĂ©bandent. Au bout de quelques heures, les routes en Ă©taient couvertes. Il nây a plus dâarmĂ©e. Si la garde royale obĂ©it, lâĂąme navrĂ©e, Ă la loi militaire, la population, Ă son tour, court aux armes, et tout devient arme dans sa main terrible. Elle livre une bataille Ă chaque coin de rue, sâembusque derriĂšre chaque borne, combat enfin Ă ces deux seuls cris Vive la ligne ! caria ligne nâa pas consenti Ă tirer sur des concitoyens, de peur de tirer sur les lois; et Vive la Charte! cette Charte que les Bourbons ont Ă©crite, et qui est la restauration mĂȘme. A ces nouvelles, le mercredi 28, le roi absent dĂ©clare sa capitale en Ă©tat de siĂšge, et il aurait Ă y mettre toutes les villes de son royaume; car ce nâest pas un soulĂšvement solitaire toutes les citĂ©s du royaume se sont Ă©mues. Les gardes nationales se sont partout levĂ©es; partout lâautoritĂ© sâabdique elle-mĂȘme et rĂ©signe ses pouvoirs aux mains de la population armĂ©e , comme si on ne reconnaissait plus dâautre loi que ce statut de la premiĂšre restauration, qui remettait aux gardes nationales le dĂ©pĂŽt de la Charte et sa dĂ©fense. Un seul prĂ©fet dans le royaume, M. de Curzay, Ă Bordeaux, voudra tenir bon pour lâautoritĂ© royale emportĂ©e hors de sa base, et il restera seul, dans la 14 210 LIVRE TROISIĂME. ville du 12 mars! Du Rhin aux PyrĂ©nĂ©es, dans cette France si divisĂ©e longtemps, il ne se rencontre pas un Français qui prenne fait et cause pour les ordonnances subversives. Personne nâa suivi le roi au-delĂ de la barriĂšre sacrĂ©e. Partout semble se faire une convention, entre lâautoritĂ© qui tombe et la citĂ© qui se lĂšve, de se remettre, du soin de conclure ce grand dĂ©bat, Ă la dĂ©cision quâapportera la malle-poste de Paris. Ă Paris, la garde nationale, depuis trois ans condamnĂ©e, a reparu vĂȘtue de son uniforme, armĂ©e, rĂ©solue Ă repousser la force par la force. Paris est une place de guerre. En arrivant aux barriĂšres , vous ĂȘtes surpris de les voir munies de palissades, de chevaux de frises, comme des camps retranchĂ©s que lâart militaire aurait fortifiĂ©s de longue main-, plus surpris au dedans de ne trouver aucune trace dâautoritĂ© , de police , de gendarmerie , de gouvernement. Tout a disparu. Il ne reste que des soldats de la ligne qui rient en voyant tomber les insignes de lâautoritĂ© royale, des grenadiers de la garde qui meurent pour le serment militaire, et puis tout un peuple qui dĂ©fend les lois. Tout un peuple ! car le mĂȘme sentiment rassemble et les rangs et les Ăąges les plus divers. Le citoyen qui rencontre un citoyen nâa pas lâinquiĂ©tude dây trouver un ennemi lâennemi, câest la mousqueterie qui retentit de tous cĂŽtĂ©s, câest le LA RĂVOLUTION PE l83o. 21 1 canon qui gronde sur la capitale des arts et sur ses monuments. BientĂŽt la population ne se dĂ©fend plus; elle attaque. A dĂ©faut dâarmes, on saisit ces gothiques armures conservĂ©es comme curiositĂ©s historiques dans nos musĂ©es, et qui servent une fois encore, mais pour se retourner contre la derniĂšre rĂ©miniscence des anciens jours. A dĂ©faut de gibernes, les femmes portent de la poudre ; les enfants marchent Ă la tĂȘte des colonnes câest un enfant qui casse la jambe, dâun coup de pistolet, au brave duc de Fimarcon; un autre renouvelle, sur nos ponts, la scĂšne dâArcole; un autre emportera le Louvre. A cette armĂ©e il ne manque que des chefs. En voilĂ ! Des jeunes gens, qui ont sur la tĂȘte le chapeau militaire, et au collet de leur habit une fleur de lys dâor, se distinguent de la foule par leur uniforme non moins que par leur courage. On assure que ce sont des enfants de famille qui se distinguent bien davantage encore parleur science. Câest assez. On les suit, ou plutĂŽt on les porte, on les entraĂźne Ă la victoire; car, au fait, câest ainsi quâobĂ©issent les nations. Devant cet Ă©lan unanime tombent les casernes, les palais, les Tuileries enfin. Les Tuileries! Sur ce champ de bataille connu, les Suisses meurent comme au 10 aoĂ»t, mais moins bien, dit-on, quâau 10 aoĂ»t car ils nâont pas le sentiment quâils dĂ©fendent les lois ! CâĂ©tait le jeudi matin, 29 juillet. A Saint-Cloud, 2 I 2 LIVRE TROISIĂME. on ignorait tout encore; on croyait encore rĂ©gner, quand tout Ă coup un noble enfant, le premier, sâĂ©tonne, une jeune femme sâĂ©crie, un vieillard tressaille ils voient au loin, sur le pavillon des Tuileries, flotter un drapeau qui nâĂ©tait pas celui du BĂ©arnais et de ses descendants. En l'arborant, ou plutĂŽt en le laissant arborer, le peuple n'a eu garde dâintervenir dans la dĂ©cision des destinĂ©es publiques, de faire ou dĂ©faire une monarchie, de mettre la main sur le gouvernail pour le tenir lui-mĂȘme ou pour le briser. Ces pensĂ©es ne lui sont pas venues. Il ne se croyait quâune mission, celle de prĂȘter sa force aux lois opprimĂ©es. Il pose des sentinelles sous les portraits du roi Louis XVIII qui donna la Charte et la respecta ; il trace le nom conservateur de la Charte sur le monument qui attend la statue de Louis XVI; de mĂȘme quâil a suivi dans le combat les plus vaillants et les plus habiles, il cherche dans la victoire les plus autorisĂ©s pour abdiquer dans leurs mains. 11 renverse avec respect les barricades devant le dĂ©putĂ©, devant le pair du royaume, ces princes de la Charte, qui courent Ă leur palais. Et si, parmi les membres de la Chambre hĂ©rĂ©ditaire, la foule en reconnaĂźt quelquâun illustre par le gĂ©nie, illustre par les monuments que sa foi fĂ©conde Ă©leva Ă la religion de ses pĂšres, par son culte pour le passĂ© de la patrie, par sa haine du rĂ©gime impĂ©rial , par son dĂ©voĂ»ment de toute la vie au sang des la. rĂ©volution de i83o. 2l3 rois et Ă la doctrine de la lĂ©gitimitĂ©, par ses combats en faveur de la monarchie constitutionnelle, aussitĂŽt le peuple le salue de son nom Chateaubriand ! et lâemporte dans ses bras. VoilĂ la politique du peuple ; voici sa religion. Avant de retourner Ă ses foyers, il a un dernier devoir Ă remplir. Il recueille les morts de ces trois journĂ©es , oĂč la mort a rĂ©gnĂ© sur tous , comme auparavant rĂ©gnaient les lois ; il creuse au pied du Louvre une fosse profonde, va Ă lâĂ©glise de Saint-Germain-lâAuxerrois, demande un prĂȘtre, rĂ©clame de lui les bĂ©nĂ©dictions de lâEglise pour tous ces citoyens, ces soldats, ces chrĂ©tiens que lâĂ©ternel sommeil a surpris au milieu de ce rĂ©veil de tout un peuple. Lâhomme de Dieu revĂȘt ses ornements on lâentoure, on le presse, on le suit avec respect sur le bord du sĂ©pulcre, et le peuple, le sabre ou la pique Ă la main, incline la tĂȘte sous le crucifix, et termine par une priĂšre Ă Dieu cette bataille quâil a commencĂ©e en invoquant les lois. De quelque point de vue quâon juge les Ă©vĂ©nements qui suivirent, personne ne peut mĂ©connaĂźtre dans cette Ă©motion universelle de la grande semaine , grande, a dit M. de Chateaubriand, par la justice de la cause comme par lâhĂ©roĂŻsme, lâun des plus Ă©tonnants spectacles et peut-ĂȘtre des plus redoutables, mais aussi des plus instructifs qui se soient jamais offerts dans lâhistoire. Au LIVRE TROISIĂME. 2l4 jour oĂč une pensĂ©e fatale, en renversant les lois, jette une nation ardente dans lâalternative de tout subir ou bien de tout risquer, ce jour-lĂ tous les liens semblent brisĂ©s dâun bout de la monarchie Ă lâautre. La nation reposait sur la foi dâune loi et dâun serment le serment sâefface, la loi tombe , la nation se lĂšve. Ces cent mille hommes qui ne sont pas Ă©lecteurs , ces cent mille autres qui ne savent pas lire peut-ĂȘtre , se lĂšvent comme une immense armĂ©e pour la querelle de la libertĂ© des Ă©lections et de la libertĂ© de la presse, parce quâils ont tous des intĂ©rĂȘts et des droits dont ils savent que ces libertĂ©s sont les remparts. Et on ne peut pas assez le dire car câest lĂ le caractĂšre essentiel du grand mouvement populaire dont nous allons scruter les rĂ©sultats ; ce nâest point Paris seul. LâĂ©branlement est universel; toutes les campagnes sont en armes ; toutes les villes envoient des renforts. Ceux de Rouen, du Havre sont venus dĂ©jĂ . Le magnifique rĂ©giment des hussards de la garde, qui arrive deux jours aprĂšs, est poursuivi et traquĂ© dans les plaines par la population entiĂšre il ne trouve pas un bourg, un village dont il ne lui fallĂ»t faire le siĂšge pour y entrer. Le roi, dans sa fatale demeure de Saint-Cloud, entend prĂšs de lui Versailles rejeter violemment ses ordonnances en mĂȘme temps que Paris ; avant Paris Stenay arbore le drapeau tricolore ; et, au centre du royaume, la LA RĂVOLUTION DE l83o. 210 fille des rois qui a uni en vain sa voix Ă celle de la France, lâauguste Marie-ThĂ©rĂšse a vu , dĂšs les premiers moments, le sol trembler de toutes parts sous ses pas, comme il tremble Ă Saint-Cloud sons ceux du monarque qui a portĂ© ce grand coup. Le combat terminĂ©, il se trouve que la multitude victorieuse sait respecter les lois, comme elle a su, dĂ©sarmĂ©e, vaincre en les dĂ©fendant. Lâhistoire dira que Paris ne fut jamais plus calme que dans ces terribles jours, oĂč des hommes cpii nâont ni pain, ni habits , avaient seuls des armes et faisaient sans obstacle le redoutable apprentissage de la puissance. La justice en se rĂ©veillant nâaura mĂȘme pas un mĂ©fait Ă rechercher et Ă punir. A ce premier essai de prĂ©potence populaire, les passions coupables sont restĂ©es en suspens comme la justice. Lâesprit constitutionnel fit ces miracles. Câest contre lui, par une mĂ©prise funeste, que la bataille des ordonnances a Ă©tĂ© livrĂ©e. Câest lui qui a soutenu lâassaut, et qui a vaincu ; lui seul ! Et la preuve, câest le cri unique de vive la Charte ! sous lequel les citoyens marchaient au combat et quâils continuent Ă faire retentir quand le combat a cessĂ© ; la preuve, câest le respect que le peuple a fait voir pour toutes les propriĂ©tĂ©s, toutes les existences, tous les droits, tous les pouvoirs, quand lui seul avait la force ; la preuve, câest quâil dĂ©pose ses armes victorieuses dĂšs quâune 2l6 LIVRE TROISIĂME. autoritĂ© rĂ©guliĂšre sâoffre pour prendre en main y Ă sa place, la garde et la dĂ©fense des lois. Ce peuple, admirable quand on ne le dĂ©prave pas avec effort, comme font les prĂ©cepteurs de princes , qui corrompent leurs pupilles pour les asservir, ce peuple sâest montrĂ©, dans ces terribles jours, plus digne de la libertĂ© vĂ©ritable et plus jaloux dâelle que la plupart de ses guides. Veut-on Des dieux que nous servons savoir la diffĂ©rence ? Quinze annĂ©es de monarchie constitutionnelle ont fait la semaine virile et calme de juillet 1830; six mois dâinfluences rĂ©volutionnaires feront la semaine anarchique de fĂ©vrier 1831. Et ce ne sont pas seulement les journĂ©es militantes de juillet qui ont Ă©talĂ© ces prodiges de la raison publique. Elles se sont bornĂ©es Ă sauver, ressaisir et glorifier la Charte. Les journĂ©es dĂ©libĂ©rantes qui suivent vont modifier, Ă©nerver, dĂ©naturer la Charte; elles rendront Ă la monarchie coup dâĂtat pour coup dâĂtat; elles substitueront un cas de renversement extra-lĂ©gal Ă un cas de responsabilitĂ© ministĂ©rielle; enfin, elles feront une rĂ©volution. Mais cette rĂ©volution va sâaccomplir, elle se fait, elle se consomme, sans que le peuple en ait pris lâinitiative , sans que le pays nulle part en ait exprimĂ© le vĆu ! Le peuple nâa pas fait un pas en dehors de la Charte pour laquelle il a donnĂ© sa vie. Le pays nâa pas exprimĂ© un senti- REVOLUTION DE l83o. 2 I 7 ment ni un dĂ©sir contraires Ă cette Charte quâil avait reconquise. Ceux qui prĂ©tendent aujourdâhui parler au nom du peuple , avoir mission de lui, sâautoriser de ses exploits pour violenter nos destinĂ©es, ceux-lĂ mentent Ă lâhistoire que nous avons vue tous vivante au milieu de nous. Dâun autre cĂŽtĂ©, nous devons le dire avant de passer outre, ceux-lĂ aussi nourrissent une illusion dĂ©plorable qui cherchent Ă des Ă©vĂ©nements immenses de mesquines explications. On voit, dans la dĂ©faite des ordonnances, une question de stratĂ©gie. Combattre avec plus de dĂ©voĂ»ment que les rĂ©giments de la garde qui ont combattu ? HĂ©las ! ils ont eu tout celui que pouvaient avoir des cĆurs français. Mais, dit-on, il fallait abandonner les rues barricadĂ©es, ne pas y enfouir et y perdre des bataillons, quitter Paris , lâassiĂ©ger... Oui! commencer un coup dâEtat par une fuite ! entrer dans la monarchie absolue, en se proclamant chassĂ©s de la capitale ! prĂ©luder Ă la guerre civile par la perte de Paris! Et cela, quand on avait pris lâoffensive, quand dâailleurs les campagnes, quand lesprovinces, quand toutela France Ă©taient aussi soulevĂ©es que Paris mĂȘme ! Quel gĂ©nĂ©ral aurait pris une aussi redoutable initiative? Dâailleurs, la fortune lâa fait pour lui. Cette situation quâon regrette, on lâa eue on lâa eue le 29 juillet; quâa-t-elie produit ? On lâaurait eue le 28 ; dans lâĂ©tat de la France, quâeĂ»t-elle produit de plus ? 2l8 LIVRE TROISIĂME. Un homme dâesprit qui, dans ses narrations historiques , a surpris les gens de lâart par sa stratĂ©gie, et qui en a fait Ă la tribune de meilleure encore , sâĂ©tonne qu'on nâait pas profitĂ© des buttes Montmartre_Quoi! bombarder, dĂ©truire, brĂ»ler Paris ! Par le bras de qui ? Il nây avait lĂ que des Français ! H Ă©tait tout simple quâon nây songeĂąt point. LâĂ©tranger nây eĂ»t pas songĂ©. Non ! le chef malheureux 1 de cette malheureuse armĂ©e ne pouvait pas combattre autrement ; il ne le pouvait pas, plus quâil ne pouvait sâabstenir de combattre. Car, pour refuser au roi son Ă©pĂ©e le 27, il aurait fallu lâavoir brisĂ©e le 26. Le trĂŽne quâon nâa pas abandonnĂ© au jour de ses fautes, on ne lâabandonne pas Ă lâheure de ses pĂ©rils. Dâautres expliquent tout par une conspiration Ă©clatant Ă point nommĂ© sous un trĂŽne qui comptait seize ans de durĂ©e et tenait dans ses mains le gouvernement, le trĂ©sor , lâarmĂ©e ; conspiration si grande quâelle lâĂ©tait autant que le royaume tout entier soulevĂ©, et dont pourtant, dans une annĂ©e, M. Mangin, le prĂ©fet de police du 8 aoĂ»t, nâavait pas dĂ©couvert les fils ! Sans doute il y avait des conspirations souterraines , des passions rĂ©volutionnaires ; mauvais vouloirs de faction qui nâauraient pas suffi Ă ren- 1 Le duc de liaguse. LA RĂVOLUTION DE l83o. 21 9 verser le trĂŽne, sâil nâavait pas pris cette offensive formidable contre le sentiment public et contre les lois. Cherchons, une fois, les causes des Ă©vĂ©nements on Dieu les a placĂ©es. La cause unique du soulĂšvement public, la voici. Le rapport ministĂ©riel qui motivait le coup dâĂtat, aprĂšs avoir longuement Ă©tabli que le roi nâavait pas le droit de changer la Charte, quâen consĂ©quence il ne la changeait pas, quâil ne faisait que la rendre immuable, ce rapport terrible finissait par ces mots la force restera Ă la justice !... HĂ© bien ! on avait raison la force resta Ă la justice, dans la grande semaine de juillet. Voyons la suivante, CHAPITRE II. RĂVOLUTION DU 9 AOUT. ABANDON DE LA CHARTE ROVALE ET DE LA LĂGITIMITĂ. ErrETS DE LâESPRIT RĂVOLUTIONNAIRE. Une voix Ă©loquente et monarchique lanoramĂ© les catastrophes quâon vient de raconter, le suicide de juillet. Voici le suicide qui se consomme. Le 27, le 28, le 29 juillet nâavaient vaincu quâun roi et tout au plus un rĂšgne. Les derniers jours de cette semaine immense, la royautĂ© succombe et la Charte avec elle. Le 25 juillet avait vaincu un roi ; car le coup dâEtat, elle soulĂšvement universel qui lâavait suivi, Ă©puisaient la vertu du sacre de Reims. Comment Charles X vaincu aurait-il rĂ©gnĂ© comme il lui appartenait, câest-Ă -dire dignement? CâeĂ»t Ă©tĂ© le retour de Varennes, et bien pis encore. Il fallait le sacrifice du roi pour le salut de la royautĂ© ! La royautĂ©, nous entendons la royautĂ© selon le droit national ancien et nouveau, la royautĂ© lĂ©gitime pouvait ĂȘtre sauvĂ©e , mĂȘme aprĂšs la 1 M. de Lamartine. Ceci est Ă©crit en '183'!. LA RĂVOLUTION DL l83o. 11 I chute du Louvre, si elle eĂ»t apparu Ă lâinstant mĂȘme, renouvelĂ©e dâune gĂ©nĂ©ration, tendant la main Ă la Charte victorieuse, donnant un gouvernement Ă ces populations quâĂ©tonnait leur indĂ©pendance redoutable , ou bien convoquant Ă Saint-Cloud les grands pouvoirs et appelant de lâinsurrection, dĂšs lors dĂ©naturĂ©e, Ă la Charte elle-mĂȘme et Ă la France. 11 faut se rappeler que la veille, Ă quatre heures du soir, M. Laffitte, M. Mauguin, les reprĂ©sentants de lâopposition, attendaient, dans ce mĂȘme Louvre, une audience du prince de Polignac, heureux dâobtenir un changement de ministĂšre et nâĂ©levant pas leur ambition plus haut. Au moment oĂč le peuple de Paris emportait les Tuileries, Charles X sâĂ©tait fait annoncer, et les mĂȘmes dĂ©putĂ©s sâapprĂȘtaient, comme tout le peuple, Ă le recevoir en sujets heureux de pouvoir traiter avec leur roi. Jusquâalors personne nâavait cru Ă toute la portĂ©e des Ă©vĂ©nements accomplis. On pouvait se mĂ©prendre Ă Saint-Cloud ; on se mĂ©prenait dans Paris mĂȘme. La victoire passait la croyance de ceux qui avaient le plus de foi Ă la puissance du nom delĂ Charte etau bon droit de la France. On pourrait dire en quel lieu on dĂ©libĂ©rait sur la question de savoir si lâimpĂŽt devait cesser sur-le-champ dâĂȘtre payĂ©, ou sâil nâĂ©tait pas obligatoire pendant lâexercice entier de 1830, tandis que dĂ©jĂ le glaive populaire avait tranchĂ© le nĆud. La bataille ga- 222 LIVRE TROISIĂME. gnĂ©e, on Ă©tait loin de croire la campagne finie ; on Ă©tait plus loin de penser quâelleeĂ»t dĂ©cidĂ©dâune couronne. La journĂ©e du jeudi 29 tout entiĂšre se passa dans lâattente dâune agression des troupes royales. Le vendredi 30, les arbres chenus des boulevards , justifiant ce vieux nom, tombaient encore pour dresser de nouvelles barricades. Alors on sâinquiĂ©tait et de Saint-Cloud, et de la France, et de lâEurope. Il fallut deux jours presque entier Ă Paris pour pĂ©nĂ©trer le voile qui cachait Saint- Cloud , savoir lâaspect du reste du pays, et sentir enfin la victoire. Il est vrai quâune fois sentie, elle fut bien pesĂ©e. Ce fut un Ă©clair. Il frappa , il Ă©blouit. Toute cette monarchie de Saint-Cloud disparut aux regards de Paris et de la France, comme dans un abĂźme. Ainsi, personne ne pourrait dire quâaux premiers instants un changement de ministĂšre nâeĂ»t pas Ă©tĂ© acceptĂ© de ces masses, qui ne parlaient que de la Charte dans leurs transports. Personne au moins ne peut nier que, le jeudi soir, un changement de rĂšgne nâeĂ»t suffi aux plus exaspĂ©rĂ©s dans le camp constitutionnel. Par malheur, ce fut un changement de ministĂšre qui arriva. Le lendemain , toute la journĂ©e, on en fut lĂ encore. AnnoncĂ©e depuis dix-sept heures, lâordonnance qui appelait Ă la tĂšte du conseil M. le duc de Morte- mart et restituait la Charte, nâarriva que ce vendredi fatal, au milieu du jour, quand dĂ©jĂ , dans LA ItĂVOLimOM DE l83o. 223 ceite longue attente et ce besoin universel de point dâappui, le pouvoir flottant sâĂ©tait inclinĂ©, Ă Paris, vers dâautres mains. Dans ces deux journĂ©es oĂč les minutes Ă©taient dĂ©vorantes, la fortune voulut que la cour se trouvĂąt toujours en retard du quart- dâheure, comme elle avait Ă©tĂ© trop souvent en retard du siĂšcle. M. de Mortemart nâavait eu, que le lendemain de sa nomination, les pouvoirs nĂ©cessaires pour se rendre dans la capitale. Lâbistoire dira par quelle fatalitĂ© nouvelle il ne put rĂ©ussir, malgrĂ© les plus pĂ©nibles efforts, Ă y pĂ©nĂ©trer que de longues heures plus tard, tandis quâune derniĂšre fa- talitĂ©, la plus grande de toutes, fit nĂ©gliger les intĂ©rĂȘts les plus pressants. Ainsi, veiller Ă soutenir, Ă lier les restes de la monarchie qui sâĂ©croulait, maintenir un gouvernement autour du roi, quel que fĂ»t le roi, publier autrement que par la communication Ă lâHĂŽtel-de-Ville la rĂ©vocation des ordonnances fatales, rappeler ainsi hautement le droit pour tenter de rappeler la force, raffermir lâarmĂ©e, prĂ©venir et interroger les dĂ©partements , convoquer prĂšs dusouverain lesdĂ©putĂ©s et les pairs du royaume, appeler les reprĂ©sentants de lâEurope comme ceux de la France, ces pensĂ©es ne vinrent Ă personne. Personne ne soupçonnait lĂ , non plus quâĂ Paris, que chaque heure qui sâĂ©coulait, emportĂąt, comme les torrents emportent, un pan de cette monarchie, dont les premiĂšres assises, LIVRE TROISIĂME. 22 4 contemporaines de notre histoire, Ă©taient cachĂ©es dans la nuit des siĂšcles. La grandeur de cette catastrophe, sa rapiditĂ© surnaturelle, cette sorte de mort subite dâune monarchie quâun coup de foudre met Ă nĂ©ant, confondent aujourdâhui, quand on se rappelle combien alors les minutes Ă©taient longues, combien les solutions semblaient lentes. AssurĂ©ment, au point de vue de lâhistoire, Charles X paraĂźtra avoir fait de lui-mĂȘme bien prompte justice ; car le troisiĂšme soleil depuis quâil ne rĂ©gnait plus sur sa capitale, le huitiĂšme depuis quâil sâĂ©tait souvenu de la royautĂ© absolue de ses pĂšres, ne descendait pas encore sous lâhorizon, que sa main avait tracĂ© lâacte dâexpiation. La monarchie finit comme lâempire Charles X et NapolĂ©on brisĂšrent eux-mĂȘmes dans leurs mains le sceptre et lâĂ©pĂ©e, lâun se punissant de sâĂȘtre attaquĂ© Ă lâEurope, lâautre Ă la France, et tous deux demandant Ă la nation anglaise et Ă ses institutions un abri pour leur adversitĂ©. Charles X fit plus que de sâimmoler sur-le- champ Ă ses doctrines vaincues ; dans sa prĂ©occupation des intĂ©rĂȘts de la royautĂ©, il condamna un rĂšgne aprĂšs le sien. Ce prince, qui avait exposĂ© la monarchie pour dĂ©fendre ses ministres, voulut maintenant, dans lâespĂ©rance de mieux relever le trĂŽne, sacrifier avec lui son fils et la compagne de son fils, la fille de Louis XVI, qui, aprĂšs avoir vu la couronne brisĂ©e tant de fois autour dâelle, ne de- LA. REVOLUTION DF. l83o. 226 vait pas avoir le front touchĂ© de ses dĂ©bris. Charles X supposa-t-il que la tempĂȘte de cette impopularitĂ© sanglante tomberait mieux devant le visage dâun enfant ? CĂ©da-t-il Ă dâautres calculs ? Quelquâils fussent, il ne vit pas quâil donnait le dangereux exemple de porter la main sur lâordre des successions royales ; quâil faisait dâune minoritĂ© une affaire de bon plaisir, non plus de nĂ©cessitĂ©; quâil Ă©tonnait les imaginations et les excitait au lieu de les calmer; quâil jetait la question du trĂŽne dans la mĂȘlĂ©e et offrait une rĂ©volution de palais comme aliment Ă une rĂ©volution de place publique, en voulant la lui donner pour solution. Il ne rĂ©flĂ©chit point quâappelĂ©e ainsi Ă dĂ©libĂ©rer sur de tels intĂ©rĂȘts, lâinsurrection pourrait juger une main dâenfant incapable de fermer des plaies si grandes, quâĂ Paris la passion le dirait, et que la France trouverait tout simple de ne pas voir un berceau sâĂ©lever au-dessus de tant de ruines ! Lâomnipotence de Paris ne sâĂ©tait pas manifestĂ©e dans le combat, puisque le royaume entier y avait pris part. Elle Ă©clate dans lâusage quâen prĂ©sence de ce prĂ©cĂ©dent, on va faire de la victoire. Il semble convenu, Ă Saint-Cloud et partout, que le gouvernement est tout entier aux Tuileries, en quelques mains que tombent ces pierres historiques. Tout autre centre dâaction, tout autre pouvoir se sont Ă©vanouis. Câest par les combattants des barricades que les provinces apprennent toute la suite des 15 * 226 LIVRE TROISIĂME. Ă©vĂ©nements. Le tĂ©lĂ©graphe soumet aux lois des autoritĂ©s que Paris institue, Brest et Toulon, quand on ignore encore Ă OrlĂ©ans leur naissance ; rien nâempĂȘchera les gĂ©nĂ©raux dâAfrique de reprendre la cocarde tricolore sur lâordre dâun vainqueur du Louvre, avant que la France sache quâil lui faut opter entre les deux drapeaux. Le gouvernement avait donc passĂ© du cĂŽtĂ© de Paris, avec la Charte et la force. Ce gouvernement , quel fut-il ? Il y en avait dĂ©jĂ deux la Chambre et lâHĂŽtel-de-Ville. La dualitĂ© rĂ©volutionnaire qui devait ĂȘtre la loi de lâavenir, Ă©tait nĂ©e dĂ©jĂ . Le peuple avait combattu sans que personne dans les pouvoirs constitutionnels se fĂ»t montrĂ© Ă sa tĂȘte. M. Armand Marrast Documents historiques , Paris, 1831, raconte bien que, la nuit du mercredi 28 au jeudi 29, Ă la clartĂ© des rĂ©verbĂšres, M. le gĂ©nĂ©ral Lafayette avait passĂ© en revue une centaine de gardes nationaux quâil rencontra sur son passage. Mais, dâaprĂšs les mĂȘmes documents , ce ne fut que le jeudi soir , aprĂšs la prise du Louvre, quâil se promena en habit militaire sur les boulevards; câest toujours M. Marrast qui parle. Lâillustre gĂ©nĂ©ral, aprĂšs avoir inspectĂ© la victoire, se rendit Ă lâHĂŽtel-de-Ville pour la gouverner. Nous avons dit le respect de la citĂ© militante pour les pairs, pour les dĂ©putĂ©s, seuls reprĂ©sentants lĂ©gitimes de lâautoritĂ© absente et du peuple armĂ©. Ils semblaient ĂȘtre tout ce qui restait de la LA. RĂVOLUTION DE l83o. 227 monarchie constitutionnelle au milieu de ce chaos. Loin de contester leur droit, tout le monde le reconnut et lâinvoqua. Mais il advint de lâimpulsion donnĂ©e par la victoire populaire, que la pairie fut laissĂ©e en dehors du mouvement qui sâaccomplissait le pouvoir se concentra tout entier dans les mains de lâassemblĂ©e Ă©lective. Il advint encore, de cette mĂȘme impulsion, que le centre droit, le cĂŽtĂ© droit, toute la partie monarchique de lâAssemblĂ©e et de la nation se trouvĂšrent en dehors de ce mouvement qui allait constituer lâavenir. Les vainqueurs travaillĂšrent seuls Ă organiser la victoire. Ces vainqueurs, câĂ©tait lâancienne opposition, câest-Ă -dire lĂ© centre gauche, le cĂŽtĂ© gauche et lâextrĂȘme gauche, encore unis, mais prĂȘts Ă se diviser pour toujours. Dans leur union, ces fractions diverses de lâopinion victorieuse reprĂ©sentaient une partie robuste de la France; mais enfin elles nâĂ©taient pas toute la France, et elles allaient statuer en son nom et pour elle ! Le trĂšs-petit nombre de dĂ©putĂ©s prĂ©sents Ă Paris, en qui elles se personnifiaient ainsi, Ă©taient rĂ©unies chez M. Laffitte. Ils attendaient les paroles et le ministre de Charles X. Inquiets de tout ce qui se rassemblait Ă lâHĂŽtel-de-Ville de ferments rĂ©volutionnaires bouillonnant autour du gĂ©nĂ©ral Lafayette, ils instituĂšrent, sous le titre restreint et circonspect de Commission municipale , une sorte de gouvernement par intĂ©rim, 228 LIVRE TROISIĂME. qui alla sur-le-champ sâĂ©tablir Ă lâHĂŽtel-de-Ville, Ă ce quartier-gĂ©nĂ©ral des passions soulevĂ©es, au milieu duquel M. de Lafayette rĂ©gnait, ou plutĂŽt trĂŽnait, sans partage. M. de Lafayette, M. Laffitte et M. Audry de Puyraveau , de la gauche, auxquels Ă©taient associĂ©s le comte de Lobau et M. de Schonen, du centre gauche, formaient ce gouvernement indĂ©terminĂ© de Paris ou de la France. Ils tranchĂšrent la question, en nommant, le soir mĂȘme, des ministres. Ce furent les chefs de lâopposition loyale et modĂ©rĂ©e. On comprenait alors la nĂ©cessitĂ© de rassurer, dâentraĂźner la France et lâEurope. Aussi, nâattribua-t-on dans le conseil ministĂ©riel, Ă lâextrĂȘme gauche, quâune voix, celle deM. Dupont delâEure ; quâune autre au cĂŽtĂ© gauche, celle de M. Bignon; trois des ministres, lâamiral de Rigny, le baron Louis et M. Guizot, Ă©taient des serviteurs respectĂ©s et populaires de la restauration. Deux autres furent le marĂ©chal GĂ©rard et le duc de Broglie, Ces choix illustres et sages devaient rassurer tous les esprits. Tel fut le gouvernement issu de la Chambre des dĂ©putĂ©s. Mais, autour de la Commission, toujours appelĂ©e municipale , et du cabinet quâelle avait instituĂ©, sâagitait dĂ©jĂ une autre autoritĂ©, anonyme, multiple, tumultueuse, et toute-puissante dans le quartier. Son origine et son but nâĂ©taient pas bien dĂ©finis. Il nây avait de bien dĂ©terminĂ© que son chef. CâĂ©tait encore M. de Lafayette. Du reste, le LA RĂVOLUTION DE 1 83o. 229 carbonarisme et les ventes conspiratrices en Ă©taient le fond; la dĂ©magogie en Ă©tait lâĂąme; la rĂ©publique en Ă©tait la figure confuse et cachĂ©e. LĂ Ă©clataient, mis en commun et fermentant ensemble, des exaltations de jeunesse, des ivresses de victoire, des passions de faubourgs, des Ă©tourderies de vieillard. Lâaspect du lieu suscitait des souvenirs et des Ă©mulations de la commune de Paris ; et, comme il sây exerçait de la puissance, lâintrigue y Ă©tait dĂ©jĂ installĂ©e, au dire de M. Armand Marrast, ce qui prouverait quâon en trouve autant dessous que dessus les pavĂ©s. Voici le tableau que fait, toujours dans ses prĂ©cieux documents, M. Marrast, de ce gouvernement sorti de terre Dans lâintĂ©rieur de lâHĂŽtel-de-Ville, un gou- » vernement. A gauche , deux piĂšces oĂč se tenait la Commission municipale dont M. de Lafayette » faisait partie. A droite, le gĂ©nĂ©ral Lafayette et » ses aides-de-camp. » Quel tableau Ă faire que celui de ce mouve- » ment perpĂ©tuel de lâHĂŽtel-de-Ville! Quels * hommes y sont venus ! quelles pĂ©titions y sont » arrivĂ©es !... Intrigue! intrigue! Mais je nâĂ©cris » pas lâhistoire complĂšte de ces jours. m A vrai dire, le gĂ©nĂ©ral Lafayette et ceux qui » agissaient en son nom Ă©taient le seul gouverne- » ment rĂ©el. LĂ venaient les nouvelles , lĂ se prĂ©- » sentaient les dĂ©putations; mais le gĂ©nĂ©ral, il » faut le dire, montrait une trop facile condes- a3o LIVRE TROISIĂME. » cendance pour ses collĂšgues ; les reprĂ©sentations » ne lui manquĂšrent pas cependant il vint des » dĂ©putĂ©s des barricades, braves amis, camarades » du peuple. Ils parlĂšrent haut, ils avaient lâarme » au poing. On les mĂ©nagea, on leur fit des pro- » messes. » VoilĂ quel fut le gouvernement vĂ©ritable de lâHĂŽtel-de-Ville, celui par qui la commission mu- nipale se voyait dĂ©jĂ dĂ©bordĂ©e et dĂ©chue. Evidemment, les promesses de ce gouvernement insurrectionnel et rĂ©publicain, nâĂ©taient pas, au dire de M. Marrast lui-mĂȘme, des promesses de vertu. Ce nâĂ©taient pas non plus des promesses dâordre. Ătaient-ce des promesses de lĂ©galitĂ©, de libertĂ©, de fraternitĂ© ? Voici comment on lâentendait. Cette autoritĂ© improvisĂ©e se mit dâabord Ă lancer des mandats dâamener contre tels ou tels, notamment contre des dĂ©putĂ©s, et ces dĂ©putĂ©s Ă©taient les chefs du centre gauche , les chefs de lâopinion constitutionnelle victorieuse, en particulier contre M. Casimir PĂ©rier! Le coupable qui dicta cet ordre, dit » M. Armand Marrast avec orgueil, est celui-lĂ b mĂȘme qui Ă©crit ces documents. » Ce second gouvernement, on le voit, ne promettait pas poire molle Ă la France. De telles violences manifestaient la face nouvelle des affaires de la France. Lâalliance de lâesprit constitutionnel et de lâesprit rĂ©volutionnaire Ă©tait rompue ; cette alliance fatale que le pouvoir LA RĂVOLUTION DE l83o. 23 1 royal aurait pu dissoudre , que le bon sens public aurait dĂ» prĂ©venir, sans que ni lâun ni l'autre eĂ»t su le vouloir quand il le fallait, avait Ă©tĂ© la consĂ©quence de toutes les fautes, et la cause de tous les malheurs ! Le trĂŽne lâavait resserrĂ©e, comme Ă plaisir, au 8 aoĂ»t 1829 par lâavĂšnement du ministĂšre de M. de Polignac; il venait de sây briser; et, maintenant, elle Ă©tait elle-mĂȘme, comme il fallait sây attendre, brisĂ©e par la victoire. Le faisceau, en se rompant, allait former, dâun cĂŽtĂ©, le parti constitutionnel, le tiers-parti et le nouveau centre gauche; de lâautre, lâopposition nouvelle, et avec elle la foule des sectes et des factions destinĂ©es Ă rester rĂ©volutionnaires partout et toujours. DĂšs Ă prĂ©sent dĂ©chaĂźnĂ©es et indĂ©cises, nâayant plus de liens ni de barriĂšres, les passions rĂ©volutionnaires sâappuyaient Ă lâHĂŽtel-de-Ville comme au centre dâopĂ©rations naturel de cette armĂ©e ; et lĂ commença contre la commission municipale, pour continuer peu aprĂšs contre les nouveaux pouvoirs, câest-Ă -dire contre lâopinion constitutionnelle saisie du gouvernail, la mĂȘme lutte que tous ces partis ensemble avaient suivie de concert jusquâalors contre lâopinion royaliste. Seulement, la lutte Ă©tait dĂ©jĂ , elle allait ĂȘtre chaque jour plus violente, plus audacieuse, plus menaçante, parce quâelle sâappuyait plus bas et quâelle Ă©tait encouragĂ©e par son succĂšs Ă viser plus haut guerre acharnĂ©e, 232 LIVRE TROISIĂME. guerre incessante et aveugle, qui, Ă dater de ce moment, va crĂ©er toutes les difficultĂ©s du prĂ©sent et prĂ©parer sans repos tous les dangers de lâavenir. Nous avons dit que fort peu de dĂ©putĂ©s se trouvaient alors rĂ©unis dans la capitale. GrĂące Ă lâesprit particulier des dĂ©partements circonvoi- sins, les dĂ©putĂ©s arrivĂ©s dĂ©jĂ appartenaient de plus en plus Ă la gauche ou Ă lâextrĂȘme gauche. Cependant lâHĂŽtel-de-Ville les Ă©pouvanta. Lâeffervescence croissante des masses, celte fermentation, cette attente redoutable de tout un peuple qui nâavait plus ni autoritĂ©, ni lois, ce passage soudain de lâordre Ă la perspective de lâanarchie, tout leur rendit terrible le veuvage de la patrie. Mais, s^ils Ă©taient Ă©loignĂ©s des violences de la faction de lâHĂŽtel-de-Ville, ils lâĂ©taient moins de ses maximes et de ses exigences. Ils participaient de ses instincts plus que de ses passions, et de ses prĂ©jugĂ©s plus que de ses desseins ni de ses thĂ©ories. Cette double disposition dĂ©cide des destinĂ©es de la France. Ils transfĂšrent leurs rĂ©unions de lâhĂŽtel Laffitte au Palais-Bourbon pour mieux opposer puissance Ă puissance; et lĂ , quels sont leurs actes ? Le premier est de rompre avec le drapeau de la restauration, qui nâavait personne pour le dĂ©fendre, de relever le drapeau tricolore, pour se fortifier de la popularitĂ© des couleurs de la rĂ©publique et de lâempire ; le second LA RĂVOLUTION DE l83o. 233 va ĂȘtre de donner la lieutenance-gĂ©nĂ©rale du royaume au premier des princes aprĂšs lâorphelin de St-Cloud, au chef de cette branche des Bourbons qui sâĂ©tait mariĂ©e Ă la rĂ©volution depuis quarante ans, mais sans abaisser encore devant lui la barriĂšre qui le sĂ©parait du trĂŽne ; le troisiĂšme sera de mettre la main sur la Charte victorieuse, de la traiter en vaincue, delĂ reviser dans le sens des idĂ©es et des sentiments dĂ©mocratiques. Cela fait, rien nâempĂȘchera de traiter, de la mĂȘme maniĂšre que la Charte, la dĂ©claration des 221 qui avait servi de manifeste au combat; et, bien quâavec la mĂȘme dynastie, la lĂ©gitimitĂ© abjurĂ©e fera place Ă une nouvelle royautĂ©. Mgr le duc dâOrlĂ©ans Ă©tait si naturellement appelĂ©, dans cet immense dĂ©sastre, Ă soutenir la monarchie dĂ©faillante , que la mĂȘme pensĂ©e sâĂ©tait offerte en mĂȘme temps Ă Paris et Ă Saint- Cloud ; le roi et les dĂ©putĂ©s le nommaient Ă la mĂȘme heure lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume. Les intentions seules diffĂ©raient. A Saint-Cloud, on voulait maintenir la royautĂ©, la Charte et la lĂ©gitimitĂ©. Au Palais-Bourbon, on voulait uniquement sauver la forme et le nom du pouvoir royal, sans dire et peut-ĂȘtre sans savoir encore au profit de quelles idĂ©es et de quelle maison. Mgr le duc dâOrlĂ©ans, muni de son double titre, arriva en criant quâil venait prĂ©server la France delĂ guerre civile et de lâanarchie; lâunique pro- LIVRE TROISIĂME. 234 messe que fit ce prince Ă ceux qui lâappelaient, fut que la Charte serait dĂ©sormais une vĂ©ritĂ©. CâĂ©tait arborer dans le camp constitutionnel son drapeau. Ce nâĂ©tait pas encore consentir Ă le planter en dehors de lâordre lĂ©gal. On nâĂ©tait quâau samedi 31 juillet ; lâHĂŽtel- de-Ville sâĂ©branla, quand il vit un lieutenant - gĂ©nĂ©ral du royaume, et quâil pressentit une solution royale. La pensĂ©e lui vint de livrer une nouvelle bataille des barricades, de proclamer son gouvernement vĂ©ritable, dâavouer la rĂ©publique, de lâimposer Ă la France ; il ne lui manqua que la puissance et le courage. Mais lâeffroi en prit au Palais-Bourbon. A la nouvelle de lâeffervescence propagĂ©e dans les masses, la Chambre se serre autour de M. le duc dâOrlĂ©ans, et le prince se rend, avec elle, Ă lâHĂŽtel-de-Ville mĂȘme, pour y faire reconnaĂźtre et consacrer sa puissance. Ce fut son voyage de Beims. M. de Lafayette, en se rangeant du cĂŽtĂ© du prince, devint le pontife de ce sacre populaire. Mais de prĂ©tendre, comme M. Auguste Portalis le faisait naguĂšre Ă la tribune, que M. de Lafayette donna ce jour-lĂ la couronne, câest-Ă -dire quâil en aurait pu disposer Ă son grĂ©, la donner Ă tel ou tel, la ceindre lui-mĂȘme par exemple, ou bien la mettre dans sa poche, y prendre le bonnet phrygien et en coiffer la France, qui se fĂ»t laissĂ© faire, le cou tendu et les yeux fermĂ©s, câest trop de moquerie. LA. RĂVOLUTION DE l83o. 2 35 Ce qui est vrai, câest que M. de Lafayette avait le pied dans les deux gouvernements de ces quarante- huit heures. Il e'tait comme le pont de Milton, qui unit le ciel aux enfers. Ce fut pour rester appuyĂ© aux deux rivages quâil afficha, Ă lâarrivĂ©e du prince, le manifeste cĂ©lĂšbre de la monarchie populaire reposant sur des institutions rĂ©publicaines. Cet illustre non-sens Ă©tait exactement le juste- milieu entre lâordre et le chaos, entre le Palais- Bourbon et la commune de Paris. On en a fait, depuis lors , le mot dâordre et le cri de ralliement de toutes les branches du parti rĂ©volutionnaire. On veut y plier toutes nos institutions et toutes nos destinĂ©es. Câest ce quâon a nommĂ© le programme de VHĂŽtel-de - Vdie. Vouloir que la France soit liĂ©e par ce programme de lâillustre citoyen desDeux-Mondes, quâelle soit tenue par corps envers lâHĂŽtel-de-Ville de fournir Ă ces messieurs une monarchie rĂ©publicaine, câest la condamner Ă trouver, pour leur complaire, la quadrature du cercle. Câest, pour mieux dire, la condamner Ă fournir une carriĂšre de rĂ©volutions sans terme. La rĂ©publique, dont on sâinquiĂ©tait fort, nâĂ©tait Ă©videmment quâun Ă©pouvantail qui sâĂ©vanouit aussitĂŽt le parti rĂ©volutionnaire jugea prudent de la tenir en rĂ©serve pour des temps meilleurs; Paris nâen entendit plus parler. On nâa pas dit que la France lâait rĂ©clamĂ©e. Suivant toute apparence, ce a36 LIVRE TROISIĂME. fut pour lâavoir entrevue Ă lâHĂŽtel-de-Yille deux jours durant, telle que les documents de M. Armand Marrast nous la montrent, moitiĂ© intrigue, moitiĂ© faubourg, faisant des dĂ©putations et des remontrances , ayant lâarme au poing et lâaccusation Ă la bouche , que M. de Lafayette, embarrassĂ©, comme il y a quarante ans, de tenir tĂȘte au monstre, jugea, avec grande raison, que la monarchie reprĂ©sentative Ă©tait dĂ©cidĂ©ment la meilleure des rĂ©publiques. Il aima mieux, Ă lâaspect de tels amis , se rĂ©fugier dans le port de la royautĂ© constitutionnelle, que dans quelques nouveaux cachots dâOI- mutz. Par malheur, en accordant la monarchie constitutionnelle aux besoins et aux idĂ©es dâordre, ce fut Ă un autre esprit, Ă dâautres influences que furent dĂ©diĂ©es toutes les rĂ©solutions qui suivirent. On fit une cĂŽte mal taillĂ©e avec la rĂ©volution frĂ©missante. Ce fut lâesprit rĂ©volutionnaire qui se trouva en possession de dĂ©cider toutes les questions organiques, toutes les questions royales. Il fit tous les pouvoirs Ă son image. Il ne consentit Ă la monarchie quâĂ la condition quâelle fut nouvelle, Ă fleur de terre, en dehors du droit monarchique. Lâayant obtenue telle, il voulut quâelle fut humble, faible, dĂ©semparĂ©e. Et le cĂŽtĂ© gauche, aprĂšs sâĂȘtre appuyĂ©, dansun sentiment dâhonnĂȘtetĂ© et dâĂ©pouvante, aux intĂ©rĂȘts et aux principes constitutionnels pour maintenir lâinstitution de la LA RĂVOLUTION DE l83o. t>3 r ] royautĂ©, le cĂŽtĂ© gauche se rĂ©unit Ă tous ceux qui ne la voulaient pas, pour la constituer. Il devait leur rester ensuite rĂ©uni pour la miner, lâabaisser, lâĂ©craser, la mettre Ă nĂ©ant! Et le prĂ©texte de cette alliance, le point de ralliement, le cri de guerre mis en avant sans repos, a Ă©tĂ© ce quâon a continuĂ© de nommer, par opposition avec la Charte, seul point de ralliement lĂ©gal des Français, le programme de lâHĂŽtel-de-Yille ! Or, ce programme, sans cesse invoquĂ© depuis dans les dĂ©bats de la presse et des chambres, quel Ă©tait-il ? Historiquement, on ne trouve que le mot de M. de Eafayette, ou une dĂ©claration de la Chambre des dĂ©putĂ©s queM. Yiennet avait lue Ă lâHĂŽtel-de-Ville, et cpii Ă©tablissait trois choses, dont aucune nâimpliquait le renversement des lois, ni celui de la Charte, ni celui mĂȘme de la lĂ©gitimitĂ© ; savoir Que la cause qui venait de triompher par les armes Ă©tait celle qui avait triomphĂ© par les Ă©lections , câest-Ă -dire la cause des 221, de leur adresse par consĂ©quent, et de leurs maximes ; Que, suivant la parole solennelle du lieutenant- gĂ©nĂ©ral du royaume, la Charte devait ĂȘtre une vĂ©ritĂ© ; Quâenfin des lois rĂ©gleraient lâintervention des citoyens dans le choix des officiers de la garde nationale ; leur intervention dans la formation des administrations dĂ©partementale et municipale ; le jury pour les dĂ©lits de la presse; lâĂ©tat des mili- LIVRE TBOISIKME. 338 taires lĂ©galement assurĂ© ; la réélection des dĂ©putĂ©s promus Ă des fonctions publiques; la responsabilitĂ© enfin des ministres et des agents secondaires de lâautoritĂ©. Tout cela nâĂ©tait point la nĂ©gation nĂ©cessaire de lâordre rĂ©gulier; ce nâĂ©tait mĂȘme pas encore le renversement ou seulement la rĂ©vision de la Charte. Ajoutez la convocation des Chambres pour le 3 aoĂ»t, jour qui Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celui que les ordonnances de Charles X fixaient. On Ă©vitait donc jusques lĂ tout ce qui serait illĂ©gal, tout ce qui serait compromettant en Ă©tant factieux. Les Chambres continuaient de remplir leur mandat constitutionnel. Sur les premiĂšres marches du trĂŽne se montrait, avec sa jeune famille, muni des pouvoirs du roi, un prince qui y avait sa place naturelle. La restauration rĂ©gnait encore tout entiĂšre. Cependant, il est trĂšs-vrai que tout le monde savait, sans que personne lâeut dit, quâil sâagissait au fond du dĂ©placement de la couronne. A lâexemple de F HĂŽtel-de-Ville, Paris et la France avaient reconnu le prince lieutenant-gĂ©nĂ©ral, sachant bien que câĂ©tait reconnaĂźtre un roi. Le jour, lâheure oĂč sâaccomplit le changement, personne ne le pourrait dire. Seulement, le 4 aoĂ»t, la proposition en fut faite Ă la Chambre des pairs, qui fit montre de se rĂ©unir pour affecter cette grave initiative. Une seule voix protesta, celle de M. de Chateaubriand, en des termes qui nâindiquent nulle pensĂ©e de gagner sa LA. RĂVOLUTION DE l83o. 23g cause. A la Chambre des dĂ©putĂ©s, lâimmense majoritĂ© du parti constitutionnel ne pensa pas Ă dĂ©fendre la lĂ©gitimitĂ©, que les 221 avaient dĂ©clarĂ©e si rĂ©cemment la base de nos libertĂ©s , tant on avait hĂąte de plier les passions rĂ©volutionnaires Ă la forme royale, dâen finir avec lâinsurrection et lâinterrĂšgne, dâĂ©chapper Ă la rĂ©publique. Les Hydede Neuville, les Martignac, les Arthur de la Bourdonnaye, les Alexis de Noailles luttĂšrent seuls contre le torrent. A cela prĂšs, des rĂ©sistances nâapparurent nulle part. LâillĂ©gitimitĂ© du coup dâEtat semblait avoir ĂŽtĂ© aux plus fermes esprits la puissance dâinvoquer la lĂ©gitimitĂ©. Il y a en France des courants dâopinion qui emportent tout, avec lesquels on ne discute pas, devant lesquels tout plie. On ne reprend la libertĂ© de son jugement que quand il nâest plus temps. La rĂ©publique se soumit, sans coup fĂ©rir mais sans abdiquer, Ă lâĂ©tablissement nouveau, parce que la lĂ©gitimitĂ© lui Ă©tait immolĂ©e. Elle trouva, pour une fois, son succĂšs assez grand. Dâun autre cĂŽtĂ©, les Chambres entendirent bien Ă©tablir que, si la lĂ©gitimitĂ© Ă©tait abandonnĂ©e, la dynastie mĂȘme ne lâĂ©tait pas -, quâelle continuait de rĂ©gner dans la seule de ses branches qui fut majeure et populaire. Par lĂ le droit public de la premiĂšre race, câest- Ă -dire le choix par les assemblĂ©es entre les membres de la maison royale, se trouvait remis en honneur Ă la place de lâordre hĂ©rĂ©ditaire qui LIVRE TROISIĂME. 2/0 est le choix de la Providence, mais que Charles X lui-mĂȘme avait infirmĂ© dans la personne de son fils. Le vieux droit national Ă©tait donc lĂ©sĂ©, non dĂ©truit; le vieux sang capĂ©tien nâĂ©tait pas abjurĂ©. Lâun et lâautre Ă©taient reconnus et consacrĂ©s Ă nouveau par lâacte mĂȘme qui y portait atteinte ; car câĂ©tait en raison de lâabsence prĂ©tendue de tous les princes de la branche aĂźnĂ©e que la branche cadette des Bourbons Ă©tait appelĂ©e Ă la couronne dans la personne d eson altesse royale Mgr le duc dâOrlĂ©ans. Aussi lâesprit rĂ©volutionnaire ne se contenta-t-il point de la grande proie qui lui Ă©tait livrĂ©e. Il lui fallut dâautres satisfactions, des petites et des grandes. Alors quâon prĂ©tendait rompre avec le passĂ©, on revint aux formes de la premiĂšre race sur un autre point. Au lieu de ce nom de roi de France consacrĂ© dans les respects de lâunivers, on affubla le duc dâOrlĂ©ans du titre de roi des Français, que nul de nos rois nâavait portĂ© depuis Clovis, exceptĂ© le monarque infortunĂ© qui le reçut, en 1791, de lâAssemblĂ©e constituante, avec celui de restaurateur de la libertĂ© française, et qui alla les perdre, lâun et lâautre, la dix-septiĂšme annĂ©e de son rĂšgne libĂ©ral et pacifique, sur le pavĂ© sanglant de la place Louis XY, de la place de la Concorde, de la place de la RĂ©volution, comme on voudra la nommer ! On interdit en outre au roi des Français de rĂ©gner par la grĂące de Dieu. Dieu Ă©tait destituĂ© du gouvernement de lâunivers. Ce LA. RĂVOLUTION DE l83o. 2,[\\ qui Ă©tonne, câest que tant de gens de bien et de grands esprits aient cru qu'on pouvait bĂątir suide tels fondements ! Ces conquĂȘtes morales nâempĂȘchĂšrent pas la rĂ©volution dâen exiger de plus positives. Elle prĂ©tendait envahir et dĂ©vaster la Charte mĂȘme, au nom de laquelle le peuple avait pris les armes et vaincu. Le cĂŽtĂ© gauche voulut quâelle fĂ»t revisĂ©e, et cette concession fut consentie. Dans lâintĂ©rĂȘt du rĂ©gime nouveau, la faute Ă©tait immense. CâĂ©tait un coup de hache Ă son support unique, un dĂ©menti Ă son unique programme , le dĂ©saveu de son seul titre. Par lâesprit qui prĂ©sida aux changements, ce devait ĂȘtre lâabandon de tous les moyens de gouvernement, de toutes les conditions dâascendant et dâautoritĂ© indispensables chez les Français. On aurait compris une dĂ©claration solennelle fixant le sens de lâarticle 14, et rouvrant Ă toutes les amĂ©liorations ultĂ©rieures lâarticle fermĂ© qui immobilisait le corps Ă©lectoral dans les 300 francs dâimpĂŽt. Au heu de cela, on remit sur le chantier la Charte entiĂšre. Dans toute cette bourrasque, on ne vit que lâHĂŽtel-de-Ville, les cris, les armes, les tempĂȘtes; on ne pensa quâĂ Paris et au jour qui sâĂ©coulait, point Ă la France et au lendemain! Cette malheureuse France subissait le destin de la Pologne, oĂč, Ă chaque renouvellement de souverain, le prince Ă©lu avait hĂąte dâaccepter tous les changements proposĂ©s aux pacia conventa , pour mettre 16 LIVRE TROISIĂME. 24 2 un terme plus prompt aux vicissitudes de lâinterrĂšgne ; et, de cette sorte, il Ă©tait roi plutĂŽt; mais il lâĂ©tait moins toute sa vie. Câest par lĂ que la Pologne a pĂ©ri! La Chambre des dĂ©putĂ©s, en cĂ©dant sur le le fond, sâattacha, cette fois encore , Ă sauver la forme , Ă marquer que, si elle touchait Ă la Charte, elle entendait, non la dĂ©truire, non la refaire, mais seulement la perfectionner, la consacrer. Il fut expressĂ©ment dĂ©clarĂ© que cette Charte auguste nâĂ©tait pas en question on ne vota que sur les articles nouveaux ; elle restait câest son titre lĂ©gal la Charte constitutionnelle de 1814. Les changements ne semblĂšrent que des libertĂ©s, câest-Ă -dire en apparence des droits, des bienfaits; en rĂ©alitĂ© câĂ©taient des affaiblissements. Il nây avait nul dessein dâentamer aucune des garanties de lâordre. Ce fut sans sâen apercevoir quâon les infirma toutes. Lâesprit de faction ne sây trompa point. La Charte se trouva, comme la royautĂ©, contemporaine de la rĂ©volution ; elle devenait une consĂ©quence de juillet comme on parlait alors, lâouvrage des mains qui Ă©taient encore noires de poudre et frĂ©missantes des joies du combat et des attentes de la victoire. A ces conditions, il ne fallait pas quâelle comptĂąt sur des respects. RĂšgle universelle et invariable. Les hommes ne respectent que ce quâils nâont pas fait, que ce qui est plus LA RĂVOLUTION DE l83o, ^43 ancien quâeux-mĂšmes. On ne leur semble supĂ©rieur Ă eux, quâĂ la condition de leur ĂȘtre antĂ©rieur. Il faut le dire, la peur rĂ©gnait. Car câest lĂ toujours le moyen de persuation du parti rĂ©volutionnaire. Le parti constitutionnel ne comprit pas sa force il oublia la France. Sâil eĂ»t tenu bon dans lâenceinte sacrĂ©e de la Charte et de la monarchie une seule fois, les rĂ©volutionnaires de Paris eussent Ă©tĂ© contraints de flĂ©chir, ou bien dâarborer le bonnet rouge. La nation nâĂ©tait pas prĂ©parĂ©e Ă cette insolence. Elle se fĂ»t levĂ©e toute entiĂšre pour la punir. Ă la vĂ©ritĂ©, Dieu seul peut savoir aprĂšs quels dĂ©sastres, et au prix de quels flots de sang ! CâĂ©tait un prix redoutable on espĂ©ra ainsi nâavoir point Ă le payer. Pendant ce travail de dĂ©molition par lequel on croyait sĂ©rieusement reconstruire, le gouvernement rĂ©publicain de lâHĂŽtel-de-Ville, assoupi depuis quelques jours dans son abdication forcĂ©e, ou rĂ©duit Ă de simples nĂ©gociations, se rĂ©veilla. 11 se rĂ©veilla sous une forme nouvelle quâil allait dĂ©sormais garder pour tenir en Ă©chec le gouvernement officiel, celle de lâĂ©meute, Sosie incomplet de la grande semaine, ayant les mĂȘmes colĂšres contre les lois que la grande semaine pour les lois, montrant Ă©galement des pavĂ©s Ă ses adversaires, mais, grĂące Ă Dieu, ne ralliant plus la citĂ© entiĂšre, et ne faisant que rendre visibles Ă tous les yeux les maux auxquels la France sâefforcait dâĂ©chapper. LIVRE TROISIĂME. 244 LâĂ©meute, Ă dater de ce jour, prĂ©tendit intervenir comme pouvoir, et pouvoir prĂ©pondĂ©rant, dans le vote des lois. CâĂ©tait une branche nouvelle, une pousse spontanĂ©e de la puissance lĂ©gislative, qui se produisait audacieusement, comme entĂ©e sur les barricades. Il lui fallut un grand lambeau de sa monarchie rĂ©publicaine. Nâayant pu nous apprendre Ă nous passer de royautĂ©, la RĂ©publique voulut nous contraindre Ă nous passer de pairie. Le prĂ©sent lui Ă©chappait ; elle mit la main sur lâavenir. M. Armand Marrast, dans ses Documents historiques , rend le service de raconter comment, le samedi 7 aoĂ»t, Ă trois heures de lâaprĂšs-midi, se rĂ©unirent sur la place de lâOdĂ©on quelques centaines dâĂ©tudiants, sĂ©nateurs imberbes qui ne se donnĂšrent pas la peine de dĂ©libĂ©rer sur la question de lâhĂ©rĂ©ditĂ©, mais qui la tranchĂšrent! Ils marchĂšrent sur le Palais-Bourbon ; la Chambre eut peur... Voyez quelle gloire pour notre patrie ! câest la peur qui fixe la nature du pouvoir destinĂ© Ă faire Ă©quilibre Ă la dĂ©mocratie ou Ă la royautĂ©, et peut-ĂȘtre aucun de ces lĂ©gislateurs improvisĂ©s nâĂ©tait-il majeur ! Les Documents historiques nous apprennent encore ce fait curieux, que, prĂ©venu Ă lâavance du tumulte, le chef de la garde nationale, M. de La- fayette, dans sa confiance sĂ©culaire, nâavait pris aucune prĂ©caution pour dĂ©fendre lâordre public LA RĂVOLUTION DE l83o. 2/j5 et la Chambre qui dĂ©libĂ©rait, parce quâil obtint de lâĂ©meute sa parole dâhonneur de ne pas bouger. Il faut avouer que la Cliarte fut malheureusement gardĂ©e par lâillustre gĂ©nĂ©ral. Sans doute, on louera lâĂ©meute dâavoir Ă©tĂ© honnĂȘte, de sâĂȘtre arrĂȘtĂ©e devant les reprĂ©sentations du grand citoyen , de nâavoir point pĂ©nĂ©trĂ© dans lâenceinte lĂ©gislative qui Ă©tait ouverte, point violĂ© lâinviolable pouvoir. Câest une erreur elle lâa fait. Elle pĂ©nĂ©tra dans lâenceinte sacrĂ©e; elle la dĂ©vasta. Car sa pensĂ©e, sa politique, son attache mortelle envahirent lâarticle 23 de la Charte, qui fut dĂ©clarĂ© passible, dans le courant dâune annĂ©e, dâun nouvel examen, et la pairie devait un an aprĂšs succomber sous le coup. On sait bien que cette dĂ©claration nâĂ©tait quâune cote mal taillĂ©e, un mezzo termine , un atermoiement, comme tout ce qui se fit alors. On lâadopta pour faire face Ă une difficultĂ© du quart-dâheure aux dĂ©pens de lâavenir. Tout le monde vit une simple formalitĂ© dans la rĂ©vision ultĂ©rieure qui Ă©tait annoncĂ©e. On imagina que dans un an lâĂ©meute aurait lĂąchĂ© prise ; et, comme il sâagissait, dans cet instant, Ă la Chambre, de soumettre Ă des formes particuliĂšres dâexamen la prĂ©rogative royale des nominations illimitĂ©es de pairs, on jugea sans inconvĂ©nient dâĂ©tendre Ă lâarticle tout entier sur la pairie, la disposition projetĂ©e. Ce ne fut autre chose Ă vrai dire quâun LIVRE TROISIĂME. 246 moyen de police, une maniĂšre de supplĂ©er aux patrouilles omises par le gĂ©nĂ©ral Lafayette. Grande leçon aux dĂ©positaires des destinĂ©es publiques ! Il est des points sur lesquels nul nâa le droit de faiblir un jour. Frapper de provisoire une des colonnes de lâĂ©tat social, câest lâĂ©branler tout entier. La monarchie, il y a quarante ans, ne pĂ©rit pas non plus par lâĂ©branlement du 6 octobre ; ce ne fut que trois ans aprĂšs. Personne alors ne rĂ©flĂ©chit aux consĂ©quences de ce facile abandon de la premiĂšre des institutions auxquelles sâappuyait la monarchie constitutionnelle; on ne vit que lâordre rĂ©tabli dans les carrefours. Dans la prĂ©vention publique, les innovations apportĂ©es au pacte constitutionnel continuĂšrent dâĂȘtre accueillies comme autant de conquĂȘtes. La grande atteinte au passĂ© de la patrie et Ă sa loi fondamentale sembla une garantie dâavenir. Ce fut avec une confiance infinie dans la protection divine que les deux chambres, le 9 aoĂ»t, dĂ©clarĂšrent ce changement de rĂšgne, de branche, de charte, de drapeau, de maximes. Le prince lieutenant - gĂ©nĂ©ral du royaume monta lâunique degrĂ© qui le sĂ©parĂąt du trĂŽne; le cri de Vive le roi! enfoui depuis quinze jours dans les entrailles de la terre , se fit entendre de nouveau, et la plus grande diffĂ©rence cjui apparut Ă toute cette France Ă©tourdie et charmĂ©e de ses combats, de ses dangers, de sa force , de sa sagesse câest que le cri LA RĂVOLUTION DE I 83o. iLfj de Vive la reine! pour la premiĂšre fois aprĂšs qua- ranle ans, put se joindre Ă celui de Vive le roi! Lâun et lâautre retentirent, comme le cri sauveur, dâun bout du royaume Ă lâautre. Toutes les passions contraires se soumirent sans obstacle. Les demeurants de lâempire et les soupirants de la rĂ©publique se pressĂšrent, dans les premiers moments, comme le parti constitutionnel, sur toutes les avenues du trĂŽne nouveau. Le parti royaliste seul se tint Ă lâĂ©cart, ce qui parut un triomphe et fut prĂšs de paraĂźtre une force, dâautant plus que ne faisant pas concurrence sous les lambris du Palais-Royal, les royalistes semblĂšrent, parmi beaucoup de fermes et loyales dĂ©missions, adhĂ©rer, sur les bancs du Luxembourg et du Palais Bourbon. On vit, en effet, les serviteurs, les amis personnels des princes frappĂ©s par le sort, les chefs de lâĂ©migration de 1789, baisser la tĂȘte sous la loi dâune nĂ©cessitĂ© qui semblait irrĂ©vocable. On les entendit, par la bouche notamment du duc de Fitz-James, dans un noble et touchant langage, attester leur rĂ©solution dâĂ©viter Ă tout risque les dĂ©sordres, dâimmoler Ă tout prix leurs affections brisĂ©es au besoin de ne point diviser le sein de sa patrie. Tandis que les voĂ»tes des deux Chambres retentissaient de ces dĂ©clarations, Charles X, ses enfants et son petit-fils, trois gĂ©nĂ©rations de rois, sâĂ©loignĂšrent Ă pas lents, noblement, dignement, des palais, du trĂŽne et de la 248 LIVRE TROISIĂME. terre de leurs aĂŻeux. Un vaisseau amĂ©ricain attendait tout ce qui restait du sang de Louis XVI. Il leva lâancre sans effort, sous ce faix de la lĂ©gitimitĂ© arrachĂ©e de ses fondements, et poussĂ©e par les vagues vers une terre dâexil. En un mot, lâordre, lâordre extĂ©rieur, rĂ©gna, ce qui ne sâĂ©tait pas vu encore et ce qui charma les Français, dans la chute dâun trĂŽne. Le cours de nos longues prospĂ©ritĂ©s ne sembla mĂȘme pas interrompu. On avait vu des changements de ministĂšres qui sâĂ©taient fait sentir Ă la bourse plus que ce changement de Charte, de drapeau et de royautĂ©. Tout le monde crut que la rĂ©volution Ă©tait recommençait ! CHAPITRE III. MOBILES DE LA RĂVOLUTION. Telle fut la rĂ©volution de 1830. Elle sembla presque en mĂȘme temps conçue, faite et close. La France mit moins de temps Ă la faire ou Ă la laisser faire, que nous Ă la raconter, parce que nous essayons dâen faire comprendre le sens et la portĂ©e. Et nous disons la rĂ©volution; car nous ne sommes pas de ceux qui nây voient quâun Ă©vĂ©nement. De quel nom assez grand appeler le renversement du principe fondamental delĂ monarchie, de celui sur lequel reposait lâordre constitutionnel lui-mĂȘme, de celui dont lâinfraction , alors mĂȘme quâelle Ă©tait consacrĂ©e sans secousse, allait laisser, au sein de la sociĂ©tĂ© entiĂšre, un mystĂ©rieux et long malaise? LâAngleterre appelle la mĂȘme catastrophe sa glorieuse rĂ©volution. Il faut mĂȘme le dire ce qui assura en grande partie cette rĂ©volution soudaine , ce fut lâhistoire dâAngleterre. CâĂ©tait un dĂ©noĂ»ment tout fait; les imaginations y Ă©taient dĂšs longtemps prĂ©parĂ©es par les rapprochements plus ou moins fidĂšles que SĂO LIVRE TROISIĂME. la polĂ©mique multipliait chaque jour depuis seize annĂ©es. Il semblait que ce fĂ»t une dette de la rĂ©volution française envers sa sĆur aĂźnĂ©e, delĂ calquer jusquâau bout. Plusieurs pensĂ©es se rĂ©unirent pour dĂ©terminer cette subversion du droit public sur lequel la France reposait depuis mille ans. Il y eut concession rĂ©flĂ©chie au gĂ©nie du dĂ©sordre qui sâagitait, apprĂ©hension de pĂ©rils nouveaux , espoir dâopposer dĂ©sormais Ă lâanarchie le rempart dâun trĂŽne plus solide, pensait-on, que celui qui tombait faute dâavoir eu le point dâappui des intĂ©rĂȘts nouveaux en mĂȘme temps que le point dâappui des siĂšcles. Il y avait aussi, et peut-ĂȘtre fĂ»t-ce le sentiment qui domina, il y avait rĂ©solution de mettre lâavenir Ă lâabri de rĂ©actions et dâentreprises funestes comme celle dont on venait de porter le poids , prĂ©caution contre lâesprit qui avait dictĂ© les ordonnances fatales, parti pris dâassurer enfin Ă la France nouvelle cette sĂ©curitĂ© qui nâavait Ă©tĂ© que trop vainement cherchĂ©e jusquâalors sous la foule des rĂ©gimes prĂ©cĂ©dents, et qui Ă©tait Tunique bien dont la restauration eĂ»t Ă©tĂ© avare. On ne vit pas que les pĂ©rils qui venaient dâattrister la France constitutionnelle, avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s Ă toujours par son triomphe; que la Charte aurait Ă©tĂ© dĂ©sormais, non plus un octroi de la couronne, mais la conquĂȘte et le patrimoine de la France; que la sĂ©curitĂ© quâon voulait sâassurer dâun cĂŽtĂ© JA RĂVOLUTION DE l83o. 25 1 de lâhorizon, manquerait au contraire de lâautre; que lâesprit rĂ©volutionnaire, amorcĂ© en quelque sorte et irritĂ© par cette satisfaction , deviendrait la terreur et la calamitĂ© permanente de lâavenir. On copiale modĂšle fourni par lâhistoire, sans songer que profondĂ©ment dĂ©mocratiques, nous ne pouvions pas impunĂ©ment nous jouer, comme les Anglais, avec un Ă©lĂ©ment dâordre, quand nous nâen possĂ©dions plus, pour parler exactement, quâun seul 1. Mais aussi, il faut ĂȘtre sincĂšres ces rĂ©flexions, combien y eut-il dâesprits qui les firent alors? La disposition gĂ©nĂ©rale Ă©taitde ne voir quâune grande faute, un grand chĂątiment, de grands dangers. 1 Pendant que ces pages Ă©taient rĂ©imprimĂ©es aoĂ»t 1849, lâapprĂ©ciation que lâauteur y avait tracĂ©e, dĂšs 1831, de la rĂ©volution du 9 aoĂ»t 1830, recevait deux sanctions Ă©clatantes, lâune dans le livre de M. Dunoyer, ancien collaborateur du Censeur EuropĂ©en , sur la rĂ©volution de 1848 ; lâautre dans une lettre de M. Madier Montjeau, lâun des 221, qui va jusquâĂ sâexprimer ainsi Tout Ă©tait juste et grand dans le combat pour la Charte. Nous devĂźnmes criminels jusquâĂ la dĂ©mence dans le refus dâaccepter lâabdication expiatoire de Charles X. » Dans ce que nous avons prĂ©fĂ©rĂ©, tout Ă©tait malaisĂ©... impossible; dans ce que nous avons refusĂ©, tout Ă©tait facile, noble, durable. » Si la magnifique famille dâOrlĂ©ans nâavait Ă©tĂ© contrainte par nous quâĂ un concours lĂ©gal, elle nous eĂ»t apportĂ© des forces immenses... Maintenant que je vois tous ces princes inutiles Ă leur pays, tous bannis, tous courbĂ©s sous le mĂȘme malheur immĂ©ritĂ© pour tous, je maudis lâaveuglement de ce vote lamentable qui mâa rendu aussi fatal Ă deux races royales quâĂ mon pays. LIVRE TROISIĂME. 2$2 Rappelons-nous lâĂ©tat de lâopinion, la situation violente de la capitale, ce sang qui fumait encore, ces barricades partout dressĂ©es, qui accusaient un dĂ©sordre immense et son origine royale, ce peuple armĂ© qui gardait, demi-nu, nos palais et nos trĂ©sors, dont on admirait la vertu, en se demandant si elle Ă©tait immortelle ; et nâoublions pas deux choses câest que lâanarchie, Ă Paris , risquait de devenir lâanarchie dâune grande partie delaFrance; que la monarchie lĂ©gitime, au contraire , ne pouvait pas ĂȘtre constituĂ©e dans la capitale incandescente et exaspĂ©rĂ©e comme elle lâĂ©tait. Si elle pouvait vivre, câĂ©tait Ă Saint-Cloud et dans les provinces elle ne tenta rien nulle part. Pour expliquer Ă la fois et Saint-Cloud et Paris, il faut avoir prĂ©sent Ă lâesprit ce dĂ©laissement universel du prince qui avait lancĂ© le foudre du coup dâEtat, cette conviction gĂ©nĂ©rale dâune sentence sans appel, cette solitude croissant autour de lui de seconde en seconde. Nous avons dit le dĂ©sert avant les ordonnances ; mais alors il trompait encore par le mirage inĂ©vitable de la puissance , et maintenant on le touchait au doigt et Ă lâĆil ; il Ă©tait morne, terrible. Tout le monde savait quâil nâĂ©tait plus question que de dĂ©part et de retraite. On connaĂźt quelquâun qui pensa que les princes nâĂ©taient pas hors la loi commune, qui veut quâon prenne congĂ© de ceux quâatteint le malhĂ©ur et qui partent pour de douloureux voya- LA. RĂVOLUTION DE l83o. 203 âąges. Ce nâĂ©tait encore que le samedi 31 juillet. Il se heurta contre les plus grands noms de la monarchie , de la cour, de la VendĂ©e, qui revenaient. Il ne rencontra personne occupĂ© Ă affronter ce soleil dĂ©vorant et ces infortunes, ces fautes plus dĂ©vorantes encore. Lui-mĂȘme sâarrĂȘta, aprĂšs avoir frappĂ© Ă la porte de Saint-Cloud et de Trianon , en nây trouvant que des escadrons de la garde royale dĂ©bandĂ©s et le drapeau tricolore. Personne, Ă Versailles, ne lui annonça la halte de Rambouillet; personne ne la supposait. La prĂ©occupation universelle des esprits Ă©tait la peur de lâanarchie et des vengeances dont elle serait accompagnĂ©e , de la rĂ©action sanglante Ă laquelle elle servirait dâinstrument. Quels intĂ©rĂȘts eussent Ă©tĂ© immolĂ©s dâabord, quelles tĂȘtes prises les premiĂšres, comment le mĂ©connaĂźtre? La haine contre le royaliste et le prĂȘtre courait dans les veines gonflĂ©es des masses avec une vraie furie. Qui oserait dire que sans ce calque de la rĂ©volution dâAngleterre, nous nâaurions pas eu la contre- Ă©preuve de la nĂŽtre? La halte du gouvernement de 1830 aura servi Ă rĂ©concilier le noble et lâecclĂ©siastique avec le citadin, Ă faire tomber toutes les fureurs, Ă remettre ensemble et Ă rĂ©unir, sâil se peut, tous les Français. On peut interroger les monuments, qui restent, de lâopinion qui passe. Relisons les journaux royalistes , quand ils reparurent ; car on ne sait sâils LIVRE TROISIĂME. 254 reparaissaient dĂ©jĂ . Comparons le langage quâils tenaient alors avec celui quâils parlent aujourdâhui , aprĂšs vingt mois, et gardons-nous dâune grande injustice câest de juger le passĂ© avec le calme facile du prĂ©sent; câest dâaccuser un Ă©vĂ©nement accompli et un gouvernement instituĂ© , avec la sĂ»retĂ© personnelle , la libertĂ© lĂ©gale et le repos dâesprit quâils nous, ont donnĂ©s. Si lâon veut se rendre compte des sensations dont tous les esprits Ă©taient frappĂ©s alors, il y a quelque chose de bien simple , câest de revoir le discours que M. le vicomte de Chateaubriant prononça , au sein de la Chambre des pairs, en y dĂ©fendant seul la lĂ©gitimitĂ© discours, dâune Ă©loquence si prodigue de louanges pour la victoire de Paris; si propice, par lâascendant de sa modĂ©ration, Ă la royautĂ© nouvelle quedĂ©clinait pour son compte lâillustre orateur; si Ă©crasante, par la grandeur de ses reproches , pour cette autre royautĂ©, sĂ©culaire et fugitive, dont il se dĂ©vouait Ă dĂ©fendre le principe, et que son gĂ©nie abĂźmait sans merci sous le poids de sa colĂšre,â comme avait fait le peuple, apparemment pour la secourir de plus haut! On ne saurait redire aujourdâhui, de sang- froid , ces pages Ă©crites dans le feu du combat et de la douleur. Bornons-nous Ă transcrire des paroles qui attestent bien le point de vue sous lequel sâoffrait aux Ăąmes fidĂšles lâavenir ouvert Ă la France. LA RĂVOLUTION UH l83o. 255 Loin de moi, sâĂ©criait lâillustre pair, de jeter » des semences de division dans la France; et » câest pourquoi jâai refusĂ© Ă mon discours lâac- » cent des passions. Si jâavais le droit de disposer » dâune couronne, je la mettrais volontiers aux j pieds de monseigneur le duc dâOrlĂ©ans ; mais » je ne vois de vacant quâun tombeau Ă Sairit- » Denis , et non pas un trĂŽne. » Quelles que soient les destinĂ©es qui attendent » M. le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume , je ne se- » rai jamais son ennemi tant quâil fera le bonheur » de ma patrie. Je ne demande quâĂ conserver la » libertĂ© de ma conscience, et le droit dâaller » mourir oĂč je trouverai indĂ©pendance et re- » pos. » Quelques jours aprĂšs, un journal, qui ne fut par dĂ©menti, se dĂ©clara autorisĂ© Ă rĂ©vĂ©ler que, » loin de chercher Ă isoler, par lâinfluence de son » nom et de son exemple, un pouvoir qui sâĂ©le- » vait si heureusement pour nos destinĂ©es, lâil- » lustre pair ne se servait de cette influence que » pour prĂȘcher lâobĂ©issance et lâunion. » Quâon ne le conteste donc pas le sentiment universel, dans le principe, fut dâaccepter la royautĂ© nouvelle comme un port dans la tempĂȘte. Ce sentiment Ă©clata jusque dans le langage de ceux des serviteurs du trĂŽne qui sâĂ©loignĂšrent sans retour des nouveaux pouvoirs pour ne point passer sous de nouveaux serments il serait injuste et a56 LIVRE TROISIĂME. ingrat de nier aujourdâhui ce quâon Ă©prouvait alors. Mais aussi, si bien des dispositions personnelles ont changĂ© depuis, si les dissidences se sont grossies et exaspĂ©rĂ©es, si, contre lâusage de la puissance , la monarchie de 1830 a perdu avec le temps plutĂŽt que fait des conquĂȘtes, Ă qui la faute? AssurĂ©ment, il y a eu, de son cĂŽtĂ©, des torts; il y a eu des engagements faussĂ©s, des espoirs déçus, des intĂ©rĂȘts menacĂ©s. Quels sont- ils ? On ne peut penser que lâancienne monarchie fĂ»t tombĂ©e sans dĂ©fense, que ses amis, que ses serviteurs, que son armĂ©e , que la France mĂȘme eussent passĂ© sans condition sous des lois nouvelles. La France ne se serait pas rendue Ă merci aux combattants de FHĂŽtel-de-Ville, ni mĂȘme aux soixante lĂ©gislateurs du Palais-Bourbon. Rechercher une fois et fixer enfin la nature de la rĂ©volution de 1830, se rendre compte de la mission quâelle annonça hautement et des limites quâelle se posa elle-mĂȘme, voilĂ les questions quâil importe de rĂ©soudre, puisque lĂ rĂ©side le contrat qui a Ă©tĂ© consenti par la France, qui constitue le code des vĂ©ritables promesses de juillet, et qui nous autorise, chacun et tous, Ă rechercher si elles sont tenues. Nous disons Ă notre tour, comme le parti rĂ©volutionnaire qui invoque ce nom sans cesse les LA RĂVOLUTION DE l83o. 2$'] promesses de juillet ! Car câest un point sur lequel il Ă©tait besoin de sâexpliquer enfin. On a parlĂ© Ă©ternellement de lâHĂŽtel-de-Ville, et peu de la France ; on a parlĂ© des promesses faites aux combattants des barricades et Ă ceux qui se sont, depuis le triomphe, dĂ©clarĂ©s leurs chefs. Il est temps de parler de ces trente millions dâĂąmes qui nâauraient pas indiffĂ©remment acceptĂ© toutes les victoires. Or, leur acceptation pouvait seule donner Ă lâordre nouveau, quel quâil fĂ»t, sanction et force, paix dans le prĂ©sent et sĂ©curitĂ© dans lâavenir. 17 CHAPITRE IV. PROMESSES VĂRITABLES DE JUILLET. LâORDRE ET LA PAIX. La rĂ©volution de 1830, Ă son origine, eut le mĂ©rite de sâeffrayer dâelle-mĂȘme. Son premier sentiment fut de redouter lâinvasion de lâesprit rĂ©volutionnaire ; son premier besoin, de prendre des sĂ»retĂ©s contre les entraĂźnements subversifs ; son premier acte, de sâenchaĂźner par les liens dâun pacte fondamental qui sauvĂąt le pays, non- seulement de tout Ă©branlement, mais aussi de toute alarme. Câest lĂ son caractĂšre natif, celui qui la distingue de la plupart des rĂ©volutions passĂ©es. Le peuple armĂ©, ce peuple dont on a tant de fois usurpĂ© le nom, dont on devrait respecter les vĆux et les exemples, le peuple eut hĂąte dâabdiquer aux mains des reprĂ©sentants lĂ©gitimes du pays, comme ceux-ci aux mains du prince quâils destinaient Ă la couronne. Le 9 aoĂ»t, il fut dit que lâordre constitutionnel recommençait son cours ; on pourrait mĂȘme prĂ©tendre quâil LA IUĂVOLUTIOM' de i83o. a5g nâavait pas Ă©tĂ© interrompu car pas un acte ne sâĂ©tait accompli, si ce nâest sous la sanction des trois pouvoirs. On pourrait aller plus loin, et dire que le gouvernement nouveau nâĂ©tait, dans la pensĂ©e de tout le monde, que la restauration possible, lĂ©galement continuĂ©e. Autrement, pourquoi et de quel droit poursuivre devant la justice les ministres coupables dâavoir attaquĂ© une Charte et un gouvernement qui auraient Ă©tĂ© par 1 vous-mĂȘmes condamnĂ©s et abattus ? Le programme de lâavenir fut tout entier dans cette premiĂšre parole du lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, si rĂ©pĂ©tĂ©e longtemps dans les discours, les adresses, les toasts, les transparents, quâelle sembla recevoir de la voix du peuple une sanction souveraine La Charte sera dĂ©sormais une vĂ©ritĂ©. » Malheureusement, le mot avait Ă©tĂ© dĂ©menti aussitĂŽt que prononcĂ©, puisquâon avait consenti Ă reviser la Charte, câest-Ă -dire Ă la mutiler, Ă lâinfirmer. Elle nâĂ©tait plus la vĂ©ritĂ© ! Relisez toutes les proclamations de toutes les autoritĂ©s dâalors, les actes signĂ©s Mauguin, Laffitte, Lafayette, les documents Ă©manĂ©s de la commission municipale aussi bien que du Palais- Bourbon vous ne verrez pas un vĆu destructeur. Au milieu de toutes les nomenclatures de changements dĂ©sirĂ©s, dans lesquelles se complaisent le gĂ©nĂ©ral Lafayette et les premiĂšres rĂ©unions de 2ĂO LIVRE TROISIEME. dĂ©putĂ©s, il est fort question de lâĂ©tablissement de lois municipales ou dâabolition de la censure, point dâabolition de la pairie. La prĂ©occupation commune, la prĂ©occupation constante qui y Ă©clate Ă toutes les lignes , est le rĂ©tablissement de la stabilitĂ© des lois. Lâordre y est plus souvent invoquĂ© que la libertĂ©. Vous y verrez partout redouter et proscrire les rĂ©volutions et la guerre ; vous ne verrez promettre nulle part ces deux flĂ©aux. Pourquoi ? parce quâil y eut deux choses qui devaient ĂȘtre et qui Ă©taient Ă©galement dĂ©sirables aux chefs de la rĂ©volution, deux choses qui pouvaient seules la propager rapidement et lâaffermir câĂ©taient lâordre et la paix. Aussi est-ce lâordre et la paix quâils ont hĂąte dâanuoncer Ă la France. La paix ! Nous en parlons dâabord, parce que ce fut dâabord Ă quoi la rĂ©volution songea. Elle nâeut garde dâaller se ruer, comme on lâa vu plus tard, sur lâhĂŽtel des ambassadeurs oubliĂ©s Ă Paris par la cour. Elle ne proclama point que la guerre des trois journĂ©es eĂ»t Ă©tĂ© faite Ă lâEurope ; que la victoire des barricades eĂ»t rompu les pactes qui nous liaient au monde ; que lâĂ©lan qui avait emportĂ© les Parisiens de lâHĂŽtel-de-Ville sur les Tuileries, eĂ»t la vertu de reporter les drapeaux de la France sur cette frontiĂšre du Rhin, si dĂ©plorable- ment perdue parle gĂ©nie dĂ©vorant de lâempire! LA RĂVOLUTION DE l83o. 2ĂI Point. Les premiers soins se tournĂšrent Ă nouer avec le corps diplomatique des relations amies, et Ă le convaincre du bon droit de la rĂ©volution. On euthĂąte dâinstruire lord Wellington 1 de ce qui se prĂ©parait, dâavoir ses promesses de reconnaissance immĂ©diate. Et tous les pouvoirs abondaient dans celte politique. La dĂ©putation qui, le vendredi 30, avait portĂ© Ă M. le duc dâOrlĂ©ans le titre de lieu- tenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, redit Ă la Chambre que le prince lâacceptait, afin dâĂ©viter et la guerre civile et la guerre Ă©trangĂšre. Ce sont les premiers linĂ©aments du contrat dressĂ© alors. Tout le monde applaudit. Nul des chefs du parti ne sâavisa de dĂ©clarer quâil voulĂ»t, pour son compte, la guerre Ă©trangĂšre, non plus que la civile. Le dimanche matin , les journaux du gouvernement publiĂšrent que les ambassadeurs avaient donnĂ© les assurances les plus pacifiques. Cette fois encore, personne ne rĂ©clama. En ouvrant, le surlendemain 3 aoĂ»t, la session rĂ©guliĂšre et lĂ©gale des deux Chambres, telle que lâavait commandĂ©e le Roi Charles X, le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume s exprima ainsi dans son discours du trĂŽne La France montrera, dit-il, Ă lâEurope quâelle » chĂ©rit la paix aussi bien que la libertĂ©, et no {1 . Alors chef .du cabinet Britannique. 2Ă2 LIVRE TROISIĂME. » veut que le bonheur et le repos de ses voĂź- » sins. » Ce fut en rĂ©ponse Ă ce langage que les deux Chambres, au lieu dâadresses, firent Ă Louis-Philippe la proposition de la couronne. Le jour oĂč ce prince la ceignit, il compta, parmi les espĂ©rances quâil voyait briller sur la France, la paix de plus en plus affermie. Et, cette fois encore, personne nâimagina de faire des rĂ©serves ou des objections, de revendiquer la propagande, de se dire chargĂ© dâen haut de donner notre libertĂ© et notre dĂ©mocratie Ă lâunivers, de mettre enfin en avant toutes les folies que nous avons vues et entendues depuis vingt mois. Quâon se rappelle lâaccord de toutes les autoritĂ©s Ă rĂ©pĂ©ter les dĂ©clarations pacifiques du trĂŽne ; quâon se rappelle lâapplaudissement public avec lequel le gouvernement nouveau envoya, du milieu des barricades, dâillustres citoyens dans les cours Ă©trangĂšres, apparemment afin de notifier autre chose que des hostilitĂ©s ; quâon se rappelle la joie que ressentaient nos citĂ©s, que nos journaux de toutes les opinions exprimĂšrent Ă lâenvi, au sujet de ces reconnaissances empressĂ©es des couronnes, qui apprirent Ă la France quâelle pourrait se livrer en paix au soin dâaffermir ses institutions plutĂŽt que dâavoir Ă les dĂ©fendre; quâon nâoublie pas les transports dont Ă©taient saluĂ©s, dans les LA. RĂVOLUTION DE l83Ă». 203 théùtres, les bulletins, quâon avait soin dây envoyer, de ces victoires de la sagesse sur les prĂ©ventions des cours ; et quâon dise la surprise douloureuse que tout le monde aurait Ă©prouvĂ©e, si lâEurope avait posĂ© la doctrine que les principes Ă©taient contraires, que tous les traitĂ©s Ă©taient anĂ©antis et tous les liens rompus! La rĂ©volution de 1830, comme NapolĂ©on aux Cent-Jours, entendit donc accepter, de la restauration, son plus douloureux hĂ©ritage, ces traitĂ©s quâelle nâavait fait que souscrire, que dâautres que les Bourbons avaient appesantis sur la France comme une nĂ©cessitĂ© de fer. La rĂ©volution de 1830 dĂ»t agir ainsi. Paris, en se levant en armes, avait-il entendu reconquĂ©rir des provinces, ou bien des droits ? Et si ces droits Ă©taient chers Ă la France, pense-t-on quâelle y tĂźnt, pour faire des essais nouveaux et tendre Ă un but douteux, Ă un but, suivant les thĂ©ories diverses, perdu dans des nuages ou cachĂ© sous des ruines ? Non ! non ! il nây eut dâabord quâune façon de sentir, dans les camps divers que la rĂ©volution rallia sous ses drapeaux. La nation sâĂ©tait Ă©mue uniquement pour reconquĂ©rir le gouvernement reprĂ©sentatif sur le coup dâEtat qui le renversait la preuve, câest le nom de cette Charte invoquĂ© dans le combat , invoquĂ© encore aprĂšs la victoire. Si donc, la Charte reconquise, les grands pouvoirs poussĂšrent la victoire plus loin que le peuple mĂȘme, ce LIVRE TROISIĂME. 264 11e fut que dans lâespoir dâacheter, Ă un prix toujours trĂšs-cher, celui dâune rĂ©volution, un bien, dont aprĂšs tant dâorages la France entiĂšre Ă©tait avide, câest-Ă -dire la possession tranquille dĂ©sormais et incontestĂ©e des institutions, la confiance dans leur avenir, et, pour tout exprimer en un mot, le repos dans la libertĂ©. CHAPITRE V. SUITE DES PROMESSES VĂRITABLES DE JUILLET. LA CHARTE ET LA ROYAUTĂ. Au dedans, lâordre conserva ses deux grandes garanties , la Charte et la royautĂ©. Avant tout, la royautĂ© fut maintenue au faĂźte de lâEtat; elle fut maintenue avec ses deux attributs nĂ©cessaires ; elle resta hĂ©rĂ©ditaire et inviolable ; elle le resta du moins en principe. Or, la royautĂ© est lâordre placĂ© sous la garantie des siĂšcles. La Constitution politique de la France ne fut changĂ©e quâen un point; câest quâon fit passer dans la Charte toutes les modifications secondaires que lâopposition avait accoutumĂ© les esprits Ă regarder comme des perfectionnements du systĂšme reprĂ©sentatif. Du reste, il fut entendu que la mĂȘme loi continuait Ă rĂ©gner entre les citoyens, la mĂȘme transaction entre les partis, le mĂȘme Ă©quilibre entre les pouvoirs, avec des libertĂ©s plus Ă©tendues ; et les libertĂ©s sont un patrimoine commun Ă tous les Français. Mais, dĂ©placer les bases de la libertĂ© publique, livrer la puissance Ă des classes ^66 LIVRE TROISIĂME. nouvelles, dĂ©shĂ©riter celles qui en Ă©taient investies, toutes ces entreprises de lâAssemblĂ©e constituante ne vinrent Ă lâesprit de personne. Tous les pouvoirs restĂšrent au poste oĂč la lĂ©gislation antĂ©rieure les avait fixĂ©s. La Chambre des dĂ©putĂ©s nâeut pas un moment la pensĂ©e de se croire seule investie de ce pouvoir constituant dans lequel venait sâengloutir Charles X; elle nâimagina point de ramasser cette omnipotence fatale, parmi les ruines de la monarchie, au pied des barricades; elle ne sâavisa pas de lire sur ces barricades fumantes un article 14 Ă son propre usage. Les formes lĂ©gales ne furent pas interrompues un jour non-seulement la lettre des lois, celle mĂȘme des rĂšglements, resta strictement observĂ©e. En parlant de la Charte qui le faisait roi, Louis - Philippe, au jour de son avĂšnement, marqua bien le caractĂšre de contrat que ce grand acte devait avoir, en disant a Les sages modifications que nous venons dâap- » porter Ă la Charte constitutionnelle... » Personne ne protesta. Si la Chambre supprima tout le prĂ©ambule du pacte constitutionnel, ce fut comme reposant sur une donnĂ©e politique dĂ©mentie par notre histoire, comme contraire Ă ce vieux droit national quâatteste la filiation de nos AssemblĂ©es, de nos Parlements , de nos Etats-GĂ©nĂ©raux , de nos Champs- de-Mai, noblesse publique Ă©gale en anciennetĂ© Ă celle du trĂŽne. Mais elle nâentendit pas revenir aux LA. RĂVOLUTION DE l 83 o. 267 rĂȘves anarchiques de lâAssemblĂ©e constituante. Elle refusa expressĂ©ment la proposition faite lĂ©gĂšrement par un de ses membres, lâhonorable M. Persil, de rendre au droit national le nom pĂ©rilleux de souverainetĂ© du peuple ; elle pensa que ce nom , fondant la constitution des Ătats sur deux Ă©quivoques subversives, celles du sens attachĂ© au mot de SouverainetĂ©, et au mot de Peuple, fausserait la vĂ©ritĂ© mĂȘme, et ne serait quâun non-sens, si la rĂ©volution nâavait lâart dâen faire un flĂ©au. Le sentiment public Ă©tait si formel quâun homme sâĂ©tant avisĂ© de promener, au milieu du peuple de juillet, encore Ă©mu de sa victoire, un drapeau qui portait Ă©crits ces mots SouverainetĂ© du peuple; il fut incontinent arrĂȘtĂ©! Toutes les dĂ©libĂ©rations, tous les actes de cette Ă©poque marquent nettement le point dâarrĂȘt oĂč la rĂ©volution comptait se tenir, et rien ne le marque mieux que le maintien dans la Charte de la vieille maxime que toute justice Ă©mane du roi. La rĂ©volution entendait donc quâil y eĂ»t un roi, que la royautĂ© fut rĂ©elle; que ce trĂŽne antique, qui existait depuis des siĂšcles par sa propre vertu, ne fĂ»t pas tout entier brisĂ©. Autrement, on aurait Ă©crit Toute justice Ă©mane du peuple. Mais on fit plus sagement. On suivit le conseil du cardinal de Retz , qui a dit si bien que ces droits respectifs des peuples et des rois ne sâaccordent jamais mieux que dans le silence. Y avait-il donc rĂ©volution sociale ? pas lâombre. LIVRE TROISIĂME. 268 Y avait-il mĂȘme rĂ©volution de dynastie ? ni plus ni moins quâen Angleterre. Nous nous trompons moins quâen Angleterre. Car on entendit conserver sur le trĂŽne le mĂȘme sang , comme le mĂȘme code dans le pays; seulement, on passait aussi le sceptre Ă la branche protestante , Ă celle qui avait reçu le baptĂȘme de 1789, Ă celle qui avait dĂšs longtemps donnĂ© des gages aux institutions victorieuses, etquidormaitmaintenant le plus grand, le plus dĂ©cisif de tous, celui dâaccepter la couronne. On nâexamine pas si un autre Bourbon que M. le duc dâOrlĂ©ans Ă©tait, ou non, possible alors. Mais ce quâon sait, car tous les faits et tous les actes lâassurent, câest quâil fut appelĂ© au trĂŽne capĂ©tien comme CapĂ©tien lui-mĂȘme, comme Bourbon possible. Alors , on avait la prudence de redouter les dĂ©chirements, de tenir Ă ce que lâest et lâouest, le nord et le midi, la grande et la petite propriĂ©tĂ© restassent unis dâaffection , et que le faĂŒsceau national ne fĂ»t pas brisĂ© par les dissensions civiles. On espĂ©ra quâune catastrophe, Ă©crite dĂ©jĂ dans lâhistoire, sâadapterait plus aisĂ©ment Ă nos annales. On supposa que des vertus, familiĂšres dĂ©jĂ Ă toutes la grande compagnie de France, une famille superbe et respectĂ©e , son extraction et ses alliances royales rendraient la transition plus facile aux cĆurs les plus profondĂ©ment blessĂ©s ; que les Français de toutes les classes s'accorderaient Ă sâincliner devant un choix qui donnait des gages Ă LA. RĂVOLUTION DE l83o. 269 tous les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes du pays; que ceux-ci salueraient le prince de Jemmapes, que ceux-lĂ accepteraient cet autre reprĂ©sentant de la premiĂšre des races françaises. Tout ceci, ce nâest point nous qui le disons câest la Charte constitutionnelle, qui considĂ©rant, nous devons le rĂ©pĂ©ter, que tous les princes de la branche ainĂ©e des Bourbons sortent du territoire français, appelle au trĂŽne Son Altesse Royale le duc dâOrlĂ©ans. Avant la Charte, M, Alexandre de Laborde, motive lâavĂ©nement du chef de la branche d'OrlĂ©ans sur ce quâaprĂšs tout ce prince Ă©tait, de plusieurs degrĂ©s, plus proche que ses cousins de ce roi dont le peuple a gardĂ© la mĂ©moire, de Henri IV. AprĂšs la Charte, M. Dupont de lâEure, contresigne cette ordonnance sur la LĂ©gion-dâHonneur, oĂč, repoussant Ă lâavance lâodieuse supposition produite depuis, que, par lâacceptation du trĂŽne, il aurait rĂ©pudiĂ© ses aĂŻeux, Louis-Philippe rappelait avec une lĂ©gitime fiertĂ© son aĂŻeul , de glorieuse mĂ©moire , le Grand-Henri ; alors aussi M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, met son Ă©rudition Ă rechercher lequel de ses ancĂȘtres, entre les Philippe-Auguste, les Louis XII, les François I er , le prince, qui a la plus belle gĂ©nĂ©alogie de lâunivers, choisira pour modĂšles. Enfin, la voix de la France entiĂšre, dans les milliers dâadresses dĂ©posĂ©es au pied du trĂŽne nouveau , remercie la fortune de nous avoir gardĂ©, dans nos bouleversements, ce mĂ©diateur naturel LIVRE TROISIĂME. 27O entre les couronnes aussi bien quâentre les factions , apparemment parce que, si la rĂ©volution aimait Ă voir en lui un citoyen comme tous les citoyens, lâEurope pouvait y voir un roi comme tous les rois. La royautĂ© tient une telle place dans la sociĂ©tĂ© europĂ©enne quâon ne fait pas de dynastie sans aĂŻeux. NapolĂ©on mĂȘme y a Ă©cliouĂ©. Si donc la maison dâOrlĂ©ans nâobtient vos respects quâĂ la condition de renier son origine, vos respects sont des parjures. Au fond, vous 11e voulez pas de roi, ou bien vous avez en vue une autre race. Nommez votre candidat nous verrous quâil a pour ancĂȘtres dâun cĂŽtĂ© la foule des empereurs Germaniques, de lâautre les cinquante batailles rangĂ©es de son pĂšre. Etablir, comme M. Odilon-Barrot, quâon a Ă©lu le plus digne, abstraction faite de ses aĂŻeux, et sous la condition de les rĂ©pudier, câest pousser trop loin la louange personnelle; câest flatter le roi aux dĂ©pens de la royautĂ©, et cacher des pensĂ©es de tribun sous des phrases de courtisan ; câest manquer Ă la Charte, au bon sens public, aux souvenirs de la France, Ă tous les sentiments gravĂ©s dans lâĂąme de lâhomme ; câest offenser surtout ces princes dont on dĂ©vaste Ă la fois lâorgueil, le cĆur et la couronne. Dites quelle secrĂšte vertu le duc dâOrlĂ©ans sentait en lui, pour sâĂ©crier quand vous vous jetĂątes LA RĂVOLUTION DE l83o. 27 I dans ses bras Jâaccours pour vous prĂ©server » des calamitĂ©s de la guerre civile et de lâanar- » chie! » Cet engagement extraordinaire, par quel miracle de sa fortune Louis-Philippe pouvait-il le prendre ? par quel prestige la France imagina-t-elle quâil eĂ»t des chances pour le tenir ? Si le plus grand des citoyens, on veut dire M. de Lafayette, en arrivant de Lagrange, eĂ»t lancĂ© cette promesse, aurait-il rĂ©gnĂ©? La France lâaurait-elle cru sur parole ? En ne doutant pas de son bon vouloir, aurait-elle eu foi dans sa puissance ? Si le duc de Reichstadt fĂ»t arrivĂ© nous offrant le palladium de sa rovautĂ© future, le duc de Reichstadt, lâhĂ©ritier du plus grand des potentats, le fils du roi de la rĂ©volution, le fils du prince , que Pie VII a sacrĂ©, roi lui-mĂȘme Ă sa naissance, appelĂ© NapolĂ©on II par le peuple dans ses souvenirs, par le vieux soldat dans ses attendrissements, si ce jeune HĂ©raclide, qui rayonne des prodiges paternels, eĂ»t criĂ© quâil accourait pour nous sauver de lâanarchie, lâanarchie aurait-elle fui en effet Ă sa voix ? Tous les dĂ©partements seraient-ils passĂ©s docilement dâun sceptre Ă un autre ? La malle- poste, qui aurait portĂ© cette nouvelle Ă toutes nos citĂ©s, eĂ»t-elle fait et consommĂ© une rĂ©volution dans le temps de changer de chevaux ? Le sang nâeĂ»t-il coulĂ© dans aucune de nos provinces, non plus que sur aucune de nos frontiĂšres ? LIVRE TROISIĂME. 272 Personne ne le pense, personne ne lâa pensĂ© alors. Les bonapartistes nâont pas plus proposĂ© leur prince lĂ©gitime, que la rĂ©volution son patriarche. Ne serait-ce point quâil nây avait, en dehors de la succession directe, quâun Français sans Ă©gaux, quâun candidat sans compĂ©titeurs? CâĂ©tait lâhĂ©ritier aprĂšs lâhĂ©ritier. Câest que lui seul tenait Ă toutes les Frances et avait la chance de les toutes rallier. Certes, si on eĂ»t voulu rĂ©pudier pour une race nouvelle celle qui rĂ©gnait depuis dix siĂšcles sur nos pĂšres, câĂ©tait chose facile dans notre France, oĂč tant dâessais se sont multipliĂ©s, depuis quarante ans, que nous avons de tout, dans le garde-meuble de la rĂ©volution, mĂȘme des dynasties de rechange. Mais NapolĂ©on II, câeĂ»t Ă©tĂ© la monarchie des masses ; la rĂ©publique Ă©tait leur anarchie, pĂ©rorĂ©e par des Ă©coliers et exploitĂ©e par des praticiens. 11 nây a que le sang bourbon qui pĂ»t promettre aux classes pauvres le travail, enfant de la paix ; Ă la classe moyenne, la libertĂ©, fille de la propriĂ©tĂ© et des lumiĂšres; Ă toutes, lâordre, qui naĂźt des siĂšcles. Les atteintes portĂ©es Ă la monarchie comme Ă la Charte nâavaient donc dâautre but que de les affermir, lâune et lâautre, pensait-on, contre lâenvahissement des partis extrĂȘmes. Dans ce temps oĂč les diverses fractions de la gauche, on lâa dit plus haut, formaient lâimmense majoritĂ© de la Chambre des dĂ©putĂ©s, cette assemblĂ©e entendit faire LA. REVOLUTION DE l83o. 2^3 le moins de changements, le moins de rĂ©volution possible. En ne voulant pas maintenir la branche aĂźnĂ©e, en ne le croyant pas pouvoir peut-ĂȘtre, elle conserva la branche cadette, comme elle conservait les tribunaux, les cours de la restauration, tous les grands corps , ce qui est un fait immense ! La maniĂšre dont les parquets ont Ă©tĂ© trop souvent constituĂ©s sous lâautoritĂ© deM. Dupont de lâEure, nous avertit en quelles mains lâintrigue et la passion eussent jetĂ© les balances de la justice. Et la plus intolĂ©rable des misĂšres pour les peuples, ce serait la passion et la mĂ©diocritĂ©, on ne dit rien de plus, rĂ©gnant dans le sanctuaire des lois. Cet acte de sagesse fixerait seul la nature de la rĂ©volution. La rĂ©volution entendit tout autant respecter la Chambre des pairs; car briser violemment quatre- vingts pairies comme on fit, câĂ©tait trop assurĂ©ment. Mais enfin câĂ©tait une consĂ©cration nouvelle et dĂ©finitive de toutes les autres. Nous disons quâon entendit respecter la Chambre des pairs; car, en soumettant lâun des dix articles de la Charte qui la concernaient Ă un examen postĂ©rieur, on crut si peu abolir lâhĂ©rĂ©ditĂ©, quâon ne prit mĂȘme pas le soin delĂ suspendre. M. Guizot fit dĂ©cider, trois mois aprĂšs, par une loi expresse, que lâhĂ©rĂ©ditĂ© restait le droit public de la France ; et, durant seize mois, les fils ont continuĂ© de succĂ©der aux siĂšges paternels. Nous disons quâon entendit respecter la Cham- 18 LIVRE TROISIĂME. 3 7 4 bre des pairs ; car conservei la clause de la Charte, qui Ă©tablit que les pairs du royaume prennent sĂ©ance Ă vingt-cinq ans et nâont voix dĂ©libĂ©rative quâĂ trente, câĂ©tait prĂ©juger la constitution de la Chambre haute, en consacrant des distinctions qui ne sâappliquent quâĂ lâhĂ©rĂ©ditĂ©. Nous disons enfin quâon entendit respecter la Chambre des pairs ; car laisser la premiĂšre Chambre dĂ©corĂ©e de ce nom historique, ne pas prendre sur-le-champ celui de sĂ©nat que M. de Salverte a proposĂ© depuis, et quâon pouvait inventer sans y rĂ©flĂ©chir un an, câĂ©tait proclamer lâheureux dessein de perpĂ©tuer lâalliance du prĂ©sent avec le passĂ© de la patrie. Cette alliance utile, voulait-on lâaffaiblir? PrĂ©- tendait-on comprendre, dans la chute de la lĂ©gitimitĂ©, des intĂ©rĂȘts, ses contemporains, ses appuis longtemps? Point. On ne nourrissait quâune seule crainte; câĂ©tait que la sociĂ©tĂ© française se sentĂźt en butte Ă un esprit novateur qui menacerait dâaltĂ©rer ses moeurs, ses croyances, ses penchants. La religion catholique fut nommĂ©e par honneur et Ă dessein, dans la Charte revisĂ©e, comme la religion de la majoritĂ© des Français. \ dessein fut maintenu lâarticle qui reconnaĂźt les deux noblesses, et qui place sous la protection de la loi fondamentale leurs titres et leurs honneurs. On ne sâattendait pas alors aux dĂ©risions substituĂ©es, plus tard, Ă cette disposition conservatrice LA RĂVOLUTION DE l83o. 2y5 par la Chambre de 1831, docile Ă de facĂ©tieuses motions de M. de la Fayette. En aoĂ»t 1830, on craignait de froisser des sentiments de famille, et des intĂ©rĂȘts monarchiques qui mĂ©ritaient des Ă©gards. PlacardĂ©es sur tous les murs de la capitale qui Ă©tait encore agitĂ©e, ces dispositions loyales et sages ne suscitĂšrent pas un cri populaire ; il nây eut pas une ombre dâopposition dans les rues plus que dans les Chambres. Personne ne prĂ©tendit avoir bouleversĂ© la sociĂ©tĂ© en revendiquant ses droits, avoir dĂ©moli la Charte en la dĂ©fendant, avoir vaincu ce qui nâĂ©tait pas en ligne. On avait eu en face un roi ; on lâavait vaincu ; on le dĂ©possĂ©dait, et non-seulement lui, mais toute sa postĂ©ritĂ©. On sâen contentait. Aussi, la rĂ©volution, tout en relevant le drapeau tricolore, lâarbora-t-elle sur lâĂ©cusson de la vieille France. Ce fut sur un trĂŽne tendu de fleurs de lis que sâassit le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, et une ordonnance, rendue dans le feu mĂȘme des passions belligĂ©rantes le 13 aoĂ»t, conserva au sceau de lâEtat les trois fers de lance, les trois fleurs guerriĂšres des anciens temps. Cette ordonnance Ă©tait contresignĂ©e Dupont de lâEure. Câest que la rĂ©volution, substituĂ©e aux ordonnances, Ă©tait la restauration de la Charte voilĂ tout. Elle perpĂ©tuait la grande transaction de 1814, avec cette diffĂ©rence que le systĂšme reprĂ©sentatif nâallait plus ĂȘtre lâunique sĂ»retĂ© des intĂ©- 276 LIVRE TROISIĂME. rĂȘts nouveaux ils trouvaient maintenant des garanties et leur image jusque sur le trĂŽne. Des conditions acceptables Ă©taient faites Ă tous les partis aux uns, lâĂ©galitĂ© victorieuse; aux autres, la royautĂ© ; la libertĂ© Ă tous, une libertĂ© qui ne rĂ©pudiait ni toutes les traditions, ni tous les souvenirs, ni toutes les croyances, ni toutes les garanties, ni toutes les distinctions, ni mĂȘme toutes les ruines. La France royaliste pouvait passer sans murmure sous les trois couleurs vieilles de gloire elle leur apportait en dot ses propres gloires des quinze annĂ©es la GrĂšce affranchie, Navarin illustrĂ©, lâAtlas vaincu. Rappelons-nous les sentiments qui rĂ©gnaient alors; car ils forment, Ă cĂŽtĂ© du pacte constitutionnel , le contrat non Ă©crit qui lie dâhonneur tous les pouvoirs et tous les partis. Ceux qui prirent cette grave initiative de renverser un trĂŽne nâeurent quâune sollicitude, ce fut de rassurer et lâEurope et la France, de se concilier lâadhĂ©sion de lâune et de lâautre, dâimprimer Ă ce coup de force rapide le caractĂšre dâune soudaine et unanime conciliation. Ils criĂšrent RiennâestchangĂ©, il nây a que des libertĂ©s de plus! » Telle est la premiĂšre des promesses de juillet, celle qui les comprend toutes ; et personne ne protesta ; personne ne revendiqua ni plus de libertĂ©, ni plus de territoire, ni plus de subversions. Personne ne demanda alors, comme on le fait pourtant aujour- LA REVOLUTION DE l83o. 2 77 dâhui, comme les orateurs grands et petits le crient Ă la tribune, que le propriĂ©taire, le gentilhomme, lâecclĂ©siastique, le royaliste, sous les noms de jĂ©suites et de carlistes, fussent des parias, des ilotes, des incapables, des proscrits, des vaincus , qui, ayant leur large part des charges de lâEtat, ne pourraient avoir une parcelle de ses droits, de ses pouvoirs , de ses honneurs. Câest Ă ces conditions quâil y eut adhĂ©sion et paix universelles. La France monarchique se rappela cette parole de CazalĂšs, quâil fallait savoir penser Ă la monarchie plus quâau monarque. En ce temps-lĂ , les feuilles publiques virent autant de victoires dans les accessions Ă©clatantes des serviteurs de la royautĂ© qui arrivaient de Saint-Cloud, de Trianon, de Rambouillet. On en jouissait comme delĂ preuve que nos misĂšres Ă©taient finies. On en jouissait, quoique ce fut sans mesurer la grandeur de ces sacrifices, sans comprendre que beaucoup de nobles cĆurs auraient offert tout leur sang avec moins dâeffort que le serment quâils accordaient; mais ce que lâon comprenait bien, câest que ce serment devait avoir un long retentissement dans nos provinces, et quâil servait de sceau Ă la paix publique. Et tandis que les pĂšres portaient au Luxembourg leurs sacrifices et leurs exemples, les fils, le sac au dos dans les rangs de la garde nationale, Ă©tonnaient leurs concitoyens du spectacle de leur 2^8 LIVRE TROISIĂME. dĂ©voĂ»ment au maintien de lâordre, ce premier des intĂ©rĂȘts de la patrie. Tout le monde a vu faire patrouille dans les rues, pour garder propriĂ©taires et marchands comme autrefois iis eussent gardĂ© les rois, des Montmorency, des Richelieu, des PĂ©rigord, des MaillĂ©, des Osmond, des Chastenay, des Saint-Priest, des Sesmaisons, des Mortemart, des Larocliefoucault, des Rohan. Rien ne prouve mieux que la grande famille française nâentendait pas se diviser, et que toutes les classes ont adoptĂ© la devise quâaffectait NapolĂ©on Tout pour lu France ! Or, pense-t-ori que ce dĂ©voĂ»ment lĂ»t stĂ©rile ? Qui peut mesurer lâeffet que produisit, et au dedans , et au dehors, tel nom qui donna son accession ? Cet imposant accord dâefforts et de vĆux fut ce qui imprima sur-le-champ une direction plus calme et plus juste aux esprits, un sentiment plus vrai de tous les biens que lâordre matĂ©riel, Ă lui seul, assure aux nations, et plus de force pour triompher des passions mauvaises, pour enchaĂźner les appĂ©tits de sang, pour mettre tour Ă tour Ă lâabri des commotions, les tĂȘtes, les propriĂ©tĂ©s, les lois. Que si on prĂ©tendait maintenant Ă©branler la sociĂ©tĂ© dans ses fondements, si on brisait Ă plaisir la chaĂźne des temps, si on dĂ©truisait toutes les garanties politiques et morales de lâordre, si on trompait sans relĂąche cette soif de repos qui est LA. RĂVOLUTION DE l 83 o. 279 lâinstinct universel delĂ France, si on faisait effort pour la mettre en guerre avec elle-mĂȘme et avec lâunivers, si on violentait tous les sentiments gĂ©nĂ©reux, si on insultait Ă toutes les supĂ©rioritĂ©s et Ă tous les souvenirs , si on plaçait la puissance publique dans une rĂ©gion incapable dâen bien user, si seulement on dĂ©portait hors du pouvoir, si on poursuivait du vĆ victisl toute une classe dâhommes qui a plus quâaucune autre le dĂ©pĂŽt des traditions monarchiques, de la foi religieuse, des illustrations hĂ©rĂ©ditaires, de la propriĂ©tĂ© territoriale, si seulement on Ă©tablissait quâil y a une autre classe, fĂ»t-ce la moyenne, qui doit avoir le privilĂšge et le monopole exclusif de la puissance, de sorte quâon reconnaĂźtrait une classe supĂ©rieure, car le mot de classe moyenne la suppose, mais pour la courber, comme les masses, sous les pieds de ces maĂźtres rĂ©els, alors que lâĂ©galitĂ©, Ă tout le moins des conditions et des partis doit ĂȘtre comprise dans lâĂ©galitĂ© constitutionnelle de tous les Français devant la loi, on nâaurait pas seulement le tort de mettre tous les engagements en question ; on mettrait de plus tous les biens en pĂ©ril. M. Thiers a Ă©tabli que les partis dissidents eussent Ă©tĂ© impuissants Ă vaincre la rĂ©volution ; mais il leur reconnaĂźt le pouvoir de lâensanglanter. Pour Ă©chapper, dĂšs les premiers jours, Ă ce destin dont lâhistoire nous apprend la portĂ©e , quelle fut la vertu de la rĂ©volution de juillet? Ses promesses, ^8o LIVRE TROISIĂME. telles quâon vient de les dire. Pour sâaffermir, sans recevoir lâaffreux baptĂȘme du sang, quelle Ă©tait sa loi nĂ©cessaire ? leur strict et loyal accomplissement. CHAPITRE VI. RĂSULTATS DE LA RĂVOLUTION, SELON LES PROMESSES DE JUILLET. Nous entendons lâobjection Ă©ternelle. A ce compte, ce nâĂ©tait pas la peine de faire une rĂ©volution ; et le peuple qui lâa faite, quây aura-t-il gagnĂ© ? On pourrait nĂ©gliger cette objection. Elle ne sâadresse point Ă ceux qui nâont point fait la rĂ©volution , qui ne sont pas les truchements dâun parti victorieux, qui plaident pour la France. On veut rĂ©pondre, toutefois, afin de mettre les gens au pied du mur- On rĂ©pond, avant toute chose, que si vous prenez pour point de dĂ©part la restauration selon la Charte ,il nâest pas de systĂšme digne dâexamen qui pĂ»t gagner Ă la renverser. On ajoute que, loin de vouloir la renverser, câest prĂ©cisĂ©ment pour la reconquĂ©rir que Paris se leva comme un seul homme. On peut ajouter encore que le point de comparaison doit ĂȘtre pris, non du rĂ©gime lĂ©gal et 282 LIVRE TROISIĂME. de tous ses bienfaits. mais du rĂ©gime des coups dâEtat, mais de ia rĂ©action dont ils Ă©taient le signal, mais de lâavenir nouveau que les ordonnances ouvraient devant nous, mais enfin delĂ restauration contre la Charte. Des amis de la libertĂ© constitutionnelle ne seraient pas admissibles dĂšs lors Ă demander ce quâils ont gagnĂ©. Nous entendons sans cesse glorifier le peuple des trois millions de vies quâil a prodiguĂ©es pour opĂ©rer les conquĂȘtes de la premiĂšre rĂ©volution. Comment traiterait-on dâinutile le sacrifice des quinze cents citoyens morts pour ressaisir ces conquĂȘtes et les assurer ? Nâeussent-elles fait que remettre la France au point oĂč le coup dâEtat lâavait prise, les trois journĂ©es nâauraient donc pas Ă©tĂ© infĂ©condes, et elles lâauraient Ă©tĂ© si peu quâelles nâavaient point dâautre but câest mĂȘme lĂ leur gloire. Mais la rĂ©volution qui est survenue nâa-t-elle rien fait de plus pour les intĂ©rĂȘts qui lâont accomplie ? 11 sâen faut! Jamais, en si peu de temps et Ă si peu de frais, cause favorisĂ©e du ciel nâavait tant obtenu. Sans doute, ceux qui voulaient des rĂ©volutions, puis dc-s rĂ©volutions, toujours des rĂ©volutions, 11 e recevaient pas un complet contente- - ment ; mais les hommes de bonne foi qui cherchaient la libertĂ© ,, pour jouir, au sein dâun gouvernement constitutionnel, des conquĂȘtes de la rĂ©volution de 1789, ceux-lĂ avaient une seule T,Ă RĂVOLUTION DIĂ l83o. 283 grĂące Ă demander Ă Dieu câĂ©tait d'affermir les oeuvres de 1830. Par cette rĂ©volution de huit jours , qui renversait un droit public consacrĂ© par huit siĂšcles, la nation française, Ă tort ou Ă raison, sâĂ©tait de tous points, reconquise au dedans et au dehors. Au dedans, elle Ă©tait parvenue au but de ses longs travaux et semblait fixĂ©e. Elle possĂ©dait dĂ©sormais , sans nul trouble, sans apprĂ©hension aucune , le gouvernement reprĂ©sentatif le plus complet quâil y eĂ»t sur la terre. Il lui appartenait comme sa conquĂȘte et son ouvrage. La nouvelle Charte sâappuyait au double principe de lâĂ©galitĂ© civile et du droit national. Dites un autre peuple qui nâait rien Ă craindre pour son repos que de sa libertĂ©, ni pour sa libertĂ© que de lui-mĂȘme! Dites une immunitĂ© qui ne soit pas comprise dans le pacte Ă©crit sous le feu de la victoire populaire ! Toutes les libertĂ©s inventĂ©es chez les nations y trouvent une consĂ©cration exorbitante; les trente- deux millions dâhommes, qui vivent sous la mĂȘme loi, jouissent au mĂȘme titre, ce qui ne sâest pas vu encore sous le soleil, du bienfait de ces libertĂ©s immenses ! Le principe nouveau de la constitution , cette victoire populaire, la mise en action complĂšte et sincĂšre du rĂ©gime constitutionnel, lâentier affranchissement des Ă©lections , tout assure aux reprĂ©sentants directs du pays la haute main sur la conduite gĂ©nĂ©rale des affaires publi- LIVRE TROISIĂME. 284 ques. La carriĂšre des amĂ©liorations sâest ouverte devant vos pas, sans bornes comme sans obstacles. Et ce vaste systĂšme nâa point Ă craindre les rĂ©pugnances, les prĂ©tentions, les complots domestiques du pouvoir, toute cette contre-rĂ©volution menaçante que poursuivent encore chaque jour tant de malĂ©dictions! Il repose sous la garde dâun trĂŽne plus jeune que la libertĂ©, liĂ© Ă sa cause par ses intĂ©rĂȘts autant que par son origine , impuissant contre elle, et devant par elle vivre, grandir ou succomber. Au dehors, rĂ©gnait, depuis quinze annĂ©es, un droit public sorti du milieu de nos revers. La bataille de Waterloo , mal engagĂ©e, parce quâelle le fut entre les alarmes sincĂšres de lâEurope et lâapparition du gĂ©nie des conquĂȘtes, la bataille de Waterloo avait Ă©tĂ© perdue. Elle pesa longtemps, on ne peut le nier, sur nos destinĂ©es; car elle avait affermi lâouvrage du congrĂšs de Vienne; elle avait de plus, permis Ă lâĂ©tranger de prendre, par les traitĂ©s de 1815, sous sa double garantie, et notre Charte constitutionnelle et notre royautĂ© lĂ©gitime ! En vain, les Bourbons avaient noblement secouĂ© cette tutelle; la clause restait Ă©crite. Les traitĂ©s de 1815 contenaient donc deux parties lâune qui affectait notre puissance, lâautre notre dignitĂ©. Celle-ci fut abrogĂ©e toute entiĂšre et sans rĂ©serve par le fait des barricades, et les cabinets trouvĂšrent plus facile dây souscrire que de protester. LX RĂVOLUTION DE l83ĂŒ. ^85 Cette fois, toutes les frontiĂšres et toutes les cours sâouvrirent devant les trois couleurs. Notre position nouvelle fut si bien acceptĂ©e, quâĂ peine la rĂ©volution accomplie, le cabinet du Palais-Royal put sâinterposer dans les conseils des rois, en faveur dâune autre rĂ©volution, celle de Belgique, qui blessait les sentiments personnels de deux grands monarques et les intĂ©rĂȘts directs de tous. La France eut la gloire de faire recevoir une nation de plus dans la famille europĂ©enne, et dĂšs lors les traitĂ©s de 1815 se trouvĂšrent modifiĂ©s jusque dans leurs bases. Les stipulations dirigĂ©es contre notre puissance furent interverties. Quâon veuille bien rĂ©flĂ©chir au dĂ©placement de forces et de barriĂšres quâentraĂźnait lâindĂ©pendance de la Belgique ! Un peuple, dont la coalition avait voulu faire son avant-garde contre nous, pouvait ĂȘtre aujourdâhui notre avant-garde contre lâEurope. Les forteresses, construites ou rĂ©parĂ©es avec des frais Ă©normes pour battre la France et la tenir en bride, pourraient de nouveau compter dans nos lignes de dĂ©fense. Elles Ă©taient aujourdâhui condamnĂ©es par les cours Ă tomber. Le gĂ©nĂ©ralissime anglais perdait cette inspection europĂ©enne des places limitrophes. Trois mois nâĂ©taient pas Ă©coulĂ©s encore, et dĂ©jĂ la bataille de Waterloo se trouvait ainsi regagnĂ©e sans coup fĂ©rir. Et dâoĂč venait cette revanche de nos revers ? dâoĂč venait cette disposition des rois Ă tendre la LIVRE TROISIEME. Jl86 main Ă la France de 1830, quand ils nâavaient pas craint dâaffronter la France des Cent-Jours conduite par le gĂ©nie dâAusterlitz et dâIĂ©na? De leur foi dans nos assurances pacifiques ; de leur confiance dans la stabilitĂ© dâinstitutions conservatrices ; de leurs Ă©gards pour un trĂŽne qui avait une double consĂ©cration, royale et populaire; par-dessus tout, de ce calme imposant de la France; de ce silence universel des passions; de cet accord des partis Ă multiplier, de chaque cĂŽtĂ©, les efforts pour conserver Ă notre grande France le vieux symbole qui a fait sa puissance historique un seul roi, et une seule loi! Ces points Ă©tablis, que signifie de rĂ©clamer incessamment des destructions nouvelles , des institutions plus dĂ©mocratiques, et, comme on dit, plus rĂ©publicaines , au nom de telle ou telle classe, de tels ou tels hommes, qui ont fait la rĂ©volution de 1830? Dâabord, personne nâa le droitdedemander un bĂ©nĂ©fice pour prix de la rĂ©volution Ă laquelle il sâest dĂ©vouĂ©, attendu que personne, entre les combattants de juillet, ne crut, en prenant les armes , faire une rĂ©volution ; que peu en formaient le dĂ©sir; que moins encore auraient eu la hardiesse dâen nourrir le dessein, et que ceux-lĂ 11 âau- raient pas osĂ© sâen confesser Ă la France. Ensuite, la prĂ©tention dâavoir dĂ©terminĂ© la nature de nos institutions par la composition de lâar- LA RĂVOLUTIOĂN DE l 83 o. 287 mĂ©e qui gagna la bataille des trois journĂ©e., est une des plus brutales folies qui aient passĂ© par lâesprit des hommes. Dans toutes les guerres, il y a plus de peuple que de propriĂ©taires sous le drapeau, et les prolĂ©taires nâen concluent point, le lendemain de la victoire, quâils soient par cela mĂȘme devenus les maĂźtres de lâempire que leur courage a dĂ©fendu et sauvĂ©. ta rĂ©volution de 1830 appartient, dit-on, au peuple , parce quâil lâa faite ! Quel peuple ? Celui des campagnes ? Combien de villages se sont levĂ©s, non poiir la dĂ©fense de la Charte, mais pour la chute dit trĂŽne? Est-ce lâOuest ou le Midi? Celui des villes? Quelles villes, nommez-les; dites leur nombre; dĂ©clarez celles qui ont Ă©tĂ© ce jour-lĂ conquises par la multitude, quand la garde nationale, dans toutes , hormis ta capitale, Ă©tait seule armĂ©e. BĂątissez Ă lâusage de Paris, sâil est vrai que Paris appartienne Ă vos clients par droit de conquĂȘte , une constitution dĂ©magogique , quelque chose de pareil Ă ce dont Lyon a joui pendant huit jours. Mais Ă quel titre Ă©tendre ce privilĂšge au reste du royaume? Patriotes prĂ©tendus, tout votre argument est dâĂ©tablir que vous avez, non pas vaincu pour la patrie, mais vaincu la patrie; que vous avez conquis moins les Tuileries que la France. Lâargumentde tous ces amisdupeuple estdecroire que le peuple sâe-'t levĂ©, non pour les lois, mais confie les lois; nor contre un pouvoir Ă©garĂ©, mais a88 LIVRE TROISIĂME. contre tous les pouvoirs; non pour la libertĂ©, mais pour lâusurpation, la tyrannie, la spoliation. Par bonheur, le peuple a partout donnĂ© le dĂ©* menti Ă ces assertions et Ă ces doctrines; il lâa fait Ă Paris, en rĂ©signant la puissance, dĂšs quâil lâeut conquise, aux mains de plus hauts dĂ©positaires ; il lâa fait Ă Lyon, en sâen saisissant dâune façon criminelle, pour sâen reconnaĂźtre incapable le lendemain, et chanceler sous ce fardeau , comme lâhomme ivre, jusquâĂ ce quâil ait retrouvĂ© lâappui sauveur des lois ! Mais que fait-on en acceptant votre hypothĂšse des vĆux du peuple ? Est-il vrai quâil veuille moins de monarchie, moins dâaristocratie que nous nâen avons ? Quâen savez-vous ? En quel lieu a-t-il rĂ©pondu Ă vos Ă©lans pour la rĂ©publique, Ă vos cris contre les hautes classes, Ă vos tentatives dâabaissement perpĂ©tuel des cens Ă©lectoraux, Ă vos penchants dĂ©pravĂ©s pour les subversions? Dieu merci! il nâen est pas lĂ encore. Sa droiture et son bon sens lui crient que vos thĂ©ories nâont jamais enfantĂ© et nâenfanteront jamais que des illusions, des mĂ©comptes, la ruine. Sous la Charte, sous la restauration, le peuple travaille, Ă©conomise, s'Ă©claire, convertit son pĂ©cule en fructueux sillons. Sous votre Convention chĂ©rie, il tend la main Ă de coupables salaires, se flĂ©trit de crimes , et fait queue, morne et affamĂ©, Ă la porte du boulanger de sa section. LA. RĂVOLUTION DE l83Ă». 289 Dâailleurs, tout ceci roule sur une erreur cle fait, qui est que lâĆuvre des trois journĂ©es ait Ă©tĂ© celle dâune seule classe, quâil y ait eu ce jour-lĂ des vainqueurs et des vaincus. La Charte, câĂ©tait la France entiĂšre ; elle seule a triomphĂ©. Personne ne sâest ralliĂ© au drapeau levĂ© par le pouvoir royal pour la dĂ©truire. Et sait-on pourquoi ? Câest parce, que les classes Ă©levĂ©es, riches, Ă©clairĂ©es, Ă©taient entrĂ©es tout entiĂšres dans le mouvement du systĂšme reprĂ©sentatif; elles en avaient fait leur vie et leur gloire, elles avaient, rempli lâatmosphĂšre de ces idĂ©es, de ces sentiments de libertĂ© au milieu desquels le pouvoir absolu a pĂ©ri dĂšs son premier pas. Câest par elles que ces gĂ©nĂ©reuses notions Ă©taient descendues aux derniers rangs de la sociĂ©tĂ©; par elles que le peuple avait appris la vertu du grand nom des lois ; par elles quâil sâĂ©tait Ă©levĂ© Ă comprendre le devoir de combattre, de mourir pour les institutions de la patrie , et de les respecter aprĂšs les avoir dĂ©livrĂ©es, comme on respecte les captives dont on a brisĂ© les fers. Si vous ne voulez pas que ce soit tout le monde , câest la classe intelligente, propriĂ©taire, cultivĂ©e , qui a vaincu. A la vĂ©ritĂ©, cette classe nâa pas tout entiĂšre souhaitĂ© ou voulu lâusage qui a Ă©tĂ© fait de la victoire ; mais elle sâest tout entiĂšre soumise. Elle a entraĂźnĂ© par sa soumission lâadhĂ©sion des provinces et du monde. Sous les Bourbons, elle donna la libertĂ© 19 LIVRE TROISIĂME. 290 Ă la France. Elle lui a donnĂ© lâordre aujourdâhui ; elle lâa dotĂ©e de la paix du dedans et de celle du dehors. Les hommes qui sont au courant des choses de ce monde savent en effet que ce fut lâintervention de la Chambre des pairs qui seule dĂ©termina la reconnaissance des couronnes ; autrement, la rĂ©volution eĂ»t Ă©tĂ© mise au ban de lâunivers, et on devine dans quel abĂźme de rĂ©actions , dans quelle carriĂšre de vicissitudes sans terme nous eĂ»t jetĂ©s la guerre alors, la guerre mĂȘme avec la victoire ; car câest la seule que veuille prĂ©voir un cĆur français. Le par ti de la rĂ©volution 11 âa donc rien fondĂ© Ă lui seul, tant il y est impuissant, pas mĂȘme la monarchie bĂątie sur les barricades. Suivant sa nature, il eĂ»t pu dĂ©truire; mais Ă©difier, il ne lâa pas fait. La vie, lâordre, la paix, sont venus dâailleurs. DâoĂč je conclus que le gouvernement qui est, nâappartient Ă personne , quâil nâappartient et 11 e se doit quâĂ tous. Sacrifier aux intĂ©rĂȘts et aux passions rĂ©volutionnaires , ce serait, pour la monarchie de 1830 , manquer Ă©galement Ă ses promesses et Ă ses dettes, Ă sa politique et Ă sa dignitĂ©. CHAPITRE Vil. LES BEUX ESPRITS. â LES BEUX POLITIQUES. ALTERNATIVE 9E LA MONARCHIE BE 1830. Il nây a dans le monde que deux politiques ; lâune est la politique rĂ©guliĂšre, sensĂ©e, lĂ©gitime; elle sâappuie, non pas sur les forces vives des sociĂ©tĂ©s , comme a dit trĂšs-souvent M. Odilon-Bar- rot, mais sur leurs forces morales; en dâautres termes, elle donne le pouvoir, non pas Ă la force, mais au droit; et, pour constater le droit, elle consulte, non pas le nombre, mais les lumiĂšres, les garanties , les services, lâamour de lâordre, et, ce qui vaut mieux encore, lâintelligence des conditions par lesquelles lâordre sâaffermit chez les nations. Cette politique haute et sage respecte au dedans les lois , et au dehors le droit des gens, qui est la loi de lâunivers. Elle honore le talent, la gloire, les grands souvenirs , le passĂ© de la patrie, toutes ces puissances qui sont de droit divin. Elle croit en Dieu et le dit tout haut. Elle conduit lâes- LIVRE TROISIĂME. 292 pĂšce humaine, par une route pacifique et sĂ»re , Ă ces amĂ©liorations successives dont Dieu a fait le but de nos travaux et la compensation de nos misĂšres ; mais elle sait que la Providence a mis au progrĂšs deux conditions la patience et la justice. Semblable Ă elle-mĂȘme dans la prĂ©tendue dĂ©mocratie antique, dans les rĂ©publiques modernes, dans la monarchie puissante et sage , reposant au sein de ces rĂ©gimes divers sur les mĂȘmes bases , c'est surtout dans les pays libres quâelle sâest montrĂ©e partout, depuis lâorigine du monde, difficile en fait de garanties, paTce que de tous les rĂ©gimes, celui qui donne toute carriĂšre au gĂ©nie de lâhomme et Ă ses passions, a, plus que tout autre, besoin de soutiens, de jalons et de barriĂšres. Lâautre politique a de tout autres rĂšgles et de tout autres procĂ©dĂ©s. La force, la force brutale est son principe et sa loi ! Vous la reconnaĂźtrez Ă ceci quâentre les citoyens, les partis , les Ă©tats , partout et toujours, elle ignore la justice ; le salut du peuple, câest-Ă -dire la nĂ©cessitĂ© , telle que ses passions la lui montrent, en dâautres termes, la force lui en tient lieu. Sâagit-il du dedans ? la dissidence est un crime; le soupçon est un arrĂȘt, la peine est la mort ; câest-Ă -dire quâelle nâa quâune loi, la force, pour rĂ©gir les hommes. Sâagit-il du dehors? elle ne connaĂźt pas les traitĂ©s, le droit des neutres, lâinviolabilitĂ© de leurs territoires, LA RĂVOLUTION DE l83o. 2Ă'i Jes conditions acceptĂ©es , la foi promise sa diplomatie nâest autre chose que la guerre, câest-Ă - dire encore la force ; la guerre Ă tout propos et Ă tous risques , la guerre sauvage, la guerre avec toutes les armes. Dans son gouvernement, elle ne recourt pas Ă la discussion, aux formes protectrices, aux dĂ©libĂ©rations lentes et libres. Non ! chez elle le caprice , la colĂšre, le meurtre , câest- Ă -dire toujours la force, tranchent toutes les questions, dĂ©cident toutes les affaires, sans voir ni entendre. Chez elle, en un mot, la force pense, dĂ©libĂšre et veut, de mĂȘme quâelle exĂ©cute. Admet- elle lâautoritĂ© du temps ? Ă Dieu ne plaise ! Le passĂ© , elle le dĂ©truit ; lâavenir, elle le dĂ©vore. 11 lui faut tout envahir , tout abattre, tout essayer en un jour. Marchant Ă la tĂȘte des masses soulevĂ©es, elle fait flĂ©chir toutes les volontĂ©s, toutes les rĂ©sistances, le gĂ©nie, les grandeurs, la vertu , devant ces flots terribles oĂč il nây a dâĂ©clairĂ© que ce qui est pervers, et de probe que ce qui est ignare; câest lĂ son conseil, sa cour, son armĂ©e. Ce quâelle appelle la libertĂ© consiste Ă dicter ses caprices, tour Ă tour imbĂ©cillesou cruels, au juge sur son siĂšge, au citoyen Ă ses foyers , au lĂ©gislateur dans sa chaise curule, au roi sur son trĂŽne. Aussi, elle va , elle bouleverse , elle dĂ©truit. Mais ne lui parlez pas de bĂątir ; fonder nâest pas en sa puissance. Câest le monstre dâAsie qui tue et ne produit pas. LIVRE TROISIĂME. 294 Son origine , son nom, ne le demandez point. Elle le dira en violant, avec des cris de mort, la maison du journaliste 1, du dĂ©putĂ© 2 , du ministre 3, de lâambassadeur 4, du prince 5, de Dieu mĂȘme 6. Elle le dira, en 11 e trouvant rien de mieux, pour rendre gloire au restaurateur glorieux de lâordre dans notre patrie, que de danser, sous sa Colonne, la Carmagnole immonde. Elle le dira, en faisant Ă©clater sa justice Ă dĂ©molir le temple en haine du prĂȘtre; son Ă©conomie, Ă saccager pour un million de monuments publics en un jour ; son patriotisme , Ă piller les boutiques et ensanglanter les rangs de la garde civique Ă coups de pierre. Elle le dira, en jetant du haut de la tribune Ă ses bandes soulevĂ©es, comme du vin Ă lâhomme ivre, les calomnies grossiĂšres, les calomnies homicides avec lesquelles, dans les bons temps on faisait les 2 septembre et les 31 mai. Elle le dira, en montrant comme elle tenait en rĂ©serve des apologies pour honorer les crimes de Varsovie, et des crimes pour honorer ses malheurs. Elle le dira en dĂ©cernant des louanges au prolĂ©taire chargĂ© de sang , et des reproches au soldat mort pour la 1 La Quotidienne 2 M. Dupin. 3 M. Casimir PĂ©rier. 4 Le comte Pozzo di Borgo. 5 Les Tuileries. 6 Notre-Dame, St-Gennaiu-LâAuxerrois. LA. REVOLUTION DE l83o. 2Ăż! propriĂ©tĂ© , lâordre et les lois. Câest la politique dĂ©magogique , la politique rĂ©volutionnaire. Antisociale comme il y a quarante ans, fulminant les mĂȘmes maximes, soufflant au cĆur du pauvre la mĂȘme haine du riche qui le nourrit et lâĂ©claire ; ayant des clubs contre les pouvoirs et des prĂȘches contre la propriĂ©tĂ©, elle a inaugurĂ© tous ses grands hommes, et vous lâavez vue prodiguer Ă la fois ses dithyrambes pour glorifier ceux qui coupĂšrent la tĂȘte des rois; ses larmes, pour venger Robespierre et Saint-Just immolĂ©s; ses brigues, pour avoir Ă la Chambre BarrĂšre vivant. Par ses apothĂ©oses, elle a publiĂ© sa gĂ©nĂ©alogie et ses programmes; ses programmes, Dieu merci! car elle a les siens, et ils lâont trahie. Elle sâĂ©tait si bien reconnue dans la terreur, comme une fille dans les traits de sa mĂšre, quâelle a cru que la France y reviendrait naturellement comme elle. Elle a oubliĂ© quâil fallut cinq ans de renversements, de dĂ©moralisation, de folie, dâeffroi, pour amener lĂ nos pĂšres; et nous, elle a voulu nous y porter dâun bond, au risque de se briser contre la conscience publique. Faute de pouvoir encore suspendre Ă sa ceinture le triangle dâacier que vantent ses poĂštes, elle sâest coiffĂ©e du bonnet rouge dans Paris, dans Dijon, et a offert Ă toutes nos villes ses arbres de la libertĂ©. Un petit nombre de nos villes a acceptĂ© leur funeste ombrage. Louvain, Gand, Varsovie, ont fait voir qnâon a beau LIVRE TROISIĂME. 296 les transplanter; les lieux et les temps nây font rien ils nâont quâune sorte de fruits. LâAngleterre a deux Ă©difices voisins lâun de lâautre dans lâun se rassemble, de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, pour dĂ©fendre les droits du pays et ses libertĂ©s antiques, tout ce que les trois royaumes comptent dâillustre et de respectĂ© ; câest Westminster. LĂ ont combattu Pitt et Fox, lĂ nous avons vu aux prises Brougham, Peel, Canning; nobles luttes oĂč Ă©clate tout ce quâil y a dâĂ©levĂ© dans la nature humaine, dont le spectacle attache lâesprit et lâĂąme Ă la libertĂ© pour le reste de la vie! A quelques pas, vous trouverez lâautre enceinte, une antre arĂšne, dâautres combats, dâautres champions, enfin dâautres forces aux prises; la force brutale luttant avec la force brutale, lâhomme luttant avec lâhomme corps Ă corps, luttant sans dâautre but qu un g. n honteux, et nây employant un rayon dâintelligence que pour porter Ă soii adversaire Ăče coups mieux assĂ©nĂ©s, jusquâĂ ce quâĂ la fin tous deux roulent dans leur Ă©cume sanglante, et q elquefois pĂ©rissent lâun par lâautre. 11 y a de ce spectacle Ă celui quâon trouve dans le Parlement, prĂ©cisĂ©ment la distance qui sĂ©pare la libertĂ© constitutionnelle de la libertĂ© rĂ©volutionnaire Laquelle des deux est voulue par la France ? Ce point ne fait pas question. Laquelle des deux lui a Ă©tĂ© promise par la rĂ©volution de 1830? Ce point LA. RĂVOLUTION DE l83o. 3 97 vient dâĂȘtre Ă©clairci. Laquelle se cache au fond de nos doctrines, de nos actes, de nos lois, pour Ă©clater quelque jour terrible, insurmontable? Ce point est Ă fixer. A dĂ©faut de notre incomplĂšte sagesse, le temps le ferait pour nous. ' 'JĂŻĂźfiH âąt >*âą; !!> ouĂŒ aOugnuTri rsyi /riÂŁV - njptaop >ùß IcĂźO tttf&g * 'X 114, 25 K* LIVRE QUATRIĂME. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Socrate. â Les dĂ©magogues sont la maladie Ă laquelle doit avoir attention tout mĂ©decin dâEtat, tout lĂ©gislateur. Les plus ardents parlent et agissent. Les autres entourent les tribunes, bourdonnent, coupent la parole Ă tout le monde, en sorte que tout se gouverne par eux. Ăcliansons dĂ©pravĂ©s, ils versent la libertĂ© sans mesure Ă un peuple altĂ©rĂ© ; quand il est enivrĂ© une fois, il ne loue et nâhonore entre les magistrats que ceux qui sâabaissent au niveau des particuliers, et entre les particuliers que ceux qui sâĂ©lĂšvent au niveau des magistrats. Les enfants sâaccoutument Ă parler aussi haut que leurs pĂšres, Ă ne plus les respecter pour ĂȘtre libres. Les pĂšres respectent leurs fils j le maĂźtre ses disciples. Les nouveaux-venus sâĂ©galent aux anciens ; les vieillards sâassimilent aux jeunes gens, pour ne pas paraĂźtre despotiques ou ridicules. Ce bouleversement sâĂ©tend Ă la famille et Ă tout. Pour maintenir le peuple dans leur dĂ©pendance et lâattirer aux assemblĂ©es, les dĂ©magogues ne manquent pas de lui promettre la dĂ©pouille des riches. Comme ce ne sont pas les hautes classes qui ont cherchĂ© Ă innover, on les accuse de conspirer contre la libertĂ© du peuple. Ce sont, dit-on, des oligarques; sâils le deviennent bon grĂ© mal grĂ© pour se dĂ©fendre, Ă qui la faute ? Le peuple alors , pour se garder dâeux et de lui-mĂȘme, se cherche un chef voilĂ la tige des tyrans ! Aussi, lâeffet uniforme de lâexcessive libertĂ© est-il de conduire Ă lâexcessive servitude. Platon, RĂ©p. , 1 . vu. LIVRE QUATRIĂME. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. CHAPITRE PREMIER. DES PARTIS VICTORIEUX. â DU PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Monstrum immune, ingens, cui lumen ademptum ; Virgile. La France est aux prises, depuis juillet 1830, avec la difficultĂ© capitale des rĂ©volutions, celle de trouver un point dâarrĂȘt, et de sây tenir aprĂšs lâavoir trouvĂ©. Le gouvernement est, depuis juillet 1830, aux prises avec la difficultĂ© capitale de tout pouvoir issu dâune rĂ©volution, celle de choisir entre ses partisans dâorigine ou de tendance diverses, et de 3oa livbe quatbiĂšme. rompre avec les plus passionnĂ©s dâentre eux, pour ne pas flĂ©trir et compromettre sa fortune. Les premiers jours des rĂ©volutions sont des temps dâeffusion et de gĂ©nĂ©rositĂ©. Le parti vainqueur est dâabord content de tout, parce quâil lâest de lui-mĂȘme. Il sâapplaudit de son ouvrage; il mesure les obstacles quâil a surmontĂ©s; il jouit de la victoire. Le lendemain, on songe Ă l'appliquer, et on se divise, ou plutĂŽt on se ravise. Les uns continuent Ă ne vouloir que ce quâils voulaient dâabord ; ils trouvent bon et sage de se borner Ă profiter des grĂąces du ciel, et Ă sâassurer lâavenir. Ils craindraient de lasser la Providence, sâils se montraient inquiets et exigeants encore. Dâautres veulent davantage, aujourdâhui, demain et toujours. La pensĂ©e dâun point dâarrĂȘt permanent les importune comme un obstacle ennemi. Parce quâils ont beaucoup conquis, ils croient pouvoir conquĂ©rir tout ce quâils ont rĂȘvĂ©. Parce que de grandes vicissitudes se sont accomplies, ils croient avoir fait tout ce quâils ont vu. Aussi ne proposent-ils pas leurs systĂšmes ; ils les imposent comme une dette contractĂ©e envers eux par le gouvernement qui sâĂ©lĂšve. PrĂ©tention audacieuse, prĂ©tention intolĂ©rable ! Un gouvernement nâa de dettes quâenvers le pays tout entier; et un pays libre revendique ce qui lui appartient par lâorgane des pouvoirs lĂ©gaux. Heureux les peuples, quand lâautoritĂ©, pesant LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3o3 et tous les intĂ©rĂȘts et toutes les obligations, sait rompre Ă temps avec cette politique exigeante, Ă©goĂŻste, aveugle, destructive ! Le repos public et son propre salut sont Ă ce prix car, nâen dĂ©plaise aux victorieux de tous les temps, il sâest vu dans le monde plus de causes perdues pour avoir trop fait que pour nâavoir pas fait assez. Lâhistoire atteste que lĂ est lâĂ©cueil de tous les gouvernements formĂ©s au sein des orages politiques. La force qui les a Ă©levĂ©s les pousse encore, et il nây a jamais eu de partis restĂ©s maĂźtres du pouvoir que ceux qui ont su accepter des barriĂšres. 11 ne sâest jamais trouvĂ© de princes qui se soient affermis, que ceux qui ont eu, comme Henri IV et Guillaume 111, le courage de se sĂ©parer de quiconque pensait avoir acquis, en Ă©levant un trĂŽne, le droit de le dominer. Ce nâest point infidĂ©litĂ© ni ingratitude; câest devoir, câest nĂ©cessitĂ©. La restauration a pĂ©ri Ă lâĆuvre. Tant quâelle tint au point dâarrĂȘt marquĂ© par la Charte, elle triompha sans effort de tous les assauts de ses ennemis aussi eut-elle Ă lutter, pendant ces quinze annĂ©es de fidĂ©litĂ© Ă lâordre constitutionnel, contre une opposition active dâamis ardents, mais du moins sincĂšres, de loyaux serviteurs, logiciens rigides, logiciens funestes, qui lui demandaient dâappliquer au corps social tout entier le principe sur lequel elle reposait. Ils ne sâapercevaient pas que câĂ©tait rĂ©clamer une autre Charte, une autre 3o4 LIVRE QUXTEIĂME. royautĂ©, une autre France. A la fin, au 8 aciĂ»t 1829, la logique domina-, et, un an aprĂšs, jour pour jour, Louis-Philippe dâOrlĂ©ans Ă©tait roi. Tout le monde sâen souvient pendant les quinze annĂ©es, on ne cherchait pas les causes de VinquiĂ©tude vague , disait-on, mais rĂ©elle, qui en effet troubla obstinĂ©rpent les prospĂ©ritĂ©s infinies de la France, sans que des voix puissantes ne criassent, Ă la tribune, dans le Conservateur, au pavillon Marsan, que tout le mal tenait Ă ce vertige de la royautĂ© hostile pour les royalistes, de la royautĂ© vouant Ă la disgrĂące ceux qui avaient combattu pour sa cause, et par qui elle avait vaincu, sâĂ©loignant dâeux au lieu de se jeter dans leurs bras, se privant Ă plaisir de ses naturels appuis, dĂ©sertant leurs intĂ©rĂȘts et leurs principes, pour complaire Ă ses seuls ennemis, et mille autres folies Ă©loquentes dont la fortune a fait raison Ă la fin dâune maniĂšre si terrible. Poursuivait-on la conspiration du bord de lâeau, bou ien enlevait-on un commandement immense, celui des gardes nationales de France, au premier sujet du royaume, au frĂšre du monarque, au comte dâArtois, que dâaccusations formelles de trahison lancĂ©es contre le ministre qui avait, Ă©crivait-on, rompu ainsi tous les liens du roi et de la France'. Lorsque, roi Ă son tour, ce prince crut un jour Ă la nĂ©cessitĂ© de combattre, par deux ordonnances cĂ©lĂšbres, les associations du temps, les colĂšres portĂšrent jusque LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3o5 sur la royautĂ©! Un journal, qui nâest plus, alla jusquâĂ intituler un de ses articles, Julien lâApostat! Lâapostasie consistait Ă reculer, par une secrĂšte et religieuse Ă©pouvante, devant les abĂźmes. Aujourdâhui comme aux dĂ©buts de la restauration , il y a dans les opinions un malentendu terrible. La France est affamĂ©e de repos, dâordre, de libertĂ© , de cette libertĂ© vĂ©ritable qui se fonde sur lâordre et assure le repos. Ces biens lui sont si chers quâelle est incessamment prĂȘte Ă les prendre de toutes mains; quâelle se livre toute entiĂšre Ă quiconque les lui promet un jour. Et il est un parti qui entend contraindre notre patrie Ă dĂ©duire sans pitiĂ© toutes les consĂ©quences du principe auquel la rĂ©volution de 1830 se lie; comme ce principe est lâinsurrection populaire, sa consĂ©quence directe et nĂ©cessaire serait la permanence de lâanarchie logique fatale, flĂ©au vĂ©ritable qui tourmente la France depuis juillet 1830, qui lâa profondĂ©ment divisĂ©e au dedans, affaiblie et dĂ©considĂ©rĂ©e au dehors, qui lui a rendu difficiles et la paix et la guerre, qui lui a fait sentir enfin, au sein de lâordre matĂ©riel, toutes les angoisses et toutes les misĂšres de lâanarchie ! On veut que la rĂ©volution se soit accomplie sous la loi de tout recommencer et de tout refaire, tandis quâelle sâĂ©tait offerte Ă nous, quâelle nâavait rĂ©clamĂ© et obtenu la soumission des Français, que sur la promesse de tout clore et de tout affermir ! âą20 3o6 LIVRE QUATRIĂME. Le parti quâon signale demande une autre libertĂ©, une autre France; il entend que cette France prenne dâautres inclinations, et se crĂ©e dâautres intĂ©rĂȘts; il exige pour elle et dâautres lois, et dâautres frontiĂšres. Ce parti campe Ă la fois en dehors de la Charte, et en dehors 'des traitĂ©s. Il ne reconnaĂźt ni notre droit public, ni le droit des gens. En un mot, il veut une rĂ©volution dans la rĂ©volution; et, celle-ci, il sâefforce de lâĂ©tendre Ă lâunivers ! Il est triste et humiliant de voir le mĂȘme cercle dâĂ©garements se rouvrir tour-Ă -tour devant les partis contraires, dâentendre exactement les mĂȘmes colĂšres au sein de tous les partis rĂ©gnants, seulement aujourdâhui avec moins dâĂ©loquence que naguĂšre, et, il faut le dire, avec moins de prestige , avec moins de retentissement dans les cĆurs gĂ©nĂ©reux. Mais câest une loi de ce monde. La vĂ©ritĂ©, la justice, sont en hutte aux mĂȘmes assauts, quelle que soit lâopinion victorieuse. Les partis opposĂ©s battent tour-Ă -tour de leurs flots ces anges gardiens de lâhumanitĂ©, qui ressemblent au gĂ©ant debout sur le cap des TempĂȘtes. Les mers contraires viennent, des deux bouts de lâhorizon, bouillonner, mugir Ă ses pieds, et heureusement sây briser. CHAPITRE II. GUERRE CONTRE LES DEUX CHARTES ET LES DEUX ROYAUTĂS. Depuis lâavĂšnement de la rĂ©volution , la Charte populaire de 1830 a Ă©tĂ© poursuivie, au nom de la libertĂ© , de mille fois plus dâagressions que la Charte royale de 1814 ne lâavait jamais Ă©tĂ© par quelques royalistes extrĂȘmes, au nom de la monarchie. Le parti vainqueur nâa pas craint dâinvoquer tout haut la chute des lois; de susciter contre les Chambres, au milieu desquelles le trĂŽne nouveau sâest Ă©levĂ©, les fureurs populaires ; de comprendre dans les mĂȘmes menaces le corps Ă©lectoral tout entier. Nous avons eu , en un mot, la contre-partie fidĂšle de tout ce quâon avait dĂ©noncĂ© quinze ans essais publics de crĂ©er des pouvoirs et des armements illĂ©gaux ; influences cachĂ©es qui prĂ©tendaient sâĂ©lever Ă cĂŽtĂ© et au-dessus du trĂŽne ; appels Ă la force; associations, si semblables Ă celles que la polĂ©mique a tant combattues, que lâon croit rĂȘver. Caisse commune, cotisation du fa- 3o8 LIVIĂE QIIATEIĂME. meux sou par semaine , chefs mystĂ©rieux, rien nâa manquĂ© au parallĂšle, pas mĂȘme ces coquetteries rĂ©ciproques des extrĂȘmes qui nâĂ©taient empĂȘchĂ©s, disaient-ils , de sâentendre et de sâembrasser que par les opinions intermĂ©diaires qui les sĂ©paraient ; pas mĂȘmes ces agressions violentes , ces dĂ©nonciations calomnieuses contre les hommes de modĂ©ration et de prudence, vieux tĂ©moignages de la fureur quâils inspirent toujours aux factions dominantes , câest-Ă -dire la fureur du navire mouillĂ© dans le port contre le cĂąble qui lâattache au rivage. Nous avons eu jusquâĂ un rapprochement qui semblait devoir manquer, jusquâĂ ces menaces de retraite derriĂšre la Loire et de marche armĂ©e sur Paris, quâun journal rĂ©volutionnaire a rĂ©pĂ©tĂ©es Ă plusieurs reprises, du moment que Paris se fut prononcĂ© pour lâordre et les lois, et qui nous ont rappelĂ© ces temps oĂč le Conservateur menaçait Louis XVIII et ses ministres des armes de la VendĂ©e ces armes des vieux Francs , disait le publiciste illustre 1 Ă ses adversaires, trop pesantes pour vos bras ! » Nous avons vu de plus les efforts faits de toutes parts pour soulever les masses ; la garde nationale par exemple, signalĂ©e Ă lâanimadversion de la multitude, comme autrefois Ă celle du trĂŽne; les autoritĂ©s secondaires, les prĂ©fets delĂ Seine, par {' M. de Chateaubriand. LE parti rĂ©volutionnaire. 3o 9 exemple 1, sâattaquant aux pouvoirs attaquĂ©s par les factieux, et sâabstenant, avec un soin Ă©gal Ă celui de quelques prĂ©fets de la restauration , de recommander la Charte Ă lâobĂ©issance du peuple et Ă sa confiance, ou mĂȘme ne rappelant les sĂ©ditieux dans le sentier du devoir quâau nom de promesses solennelles et sacrĂ©es , comme si parler de conquĂȘtes Ă faire, et point de conquĂȘtes accomplies, ce nâĂ©tait pas proroger la sĂ©dition au lieu de la dissoudre ! Et ce nâest pas sans intention que ce nom de la Charte victorieuse fit place tout-Ă -coup Ă dâautres symboles, bien que la rĂ©volution lâeut fortifiĂ©e de garanties et de libertĂ©s nouvelles. Il y eut accord entre les chefs du parti pour dĂ©clarer tous ensemble Ă la France lâavenir nouveau quâon entendait crĂ©er pour elle. Nous avons vu que ce fut M. de la Fayette qui se chargea de formuler, sous le nom de programme de lâHĂŽtel-de-Ville, cette autre constitution, diffĂ©rente de la Charte, postĂ©rieure Ă la Charte, qui nâavait pas empĂȘchĂ© les serments Ă la Charte, et par laquelle pourtant la France se trouvait, Ă son insu, rĂ©gie et enchaĂźnĂ©e, alors quâelle croyait lâĂȘtre par cette Charte que ous avaient jurĂ©e. Dans le mĂȘme temps, M. Odilon-Barrot se mit Ă dĂ©clarer, au nom de lâopposition dynastique, 1 du sac de St-GermĂ in-l'Auxerrois et de lâArchevĂȘchĂ©. 3lO LIVRE QUATRIĂME, que ce qui lui paraissait Ă propos, câĂ©tait de reprendre les choses Ă 1789, et de refaire toutes nos destinĂ©es! LâextrĂȘme droite dâautrefois nâavait jamais Ă©tĂ© si loin. Un plagiat restait Ă tenter; celui du pouvoir constituant. Le parti nây a pas manquĂ©; et ce pouvoir illibĂ©ral Ă©tait-il un simple rĂȘve, une vaine utopie ? Non! ce fut un projet sĂ©rieux, une entreprise concertĂ©e, une conjuration enfin! Quand on ne se sentait pas en mesure de lâusurper soi-mĂȘme, Ă qui voulait-on le dĂ©fĂ©rer? Qui renouvela , six mois aprĂšs la dictature mortelle de Charles X, ces projets de dictature rĂ©volutionnaire ? Qui offrit k Louis-Philippe le coup dâEtat dĂ©magogique, comme un fleuron inattendu de sa couronne ? Qui inventa ce moyen dâen finir avec les deux Chambres, devenues importunes aux rĂ©acteurs nouveaux autant et plus quâaux rĂ©acteurs prĂ©cĂ©dents? Qui nourrit ces pensĂ©es dâordonnances nouvelles, dans les jours mĂȘme oĂč un peuple furieux demandait la tĂȘte des ministres, coupables dâavoir assistĂ© Charles X dans cette funeste entreprise ? Qui entendit faire, de lâadoption de ces plans subversifs , la consĂ©quence et le prix de ses services de juillet et de dĂ©cembre ? Lâhistoire le dira. Elle dira aussi, comment les auteurs de c/s folies rĂ©volutionnaires, quand ils les virent a^br- ter, sâen prirent de tous leurs mĂ©comptey'a la France et Ă la royautĂ©. Ils semblent avoir RĂ©solu LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3ll de les dompter, ou au moins de les punir toutes deux. TantĂŽt on essaie, sans lâombre dâun motif vrai, et le lendemain dâune commotion effroyables les dĂ©missions soudaines 1, comme si on voulait s assurer que les retraites sur le mont sacrĂ© aient cours encore, que ce soit un moyen de rĂ©duire lâautoritĂ© royale Ă merci, de lâamener repentante et soumise Ă subir les lois qui lui sont offertes. TantĂŽt on la met au dĂ©fi; on la contraint de marquer elle-mĂȘme le divorce par des destitutions Ă©clatante; et le pouvoir affronte-t-il tous ces pĂ©rils? Alors on crie que les hommes de juillet sont vus en ennemis, que la rĂ©volution est abjurĂ©e, quâelle est trahie , qu T elle est vendue. Le trĂŽne populaire est traitĂ© enfin comme la Charte mĂȘme. Tentative avouĂ©e de le rĂ©duire Ă nĂ©ant, de lâhumilier, de lâappauvrir, jutsquâĂ ne pouvoir donner du pain Ă lâindigence et du travail aux arts ; contestation de ses plus lĂ©gitimes, de ses plus nĂ©cessaires prĂ©rogatives; application journaliĂšre Ă le contrister et Ă le flĂ©trir; rĂ©cits publics de confidences intimes, appels Ă des promesses personnelles, allusions injurieuses, toutes les armes sont bonnes alors pour tirer vengeance de cette royautĂ© populaire qui prĂ©tend sortir de page. Le parti sâefforce Ă plaisir de la dĂ©pouiller de tout prestige ; il lui conteste tous les souvenirs et toutes les filiations; il lui in- b dĂ©mission du commandement, en chef des gardes nationales. 3l2 LIVRE QUATRIĂME. terdit tout reflet des gloires du passĂ©; il dit et Ă©crit ces paroles dont le bon sens sâĂ©pouvante, Dieu merci ! comme la nature que le roi citoyen a cessĂ© dâĂȘtre le fils de Henri ou quâil ne serait pas roi. On ne peut trop dĂ©sarmer le trĂŽne coupable de nâavoir pas cru quâil y eĂ»t place dans la monarchie constitutionnelle pour un maire du palais, de la façon de lâanarchie, non plus que pour des feudataires Ă la maniĂšre de ce comte de PĂ©rigord, disant Ă tout propos Qui lâa fait » roi ? » Les poĂštes cependant intitulent leurs chants le parjure ! Le duc dâOrlĂ©ans, le roi Louis-Philippe parjure, parce quâil aurait cru avoir plus dâobligations envers la France quâenvers les Ă©meutes, plus envers la Charte quâenvers le programme prĂ©tendu de lâHĂŽtel-de-Ville ! Et ils nâhĂ©sitent pas sur le chĂątiment que veut leur furie. Tout ce qui a Ă©tĂ© fait contre Louis XYI, on lâannonce , on le promet Ă cet autre roi des Français. Tout ce qui a Ă©tĂ© dit contre ces princes, les Ă©lus des siĂšcles, on le rĂ©pĂšte, et mille fois plus, contre lâĂ©lu de la grande semaine. On recourt contre lui Ă tous les monstres. Câest tantĂŽt Ă la rĂ©publique, tantĂŽt Ă lâempire, tantĂŽt Ă la lĂ©gitimitĂ©, quelquefois Ă tous trois ensemble. Lâanarchie est le GĂ©rion antique. Elle a trois tĂȘtes le bonnet rouge, la couroiyte Ă aigles, le saint chrĂȘme de Reims, consacrant tour-Ă -tour ou tout ensemble son triple Pont. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3 I 3 Pour bien marquer le mĂ©pris profond quâon fait de la France, le mĂȘme journal qui prĂȘeha dâabord la dĂ©magogie, se dĂ©clare le dĂ©fenseur de la cause . et des droits du fils de Marie-Louise ; en mĂȘme temps il emprunte au dĂ©fenseur illustre dâun autre enfant et dâune cause auguste, lâappui de ses colĂšres, comme Patrocle prenait les armes dâAchille, sans quâon puisse dire qui, dans tous ces amalgames adultĂšres, est courtisĂ© sĂ©rieusement ou raillĂ©, de la lĂ©gitimitĂ©, de la rĂ©publique , ou de lâempire ! Une manĆuvre des patriotes est de frapper de honte, pour tout flĂ©trir, pour tout saper plus sĂ»rement, et la restauration, et la maison royale toute entiĂšre. Leur langue ne se lasse pas de redire que notre patrie est tellement dâhumeur Ă souffrir la honte quâelle porte paisiblement, aujourdâhui et depuisdix-sept annĂ©es, cet horrible fardeau. Et quels sont les hommes qui tiennent ce langage? Est-ce, par exemple , ce brave gĂ©nĂ©ral Durosnel qui a enfoui dix-sept ans de sa vie dans une retraite profonde, et nâa reparu Ă la lumiĂšre, quâĂ lâheure oĂč il a vu briller, sur le clocher de lâĂ©glise prochaine, le drapeau de ses grands jours? Non, celui-lĂ nâinsulte pas an malheur; il nâinsulte pas Ă un gouvernement que lui ne reconnaissait point, mais que reconnaissait son pays. Il craindrait trop de blesser la France elle-mĂȘme dans les princes, dans les lois quâelle accepta ; et 3 r 4 LIVRE QUATRIĂME. probablement, Ă ce rĂ©veil dâEpimĂ©nide, sâĂ©tonne- t-il de toute cette dĂ©magogie de chambellans dĂ©chus, de tout ce dĂ©lire dâhommes dâEtats blanchis. Ceux qui parlent ainsi sont des hommes qui inclinaient devant les Bourbons leur rĂ©vĂ©rence assidue, qui paraient leurs collets de fleurs de lis, qui ne dĂ©niĂšrent jamais un serment, ce que dâautres ont su faire depuis juillet, quand leur conscience lâa voulu ! Pendant notre vive lutte contre M. le comte de VillĂšle, que faisait M. Laffitte ? Il trempait dans les plans financiers de M. de VillĂšle, dans la conversion des rentes courageusement dĂ©molie par la Chambre des pairs, et il contraignait son quartier, ses amis, ses journaux , Ă lui imposer la pĂ©nitence de la non-réélection ! Que faisait M. Mauguin ? Il gĂ©missait de la licence de la presse dans un procĂšs cĂ©lĂšbre, et opposait aux vindictes de la Chambre de 1828 lâĂ©ternel et mystĂ©rieux ad referendum , qui couvrit le ministĂšre des sept annĂ©es comme un talisman protecteur, comme un bill dâindemnitĂ© ! Que faisait M. le vicomte de Cormenin , tellement pointilleux Ă lâĂ©gard de la Charte et de la rojautĂ© libĂ©rales, quâil leur refuse tout, exceptĂ© un serment ? Il restait attachĂ© au service ordinaire du conseil dâEtat sous tous les ministĂšres de la restauration, câest-Ă -dire pendant les seize ans en- LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3 I 5 tiers, et obtenait de M. le comte de Peyronnet, entre autres rĂ©compenses de ses bons et fidĂšles services, la dispense des droits de sceau dus pour tous les titres nobiliaires quâil lui avait plu de se faire successivement infĂ©oder. Que faisait celui de tous les orateurs qui a le plus employĂ© son Ă©loquence Ă ressasser nos hontes des quinze annĂ©es? M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, par ses Ă©crits, nous obligeait dâaccuser, dans 1 e. Journal des DĂ©bats , ses dĂ©fĂ©rences pour les actes les plus contestables du loyal duc de Clermont-Tonnerre. Et si, Ă propos dâĂ©lections oĂč il avait Ă©tĂ© battu, une gazette celle des Landes se fĂ©licitait de la victoire de la lĂ©gitimitĂ©, Militaire, Ă©crivit-il le 7 dĂ©- » cembre 1827, je ne puis mâempĂȘcher de re- » lever le gant. Vous savez fort bien que je nâai » fait que cĂ©der au vĆu dâun grand nombre » dâĂ©lecteurs. Si jây ai cĂ©dĂ©, en professant liau- » tement mon dĂ©voĂ»ment au roi et Ă la patrie, » mon attachement sincĂšre , entier , sans reslric- » lion , Ă la Charte et Ă la dynastie qui nous lâa » donnĂ©e, ces sentiments animaient tous ceux » qui mâont honorĂ© de leurs suffrages. Com- » ment donc a-t-on pu dire que la victoire Ă©tait » restĂ©e Ă la lĂ©gitimitĂ© ? Le drapeau blanc ne » flotte-t-il pas sur ma tĂȘte comme sur celle de » M. le marquis du Lyon ? Ah ! plaçons, il en est » temps, le trĂŽne des Bourbons, ce trĂŽne lĂ©gitime , » autour duquel ont vĂ©cu nos pĂšres, autour du- 3l6 LIVRE QUATRIĂME. » quel doivent vivre nos enfants, au-dessus de » lâatmosphĂšre oĂč se choquent nos passions dâun » jour ! » Non, un gouvernement acceptĂ© ainsi au nom de nos pĂšres car on avait des pĂšres alors et au nom de nos enfants, acceptĂ© par les chefs du peuple et de lâarmĂ©e, acceptĂ© par eux pour le compte de tous ceux qui leur avaient donnĂ© des suffrages, ce gouvernement, que nous adulerions encore sâil avait voulu, nâimprimait pas de tache au front de la France. Non, un pavillon, qui flotta sur la tĂȘte de M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, nâĂ©tait pas sans honneur. Mais pourquoi lâattaque-t-on, sinon pour entretenir les haines de rang Ă rang et de parti Ă parti, pour compromettre de plus en plus dans le sentiment public, pour flĂ©trir, si on le pouvait, pour assiĂ©ger de mĂ©pris stupides et de haines sauvages, toutes les fractions de la France qui eut foi aux trĂŽnes et aux autels, pour renverser enfin la promesse fondamentale de juillet, la transaction dĂ©finitive de la sociĂ©tĂ© française, cette transaction quâil faut trouver, quâil faut accomplir ou que la fortune cherchera pour nous dans des Ă©preuves nouvelles, et accomplira malgrĂ© nous mĂȘme, Ă moins que Dieu nâeut condamnĂ© la France Ă pĂ©rir ! Et comme cette transaction est la mission, le devoir et le salut de lâĂ©tablissement de 1830, on voit, dĂšs lors, pourquoi on sappe et le trĂŽne et la LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3l 'j Charte, qui sont les garants nouveaux de cette grande transaction , comme on sapa la Charte et le trĂŽne sĂ©culaire qui lâavait créée. On veut reprendre la guerre domestique de 1789; on veut, comme dâautres Ă un point de vue contraire lâont voulu quinze ans, refaire la sociĂ©tĂ© mĂȘme. Et, comme eux aussi, pour arriver lĂ , on est contraint de renverser toutes les institutions et tous les pouvoirs. De lĂ vient que M. le gĂ©nĂ©ral Lamarqueest allĂ© jusquâĂ dĂ©clarer que câest d e hontes, que le trĂŽne de juillet est cimentĂ©. On ne peut mieux dĂ©noncer des catastrophes prochaines; et M. Mauguin a soin dâajouter ces paroles faciles Ă comprendre que ce sont les amis de la restauration qui se trouvent ĂȘtre ceux de la royautĂ© de 1830. Hommes dâinapplicables thĂ©ories, vous ne voyez pas une chose câest que vos maximes vous rendent incompatibles avec tout gouvernement rĂ©gulier ; câest que vous ĂȘtes vouĂ©s Ă Popposition sous tous les rĂ©gimes ; câest que vous ne pouvez arriver au timon quâen un jour de tempĂȘte , et vous ne sauriez y rester dans le calme , quand les nations sont dans leur bon sens. Le talent, la vertu mĂȘme quand elle se rencontre, sont chez vous de funestes parures et des armes funestes. Ce sont des moyens de mal faire, et voilĂ tout ! Vous nâĂȘtes propres quâĂ renverser. BĂątir nâest pas dans votre puissance. Si le pouvoir vous Ă©tait livrĂ©, comme les dra- 3i8 LIVRE QUATRIĂME. gons de la fable, vous ne sauriez non plus que vous entre-dĂ©truire. Pourquoi ? parce que vous poursuivez des chimĂšres anti-sociales ; que vous ĂȘtes antipathiques Ă la libertĂ© comme Ă la monarchie ; que ce que vous nommez libertĂ© par une mĂ©prise fatale est dĂ©magogie , et que ce que vous nommez pouvoir est, un jour plus tĂŽt, un jour plus tard , le rĂ©gime du comitĂ© de salut public. Lâadmirable est que ces mĂȘmes hommes qui foulent aux pieds la royautĂ©, qui vont criant avec M. de Lafayette Le concitoyen que nous avons fait roi, » qui rĂ©cusent la Charte et appellent Ă une autoritĂ© plus haute, assurent hardiment que le roi leur avait promis des institutions rĂ©publicaines. Et en quel nom lâeĂ»t-il fait? En vertu de quel droit ? Leur roi est lâhomme de Pope ils en font tour Ă tour un ver et un dieu. Quoi ! il dĂ©pendait de lui ou bien de vous de nous condamner Ă la rĂ©publique ? Et la France ! la France!... Disposez-vous dâelle comme les prĂ©toriens faisaient de lâempire ? Pensez-vous que vous pussiez, Ă leur instar , marchander le prix du diadĂšme ; et, parce que vous avez une thĂ©orie qui vous est chĂšre , dites-vous, vous la faire assurer par le prince, comme un salaire pris aux dĂ©pends du peuple brocantĂ© ! Ces hommes ont une forfanterie bizarre. Ils rĂ©pĂštent Ă satiĂ©tĂ© au princequâeux seuls lâont fait roi, LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3l9 et que, par consĂ©quent, il est leur vassal, leur dĂ©biteur , obligĂ© par corps envers eux ; puis ils se retournent vers le pays, et se glorifient de ne nous avoir pas fait rĂ©publique, de nous avoir laissĂ©s provisoirement monarchie quand nos destinĂ©es dĂ©pendaient de leur bon plaisir ! Mais de deux choses lâune. Si vous jugez la rĂ©publique mauvaise, ou bien si vous reconnaissez quâelle Ă©tait impossible, et par rapport Ă la France, et par rapport Ă lâEurope qui vous prĂ©occupait alors, de quoi vous vantez-vous? Si, au contraire, la rĂ©publique est si belle Ă vos yeux, et que vous ayez pu , Ă votre fantaisie, en doter votre heureux pays, pourquoi nous en avez-vous sevrĂ©s ? Vous ne lâavez pas pu vous avez compris la volontĂ© de la France ; vous avez reculĂ© dâĂ©pouvante devant la tentative de lui rendre ouvertement cette fois et tout Ă coup, sans prĂ©paration, un rĂ©gime qui lâa baignĂ©e de sang, et qui, aujourdâhui, dans lâĂ©tat actuel des esprits et du monde, aurait encore noyĂ© dans le sang vous et elle. Mais ce que vous nâavez pas compris , câest quâen restant attachĂ©e Ă la monarchie, elle la voulait de bonne foi, sĂ©rieusement, sans alliage destructeur; ce que vous nâavez pas compris non plus, câest quâen demandant un roi, elle nâen voulait pas deux, M. de Lafayette en mĂȘme temps que Louis-Philippe, parce quâelle sait bien que 320 LIVRE QUATRIĂME. ce nâest pas le gouvernement de LacĂ©dĂ©mone quâon appellera jamais la meilleure des rĂ©publiques. CHAPITRE III. LE PAVILLON MARSAN 1 DU PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Nous avons commencĂ© un parallĂšle que nous sommes contraint dâachever entre les accusations activement Ă©levĂ©es contre lâextrĂȘme droite sous la restauration, et celles que lâextrĂȘme gauche mĂ©rite si manifestement aujourdâhui. Les dĂ©molisseurs actuels ont leur centre dâaction, leur diplomatie particuliĂšre, leurs notes secrĂštes , leur congrĂ©gation active, leur gouvernement occulte , en un mot un pavillon Marsan tout entier ! LĂ aussi rĂšgne un chef de parti, noble de sang et charmant de maniĂšres, spirituel, bienveillant, cher Ă tout ce qui lâentoure; couvrant la vivacitĂ© de ses opinions par la bonne grĂące de son air et de ses paroles ; traitant dâaffaires avec cette 1 Le pavillon Marsan, au palais des Tuileries, Ă©tait habitĂ© par S. A. R. Monsieur, comte dâArtois, depuis Charles X. On avait Ă©tabli, dans lâopinion, sous le rĂšgne de Louis XVIII, particuliĂšrement Ă lâĂ©poque delĂ prĂ©tendue conspiration royaliste du bord de lâeau, que ce prince , objet de toutes les espĂ©rances de lâextrĂȘme droite, Ă©tait le chef de ce centre dâaction particulier que la polĂ©mique nommait le Gouvernement Occulte, et dâoĂč Ă©tait Ă©manĂ© la fameuse Note secrĂšte de \ 8 '16. 21 322 LIVRE QUATRIĂME. amĂ©nitĂ© dâun homme qui aurait soupe, la veille, chez la reine Marie-Antoinette; portant dans lâĂ©tude et la poursuite des rĂ©volutions la confiance lĂ©gĂšre des cours, et oubliant trop, par habitude de grand seigneur, de tenir compte, dans ses plans dâinsurrection armĂ©e en Pologne, en Allemagne, en Suisse, en Savoye, en Italie, du sang des peuples et de la paix du monde; plus gĂ©nĂ©reux, du reste, que son parti tout entier, voulant pour son parti la victoire, en souhaitant du fond de lâĂąme quâelle fĂ»t douce et agrĂ©able Ă lâunivers; ayant dans ses opinions une foi qui sert dâexcuse aux Ă©carts par sa sincĂ©ritĂ©, mais ne sâapercevant pas dâune bien simple vĂ©ritĂ©, câest quâil ne serait pas plus facile dâarrĂȘter la rĂ©volution aujourdâhui quâil y a quarante ans, et que vouloir faire rĂ©trograder la France vers un Ăąge dâor placĂ© en lâan de grĂące 1791 sans lui laisser redescendre le cours du temps jusquâaux annĂ©es terribles qui suivirent, est une entreprise non-seulement surhumaine, ce qui est un inconvĂ©nient, mais fausse, mauvaise, Ă©goĂŻste, ce qui est un tort. EgoĂŻste, disons-nous car câest nourrir la prĂ©tention de ramener le monde Ă des temps qui risquent fort de ne nous sembler enchantĂ©s, sâil faut en croire lâauteur des Lettres persanes , que parce quâon avait des succĂšs alors et quâon nâavait pas la goutte. Lâancien rĂ©gime de 1791 est aussi de lâancien rĂ©gime; il y a Ă©galement violence Ă vouloir lâim- LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 323 poser Ă dâautres mĆurs, Ă dâautres opinions, Ă une autre sagesse. Mais câest le malheur de tous les camps dâavoir leurs demeurants dâun autre Ăąge, comme M. de Chateaubriand lâa dit si spirituellement Ă une autre Ă©poque, lesquels ne rĂȘvent que de passĂ©, mĂȘme quand ils parlent sans cesse dâordonner lâavenir. Peut-ĂȘtre, au fait, tous les hommes sont-ils comme le dieu au double visage. En marchant dans la vie, les yeux qui regardaient en avant sâĂ©teignent et se ferment; ceux qui voient en arriĂšre restent seuls ouverts ils nâĂ©clairent que le lointain quâon a traversĂ© dĂ©jĂ . Ce sont, en politique, des flambeaux trompeurs. Les souvenirs des Etats-Unis sont aussi des souvenirs dâĂ©migration. Il y a de plus lâinconsĂ©quence de patriotes , reconnaissant pour leur chef un citoyen avouĂ© des Deux Mondes. Du reste, le Co- blentz rĂ©volutionnaire se nourrissait autant que lâautre de prĂ©occupations opiniĂątres, de comparaisons fausses, de folles illusions, de prĂ©jugĂ©s funestes, dâentreprises subversives. On ne sait oĂč serait mieux marquĂ© le lit de Procuste, Ă vouloir enserrer la nouvelle sociĂ©tĂ© française dans les re- grets de lâarmĂ©e de CondĂ©, ou la monarchie constitutionnelle de France dans les rĂšglements des plantations de Lafayette-Ville. Un gouvernement par association nationale 1 1. Association fameuse des membres de lâopposition qui fut dĂ©fĂ©rĂ©e aux deux Chambres et aux tribunaux. LIVRE QUATRIĂME. 3a4 est aussi un gouvernement. Pour ĂȘtre ministres in partibus , les hommes dâEtat qui le composent ne nourrissent ni des prĂ©tentions moins hautes, ni une moins active ambition. Ajoutons quâil y a deux ministres de la guerre, trois ou quatre grands- juges, on ne sait combien de chefs de lâintĂ©rieur ou des finances ; et comme ils sont tous irresponsables, que leur gestion est secrĂšte, ils jouissent de tous les avantages quâavaient les ministres de lâempire. Câest de leur citadelle imprenable quâils tirent Ă boulets rouges sur chaque ministre patent, lequel combat Ă dĂ©couvert, agit au grand jour, et rĂ©pond Ă©galement de ce quâil fait ou de ce quâil ne fait pas. La France se trouve ainsi possĂ©der, comme au temps de madame de Pompadour , deux ministĂšres rivaux, dont lâun est nĂ©cessairement le plus occupĂ©, puisquâil nâa dâautres attributions que des intrigues, et dâautres limites que son zĂšle. Il arrive mĂȘme quelquefois, comme alors, aux puissances Ă©trangĂšres, dâaccrĂ©diter, apparemment par Ă©conomie, les mĂȘmes plĂ©nipotentiaires auprĂšs des deux cabinets. Câest ainsi que dans une discussion mĂ©morable , quand le gouvernement croyait devoir garder le silence sur des nĂ©gociations pendantes, on a vu le ministĂšre occulte tout Ă©bruiter au moyen de dĂ©pĂȘches Ă lui adressĂ©es officiellement par les nĂ©gociateurs, qui voulaient aussi , de leur cĂŽtĂ©, donner du fil Ă retordre au ministĂšre ostensible. Le parti nâa du LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. reste que pour la forme des secrĂ©taires-dâEtat au dĂ©partement des affaires Ă©trangĂšres. La direction spĂ©ciale de ce dĂ©partement est placĂ©e plus haut. Gâest encore une tradition dâancien rĂ©gime. On sait lâamour de Louis XV pour la diplomatie. Charles X y avait aussi un goĂ»t particulier; ce prince possĂ©dait mĂȘme une connaissance approfondie des rapports des Etats ; il aimait Ă revoir, Ă corriger lui-mĂȘme toutes les notes, et portait dans ce travail une haute intelligence des intĂ©rĂȘts extĂ©rieurs de son royaume. La grande diffĂ©rence est quâil avait sur son Ă©chiquier des Ă©tats tous faits. Son illustre Sosie nâadmet sur le sien que des Etats Ă faire. Une cour libĂ©rale est aussi une cour. Le maĂźtre est exposĂ©, comme sous les lambris du Louvre , Ă se voir entourĂ© de serviteurs passionnĂ©s qui sâabusent avec lui, et de flatteurs impitoyables qui lâĂ©garent. Dans ces levers, royaux pour lâaffluence des assistants comme pour lâaffabilitĂ© du maĂźtre , lorsquâon a caressĂ© ceux-ci du regard, ceux-lĂ de la main , et tous du sourire , on croit avoir payĂ© la dette de son rang. Mais point ! U en est une autre quâil faut acquitter , celle de se laisser imprĂ©gner de folles louanges et de plans plus fous encore. Tant de fidĂšles nâaccourent pas en vain de tous les coins du pays et du monde, comme des musulmans qui se pressent sur les avenues du saint tombeau. Chacun est arrivĂ© avec son grief, chacun ! 3a6 LIVRE QUATRIĂME. avec son utopie. Tous ces architectes en lâair ont en poche un devis de quelques combinaisons insurrectionnelles, de quelques rĂ©volutions dĂ©mocratiques, quâil faut peser, mĂ»rir, mettre en cours dâexĂ©cution , sous peine de dĂ©chĂ©ance. On vous crie de toutes parts que vous fĂ»tes le prĂ©curseur delĂ rĂ©volution de 1830, que vous seul avez tout fait, que vous vous devez Ă vous-mĂȘmes de veiller sur votre ouvrage et dâavoir soin quâil soit menĂ© Ă bien. On vous somme de poussera bout lâexpĂ©rience de vos thĂ©ories, pour justifier cette louange de Charles X, disant Ă M. Royer- Collard quâil ne reconnaissait quâun homme qui fĂ»t aussi consĂ©quent que lui-mĂȘme, et que cet homme câĂ©tait vous. On vous montre lâĂ©tablissement des bons principes dans le monde entier , comme faisant aussi partie de votre mission et de votre gloire. On exige de vous dâautres guerres dâEspagne, destinĂ©es Ă relever des tribunes comme celle de 1823 Ă en renverser. On vous engage, on vous lie , ainsi que font les princes entre eux , par lâenvoi de leurs ordres au lieu de plaques et de cordons, se sont des uniformes de gardes nationales quâon Ă©change; et vous parez votre front chenu de la coiffure martiale du grenadier polonais , comme un autre roi, pour complaire Ă son voisin , porterait en sautoir le mouton illustre de la Toison-dâOr. Vous devenez ainsi par degrĂ©s un centre europĂ©en , que disons-nous ? Universel ! LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 'i'Z'] Toutes les rĂ©actions , toutes les tentatives subversives du monde entier, vous nomment dans leurs espĂ©rances. 11 y a des Ă©missaires de tous les peuples ; il vous faut des envoyĂ©s auprĂšs de toutes les insurrections. On croit dâune main , Ă©branler le Midi; de lâautre, soulever tout le Nord. En effet, le sang coule Ă flots, il coule en Pologne, en Italie, en Allemagne, en Savoye, en Espagne ; et, au milieu de ces douloureux spectacles , on songe avec bĂ©atitude Ă tout le bien quâon souhaite aux hommes, Ă tout celui quâon leur fera, si jamais la France, lâEurope et le temps voulaient se rendre Ă discrĂ©tion , et, comme des mĂ©taux qui ont besoin dâune refonte, passer docilement au creuset. Que ce soit la pierre philosophale de la rĂ©publique quâon croie avoir trouvĂ©e, ou bien le grand arcanum de la monarchie, toujours est-il quâun noble caractĂšre, de hautes vertus, une Ăąme, un esprit, une imagination de vingt-cinq ans, enfin toute une jeunesse septuagĂ©naire se perd sans profit dans cette alchimie dĂ©sastreuse , oĂč lâon dĂ©pense, sans y prendre garde, comme des ingrĂ©dients vulgaires, le repos de son pays et lâavenir de lâhumanitĂ©. Comment ces incendies de peuple Ă peuple peuvent-ils ne sembler Ă un cĆur pieux et bienveillant ni plus ni moins que des expĂ©riences in anima vili? Câest que les courtisans populaires sont bien autrement funestes, et, on est fĂąchĂ© de le dire, bien autrement passion- 328 LIVRE QUATRIĂME. nĂ©s, ignorants, serviles, que ceux qui foulent lâaire dorĂ©e des palais. LâĂ©tourdissement de leurs louanges suffit Ă Ă©touffer les plaintes de nations entiĂšres, gratuitement bouleversĂ©es par lâintervention universelle des apĂŽtres de la non-intervention. Un historiographe de cette cour populaire vient prĂ©cisĂ©ment de tracer ! un tableau animĂ© qui atteste, contre sa pensĂ©e, ce malheur inĂ©vitable des existences princiĂšres. Plus lâadmiration du narrateur est profonde, plus elle rĂ©vĂšle les dangers auxquels est en butte un mortel, traitĂ©, non pas comme les princes de leur vivant, mais comme les CĂ©sars aprĂšs leur mort, câest-Ă -dire en quasi- dieu. LâĂ©crivain M. Luchet parle ainsi des levers Câest un salon public, une intimitĂ© universelle, » oĂč les amis amĂšnent leurs amis, les fils leurs » pĂšres, les voyageurs leurs camarades. Autour » du vieillard, fier de Xenthousiasme quâil inspire, 4 Voir le Livre des Cent-et-un , au tome II, que rendent si remarquable de nouvelles esquisses de M. Bazin, des pages oĂč M. Janin sâest Ă©levĂ© Ă la plus haute Ă©loquence, et celles oĂč M. le comte Alexis de Saint-Priest a tracĂ©, du monde le plus brillant, le plus spirituel et le plus Ă©levĂ© , un tableau parlant. Le morceau que lâon va citer nâa pas fait naĂźtre nos rĂ©flexions, car elles Ă©taient Ă©crites et avaient Ă©tĂ© publiĂ©es dĂ©jĂ auparavant il est venu les justifier, dâune façon merveilleuse t comme ont fait les Ă©vĂ©nements pour tant dâautres assertions. Notre chapitre a une date certaine la Revue de Paris lâa publiĂ© dĂ©jĂ en octobre 4834. Note de la 4re Ă©dition Seize Mois. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 329 » voyez courir celte multitude qui rit, Ă©clate, se » fĂąche, se raccommode devant lui. Voyez toutes » les illustrations politiques, scientifiques , littĂ©- » raires, populaires, battre pĂȘle-mĂȘle ce parquet » bruyant, en bottes crottĂ©es, en bas de soie, en » uniformes, en redingote boutonnĂ©e, en habit » Ă revers qui sâenvolent. Au milieu de la cham- » bre est un groupe serrĂ© ceux qui le compo- » sent sâamincissent et sâallongent, les bras collĂ©s » au corps. Tout autour on se hausse sur la pointe » des pieds , et les mots c'est lui! circulent. » M. Luchet croit-il quâon sâamincisse davantage dans le palais des rois ? La plus grande diffĂ©rence est assurĂ©ment que, chez les rois, ce sont encore les pĂšres qui prĂ©sentent leurs fils. Nous parlions dâun corps diplomatique, de reprĂ©sentants de lâunivers. LĂ , continue M. Lu- » chet, tous les pays, toutes les classes, toutes » les espĂšces se trouvent, se mĂȘlent, sâembras- » sent; lĂ toute la France, toute lâEurope, toute » lâAmĂ©rique ont envoyĂ© leurs dĂ©putations. » Cette cour, oĂč se mĂȘlent toutes les espĂšces , Ă©tait-elle du moins plus morale quâune autre ? HĂ©las ! notre auteur la juge, comme a fait M. Armand Marrast au sujet de l'HĂŽtel-de-Ville. AprĂšs la nomenclature des figures historiques, des gloires nationales, des grands caractĂšres, de MM. Odilon-Barrot, Godefroy Cavaignac, Audry de Puyraveau. Jâaperçois, dit-il, tant de figures 33o LIVRE QUATRIĂME. » ternes, louches, dĂ©goĂ»tantes Ă voir , hideux re- » poussoirs sur ce noble tabieau ! elles sâagitent » autour du bon vieillard qui leur sourit, inof- » fensif et confiant ; elles le trahissent et se mo- » quent de lui ; elles lui volent, ses poignĂ©es de » main. Intrigants de tous les ordres, ils ont toute » honte bue; et les signaler aujourd'hui ne les » empĂȘcherait pas de revenir demain. » Ici le Dangeau de la rĂ©publique en devient le duc de Saint-Simon; mais Saint-Simon ne raconte pas que les flatteurs de Louis XIV se moquassent de lui. Maintenant, veut-on savoir quelles passions et quels hommes attisent le feu de ces rĂ©volutions qui ensanglantent ou menacent le monde, attristent les populations, dĂ©truisent le travail, troublent enfin le repos et suspendent les progrĂšs des nations? Voyez tourbillonner cette nuĂ©e de » jeunes gens Ă moustaches, rĂ©publicains dâesta- » minets, avocats sans procĂšs et mĂ©decins sans » malades , qui font de la rĂ©volution par dĂ©soeu- » vrement, ambitieux de se lire inscrits sur les » registres de la cour dâassises, ou bien Ă lâĂ©crou » de Sainte-PĂ©lagie. » â Et câest pour de telles ambitions peut-ĂȘtre que le sang a coulĂ© en Italie, en Pologne, Ă Lyon ! Celles des princes ont-elles jamais fait plus de ravages, et quâimporte que le sang des peuples coule pour une place en cour d'assises, ou bien au temple de mĂ©moire ? LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 331 A quels destins sera rĂ©servĂ© le monde , si jamais ces ambitieux prennent crĂ©dit, si leurs conseils sont Ă©coutĂ©s, si, Ă dĂ©faut de leurs conseils, leurs louanges seulement sont entendues ? Et les leurs ne le fussent-elles pas, il en est de plus redoutables, celles que dicte un zĂšle sincĂšre et pur comme celui de M. Luchet, alors quâil sâĂ©crie Son image, » le soir, vient me visiter! Je mâen empare, je » l'embrasse , je la caresse ! je lâappelle honneur, » patrie , libertĂ©, gloire! Je la vois incarnĂ©e, faite » homme, majestueuse, au front serein, calme et » belle, semblant me bĂ©nir... Attendrissante bĂ©- » nĂ©diction que je croyais ĂȘtre celle de Dieu, un » jour que je la reçus en effet, et que, se pen- » chant sur moi, il me dit dâune voix altĂ©rĂ©e » Au revoir , mon ami! » Puis lâĂ©crivain ajoute quâil nây a que deux noms dans lâhistoire lâautre est NapolĂ©on ! Faut-il admirer ou plaindre davantage la vertu qui est en butte Ă ces tempĂȘtes dâencens? NapolĂ©on et Jacques II se sont perdus Ă beaucoup moins. A la vĂ©ritĂ©, on nous criera que les courtisans de la rĂ©publique nâobĂ©issent du moins quâĂ des convictions, que lâambition leur est Ă©trangĂšre, quâils nâadulent que la disgrĂące et la vertu , que ce sont enfin des courtisans modĂšles , des courtisans dĂ©sintĂ©ressĂ©s. Il y a un malheur, câest que, dans les cartons des huit ministĂšres, se sont accumulĂ©es, depuis juillet 1830, pour lâobtention de prĂ©fec- 33a LIVRE QUATRIĂME. tures, dâambassades ou de bureaux de tabac soixante-dix mille apostilles de placets, signĂ©s... Lafayette ! CHAPITRE IV. naĂźtre du parti rĂ©volutionnaire. Le parti ne veut point de la royautĂ© de 1830, plus que de la royautĂ© lĂ©gitime. Il ne veut pas de la Charte populaire, plus que de la Charte octroyĂ©e. Ilne veut pas de la transaction qui rallia , en 1814, la grande famille française et rĂ©tablit lâĂ©galitĂ© entre les classes et entre les partis, en rendant Ă tous selon leur droit. Que veut-il ? Ce parti actif, puissant, subversif, quâon appelle tantĂŽt bonapartiste , tantĂŽt rĂ©publicain , parce quâil est composĂ© dâĂ©lĂ©ments trĂšs-divers, passe pour nâavoir point de tendance uniforme , point de dessein commun grave erreur! on peut facilement dĂ©couvrir une mĂȘme pensĂ©e Ă travers des emblĂšmes opposĂ©s. Cette pensĂ©e, il faut la signaler en distinguant le but des moyens pervers et destructeurs, mais en montrant que ce qui condamne le but, câest que les moyens en sont les conditions nĂ©cessaires. Il faut les subir ou sâabjurer. 334 LIVRE QUATRIĂME. Le but est-il dâavoir des rĂ©volutions pour des rĂ©volutions ? Personne ne le pense , ou bien câest la passion de ce ramas qui sâattache Ă la fortune des pai'tis. Sâagit-il pour les uns de rĂ©publique, pour les autres de bonapartisme, ce qui ne serait encore quâune question de forme ou de personnes? Pas davantage. Voyez si vous pouvez reconnaĂźtre lâĂ©cole impĂ©riale dans ces orgies de carrefour quâon croirait bien plutĂŽt inventĂ©es pour outrager le gĂ©nie qui nous rendit un trĂŽne et des autels, que pour rendre hommage Ă sa gloire ? Câest un bonapartisme subalterne et corrompu; ou plutĂŽt ce nâest quâune amorce Ă des souvenirs quâon voudrait exploiter, une levĂ©e lâombre dâun nom hĂ©roĂŻque pour enrĂŽler plus de soldats. Et quant aux rĂ©publicains, le moyen de prendre au sĂ©rieux, comme gens de thĂ©orie, les bandes employĂ©es, durant vingt mois, Ă montrer par nos villes une rĂ©publique flottante comme celle dâAngleterre ; car elle tient le pied dans le ruisseau ! Il nây a dans tout cela que des besoins de dĂ©sordre, qui, par le choix des cris de ralliement trahissent seulement une prĂ©dilection pour lâanarchie ou bien le despotisme. Et quâimporte la diffĂ©rence! Sous ces deux noms, câest mĂȘme flĂ©au lâun ne se distingue de lâautre quâen ce que le premier met plus de passion , lâautre plus dâordre dans le dĂ©sordre. Non, non, l'entreprise est plus sĂ©rieuse, parce LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 335 que les complices abondent, et quâil se rencontre des hommes dâaction, des hommes de talent, des hommes de bien, parmi les chefs. Il ne sâagit de rien moins que du dĂ©placement de la puissance publique. Chez les uns, philanthrophie, et ceux-lĂ sont les bĂ©ats delĂ faction; chez dâautres, prĂ©jugĂ©s; chez la plupart, passion, haine, cupiditĂ©, partout la tendance est de porter la puissance publique au sein de ce que les chefs du parti appellent les forces vices de la sociĂ©tĂ©. HĂ© bien ! lĂ est le vice fondamental du parti, ce qui le rend impie et funeste; car les forces vives sont des forces matĂ©rielles, des forces brutales, et câest par les forces morales que lâhumanitĂ© doit ĂȘtre rĂ©gie , ou bien la sociĂ©tĂ© ment Ă son auteur. Ce systĂšme , pourtant, on peut le respecter tant quâil ne sera quâune utopie, quâune vue abstraite et fausse des intĂ©rĂȘts et des destinĂ©es de lâhumanitĂ©. Mais si des entreprises inconstitutionnelles font cortĂšge Ă lâutopie, si une tourbe aveugle la traduit en clubs , en Ă©meutes , en attentats qui rĂ©voltent les nations civilisĂ©es ; si lâintention est de faire sortir un gouvernement du milieu de ces thĂ©ories dĂ©vorantes et de ces criminelles passions, si le nom delĂ libertĂ© colore et relĂšve ces tentatives, nous en prendrons de lâĂ©pouvante dans lâintĂ©rĂȘt de notre patrie compromise, dans lâintĂ©rĂȘt de la libertĂ© profanĂ©e. Or , le propre de se systĂšme est, par sa nature mĂȘme, de passer bientĂŽt de la thĂ©o- 336 LIVRE QUATRIĂME. rie Ă lâaction. Et lâaction , câest, de toute nĂ©cessitĂ©, le drame quâon a vu , il y a quarante ans. Câest pourquoi nous appelons franchement le parti de son nom; nous lâappelons rĂ©volutionnaire , lui et tous ceux qui se font ses desservants par niaiserie, ou ses complices par lĂąchetĂ©. Nous lâappelons rĂ©volutionnaire, parce que la multitude est son instrument, la rĂ©volte son moyen, le nivellement son but; parce quâanti-social dans ses doctrines , il ne peut sâempĂȘcher de lâĂȘtre dans ses actes. Les mauvais penchants de la rĂ©volution de 1789 sont ceux quâil est dans sa fatalitĂ© de raviver pour sâen faire des appuis ; et il ne pourrait y rĂ©ussir quâen prĂ©cipitant de nouveau la France dans les mĂȘmes misĂšres et dans les mĂȘmes attentats. Ce nâest pas que nous confondions, on le voit assez, et tous les hommes, et tous les rĂȘves, et toutes les opinions ; que nous mettions sur la mĂȘme ligne la gauche et lâextrĂȘme gauche, les dynastiques qui au fond voudraient conserver le trĂŽne quâils sapent, et les dĂ©molisseurs Ă bon escient qui veulent tout dĂ©truire, la sociĂ©tĂ©, le trĂŽne et les lois. On sait trĂšs-bien que la faction est comme les nuĂ©es grosses de tempĂȘtes. En Ă©clatant, elle crĂšverait. Mais vous tous, pilotes Ă contre-courant qui voguez ensemble Ă pleines voiles, les uns seulement vers les systĂšmes de 90, ou bien de 91, les autres vers ceux de 92 , ou bien encore du 21 LE PARTI RĂVOLUTIOJXN AIRE- 337 janvier et du 31 mai 93, quâimportent les diffĂ©rences entre vous, si vous vous prĂȘtez un mutuel appui, si vous marchez ensemble au combat, sauf Ă ne vous diviser quâaprĂšs la victoire, si vous montez Ă lâassaut du mĂȘme Ă©lan, prĂȘts Ă livrer toujours, comme vos devanciers , les dĂ©bris de la premiĂšre ligne pour marche-pieds Ă la seconde ? Dieu pourra distinguer dans son Ă©quitĂ© ou dans sa misĂ©ricorde. Mais lâestime des contemporains et celle de la postĂ©ritĂ© nâont quâĂ voir, si sur cette pente glissante dâune rĂ©volution populaire, on accepte lâunique point dâarrĂȘt oĂč il y ait des chances de salut, si on lâaccepte loyalement, avec des conditions de force et de stabilitĂ©. Quiconque se place en dehors de ce point dâarrĂȘt, ou cherche Ă le mettre au nĂ©ant, est, Ă bonnes ou mauvaises intentions, un rĂ©volutionnaire. Les plus aveugles sont ceux, qui veulent les moyens sans vouloir le but ; les plus coupables, ceux qui, ne voulant ni du but ni des moyens, ferment les yeux , et, tels que des bĂȘtes de somme dociles, mĂšnent leur patrie oĂč les pousse le fouet insolent de la faction. Nous savons quâune objection nous attend. Si nous ne consentons pas Ă distinguer les nuances diverses qui sâĂ©tendent de la gauche et de lâextrĂȘme gauche, jusquâau communisme, au Saint- Simonisme, on ne sait Ă quoi encore, les hommes Ă©minents, qui dĂ©corent tout cet amalgame de leur talent ou de leur renommĂ©e , entendent quâau 338 LIVRE QUATRIĂME. moins on les distingue des bandes quâils conduisent. Câest le propre des chefs de tout parti, de se scandaliser que, dans ses rangs, on voie autre chose quâeux-mĂȘmes. Câest leur prĂ©tention constante, quâon juge de la faction par eux , et non pas dâeux par la faction. En mĂȘme temps quâils repoussent avec hauteur la responsabilitĂ© de ses mĂ©faits de chaque jour, ils veulent ĂȘtre acceptĂ©s comme des garants contre ses entraĂźnements du lendemain. De ce quâils en sont la gloire, ils croient en ĂȘtre lâĂąme et la pensĂ©e. lisse prennent pour le parti tout entier illusion fatale contre laquelle crie lâhistoire de lâunivers ! Câest le dragon reniant sa queue. Mais le monstre ne fait quâun on ne peut le scinder pour leur complaire. LâexpĂ©rience des siĂšcles nous apprend en effet quâil ne faut pas regarder le front des camps politiques, mais percer les avant-gardes , arriver aux derniĂšres lignes , pour savoir tout ce quâils renferment, pour pressentir tout ce quâils prĂ©parent. LĂ bouillonnent les opinions qui constituent le fond du systĂšme et en sont le lien ; lĂ sâagitent des hommes obscurs, encore mĂ©prisĂ©s de tout ce qui marche avec eux, mais destinĂ©s Ă un grand avenir. Une fois quâon se met en marche, le premier rang tombe, puis le second, puis enfin le pouvoir arrive a ces dĂ©- clamateurs jeunes ou dĂ©daignĂ©s, quâon appelait naguĂšre insignifiants, Ă©tourdis, mĂ©diocres, compromettants , et qui ont un moyen de se grandir, câest de mettre le pied sur le billot. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 339 Mais, que disons-nous ? Est-ce seulement dans la victoire que les derniers rangs rĂ©gneront ? Ils rĂ©gnent dans le combat mĂȘme. Les chefs sont comme ces princes qui nâont derriĂšre eux cpie des Condottieri-, ils sont obligĂ©s , pour les conserver sous le drapeau, de leur prodiguer des caresses , de les mener oĂč ils veulent aller. Voyez si les dĂ©clarations loyales en faveur de la royautĂ©, dont la tribune retentit parfois, trouvent des Ă©chos? Voyez, au contraire, si le parti, voulant avoir la joie dâĂ©crire encore une fois, Ă cĂŽtĂ© lâun de lâautre, les mots de Bourbons et dâĂ©chafaud, de voter Ă©ventuellement le rĂ©gicide 1, les chefs et le corps tout entier ne se sont pas levĂ©s dâune façon mĂ©canique ! Les journaux ont nommĂ© mĂȘme ce vieillard qui a honorĂ© sa vie par sa constance Ă rĂ©clamer dans tous les temps lâabolition de la peine de mort. M. de Lafayette, votant lâexpectative du meurtre de Charles X, commandait-il? Non, il obĂ©issait. Cependant, câest une autre prĂ©tention commune de croire quâon sera toujours Ă temps de calmer la tempĂȘte. On croit ĂȘtre plus fort que ses devanciers, plus fort quâon ne lâa Ă©tĂ© soi-mĂȘme en dâautres temps. Leçon vivante, on proteste contre les leçons du passĂ©. Que le prĂ©sent en serve du moins ! 1 Loi de bannissement. Disposition pour le cas de retour sur le sol français. 3/0 LIVRE QUATRIĂME. Ouâon regarde autour de soi ! M. Odilon-Barrot a la gloire de chercher Ă secouer le joug. On voit clairement que les destins de Canning lui plairaient mieux que ceux de PĂ©tion. Quâarrive-t-il ? On patiente avec lui, car on pĂšse cette voix qui a du talent pour les cent cinquante muets du partie mais on le suit, comme les rĂ©publicains suivaient Dumouriez, parce quâil fallait vaincre. INây eĂ»t-il que ses procĂ©dĂ©s honorables avec Charles X captif, on lui sentirait dâautres inclinations, dâautres destinĂ©es aussi nâa-t-il pas mĂȘme lâautoritĂ© dâobtenir Ă ses opinions sur lâorganisation de la pairie le facile honneur dâĂȘtre formulĂ©es en proposition dâamendement. On garde cette gloire pour des inconnus. Quâon examine quelque chose de plus marquĂ© encore dans la semaine de dĂ©cembre 1830, lors du procĂšs des ministres, quel nom nâavons-nous pas entendu outrager, quel buste briser Ă coups de pierre? Ceux de princes, de rois peut-ĂȘtre ? Bien plus que cela! Celui de M. de Lafayette ! M. de Lafayette doit reconnaĂźtre que le peuple soulevĂ© est capable de tout. Que ces hommes voient seulement de quelle maniĂšre eux-mĂȘmes traitent chaque jour ceux qui ont fait la rĂ©volution de 1830 avec eux ; ceux quâils reconnaissaient pour des guides ou des Ă©mules, mais qui prĂ©tendent imposer aujourdâhui le frein de leurs propres lois; les Casimir PĂ©rier, les SĂ©- LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 34 T bastiani, lesGuizot, les Tliiers mĂȘmes ? Journaux, Ă©crits, discours , les accusent Ă lâenvi du crime de trahison. Ce sont des ennemis de la nation qui conspirent avec lâĂ©tranger, qui sont les agents dâun autre Coblentz, les affidĂ©s dâautres Pitt et Cobourg! ! Que faisait-on de plus il y a quarante ans ? Ce quâon faisait de plus, nous le savons bien. Mais sâil nây a encore de pareil que le langage , la faute nâen est pas au parti rĂ©volutionnaire. Tout ce quâil tente atteste tout ce quâil ferait, sâil triomphait dans les circonstances oĂč nous sommes ayant les mĂȘmes maximes, les mĂȘmes procĂ©dĂ©s, souvent les mĂȘmes chefs que dans sa jeunesse, il fournirait la mĂȘme carriĂšre âą, car il nâa rien oubliĂ©, ni rien appris. Cependant, on se rĂ©crie sur ces rapprochements. M. de Tracy nous interdit les lumiĂšres de lâhistoire ; il ne veut pas que Ton compare des Ă©poques oĂč tout est divers, dit-il, et il nous cite en tĂ©moignage lâamour que la France porte Ă son roi. Quel temps choisi, au milieu de tous les procĂšs effroyables qui nous agitent, pour lancer un tel argument ! Quel roi plus que Louis XVI a Ă©tĂ© environnĂ© de tĂ©moignages dâamour ? Les trois premiĂšres annĂ©es de la rĂ©volution nâont-elles pas Ă©tĂ© un long concert de bĂ©nĂ©dictions et de louanges ? Nây avait- il pas rivalitĂ© entre les pouvoirs, les classes, les Ă©crivains pour adoucir les plaies de son cĆur par 342 LIVRE QUATRIĂME. le baume consolant de lâamour public ? Quelques jours avant le 10 aoĂ»t, lâAssemblĂ©e lĂ©gislative ne consignait-elle pas dans ses procĂšs-verbaux des expressions de confiance et de dĂ©voĂ»ment sans bornes? Nous ne pouvons accepter ce gage de sĂ©curitĂ©, quand nous avons vu le parti rĂ©volutionnaire tout tenter pour substituer lâinsurrection aux pou voirs lĂ©gaux, et la force au bon droit ; quand nous avons entendu, comme il y a quarante ans, un dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©reux,habile, loyal comme Barnave, cĂ©der Ă cet entraĂźnement funeste des partis, au point de sâĂ©tonner, Ă lâexemple de Barnave, lorsque des assassinats populaires venaient dâensanglanter la Belgique, quâon se prĂ©occupĂąt de lĂ©gers excĂšs ! tout le sang de Barnave a coulĂ© pour effacer une parole fatale. Nous savons du reste que le loyal orateur serait des premiers Ă donner le mĂȘme dĂ©saveu ; mais nous avons le droit dâen repousser les occasions dans lâintĂ©rĂȘt de la patrie, et câest ce que nous faisons en dĂ©nonçant Ă la France, et au besoin Ă lui-mĂȘme , le parti aveugle ou coupable qui joue avec la force, comme le chasseur avec lâarme toujours prĂȘte Ă Ă©clater dans ses mains. Ne pas accepter le point dâarrĂȘt des lois , câest se condamnera ne faire halte un jour, quâacculĂ©s de toutes parts Ă des rĂ©volutions, et peut- ĂȘtre Ă des Ă©chafauds. Le parti proteste en vain contre cette destinĂ©e , en trouvant lâappui Ă©trange dâutopistes dâune autre LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 343 nature, qui ne doutent pas que cette fois lâanarchie ne se montrĂąt bienveillante et pacifique; que, de plus, elle ne nous ramenĂąt Ă la lĂ©gitimitĂ©, et ne le fit par des sentiers fleuris. Câest une des plus dĂ©plorables imaginations de ce temps d'entraĂźnements irrĂ©flĂ©chis oĂč nous sommes ! Non pas que nous croyons, dans le cas de rĂ©volutions nouvelles, Ă une rĂ©pĂ©tition exacte des mĂȘmes scĂšnes, Ă un comitĂ© de salut public tenant dâun seul bras la France entiĂšre assujettie , et de ce bras de fer promenant la mort sur cette malheureuse France. Sans doute, on ne reverrait pas cette centralisation abominable de la terreur, cette rĂ©gularisation et cette discipline de la furie populaire. M ais ce quâon verrait bien certainement aujourdâhui, avec lâexaltation des haines qui rĂ©gnent contre toute la partie monarchique, religieuse et riche de la nation, ce serait une terreur Ă domicile, dans chaquebour- gade et prĂšs chaque chĂąteau, probablement trĂšs- courte, mais peut-ĂȘtre aussi atroce, aussi destructive que la premiĂšre fois, parce quâelle aurait plus de passions, plus de caprices, plus dâamorces, parce quâelle aurait une vue plus prochaine de la proie et du butin. Ce qui en sortirait, avec la rĂ©sistance des mĆurs publiques ? Peut-ĂȘtre rien de ce que rĂȘvent les partis. Dieu seul le sait! Mais nous disons que, maĂźtre de la France, sâil doit lâĂȘtre , le parti rĂ©volutionnaire voudra tuer et spolier , comme il a tuĂ© et spoliĂ© ; quâil vou- 344 LIVRE QUATRIĂME, dra dĂ©cimer les classes Ă©levĂ©es, comme il les a dĂ©cimĂ©es dĂ©jĂ , en tentant de les dĂ©truire ; que ceux de ses chefs qui rĂ©sisteraient Ă cette horrible pente, tomberaient les premiers sous les roues du char follement lancĂ© par eux. Et ce nâest pas lâhistoire qui dĂ©couvre ces chances certaines; c'est la nĂ©cessitĂ©. La terreur est pour le parti une loi de sa nature, une condition de son existence, son principe, sa vertu enfin, son odieuse vertu. Sâil prĂ©tendait rĂ©gner sans la terreur, ou sâil y Ă©tait contraint, son empire ne durerait pas un jour. Nâexistant que par les masses, nâayant de puissance que par leur concours, il nâa de gĂ©nie, sous peine dâĂȘtre abandonnĂ© par elles, que leur gĂ©nie. Il est dĂšs lors condamnĂ©, pour vivre et rĂ©gner, Ă se modeler sur la multitude, Ă vivre et rĂ©gner Ă son image. Et la multitude, M. Odilon- Barrot lâa dit dans un de ses rares moments dâabandon, la multitude est empreinte de barbarie par toute la terre ! Câest aussi, par malheur, M. Barrot qui a dit, en parlant des lĂ©gitimistes, quâore sait dans quelles mains est la propriĂ©tĂ©. Eh bien! nous dĂ©clarons, et quelque jour lui-mĂȘme le reconnaĂźtra 1, quâun systĂšme qui avoue la propriĂ©tĂ© pour ennemie, et qui veut le principe barbare pour alliĂ©, que ce systĂšme coupable ne peut manquer, sâil 1 Ecrit en 1831. V. la Ire Ă©dition, Seize Mois. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 345 triomphe, de se prĂ©cipiter dans dâeffroyables voies. Une rĂ©volution ainsi conduite aurait cessĂ© dâĂȘtre politique; elle serait sociale, ou avorterait. Elle deviendrait sociale de deux maniĂšres soit par la funeste tendance des rĂ©volutions populaires Ă surmonter toujours la rĂ©sistance Ă lâaide dâun effort plus grand et de plus terribles vindictes ; soit par la fermentation croissante des esprits, par la dĂ©sorganisation de la sociĂ©tĂ©, par lâhabitude de rĂȘver de brutales utopies, de recourir Ă des voies brutales pour les mettre en honneur... Depuis que ces lignes furent jetĂ©es sur le papier, la Providence a semblĂ© vouloir, par la catastrophe de Lyon, justifier nos doctrines 1. Malheur Ă qui ne comprend pas la leçon que donne Ă tous cette citĂ© infortunĂ©e! Câest une loi Ă©ternelle de ce monde, quâon ne dĂ©place point le siĂšge de la puissance publique sans arriver forcĂ©ment Ă dĂ©placer aussi la propriĂ©tĂ©. Pour battre en brĂšche lâĂ©difice qui est debout, la citadelle qui se dĂ©fend, la classe qui rĂšgne, force est aux novateurs dâappeler le peuple Ă leur aide. Cet ouvrier terrible ne peut avoir quâun salaire, câest la propriĂ©tĂ©. Aussi, on la lui montre dans le lointain comme le prix qui lâattend; on la lui prĂ©sente comme lâobstacle qui le sĂ©pare du bien-ĂȘtre et de la libertĂ©, cette libertĂ© indĂ©finie dont on caresse 1 Insurrection de Lyon de 4 LIVRE QUATRIĂME. parte. Vint lâempire. Nous avons repoussĂ© de la restauration, qui nâest plus, le mĂȘme outrage. Nous le repoussons du gouvernement de 1830, de- vantlequel la France ne plierait dĂ©jĂ plus sâil nâavait montrĂ© Ă lâEurope un front digne dâelle. La vĂ©ritĂ© est qu'il a remportĂ© des victoires dans toutes les cours; et sâil a maintenu, en les amendant chaque jour, ces traitĂ©s de 1815, tristes fruits du systĂšme belligĂ©rant quâon invoque, câest que lâhonneur nâexigeait pas quâaprĂšs dix-septans, aprĂšs des victoires, aprĂšs une rĂ©volution, la France courĂ»t Ă ses armes pour donner Ă lâEurope un autre droit public , et se donner Ă elle-mĂȘme dâautres frontiĂšres. La honte serait aujourdâhui Ă trahir la foi jurĂ©e, Ă bouleverser les nations par ambition ou par gloriole, Ă prĂ©cipiter de gaĂźtĂ© de coeur la patrie dans les calamitĂ©s de la dĂ©faite, ou mĂȘme dans celles de la victoire, Ă mĂ©riter que lâopinion du genre humain flĂ©trĂźt les triomphes du nom de brigandages, ou les revers du nom de chĂątiments. De ces deux chances, malheur Ă qui est prĂšs dâaccepter la premiĂšre! malheur Ă qui appelle la seconde ! Si vĂ©ritablement on veut de la gloire pour la rĂ©volution de 1830, quâon lui donne la plus belle, celle de plaider la cause de la libertĂ© par ses exemples auprĂšs des peuples et auprĂšs des rois. Quâon ne la fasse intervenir dans les affaires europĂ©ennes que pour ce qui est Ă la fois possible et LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. 4°5 juste. Alors le respect dĂ» Ă sa puissance se fortifiera du respect conciliĂ© Ă sa sagesse. Si on veut pour la rĂ©volution des conquĂȘtes, il en est de sĂ©rieuses, de vastes, dâimportantes Ă faire. On peut sans effusion de sang lui donner des sujets de plus, sans perturbation ruineuse rendre des Français Ă la France. Quâon rappelle au giron de la grande famille, en les ralliant au nouveau pouvoir et aux institutions nouvelles, toutes les classes aliĂ©nĂ©es par les fautes de la rĂ©volution, et sĂ©parĂ©es de la patrie, dans son sein mĂȘme, par de croissants abĂźmes ! Si on veut bien tenir compte du nombre, et plus encore de lâinfluence, des lumiĂšres, des richesses, on verra quâil y a lĂ lâĂ©quivalent dâune belle province Ă recouvrer; on ose promettre Ă ceux de nos Ă©loquents gĂ©nĂ©raux qui sauront faire ce prĂ©sent Ă la patrie, quâelle leur en saura grĂ© comme de la plus utile et de la plus glorieuse de leurs victoires. Si toute la prĂ©occupation se fixe sur la grandeur extĂ©rieure du pays, on ne craint pas dâavancer que le cĂŽtĂ© gauche, avec tous ses grands hommes de guerre, ne fera jamais autant pour la France quâil fait depuis longtemps contre la France avec ses grands orateurs. Ce que deux ou trois dâentre eux lui ont coĂ»tĂ© Ă©quivaut assurĂ©ment Ă plus dâune bataille perdue. Nous en appelons Ă nos adversaires eux-mĂȘmes une causerie vraie ou fausse du marĂ©chal DiĂ©bitch leur parut un motif suffisant 4otĂŽ livre quatriĂšme. de dĂ©claration de guerre contre la Russie ! Quel effet pensent-ils que produisent leurs conversations de tribune, bien authentiques, bien retentissantes, bien ennemies, sur les cabinets attentifs et sur les princes qui les Ă©coutent ? Croient-ils quâil y ait ensuite plus de confiance dans les rapports, plus dâindulgence pour les rĂ©volutions nos protĂ©gĂ©es, plus de chances de diviser les hauts alliĂ©s, plus dâouverture Ă souffrir notre agrandissement, plus dâĂ©lĂ©ments dâautoritĂ© pour le roi des Français entre toutes les tĂȘtes couronnĂ©es ? On ne le pense pas; et rien de plus simple car ce nâest point ce quâon a voulu. Pour ne parler que de la France, quels rĂ©sultats ont produit parmi nous ces hostilitĂ©s effrĂ©nĂ©es de la tribune? Elles nous ont placĂ©s dans la situation la plus mauvaise oĂč nation puisse ĂȘtre. On ne traite bien, soit de la paix, soit de la guerre, que lorsquâon ne craint pas la guerre. HĂ© bien, le gouvernement et la France ont eu peur de la guerre, en ont eu peur forcĂ©ment; car tous deux se sont vus en prĂ©sence dâun pĂ©ril plus imminent que lâĂ©tranger ; tous deux ont senti dans leur propre sein un ennemi quâil fallait avant tout combattre; tous deux ont vu que la guerre ne pouvait ĂȘtre dĂ©sirĂ©e avec tant de passion et de tĂ©mĂ©ritĂ© sans un intĂ©rĂȘt puissant; tous deux ont reconnu que ce nâĂ©tait point le Rhin quâon voulait ressaisir, que câĂ©tait la France mĂȘme qui devait ĂȘtre la premiĂšre conquise. LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. 407 Il y a eu ainsi une diversion fatale. Et le miracle est tout ce qui a Ă©tĂ© fait de bien dans la situation la plus difficile qui fĂ»t jamais. Mais tout le mal qui a Ă©tĂ© fait, et tout le bien qui ne lâa pas Ă©tĂ©, sont la faute, sont le crime de lâopinion rĂ©volutionnaire. Une tĂąche resterait Ă remplir, celle de rechercher le mobile de ce goĂ»t pour une loterie terrible oĂč nous pouvions gagner la libertĂ© de ModĂšne ou de Bologne, et perdre la libertĂ©, lâhonneur, lâindĂ©pendance de la France. M. de Lafayette nous lâa Ă©vitĂ©e. 11 a rĂ©pĂ©tĂ© deux fois Nous voulons lâalliance des peuples, moins lâaristocratie bien entendu ! » Un grand orateur a commentĂ© cette grave parole en dĂ©clarant que tout Etat dont le principe est aristocratique nous Ă©tait nĂ©cessairement ennemi. On le voit il ne sâagissait de rien autre chcse que dâun 29 juillet europĂ©en. CâĂ©tait plus qie les rois quâon voulait dĂ©truire; câĂ©tait, non pas la Charte de 1830, mais le programme de lâHĂŽtd- de-Ville quâon prĂ©tendait Ă©tendre ou plutĂŽt imjro- ser au genre humain. Moins lâaristocratie! Mais ne savez-vous pis quelle est la constitution sociale de lâEurope ei- tiĂšre, quelles sont les mĆurs et les traditions le tousses peuples, quelle est la classe qui appelĂ© la libertĂ© en Espagne et en Italie; quels rĂȘves le moyen-Ăąge caresse la jeunesse allemande ; quds prĂ©jugĂ©s hiĂ©rarchiques nourrit la multitude sir 4o8 LIVRE QUATRIĂME. presque toute la face du continent! Moins lâaristocratie, grand Dieu ! Mais cette Pologne pour qui vous avez, dites-vous, tant dâentrailles, oubliez- vous qui marchait Ă sa tĂȘte naguĂšre, qui a su si bien y combattre et y mourir pour la patrie? Ne savez-vous pas que, pour exproprier cette belliqueuse noblesse, il faudrait la dĂ©truire, ou plutĂŽt dĂ©truire la Pologne mĂȘme? Auriez-vous voulu lancer Ă cette malheureuse Pologne , comme gage de votre sympathie, un flĂ©au exterminateur de plus ? Et vous comptez sur lâalliance des peuples ! Voyez ce qui se passe dans le monde. LâEspagne, qui faisait une rĂ©volution en 1820, qui la faisait seule, qui la faisait quand il nây avait pas de ce cĂŽtĂ© des PyrĂ©nĂ©es une rĂ©volution qui lui tendĂźt la main , lâEspagne vous voit Ă lâĆuvre, et elle prĂ©fĂšre le sceptre de Ferdinand VII au vĂŽtre. LâAllemagne rĂ©trograde dans la carriĂšre des institutions libres. LâAngleterre se dĂ©sintĂ©resse ou sâĂ©pouvante de la rĂ©forme. Tous les peuples savent ce que vous ne savez pas vous-mĂȘmes, câest que vous les conviez Ă lâorgie sanglante de la terreur. Câest quâau fond de votre systĂšme, il y a, bon grĂ© mal grĂ©, une jacquerie pour tout lâunivers. CHAPITRE IX. TYRANNIE DĂŒ PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Le caractĂšre du parti rĂ©volutionnaire est la tyrannie, tyrannie dans le fond, tyrannie dans la forme. Ce parti a une thĂ©orie bonne ou mauvaise, nâimporte ! il entend lâappliquer Ă lâinstant mĂȘme, sans souci des intĂ©rĂȘts, des prĂ©jugĂ©s, des mĆurs contraires, sans transaction avec les vieilles mĆurs, avec les opinions opposĂ©es, avec les intĂ©rĂȘts dissidents; câest la tyrannie. Les rĂ©sistances nĂ©es ou Ă naĂźtre, comment en- tend-il quâon les surmonte? par la conciliation des esprits, par la mansuĂ©tude, par le temps ? il sâen indigne. Pour exercer le pouvoir comme pour le conquĂ©rir, il ne comprend que la force. AprĂšs avoir demandĂ© quâon lui donnĂąt dans la VendĂ©e des exĂ©cutions Ă©clatantes, il rĂȘve les lois dâexception ; toujours la tyrannie. La tyrannie croit se lĂ©gitimer, Ă la vĂ©ritĂ©, en sâautorisant du droit, de lâintĂ©rĂȘt et du nom du peuple. Mais ce peuple, quel est-il? 4lO LIVRE QUATRIĂME. On nây comprend pas les trente mille Ă©lecteurs qui se sont abstenus des colleges Ă©lectoraux pour ne pas prĂȘter serment, ni leurs familles. On nây comprend pas les quarante mille membres de la milice des autels, ni leurs familles. On nây comprend pas la foule des gĂ©nĂ©raux, des fonctionnaires de la restauration frappĂ©s de disgrĂąces volontaires ou forcĂ©es, ni leurs familles. On nây comprend pas les paysans des dix dĂ©partements de lâOuest, si nombreux apparemment quâon ne croit pas pouvoir les vaincre avec les seules armes de la loi. On nây comprend pas les cultivateurs, les marchands, les propriĂ©taires de tout ordre des provinces de lâEst et du Midi, qui pensent comme ceux de lâOuest. Tous ceux-lĂ sont ennemis de la rĂ©volution de juillet. Voyons parmi ceux qui ont fait ou acceptĂ© loyalement la rĂ©volution. Le parti ne compte pas les cent mille Ă©lecteurs qui ont Ă©lu la majoritĂ© de la Chambre actuelle, ni leurs familles. Il ne compte pas la masse des cent mille fonctionnaires de divers degrĂ©s menacĂ©s de destitution, comme coupables de dĂ©tenir des places que des intrigants subalternes envient, ni leurs familles. U ne compte pas les quatre cent mille ci- LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 4n toyens enrĂŽlĂ©s sous les drapeaux et engagĂ©s Ă la cause de lâordre par la religion du serment militaire. Il ne compte pas la masse des paysans de France attachĂ©s au culte de leurs pĂšres et inquiets quâon lâoutrage, sans acception de foi politique, gens qui suivent les processions, portent un suaire et plient le genou devant la Vierge et son Christ. Il ne compte pas les manufacturiers, les nĂ©gociants dont les affaires sont en souffrance, qui imputent leurs maux Ă la soif de la guerre et Ă lâaudace de lâĂ©meute, ni la foule de leurs correspondants , associĂ©s, contre-maĂźtres , ouvriers et leurs familles. Il ne compte pas lâimmense majoritĂ© de la garde nationale qui salue de malĂ©dictions les gardes du- corps du parti, les fiers-Ă -bras de lâĂ©meute, partout oĂč elle les rencontre ; et les gardes nationales, avec femmes et enfants, font, dâun lot, plus de quinze millions dâĂąmes. On voit ce quâest le peuple souverain. Le dĂ©nombrement fait, que reste-t-il ? Les gens du suffrage universel auraient-ils le suffrage universel pour eux? Les apĂŽtres du nombre auraient-ils avec eux la majoritĂ© ? Sans la terreur, non assurĂ©ment. Quelle est donc leur armĂ©e? DâoĂč leur vient lâaudace de recourir sans cesse Ă la force, en la lĂ©gitimant du nom et de lâautoritĂ© du peuple ? 4l2 livre quatriĂšme. Dâun fait et dâun Ă©quivoque. Le fait, câest quâils ont gĂ©nĂ©ralement pour eux la multitude des villes, milice facile Ă assembler, naturellement compacte, encore barbare selon M. Odilon-Barrot. Ce sont les strĂ©litz du parti. Quand cette orageuse milice se montre, elle impose; quand elle veut, sa volontĂ© est loi; car elle est rĂ©volution, et la France courbe la tĂȘte. LâĂ©quivoque est que ce peuple soit le peuple. Il nâest du peuple français que la partie la plus mobile, la plus passionnĂ©e, la plus terrible, la plus grossiĂšre avant les miracles de ces derniers mois, on aurait ajoutĂ© la plus corrompue. Câest sur cet Ă©quivoque que se fonde lâautoritĂ© du parti; son droit est un jeu de mots. Il parle au nom du peuple. On nâa quâĂ lui demander lequel ? Si lâon compte encore pour quelque chose, nous ne disons pas les illustrations, les rangs, les services, les talents, mais seulement les richesses et les lumiĂšres, la portion la plus considĂ©rable et la plus nombreuse du peuple est tout entiĂšre en dehors du parti et contraire Ă ses maximes. Plus vous ĂȘtes enfoncĂ© avant dans la faction , plus vous laissez derriĂšre vous dâintĂ©rĂȘts et de sentiments froissĂ©s, et dĂšs lors plus sâagrandit la France dissidente plus est manifeste la tyrannie. Ainsi, ce quâon encense et ce quâon prĂ©tend couronner, câest le peuple, moins la tĂȘte pour LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. / I 3 tous ; pour beaucoup, moins la tĂȘte, le cĆur, les bras*, pour quelques-uns, moins le torse tout entier. Lâutopie que NĂ©ron convoitait, les plus modĂ©rĂ©s la rĂ©alisent. Une prmiĂšre fois ce systĂšme a Ă©tĂ© appliquĂ© Ă la France. On appela peuple ce qui nâĂ©tait pas le peuple, libertĂ© ce qui nâĂ©tait pas la libertĂ©, et on tint les Ă©chafauds en permanence pour la plus grande gloire de ce faux peuple et de cette libertĂ© mensongĂšre. Ceci, nos adversaires mĂȘmes ne le nieront point. Ils sont bien obligĂ©s de convenir quâil y avait alors mensonge et tyrannie, une tyrannie abominable, puisquâelle prĂ©tendait cimenter un mensonge par le sang. Us y sont obligĂ©s , car ils accordent tous en ce moment que la France ne veut pas la rĂ©publique et ne la voulut jamais. Us le reconnaissent si bien que, maĂźtres de la patrie Ă ce quâils prĂ©tendent, ils lui ont donnĂ© un roi. Et cependant la rĂ©publique ou la mort Ă©tait le programme de la rĂ©volution du 10 aoĂ»t! la rĂ©alitĂ© Ă©tait la rĂ©publique et la mort. AprĂšs quarante ans, le mĂȘme systĂšme se renouvelle, avec lâunique diffĂ©rence que les chefs veulent, disent-ils, asseoir sur la pique populaire une couronne. La preuve que cette fois, comme alors, ils se sentent dĂ©laissĂ©s du peuple vĂ©ritable, quâils se jugent en opposition avec les intĂ©rĂȘts de ce qui a des intĂ©rĂȘts, avec les pensĂ©es de ce qui a des pensĂ©es, câest que, comme leurs devanciers, ils ne 4 r 4 LIVRE QUATRIĂME. se fient pas au temps, Ă la discussion paisible, Ă la raison publique, pour le succĂšs de leurs doctrines. Comme alors, ils veulent lâemploi de la force; la force sous toutes ses formes, Ă©meute, dictature, lois dâexception. Le talent sâĂ©loigne dâeux comme les richesses; les nouvelles gloires comme les anciennes. La Bourse les condamne comme lâĂ©lection. Ce sont des indices assurĂ©s, des votes positifs. INâimporte! il leur faut la victoire de leur mensonge. On le rĂ©pĂšte, câest la tyrannie. CHAPITRE X. PREUVE DE TOUT CE QUI PRĂCĂDE. â PAMPHLET CABET. Nous avons de tristes bonnes fortunes. Depuis que nous Ă©crivons le tableau des mauvaises prĂ©tentions fit des mauvaises doctrines du parti rĂ©volutionnaire, voilĂ quâun des nouveaux lĂ©gislateurs semble sâattacher Ă justifier une aune, par un curieux Ă©crit, toutes nos accusations. Il nây a quâune chose que nous nâeussions pas prĂ©vue câest que le parti ressusciterait jusquâaux formes de langage des beaux jours de la rĂ©volution. Lâhonorable M. Cabet y prĂ©lude ; Ă la maniĂšre dont il dit Casimir PĂ©rier, Wellington, Martignac, on voit bien que, si câĂ©taient des patriotes, il les tutoierait. Mais nous avons dit que le parti rĂ©volutionnaire, sâil assujettissait jamais la France, parcourrait la mĂȘme carriĂšre quâil y a quarante ans ; et voici quâun homme grave, sâil en fut, un magistrat, un ex-procureur-gĂ©nĂ©ral, celui qui gouvernait le mi- 4l6 LIVRE QUATRIĂME. nistĂšre de la justice sous M. Dupont de lâEure, celui qui a enfantĂ© la magistrature de juillet, dĂ©clare coupables de complot ourdi avec lâĂ©tranger pour amener une invasion, un dĂ©membrement, ou une restauration 1° Les aristocrates ; car le parti, qui assure que nous nâavons plus dâaristocratie depuis 1789, sait trĂšs-bien dĂ©couvrir des aristocrates pour les proscrire comme en 1793 ; 2° Les doctrinaires, autrement dit, le centre gauche ; 3° La camarilla, dĂ©signation qui comprend le Palais-Royal, maintenant les Tuileries ; 4° Enfin, les ministres, les ambassadeurs, les fonctionnaires publics, et notamment Talleyrand, sic PĂ©rier, SĂ©bastiani, tous les hommes dâEtat de la rĂ©volution, MM. Dupont de lâEure et Lafayette exceptĂ©s. A cĂŽtĂ© des traĂźtres, il y a les suspects ce sont les industriels, les marchands et la garde nationale ! Encore lâhonorable membre Ă©crit-il Le 26 juillet 1830, le peuple sâĂ©meut. Si la » garde natonale avait existĂ©, lâĂ©meute serait » peut-ĂȘtre Ă©touffĂ©e au profit de lâordre et du » despotisme. » DâoĂč il suit que le peuple et la garde nationale sont choses parfaitement distinctes. La garde nationale est, comme les Suisses, un corps en dehors du peuple. Il sâensuit aussi que la garde nationale est, LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 4 r 7 comme les Suisses, ennemie de la rĂ©volution de juillet et amie du despotisme. De quel parti est lâiionorable M. Cabet? Nous le prenons pour patriote, et nous cherchons comment il entend quâon doive procĂ©der envers les traĂźtres. Mais M. Cabet pense sur la peine de mort comme M. de Salverte. Tous deux sont dâavis que lâarrĂȘt secourable de la Cour des pairs dans le procĂšs des ministres aurait dĂ» ĂȘtre inscrit sur Cairain. Sâils sâindignent du salut de quatre vaincus qui avaient cessĂ© dâĂȘtre dangereux, et par lĂ dâĂȘtre criminels, quâespĂ©rer pour tous ces grands coupables quâon dĂ©clare en Ă©tat de conspiration permanente avec les successeurs actuels de Pitt et Cobourg ? Quand lâhonorable M. Cabet sâĂ©crie en finissant Que chacun pense Ă sa famille, » Ă sa femme, Ă ses enfants , Ă sa propre tĂȘte! » lâavis paraĂźt bon. M. Cabet justifie toutes les Ă©meutes lâune aprĂšs lâautre. Toutes ont Ă©tĂ© les effets de lâirritation populaire, toutes ont Ă©tĂ© les marques de la juste colĂšre du peuple. Celle de dĂ©cembre notam- » ment, lors du procĂšs des ministres, atteste un » entraĂźnement irrĂ©sistible. Le bon sens du peu- » pie lui a fait voir dans cette prĂ©tention hypo- » crite dâhumanitĂ© une attaque contre la rĂ©volu- » tiou de juillet et un gage donnĂ© Ă la lĂ©gitimitĂ©. » Pouvait-il donc rester impassible ? » Ceci range M. de Lafayette parmi les doctri- 27 4 I 8 LIVRE QUATRIĂME. naires et les traĂźtres, heureusement pour la gloire de M. de Lafayette. Mais avions-nous lort de croire et de dire que les Ă©meutes faisaient partie intĂ©grante du camp rĂ©volutionnaire ? Avions-nous tort davantage dĂ©penser que, si jamais un coup de main de bandits et dâĂ©- meutiers dans Paris livrait la France Ă la faction, cette politique trouverait et des ministres et des apologistes? Lâhonorable dĂ©putĂ© sâĂ©crie dĂ©jĂ Si » la colĂšre du peuple avait tout brisĂ©, croit-on que » câest le peuple que lâhistoire eĂ»t condamnĂ© ? >5 Tout brisĂ©! ce mot se comprend. Le pĂ©ril, en effet, sera toujours, constituĂ©e comme lâest la France, quâun beau matin , Ă son rĂ©veil, elle trouve tout brisĂ© ! Nous avons dit que le systĂšme rĂ©volutionnaire consiste Ă se jeter dans des excĂšs qui provoquent, parmi les intĂ©rĂȘts conservateurs, des rĂ©sistances lĂ©gitimes, et Ă dompter les rĂ©sistances par des excĂšs nouveaux, en appelant toujours le dissentiment, crime; la vengeance, justice; la terreur, reprĂ©sailles. Lâhonorable M. Cabet est du mĂȘme avis. Nous avons dit que le fond de la politique du parti est la force. M. Cabet raille trĂšs-joliment la lĂ©galitĂ© ; il demande si les lois, libĂ©rales ou non, doivent ĂȘtre Ă©galement respectĂ©es; et, le prĂ©tendre, dit-il, câest lâabsurditĂ©, câest la servitude ! ! ! Nous avons dit que la libertĂ© du parti, câest le LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 4 [ 9 gouvernement rĂ©volutionnaire. M. Cabet raconte que le parti aurait voulu Ă©tablir un gouvernement dictatorial , apparemment pour doter la France de plus de libertĂ©. VoilĂ la France bien avertie de ce quâon lui prĂ©pare. Elle sait quel est ce gouvernement souterrain, car on ne peut pas dire occulte, qui reste posĂ© en face du gouvernement constitutionnel , dans lâattente dâune surprise heureuse, dâune bataille toujours prĂ©parĂ©e? Lâhonorable dĂ©putĂ© nous avertit que la Charte est essentiellement provisoire autrement il nây verrait, comme M. de Cormenin , quâune usurpation flagrante des droits nationaux. Nous avons dit que tout est tyrannie dans le parti ; quâil veut rĂ©duire les classes, propriĂ©taires et Ă©clairĂ©es, Ă lâĂ©tat dâilotisme, dĂ©placer la puissance publique, renverser lâĂ©difice social, et asseoir la pyramide sur le faĂźte. Or voici quâun membre des grands pouvoirs dĂ©clare que nous ne serons tranquilles que lorsque les rois, les aristocrates et les doctrinaires seront vaincus ; il comprend expressĂ©ment les capitalistes en masse, les industriels , les marchands dans sa proscription. Nous avons dit quâune des infirmitĂ©s du parti est la nĂ©cessitĂ© dâoffrir toujours un appĂąt aux passions populaires, et lâhonorable M. Cabet sâĂ©crie La cause de la misĂšre du peuple est dans la » conspiration des carlistes, qui seuls possĂšdent » presque tous les capitaux, qui les ont retirĂ©s de LIVRE QUATRIEME. /j20 » la circulation , qui ont fait dâ Ă©normes emprunts » hypothĂ©caires pour accaparer l'argent , comme » ils accaparent les armes et les grains , qui ont » supprimĂ© toutes leurs dĂ©penses pour Ă©conomi- » ser, et qui conservent leurs trĂ©sors, soit pour » ruiner leurs adversaires , soit pour soudoyer » leurs agents et lâĂ©tranger, soit pour les empor- » ter en Ă©migrant de nouveau. » Et un loyal dĂ©putĂ© ne veut pas que nous nous rappellions le temps oĂč on disait au peuple que les riches Ă©taient ses ennemis, les amis de lâĂ©tranger, quâils accaparaient les armes, les grains, lâargent ; quâils Ă©taient coupables de la disette et de la guerre; le temps oĂč la justice du peuple chĂątiait tous ces crimes et ce dĂ©putĂ© siĂšge aux cĂŽtĂ©s de lâhonorable M. Gabet ! Maintenant, on demandera ce que lâhonorable dĂ©putĂ© de la CĂŽte-dâOr comprend dans ce grand mot de peuple dont on a si cruellement abusĂ© depuis quarante ans ; ce quâest ce peuple, auquel il immole, .Ă lâexemple de ses devanciers, comme conspirateurs et traĂźtres, tout ce qui a les propriĂ©tĂ©s sous le nom dâaristocrates, les lumiĂšres sous le nom de doctrinaires, les capitaux sous le nom de carlistes, en un mot, les propriĂ©taires, les industriels, les marchands, et, pour parler franchement, la garde nationale en masse ? On ne peut pas bien le dire. Mais M. Cabet revient sur le peuple chargĂ©, mitraillĂ©, sabrĂ© dans les Ă©meutes. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. /J 2 I Ce sont donc dâabord les gens des Ă©meutes. 11 ajoute que le peuple dut ĂȘtre irritĂ© quâon hĂ©sitĂąt Ă condamner Polignac , quand il est lui-mĂȘme si souvent impitoyablement condamnĂ© le peuple! pour un morceau de pain que sa misĂšre lui fait dĂ©rober .Cette fois, il nous faut espĂ©rer que les Ă©lecteurs de lâhonorable M. Cabet sont rangĂ©s en masse en dehors du peuple. Se rĂ©crierait-on, comme on lâa fait quand un ministre interpella lâhonorable membre sur son factum , que lâouvrage dâunseul nâest pas la pensĂ©e de tous ? Mais dix journaux de lâopposition ont cĂ©lĂ©brĂ© le courageux opuscule. Les hommes qui le dĂ©savouent voudraient-ils renoncer Ă lâencens de ces dix journaux ? Si la grande Ă©meute qui faisait alors lâoraison funĂšbre de la Pologne, au lieu de se dissoudre devant la conspiration des citoyens et de lâarmĂ©e, avait gouvernĂ© Paris trois jours comme en fĂ©vrier 1, ceux de ses amis, qui le fĂ©licitent tout bas sur son courage, ne le fĂ©liciteraient- ils pas tout haut sur sa prochaine entrĂ©e au ministĂšre ? Comment oublier que M. de Salverte est notoirement le ministre de lâinstruction publique du parti, depuis quâil a Ă©loquemment brodĂ© le fameux thĂšme quâil nây a que les morts qui ne reviennent jamais. Dâailleurs, M. Cabet aurait lieu de sâĂ©tonner l FĂ©vrier 1831. 422 LIVRE QUATRIĂME. de ces dĂ©saveux ; il pourrait dĂ©montrer, et nous sommes prĂȘts Ă lây aider, quâil nâest pas une des phrases de son pamphlet que lâinflexible Moniteur nâait dĂ©jĂ Ă©crite dans ses colonnes, en retraçant les discussions des Chambres, Il nâest pas un de ses vĆux, pas un de ses principes que les orateurs les plus considĂ©rables de lâopposition nâaient accrĂ©ditĂ©s. Le parti est dâaccord sur tous les points, hormis un la nouvelle zone sociale qui sera investie dĂ©sormais delĂ puissance. Tous veulent le peuple souverain Ă hauteur dâappui, et en consĂ©quence Ă leur propre niveau. En appelant du nom de peuple Ă peu prĂšs exclusivement les gens de lâĂ©meute et ceux de la police correctionnelle, lâhonorable reprĂ©sentant de la CĂŽte-dâOr est allĂ© un peu plus loin que le reste de lâopposition parlementaire. VoilĂ tout le dĂ©bat est tout entier dans une question de limites. Ce nâest quâune affaire de mur mitoyen. Mais il faut le dire câest M. Cabet qui est dans le vrai. Quand on met les pouvoirs hors de leur base naturelle, le levier ne peut sâappuyer au penchant de lâabĂźme ; il va forcĂ©ment chercher le fond. CHAPITRE XI. RĂSUMĂ. Si le parti rĂ©volutionnaire eĂ»t triomphĂ©, lâĂ©tat oĂč serait la France est facile Ă juger. L'Europe, cette Europe monarchique, si calme , si forte, et si unie, attaquĂ©e dans ses institutions et dans ses maximes, blessĂ©e dans les sentiments religieux et moraux des peuples comme dans les droits des couronnes, serait prĂȘte Ă peser de tout son poids sur nos frontiĂšres et sut nos rivages. En destinant aux frontiĂšres menacĂ©es les soldats qui combattent, les patriotes qui vocifĂšrent seraient restĂ©s Ă lâintĂ©rieur pour veiller sur le salut de la patrie ; de nombreux Ă©chos des accents que nous avons redits dĂ©signeraient aux passions populaires, comme traĂźtres, accapareurs et complices de lâĂ©tranger, les propriĂ©taires, les fabricants, les capitalistes. Ou ceux qui possĂšdent se laisseraient Ă©craser, ou ils se dĂ©fendraient. Dans le premier cas, partout la terre serait pressurĂ©e pour donner de lâor, et la nation pour donner du sang ; dans Je second, cette 4^4 LIVRE QUATRIĂME. malheureuse nation, suspendue sur un abĂźme et toujours prĂšs dây rouler, se sentirait sans sĂ©curitĂ©, sans stabilitĂ©, sans lendemain. Nous oublions de dire quâil y aurait longtemps dĂ©jĂ que tous les chefs de lâopposition parlementaire, Ă lâexception peut-ĂȘtre de M. de Cormenin et de M. Cabet, auraient Ă©tĂ© brisĂ©s ou Ă tout le moins rejetĂ©s, premiĂšres victimes de toutes les calamitĂ©s dont lâhistoire les dirait les premiers coupables. Nous sommes loin de lĂ , grĂące Ă Dieu, parce que câest le parti constitutionnel qui gouverne. Mais la fausse libertĂ© lutte contre la vĂ©ritable, les maximes subversives contre les principes conservateurs, la sociĂ©tĂ© naturelle et lĂ©gitime contre la dĂ©magogie, parce que le parti constitutionnel ne gouverne quâappuyĂ© Ă des bases rĂ©volutionnaires. RepoussĂ©e quand elle se montrait toute nue Ă la France, lâanarchie a trouvĂ© asile dans les assemblĂ©es nationales. Plus elle Ă©tait vaincue dans les rues, plus elle semblait prĂ©sider, comme une fatalitĂ© invincible, Ă toutes les grandes rĂ©formes. ChassĂ©e des carrefours, elle entrait dans les lois. Les pouvoirs publics lâont traitĂ©e comme lâIndien fait de son idole, quâil flagelle pour venger ses maux passĂ©s, et devant laquelle il sâagenouille aussitĂŽt, pour conjurer les maux Ă venir. VoilĂ ce quâil nous reste Ă constater ; aprĂšs quoi, chacun pourra rĂ©pondre Ă cette question que doit-il advenir? LIVRE CINQUIĂME. INFRACTIONS ĂĂX VĂRITABLES PROMESSES DE JUILLET, ou LE DĂSORDRE PAR LES POUVOIRS ET PAR LES LOIS. r Les rĂ©volutions se font quelquefois par progrĂšs insensible. On est tout Ă©tonnĂ© de voir les mĆurs et les lois changĂ©es sans quâon ait fait attention aux causes lĂ©gĂšres et sourdes qui ont menĂ© lĂ ; comme Ă Ambracie, oĂč, aprĂšs avoir pris des magistrats de mince fortune, on en reçut peu Ă peu qui nâavaient rien. Il nây a point en effet, ou presque point de diffĂ©rence entre rien et peu. Arisiote, Politique, liv. V, chap. 3. LIVRE CINQUIEME INFRACTIONS AUX VĂRITABLES PROMESSES DE JUILLET, ou LE E PIE IBS PDDVOIES EĂŻ PIE LES LOIS. CHAPITRE PREMIER. QUE LES PROMESSES DE LIBERTĂ ONT ĂTĂ DĂPASSĂES. âąSupposons que le peuple nous donnĂąt mission dâĂ©tablir , au lieu de cette monarchie constitutionnelle , qui fait lâenvie de lâunivers, une forme dĂ©mocratique de gouvernement, agirions-nous en amis de notre pays si nous accĂ©dions Ă ce vĆu ? Fox, 2b mars 1771. Le gouvernement de 1830 inscrivit sue ses banniĂšres les deux plus grands noms que Dieu ait faits lâordre et la libertĂ©. La question est de 428 LIVRE CINQUIĂME. savoir sâil sera en sa puissance de rĂ©aliser ce programme. Mais quâil dĂ»t le Venter, ce point ne peul pas faire question. Il est bien Ă©tabli que ce sont lĂ les promesses de juillet ; etil ne pouvait pas nâen ĂȘtre point ainsi car, faite pour la libertĂ©, la rĂ©volution de 1830, en voulant fonder un Ă©tablissement loyal, devait Ă lâordre ses premiers soins et ses premiĂšres garanties; faite par une victoire populaire, elle devait au pouvoir tout son appui, afin de lui donner par les lois la force nĂ©cessaire quâun trĂŽne ne peut trouver sur la base mouvante des barricades. Recherchons comment ces grandes promesses ont Ă©tĂ© tenues. Parlons dâabord de la libertĂ©. En constatant tout ce quâon a fait ou cru faire pour elle, nous dĂ©clarons que nous acceptons comme bonnes et utiles, comme favorables en effet Ă la libertĂ© vĂ©ritable, quel que pĂ»t ĂȘtre au fond notre jugement personnel, toutes les innovations Ă©tablies par la Charte revisĂ©e. Quand nous demandons que le parti victorieux se tienne au point dâarrĂȘt que lui-mĂȘme a posĂ©, nous ne donnerons pas lâexemple dâinfirmer les engagements pris. Dans la Charte, telle quâelle a Ă©tĂ© transcrite Ă la hĂąte, M. de Cormenin dit bĂąclĂ©e , sur un pieu des barricades, nous respectons deux choses lâacceptation de la France et notre serment. Mais nous avions droit Ă notre tour dâexiger quâelle fĂ»t fidĂšlement gardĂ©e; nous avons droit de INFRACTIONS AUX PROMESSES DE JUILLET. /j 2 9 lâexiger, au nom de cette France qui lâaccepta ; et plus le nouveau texte du pacte fondamental a Ă©tĂ© prodigue de concessions aux ombrages, aux dĂ©fiances, aux ambitions dĂ©mocratiques, plus on a ainsi dĂ©mantelĂ© et affaibli les pouvoirs nouveaux quâil fallait au contraire fortifier, et plus il importait dâassujettir toutes les lois nouvelles Ă lâesprit conservateur qui dĂ©termina le maintien de la forme de gouvernement monarchique. Lâa-t-on fait ? non ; et il nâest que trop permis de craindre que la libertĂ© vĂ©ritable ne manque de garanties, par les efforts meme qui ont Ă©tĂ© tentĂ©s pour agrandir son domaine. Le droit national dâĂŽter et de confĂ©rer la couronne a Ă©tĂ© proclamĂ© le principe de nos lois, par lâabolition du prĂ©ambule de la Charte et la suppression de lâarticle 14, qui avait besoin dâune explication , et câĂ©tait tout. En crĂ©ant un roi, le droit national ne sâest condamnĂ© ni Ă lâabdication ni au repos. Ce droit illimitĂ© reste en permanence , confiĂ© Ă la garde de la citĂ© armĂ©e. Le pacte fondamental est remis en dĂ©pĂŽt, par une de ses dispositions expresses, aux gardes nationales du royaume; câest lâarticle 14 du pays, mais positif, souverain, joignant la force au principe. La garde nationale peut toujours ainsi, constitutionnellement, laisser tomber Ă terre la constitution et le gouvernement, ou les renverser. Elle est le summum Jus, le pouvoir souverain et suprĂȘme. 43 O LIVRE CINQUIĂME. Le pouvoir royal, si fort abaissĂ© par ces dispositions, a Ă©tĂ© en mĂȘme temps affaibli. A tort ou Ă raison, nous ne lâexaminons sur aucun des points, il a perdu la prĂ©rogative de proposer seul les lois; celle dâinterdire lâentrĂ©e de la Chambre haute aux princes du sang, et dâenlever ainsi Ă lâopposition des chefs puissants et illustres; celle de donner un prĂ©sident Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s; celle de rĂ©gler la prĂ©sidence des collĂšges Ă©lectoraux , et de consacrer de la sorte ses candidatures; celle dâappeler sans contrĂŽle les dĂ©putĂ©s Ă des fonctions publiques ; celle dâintroduire des troupes Ă©trangĂšres dans le royaume ; celle de fixer lâĂ©tendue des cadres de lâarmĂ©e ; celle de disposer du grade des officiers en mĂȘme temps que de leur emploi ; enfin , la facultĂ© de rĂ©gir les colonies par des ordonnances, et dâadministrer souverainement lâinstruction publique. Encore la royautĂ© sâest-elle vue bien moins dĂ©sarmĂ©e, par lâeffet de son origine et par la rĂ©duction de ses prĂ©rogatives, cpie par la diminution de ses moyens dâinfluence, par lâabaissement de tous les salaires, par Ja suppression de toutes les charges honorifiques, par lâabolition des dignitĂ©s qui liaient encore au trĂŽne les citoyens considĂ©rables sortis de ses conseils, par le retranchement dâune garde royale qui enchaĂźnait de plus prĂšs lâarmĂ©e, par les restrictions imposĂ©es Ă la nomination des magistrats municipaux, qui sont les premiers instru- INFRACTIONS AUX PROMESSES DE JUILLET. 43 1 ments, les ressorts les plus directs de lâautoritĂ© royale, plus que tout par la mise Ă nĂ©ant de tous les prestiges , de toutes les consĂ©crations, qui, crĂ©ant lâautoritĂ© morale , constituent la vĂ©ritable force des trĂŽnes. La puissance parlementaire sâest fortifiĂ©e de tout ce que la puissance royale a perdu ; elle sâest fortifiĂ©e en outre par lâattribution de lâinitiative des lois Ă lâune et lâautre Chambre. La Chambre Ă©lective a surtout pris des dĂ©veloppements immenses ; car, des deux AssemblĂ©es, il en est une qui a Ă©tĂ© frappĂ©e seize mois de provisoire, celle-lĂ mĂȘme qui devait attacher Ă nos institutions le sceau de la durĂ©e ; mutilĂ©e violemment par les exclusions de juillet 1, ainsi que par les nombreuses dĂ©missions, la Chambre des pairs a Ă©tĂ©, en outre, rĂ©duite Ă nĂ©ant systĂ©matiquement par le pouvoir, qui nâa osĂ©, sous aucun ministĂšre, faire usage dâaucune des prĂ©rogatives du trĂŽne pour la complĂ©ter, la soutenir, la relever. Le pouvoir Ă©lectif sâest donc enrichi de lâappauvrissement du trĂŽne et de la pairie. Affranchi avec raison par la Charte nouvelle de la dĂ©pendance oĂč la Charte royale tenait naguĂšre la Chambre des dĂ©putĂ©s pour le choix de son prĂ©sident et la formation de son bureau , le vote annuel de 1 Exclusion prononcĂ©e par la Charte mĂȘme des pairs nommĂ©s par Charles X. Parmi eux se trouvait le marĂ©chal duc de Dalmatie. 432 LIVRE CINQUIĂME. lâarmĂ©e lui a Ă©tĂ© donnĂ© comme celui des impĂŽts ; et la responsabilitĂ© ministĂ©rielle, vis-Ă -vis des reprĂ©sentants du pays, a cessĂ© dâĂȘtre une menace stĂ©rile la loi Ă faire est Ă©crite sur les crĂ©neaux du chĂąteau de Ham. Peu sâen faut que cette Chambre, qui a en main toute la puissance publique, se prĂ©tende hĂ©ritiĂšre du pouvoir constituant que la monarchie rĂ©clamait naguĂšre, et qui lâa menĂ©e oĂč nous savons. Ce quâelle ne fait pas aujourdâhui, elle pourra toujours le faire demain. En mĂȘme temps, le pouvoir politique a Ă©tĂ© Ă©tendu Ă trois cent mille Français; dâun autre cĂŽtĂ©, les grands collĂšges ont Ă©tĂ© abolis; le cens dâĂ©ligibilitĂ© a Ă©tĂ© abaissĂ© de moitiĂ© comme le cens dâĂ©lection ; les fermiers se sont vus substituĂ©s aux grands propriĂ©taires dans le privilĂšge du double vote. Le pouvoir dĂ©partemental sera dĂ©volu Ă huit cent mille citoyens. Deux millions et plus ĂŽnt Ă©tĂ© investis du pouvoir municipal. Par les gardes nationales, la force publique a Ă©tĂ© livrĂ©e Ă tous. Le peuple entier a des armes, et tandis que les gardes nationales devaient simplement, aux termes du pacte fondamental, intervenir dans le choix de leurs chefs, la loi leur a confĂ©rĂ© le droit de nominations de leurs officiers et sous-officiers sans restriction. La puissance populaire a trouvĂ© un profit direct dans chacun de ces changements de lâordre politique. Et ce nâest pas tout la publicitĂ© de la INFRACTIONS ADN PROMESSES DE JUILLET. 433 Chambre des pairs a subordonnĂ© ce grand corps au contrĂŽle et Ă lâaction de lâopinion publique; la nĂ©cessitĂ© de la réélection des dĂ©putĂ©s promus Ă des fonctions publiques ajoute Ă la dĂ©pendance des commettants vis-Ă -vis de leurs mandataires; lâaugmentation numĂ©rique de la Chambre la tient tout entiĂšre ^placĂ©e de plus prĂšs sous lâautoritĂ© et sous lâĆil des localitĂ©s. Enfin, affranchie du long interdit que prononçait sur elle la Charte royale, la jeunesse française a Ă©tĂ© mise en possession de tous les droits politiques ; les gĂ©nĂ©rations nouvelles ont pris place parmi les lĂ©gislateurs de la patrie. Toutes les libertĂ©s ont reçu la mĂȘme extension que tous les pouvoirs populaires. La libertĂ© de conscience a renversĂ© lâombre de suprĂ©matie que le titre de religion de lâĂtat donnait au culte qui est celui de lâimmense majoritĂ©'des Français; un salaire public a Ă©tĂ© attribuĂ© aux prĂȘtres juifs, simplement pour bien marquer lâĂ©galitĂ© des croyances devant la loi. La libertĂ© dâenseignement a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ©e. La libertĂ© personnelle a reçu des garanties. multipliĂ©es et nouvelles par lâextension de la juridiction du jury Ă tous les crimes ou dĂ©lits politiques, et par les dĂ©finitions plus prĂ©cises qui ont Ă©tĂ© portĂ©es de ces dĂ©lits et de ces crimes. Le pacte fondamental a proscrit le retour de toute juridiction exceptionnelle, de tout tribunal extraordinaire. LâarmĂ©e a participĂ© au bĂ©nĂ©fice des franchises 28 434 LIVRE CINQUIĂME. civiques; un jugement seul peut ravir au militaire son Ă©tat et ses honneurs. La garantie de la publicitĂ© a Ă©tĂ© appliquĂ©e Ă la juridiction administrative. La Charte a rendu impossible aux lĂ©gislateurs Ă venir le rĂ©tablissement de la censure. La loi a rĂ©pudiĂ©, au contraire, la plupart des cautions quâelle avait exigĂ©es jusquâalors de lâimprimeur, du journaliste, du libraire. La libertĂ© de la presse rĂšgne sans contre-poids, grĂąces Ă toutes ces dispositions qui assurent lâimmunitĂ© des Ă©crivains elle est illimitĂ©e de fait, sinon de droit; enfin, la libĂ©ralitĂ© infinie du pouvoir ou de la loi a compris dans ses prĂ©rogatives deux autres libertĂ©s auxquelles les combattants de juillet ne pensaient pas celle des crieurs publics, et celle des théùtres. VoilĂ la part de la libertĂ©! elle est grande; si grande, que le parti qui exige davantage veut Ă©videmment une rĂ©volution sociale. Car, dans lâordre politique, il nâest rien, absolument rien au- delĂ du point oĂč nous sommes. Au-delĂ , il nây a que lâanarchie, et dĂ©jĂ nous nâavons que trop empiĂ©tĂ© sur son domaine. CHAPITRE II. COMMENT LES PROMESSES DâORDRE ONT ĂTĂ TENUES. Lâordre a-t-il Ă©tĂ© aussi bien traitĂ© que la libertĂ©? Quâont fait les lois, quâa fait lâautoritĂ© suprĂȘme, pour ce premier, ce plus pressant des intĂ©rĂȘts des peuples ? 3 la libertĂ© ! 33 Aujourdâhui lâesprit dâopposition sâaggrave de lâesprit de caste. Avec notre rĂ©gime partial et exclusif, il en sera toujours ainsi. Les gouvernements mixtes , dans lesquels lâesprit aristocratique a une part, savent seuls, comme lâAngleterre, concilier la prĂ©voyance avec la grandeur. Dans les conditions oĂč nous Ă©tablissons le pouvoir, nous manquerons tour Ă tour de lâune et de lâautre. LivrĂ©s Ă tous les vents, sous lâempire des intĂ©rĂȘts ou des sentiments qui rĂ©gneront, nous passerons delĂ parcimonie Ă la prodigalitĂ©, celle-ci qui sera lâeffet des passions Ă©goĂŻstes, celle-lĂ des passions jalouses. Aujourdâhui, câest le tour de lâenvie. Elle se croit Ă©conome, et nâest que destructive. On voit le gĂ©nie de la partie infĂ©rieure des deux cents francs dâimpĂŽt faisant les affaires de la France; il rĂšgle, comme le sien propre, le mĂ©nage de lâune des premiĂšres nations de lâunivers, surpris que lâon veuille des peintures dans un palais, quand on vit fort bien sans peintures; iudi- 37 MVRE SIXIĂME. que lâon demande pour nos reprĂ©sentants auprĂšs de lâĂ©tranger un Ă©tat, une maison, et de la grandeur, tandis que les Ă©lecteurs se font reprĂ©senter, Ă Paris, par tel honorable citoyen qui se contente dâun pĂ©cule de dix francs par jour et fait, dit-on, des Ă©pargnes. Aussi a-t-il fallu voir les services, les arts, la gloire, mis Ă la portion congrue. LâObservatoire a seul trouvĂ© faveur, parce quâun savant illustre siĂšge Ă gauche, heureusement pour lâastronomie ; ce qui prouve quâon peut voir trĂšs-bien dans le ciel et moins bien sur la terre. La Fontaine lâavait dit. Ces lĂ©gislateurs ne savent pas que, des professions , la premiĂšre est de servir lâĂtat ; quâil importe Ă lâĂtat que les talents se vouent Ă lui par prĂ©fĂ©rence; que la politique exige quâil nây ait pas dâexistence assez haute pour dĂ©daigner de servir la chose publique et quel avocat de mĂ©rite voudra dĂ©sormais ĂȘtre juge, quel riche propriĂ©taire administrer, quel guerrier illustre, quel citoyen considĂ©rable affronter la pompe des cours Ă©trangĂšres, quand lâunique avantage des situations officielles sera une existence prĂ©caire, lâimminence des destitutions, la perspective des Ă©meutes, des charivaris, des mascarades, des assassinats Ă coups de pierres, et lâobligation de dĂ©mĂ©nager Ă chaque terme, de supprimer un plat de sa table Ă chaque session, sur un assis et levĂ© de M. Cabet. Ă la vĂ©ritĂ©, ces Spartiates nouveaux, en offrant PM ANARCHIE MORALE. O79 le bronetaux serviteurs de lâEtat, leur promettent aussi la gloire la gloire de ne pouvoir mettre un fils au college et dâaller en omnibus Ă la cour ; la gloire de vivre en prĂ©sence de vingt journaux qui vous guettent pour vous outrager, et quâau besoin la tribune supplĂ©era... La gloire ! vous parlez de la gloire! Quand un capitaine chargĂ© de batailles se prĂ©sente Ă vous, Ă vous, citoyens stĂ©riles que votre patrie ignore quoi que vous la gouverniez, comment le traitez-vous? Quels sont vos respects pour cette Ă©pĂ©e que respecte le monde ? Vous nâĂȘtes occupĂ©s quâĂ voir ce quâelle pĂšse Ă la trĂ©sorerie; et ce quâelle pĂšse dans les conseils des rois, ce quâelle pĂšserait sur les champs dâhonneur, vous en inquiĂ©tez-vous? Ney, de qui vous parlez toujours, que feriez-vous pour lui sâil Ă©tait vivant! Ministre , dĂ©putĂ©, dĂ©fenseur de ses camarades , Ă tous ces titres , vous Ă©toufferiez, sous vos trĂ©pignements et vos injures, cette voix qui remplissait la Moskowie. Vous lui parleriez de ses cumuls et non pas de ses victoires. Vous lui demanderiez compte de chaque obole. Vous disputeriez des douceurs Ă sa vieillesse, de lâaisance Ă sa famille, des convives Ă sa table, des auditeurs Ă ses rĂ©cits, des Ă©mules Ă sa grandeur, aussi bien que des honneurs Ă son nom et la pairie Ă son sang. Gardez vos dĂ©risions de gloire! la gloire est lâunique Ă©conomie quâassure Ă notre pays un rĂ©gime tel que le vĂŽtre; on ne la verra point figurer dans vos bud- ĂŻ 58 o LIVRE SIXIĂME. gets; elle ne chargera pas vos comptes. Si cette politique mortelle pouvait vivre,bornĂ©s et stĂ©riles, prolixes et impuissants, nous serions la petite Provence de l'univers. Lâun des plus curieux symptĂŽmes de la maladie morale qui nous travaille, câest lâĂ©trange, lâinconcevable Ă©chauffourĂ©e dâun orateur puissant et sage contre le budget de lâarmĂ©e. Les Ă©conomies brutales faites sur la magistrature lâont rĂ©voltĂ© Ă juste titre-, son indignation Ă©clate dans toutes ses paroles. Il ne tarit pas sur cette mesquinerie envieuse et grossiĂšre; son Ă©loquence intermittente est fixe sur ce point, comme le pendule mobile sur son immobile pivot. Sans doute, il dĂ©fendra les autres services contre les Tarquins de bas-Ă©tage qui courbent tout ce qui sâĂ©lĂšve sous un mĂȘme niveau, afin de pouvoir encore tout dominer ? Point! puisquâon a rabaissĂ© la magistrature, il faut rabaisser lâarmĂ©e; et voilĂ ce ferme esprit qui lance un rĂ©quisitoire contre la gloire des armes ! il se met Ă compter sou Ă sou les profits des tenants dâAusterlitz, des survivants dâHĂ©liopolis ou de la Moskowa ; il place le lĂ©giste en parallĂšle avec le capitaine; il oppose les veilles fructueuses et volontaires aux bivacs forcĂ©s, lâĂ©tude intĂ©ressĂ©e au courage, la pierre sic ! Ă la mitraille, les combats du barreau Ă ceux de la BĂ©rĂ©sina, de Leipsik, du DĂ©sert, oubliant que lâavocat, qui dĂ©fend devant la justice nos marĂ©chaux de France menacĂ©s, se ANARCHIE MORALE. 58 I fait payer Ă beaux deniers son Ă©loquence glorieuse, tandis que le capitaine illustre ou le soldat inconnu donnent leur vie sans savoir de quel prix les payera la patrie ! Et quand nous disons quâils donnent leur vie, est-ce de ce souffle passager que nous parlons, de cette existence que le plomb, le fer, le froid, la faim, lâair des pontons, celui de la SibĂ©rie peuvent trancher ? Non câest de cette vie de lâĂąme et du cĆur, de cette vie de tous les jours que le militaire livre Ă son pays et que nous recommandons^ vos respects, que nul dĂ©dommagement ne peut payer ; câest enfin de sa libertĂ©, de ses affections, de ses goĂ»ts, de ses jouissances de mari et de pĂšre, de lâhonime entier qui se donne corps et biens Ă la patrie, partant quand elle veut quâon parte, restant quand elle veut quâon reste, courant au bout du monde quand elle veut quâon y coure, mourant quand elle veut quâon meure ! Vous , si la pierre vous tue , comme vous dites, ce sera plein de jours, au milieu de vos neveux qui vous environnent, et que vous laissez opulents. Le militaire, câest seul, derriĂšre une haie, jeune et pauvre, pensant Ă sa femme qui restera sans pain, et Ă son fils qui restera sans avenir, quâil entend KlĂ©ber lui dire Commandant, vous vous ferez tuer lĂ ! et il sây fait tuer. Ah! jurisconsulte illustre, ne comparez pas une existence tissue de sacrifices Ă lâindĂ©pendance de vos travaux, de vos succĂšs, de votre fortune! 58 2 LIVRE SIXIĂME. nâenviez pas la parcelle dâor , dont la patrie orne quelques chefs blanchis pour essayer de couvrir tant de misĂšres aux yeux du soldat dont ils sont tout lâorgueil. Songez quâen venant, votre balance Ă la main , peser exactement Ă lâarmĂ©e les mĂȘmes rigueurs que vous avez subies, vous disputez au parti que vous-mĂȘme combattez son sceptre grossier; vous lui dĂ©robez le niveau pour lâimposer aux autres comme il lâimpose Ă vous-mĂȘme. Vous vous inoculez, de gaĂźtĂ© de cĆur, la maladie qui le travaille, et qui est la vĂ©ritable, la grande infirmitĂ© de la France ! Et câest un personnage officiel, Ă©minent, qui sâexprime ainsi dans ce royaume continental , dĂ©mocratique et libre, dont lâunique force consistante est sa belle armĂ©e. Le mĂȘme orateur avait dit Ă©loquemment une autre fois, que la France ne sera pas toujours en dĂ©lire. HĂ©las, elle y est encore. On a tant accusĂ© la restauration de ne pas aimer assez nos gloires! et voilĂ les gĂ©nĂ©raux illustres rĂ©duits, dans leur mĂ©nage, Ă ne plus savoir comment ils joindront les deux bouts! La Chambre semble avoir peur que lâarmĂ©e sâattache trop vivement au gouvernement reprĂ©sentatif. Elle peut ĂȘtre rassurĂ©e. Il y a quarante ans que les rivalitĂ©s parlementaires font le dĂ©sespoir des camps. Par lĂ a pĂ©ri le Directoire ; les CortĂšs espagnoles ont pĂ©ri par lĂ un dĂ©putĂ©, qui sâavisa dâappeler les ANARCHIE MORALE. 583 soldats des assassins payĂ©s , glaça lâarmĂ©e libĂ©rale et insurrectionnelle de lâĂźle de LĂ©on. Nous, nous appelons les nĂŽtres des Ă©gorgeurs. Les mĂȘmes folies ne peuvent manquer dâenfanter toujours les mĂȘmes coups de la fortune; car câest une loi funeste de ce monde, que les dĂ©portements de la dĂ©mocratie tournent toujours Ă la perte de la libertĂ©! Cependant, Ă travers les petites Ă©conomies sont venus les grands hommes. La rĂ©volution voulait faire, de par la loi, de grands hommes et les pan- thĂ©oniser. Qui lâaurait dit? Desquatre noms agitĂ©s dans la proposition soumise Ă la Chambre, deux seulement lâĂ©taient sĂ©rieusement. Le duc de Liancourt nâavait Ă©tĂ© conservĂ© sur la liste que par respect humain ; lâillustre citoyen a jouĂ© de malheur dans son cercueil. QuantĂ Foy, l'opposition sait bien que, sâil vivait , il siĂ©gerait sur le banc du ministĂšre, aux cĂŽtĂ©s des PĂ©rier et des SĂ©bastian!; quâil serait, comme eux, dĂ©vouĂ© Ă la tĂąche de ressusciter, sâil se peut, lâordre dĂ©faillant, comme eux impopulaire, comme eux chargĂ© dâoutrages. Ce qui importait au cĂŽtĂ© gauche, câĂ©tait lâapothĂ©ose de M. Manuel et celle de M. Benjamin de Constant lĂ le succĂšs prĂ©sent, les perspectives futures, tout souriait. Câest quelque chose dâavoir la chance dâĂȘtre un jour de grands hommes en vertu dâun vote officieux de ses amis du Parlement. Le curieux a Ă©tĂ© de voir, dans ce dĂ©bat, le dĂ©- LIVRE SIXIĂME. 584 faut de toutes croyances, le vide moral, le dĂ©sordre de sentiments et dâidĂ©es dĂ©plorĂ©, en beaux termes, il faut lâavouer, par un parti qui outrage chaque jour toutes les croyances privĂ©es et publiques ! Ce parti trouve tout simple de se grouper autour dâun homme 1 qui, conformant son langage Ă sa pensĂ©e, a dit, du haut de la tribune nationale, en parlant delĂ religion desespĂšres, de la religion de son pays, dâune religion qui remplit lâunivers et qui lâa civilisĂ© Je nâen use pas ! Et ils veulent que nous usions de leurs demi- dieux ! ils nous donnent leurs saints pour remplir le ciel dĂ©sert ! chacun apporte le sien Ă son tour celui-ci Berton, celui-lĂ les sous-officiers de la Rochelle, un autre les constituants, un autre Ney. Ney, volontiers, si câest la gloire; point, si câest la haine et la vengeance ! Pour repeupler le monde moral dont Ă la fin le vide Ă©pouvante, un honorable marĂ©chal M. le marĂ©chal Clausel croit avoir assez fait, en demandant quâun vote au scrutin pare le PanthĂ©on du nom de temple. Temple dĂ©diĂ© Ă qui ? Au dieu inconnu? on le comprendrait, il y aurait de la ferveur dans cette dĂ©dicase Deo ignoto, qui cherche le dieu absent et lâadore. Mais prenez garde un temple au Dieu quâon repousse, au Dieu quâon nie, au Dieu qui nâest pas ! Le parti 1 M. Ăudry de Puyraveau. ANARCHIE MORALE. 585 veut une religion comme il veut une monarchie, lâune sans trĂŽne et sans roi, lâautre sans autels et sans dieu. Nous avons dit de ce parti quâil est nĂ©cessairement impuissant et stĂ©rile ; nous avions tort. On avait bien parlĂ© jusquâĂ prĂ©sent de lâathĂ©isme dans les mĆurs, dans les opinions, dans les lois ; les lois athĂ©es sont cĂ©lĂšbres. Mais un temple athĂ©e, ce serait une crĂ©ation. Imaginez quel temple, quel saint Denis populaire ils nous auraient donnĂ© ! En arriĂšre, rien ; tout commence Ă 1791. En avant, rien ; tout finit Ă la mort. Des sĂ©pultures sans passĂ©, un temple sans avenir ! une pierre entre deux abĂźmes ! un cĂ©notaphe, un sĂ©pulcre vide, bĂąti sur le nĂ©ant! Pour remplir le monument et payer une dette Ă la gloire, la mort seule, partout la mort ! Câest bien la religion, câest bien la philosophie, câest bien la politique des rĂ©volutionnaires ; mais ils ne sont pas toujours aussi naĂŻfs. Ăh! nous aimons, nous malgrĂ© toutes ces folies, osons encore le dĂ©clarer, nous aimons la pensĂ©e dâun panthĂ©on pour les demi-dieux de la patrie; nous aimions, enfant, cette inscription qui fait vibrer le cĆur Aux grands hommes , la patrie reconnaissante ! Nous concevrions tous les grands citoyens venant trouver, dans ce prytanĂ©e suprĂȘme, un dernier et glorieux asile, Nous verrions, avec Ă©motion, leurs tombeaux sĂ©parĂ©s, ou plutĂŽt 581 LIVRE SIXIĂME. rĂ©unis par les statues de tous les hĂ©ros qui ont fait la grandeur du nom de France dans lâunivers, depuis ce Clovis qui nous donna des ancĂȘtres, depuis ce saint RĂ©mi qui leur donna un Dieu ! Mais ce Dieu de saint RĂ©mi et de Clovis, nous voudrions quâil fĂ»t lĂ encore, pour ne pas nous trouver seuls face Ă face avec la mort dans son temple. Mais nous voudrions que ce temple, cette Ă©glise, pour dire le mot simple et vrai, eĂ»t des pontifes, des pompes, sâanimĂąt de fĂȘtes, sâagrandĂźt dâespĂ©rances, et appuyĂąt au ciel les gloires de la terre ! Mais ces gloires, nous voudrions que ce ne fut point lâesprit de faction qui les intronisĂąt, que les partis nâimposassent point Ă la France des immortalitĂ©s de sociĂ©tĂ©s secrĂštes et des vertus de tapis vert ; nous voudrions que la royautĂ©, car nous avons foi Ă la royautĂ©, comptĂąt, comme un de ses attributs nĂ©cessaires, ce fleuron de plus dans sa couronne; enfin, nous voudrions par-dessus tout que ces hommages ne fussent pas une dĂ©rision ; que la patrie reconnaissante honorĂąt les grands hommes, non pas seulement dans leur dĂ©pouille morte, mais dans leur race vivante; que les institutions Ă©tablissent que, si des restes inanimĂ©s sont quelque chose encore, un nom est davantage ; en un mot que les grandes rĂ©compenses survĂ©cussent aux pĂšres dans leurs fils, et que, pour prix dâun dĂ©voĂ»ment illustre, on eĂ»t la chance, dans cette France qui sait la ANARCHIE MORALE. 587 gloire, dâarriver Ă quelque chose de plus quâĂ un tombeau, de fonder quelque chose de mieux quâune fortune ! Mais non ! ce sont lĂ des pensĂ©es et des passions surannĂ©es parmi nous. Le principe social qui soutient le monde politique depuis six mille ans, est mort. Le principe religieux , qui soutient le genre humain depuis la crĂ©ation, est mort. Le principe monarchique, qui soutient lâEurope chrĂ©tienne depuis quinze siĂšcles , est mort. Que reste-t-il ?... Ce qui reste une vĂ©ritĂ© ! Câest que ces principes, mis en Ćuvre dans la mesure et la forme que comporte le progrĂšs des temps, sont immortels; quâils reprendront leur empire dâune maniĂšre appropriĂ©e Ă nos mĆurs et Ă nos intĂ©rĂȘts, ou que câen sera fait Ă la longue de lâordre social, de lâindĂ©pendance extĂ©rieure, de la civilisation française. Ăvant tout, le gouvernement reprĂ©sentatif, notre rĂȘve de quarante ans, disparaĂźtra, quelque jour, Ă©touffĂ© sous nos dĂ©combres. La France a Ă©tĂ© vue, renversant les autels en haine du prĂȘtre, les trĂŽnes en reprĂ©sailles contre un roi. Elle pourrait bien renier la libertĂ© constitutionnelle, en dĂ©goĂ»t de ses tendances anarchiques, par fatigue de cette basse dĂ©mocratie qui lâenvahit, qui la corrompt, qui en viendra Ă froisser toutes les Ăąmes, Ă soulever tous les intĂ©rĂȘts, Ă contrister et blesser ceux mĂȘme qui ne se rendraient pas compte des motifs de leur Ă©pou- 588 LIVRE SIXIĂME. vante, et verraient enfin la vie manquer Ă tout ce systĂšme impossible, sans savoir pourquoi. Les dieux ne sâen vont jamais ; mais lâexpĂ©rience nous apprend que parfois les institutions sâen vont. Câest quand elles sont mal fondĂ©es, mal assises. Pour fixer les nĂŽtres, il fallait savoir rĂ©soudre deux grands problĂšmes celui dâaccorder le systĂšme reprĂ©sentatif avec les conditions de la monarchie, en accordant avec les conditions de lâordre notre ombrageuse Ă©galitĂ©. Ce problĂšme, sâil nâest pas mieux posĂ©, mieux compris et mieux rĂ©solu, pourra user bien des gouvernements Ă la peine. CONCLUSION. Mes conseils , ĂŽ AthĂ©niens , sont tels , que moi, il mâest presque toujours mauvais de vous les donner, et que, vous, il vous eĂ»t Ă©tĂ© presque toujours bon de les suivre. DĂ©mosthĂšnes. Avril 1832. Nous assistons Ă la plus grande expĂ©rience qui ait Ă©tĂ© faite a-u sein dâun peuple. Il nâest pas parmi nous un pouvoir qui ne soit dâhier, que la sociĂ©tĂ© nâait vu naĂźtre, quâelle nâait pĂ©tri de ses mains , et ne se sente en droit et en puissance de dĂ©truire, autant quâelle le fut de les crĂ©er. Il nâest pas une croyance qui puisse prĂȘter des forces Ă lâEtat renouvelĂ©. La sociĂ©tĂ©, dĂ©mantelĂ©e comme lâĂtat, nâa pas une institution conservatrice qui lie entre eux et enchaĂźne ces trente-quatre millions dâhommes Ă©gaux et libres. La famille nâest pas constituĂ©e plus solidement que tout le reste. La France enfin ne CONCLUSION. 5gO se tient ensemble, ne marche ; ne vit que par sa propre sagesse. Dans celte situation extraordinaire oĂč, depuis lâorigine du monde , jamais encore nation ne sâĂ©tait trouvĂ©e, quelles seront les destinĂ©es de notre patrie ? Pourra-t-elle fonder un gouvernement ? Celui quâelle vient de se donnera-t-il des Ă©lĂ©ments suffisants de force et de succĂšs ? Ou bien est-elle condamnĂ©e Ă des bouleversements sans terme, tant quâelle ne se sera pas Ă©nergiquement rĂ©formĂ©e elle-mĂȘme, rĂ©formĂ©e dans ses moeurs, dans ses opinions, dans ses institutions civiles, dans ses institutions politiques , dans ses sentiments Ă lâĂ©gard de la religion comme Ă lâĂ©gard de tout le reste. LĂ est le problĂšme fondamental posĂ© Ă la France par la fortune. Nous aimons Ă le reconnaĂźtre parmi tous les orages, dans ces derniers temps, un rĂ©el miracle sâest accompli. Au milieu de toutes les concessions Ă lâesprit rĂ©volutionnaire, concessions dâhommes et de choses, dâinstitutions et de pouvoirs, de lois et de principes, des victoires ont Ă©tĂ© remportĂ©es sur le dĂ©sordre, quelques-unes grandes et signalĂ©es. Par elles , la paix publique subsiste ; par elles, une halte est faite, dont Dieu fixera la durĂ©e, sur la pente des rĂ©volutions; par elles, la Providence semble nous laisser maĂźtres encore de sauver lâordre matĂ©riel, et de lâasseoir sur des bases solides. On peut compter cinq de ces vie- CONCLUSION.. toires publiques la clĂŽture des clubs, le salut des ministres accusĂ©s, le renversement de l'association nationale , le maintien de la paix extĂ©rieure , lâissue enfin de la guerre sociale de Lyon. La premiĂšre fut lâouvrage du ministĂšre de coalition qui eut la rude tĂąche de gouverner dâabord la rĂ©volution. M. Guizot y mit sa rĂ©solution courageuse , et les gardes nationaux de la rue Montmartre leurs baĂŻonnettes câĂ©tait une bataille dĂ©cisive. Si la faction lâavait gagnĂ©e, le gouvernement rĂ©volutionnaire rĂ©gnait. La seconde est la gloire dâun ministĂšre qui a Ă©tĂ©, du reste, le dĂ©sordre mĂȘme, et dans la vie duquel on est heureux de rencontrer une bonne page. On aime Ă estimer ses adversaires, Ă louer les concitoyens que lâon combat. Ne recherchons pas si les gĂ©nĂ©reuses dispositions du premier ministĂšre nâenchaĂźnĂšrent pas le second ; si la dĂ©termination annoncĂ©e trĂšs-haut par le roi Louis-Philippe de jeter sa vie et sa couronne dans la mĂȘlĂ©e, plutĂŽt que de laisser flĂ©trir lâavĂ©nement de sa monarchie par des vindictes sanglantes , ne fit pas la rĂ©solution unanime de ses ministres et de ses lieutenants ; si mĂȘme quelques-uns ne pensĂšrent pas acquĂ©rir , par un grand service , le droit de rançonner de nouveau la couronne que la rĂ©volution avait donnĂ©e Ă trop bas prix. En prenant les faitspour ce quâils furent, on doitreconnaĂźtre quâune des belles paroles de lâhistoire est ce mot du gĂ©nĂ©- 5ç2 conclusion. val Lafayette, dans des circonstances Ă©minemment pĂ©rilleuses que sa popularitĂ© lui Ă©tait plus chĂšre que la vie , mais quâil saurait la sacrifier Ă son devoir et Ă son honneur. On doit reconnaĂźtre aussi, parmi les bonnes actions faites pour couvrir bien des torts, la vive Ă©motion de joie que tout le monde a pu voir Ă M. Laffitte, racontant tout haut, dans la salle des confĂ©rences de la Chambre des dĂ©putĂ©s, une allocution de M. le prince de Polignac, qui avait fait assez dâimpression sur lâauditoire pour promettre un retentissement favorable dans le public. Cette justice est duc Ă M. le comte de Montalivet quâil eut, toutes les fois quâil le fallait, de lâesprit et du cĆur, et il le fallut souvent. Les captifs de Ham peuvent aujourdâhui frapper lâopinion calmĂ©e, des vices dĂš forme et des nullitĂ©s lĂ©gales ou constitutionnelles qui se sont rencontrĂ©es dans leur procĂšs âą, ils ne mĂ©connaissent pas, assurĂ©ment, que ce procĂšs sauva leurs tĂȘtes. Ceux qui, dans ces terribles jours, faisaient face, le fusil sur lâĂ©paule, aux flots dâun peuple en furie, avec des compagnons de veille et de pĂ©ril qui ne diffĂ©raient de la multitude quâen voulant la mort par la loi au lieu de la vouloir contre la loi, ceux-lĂ , savent que pour arriver Ă une solution gĂ©nĂ©reuse, il fallait des prodiges de courage et dâhabiletĂ©. Ces prodiges furent faits; tout le monde fit son devoir. La garde nationale sut plier ses passions au joug de la sagesse et de la CONCLUSION. 5 9 3 loi. Cent soixante-onze pairs du royaume, guerriers, magistrats, grands seigneurs, vieillards, demeurĂšrent impassibles sur leur chaise curule, quand la tempĂȘte de juillet se reprenait Ă gronder de toutes parts sur leurs tĂȘtes. Le chef de ce grand corps M. le baron Pasquier fut habile, comme de coutume, quand lâhabiletĂ© exigeait dâabord dĂ©voĂ»ment et courage. Les dĂ©fenseurs furent admirables. 11 y en eut un... Lâappellerons-nous un dĂ©fenseur ? Comment vous dĂ©signer, vous, homme dâEtat cher Ă la France, lâhonneur de la tribune, qui accourez, malade, dĂ©bile.... tout-puissant de talent et dâĂąme, pour couvrir du bouclier de votre parole magnifique, contre la furie de tout un peuple, ce rival heureux un jour, ce rival Ă©crasĂ©, dont la courte victoire vous coĂ»ta la puissance, et nous coĂ»te une monarchie? Ces journĂ©es sont les belles pages de la rĂ©volution de 1830; la France doit ĂȘtre Ă©ternellement fiĂšre dâelle-mĂšme. Mais aussi ne faut-il pas se dissimuler que nous avons couru peu de pĂ©rils plus grands si le sang avait coulĂ© une fois, il aurait pu couler Ă flots. Car on peut dire du peuple ce que les anciens disaient des sectateurs de ce temple , oĂč on nâavait pas plutĂŽt goĂ»tĂ© aux entrailles des victimes humaines, quâon Ă©tait changĂ© en loup dĂ©vorant. La troisiĂšme victoire a Ă©tĂ© lâouvrage du ministĂšre du 13 mars. Il sâagissait de savoir si le parti 38 CONCLUSION. 594 rĂ©volutionnaire, non content de ses trophĂ©es de la semaine de fĂ©vrier 1831, aurait son gouvernement, son trĂ©sor, sa police, son armĂ©e, ses land- wers, Ă cĂŽtĂ© et bientĂŽt au-dessus du gouvernement public. M. Casimir PĂ©rier a voulu, il a voulu avec toute la dignitĂ© de son caractĂšre et de son auto- ritĂ© l 'association nationale , qui Ă©tait, sous une autre forme, la rĂ©publique de lâHĂŽtel-de-Ville, a disparu pour cette fois sous le ridicule. Il faut que sa caisse ait pĂ©ri avec elle, car on ne sait ce quâest devenu le sou par semaine qui Ă©tait imposĂ© aux associĂ©s. Les ministres des finances de ce gouvernement souterrain ne rendent pas de comptes. La quatriĂšme Ă©tait la plus pressante. Une politique furibonde et insensĂ©e demandait la guerre pour la guerre, et encore elle mentait elle voulait la guerre pour avoir lâanarchie. Il Ă©tait difficile quâelle obtint gain de cause dans les conseils dâun roi. Aussi les trois ministĂšres de la rĂ©volution ont- ils unanimement dĂ©sirĂ© la paix. Mais le ministĂšre actuel a eu la gloire de la vouloir et de lâavouer, de repousser la propagande rĂ©volutionnaire et de la flĂ©trir, de rester dans le droit des gens et de dire pourquoi. Il ne sâagit pas de savoir si ou approuve exactement tout ce qui a Ă©tĂ© dit et fait. Notre cĆur français aurait voulu que de toutes les grandes complications qui se sont multipliĂ©es autour de nous, sortissent des Ă©vĂ©nements plus favorables Ă la splendeur de la France. Peut- CONCLUSION. %5 ĂȘtre cette gloire nous aurait-elle Ă©tĂ© rĂ©servĂ©e au dehors, si nous avions eu au dedans moins de passions et de pĂ©rils. Mais quâon fasse la part des difficultĂ©s, quâon mesure la grandeur des obstacles que crĂ©aient Ă notre politique toutes ces vocifĂ©rations indiscrĂštes, irritantes, perfides, criminelles; on verra le service immense qui a Ă©tĂ© rendu Ă la France et au monde par les maux quâon a Ă©vitĂ©s en Ă©vitant une guerre sauvage, et par le bien quâon a fait en proclamant les maximes sur lesquelles la sociĂ©tĂ© universelle des nations repose. Rendons grĂące Ă qui de droit de rĂ©sultats si grands. La guerre , telle que le monde nous lâeĂ»t faite, devait nous livrer Ă la merci de la politique rĂ©volutionnaire; car elle se retranche derriĂšre toutes les perturbations. Nous ne pouvions en effet nous dĂ©fendre contre lâEurope que par lâincendie, et la premiĂšre condition Ă©tait de nous laisser nous-mĂȘme dĂ©vorer. Reste enfin la conclusion prompte et heureuse de la catastrophe de Lyon , comme de toutes ces rĂ©bellions renaissantes qui, menaçant toujours de jeter lâEtat et la sociĂ©tĂ© dans la confusion , nâont pas empĂȘchĂ© les esprits de se rasseoir et la sĂ©curitĂ© de renaĂźtre. Reconnaissons que lâhonneur de la victoire de lâordre, Ă Lyon et partout, appartient Ă notre civilisation, qui, attaquĂ©e de toutes parts, se dĂ©fend par sa propre vertu, et rĂ©siste, comme ces places envahies qui se referment sur les assail- 5c6 CONCLUSION. lants et les accablent. Cette pensĂ©e est un motif dâespoir. Elle prouve quâil y a en nous des moyens de salut; tous les gens de bien doivent se dĂ©vouer Ă les mettre en Ćuvre. Mais la grandeur de la brĂšche atteste la grandeur de nos pĂ©rils. Les victoires remportĂ©es sont de celles dont il faut sâapplaudir , en sachant quâelles ressemblent aux victoires de Pyrrhus. Si elles devaient se renouveler, trĂšs-probablement lâĂtat et la sociĂ©tĂ© y pĂ©riraient. On a vu Ă Grenoble, Ă Lyon, partout, deux choses dont il faut se bien rendre compte câest, dâune part, la faiblesse de nos institutions politiques et sociales, que le moindre incident perce Ă jour, qui semblent incapables de se dĂ©fendre contre un premier choc si ces premiers coups de main de lâanarchie nâont fait que tout Ă©branler, câest quâils ont eu lieu uniquement Ă Perpignan, Ă Grenoble, Ă Lyon. Le jour oĂč les victoires du dĂ©sordre Ă©clateraient Ă Paris, comme dit M. Cabet, tout serait brisĂ©. Dâautre part, a Ă©clatĂ© lâimpuissance du dĂ©sordre Ă rien fonder, que disons-nous, Ă saisir mĂȘme le gouvernail, Ă nous rĂ©gir, Ă se rĂ©gir lui-mĂȘme, et enfin Ă oser. Ce double point de vue marque le caractĂšre exact du temps oĂč nous sommes ; il indique la tĂąche prĂ©cise que la politique doit se proposer. En effet, il est manifeste que la sĂ©curitĂ© renaissante manque de garanties, quâelle nâa point les conclusion. 097 Ă©lĂ©ments essentiels de stabilitĂ© quâexigent le repos et la prospĂ©ritĂ© dâun grand empire. 11 nâest pas moins Ă©vident que lâanarchie des institutions et des esprits reste notre plus pressant pĂ©ril. Lâanarchie des rues est provisoirement domptĂ©e; le torrent rentre peu Ă peu dans son lit ; avec le raffermissement de lâautoritĂ© publique, et lâappui assurĂ© de la paix du monde, il y a dans la situation un point dâarrĂȘt marquĂ© ; on peut prĂ©dire Ă coup sur pour le moment , que nous ne ferons point, du moins par lâintervention de la force brutale, des pas de plus dans la voie rĂ©volutionnaire. Enfin nous ferons une halte, avant de toucher le fond du gouffre qui sâentrouvait sous nos pas. DĂšs-lors, nous devons dĂ©sormais remonter vers lâordre par de pacifiques degrĂ©s ; car les biens sâengendrent, et dâordre naĂźt de lâordre, comme lâanarchie de lâ bien nous serions condamnĂ©s du Ciel ! Nous sommes perdus, si la dĂ©faite des sĂ©ditions armĂ©es ne prĂ©pare pas la chute de cette sĂ©dition morale contre Dieu, lâautoritĂ©, les supĂ©rioritĂ©s naturelles et les influences lĂ©gitimes, qui a trop longtemps dominĂ© les pouvoirs et les lois. Si donc aujourdâhui lâanarchie nâa plus la chance de conquĂ©rir la France, dâun jour Ă lâautre, dans les carrefours, câest dans les arĂšnes Ă©lectorales, dans lâarĂšne parlementaire, dans celle de la presse, dans les directions du pouvoir, que 5c8 CONCLUSION. doit ĂȘtre complĂ©tĂ©e sa dĂ©faite. Or, lĂ prĂ©cisĂ©ment est notre faiblesse. Pour la premiĂšre fois, le pou- voir, ce pasteur et ce pontife - roi des nations, apparaĂźt au monde, ayant contre lui lâaristocratie territoriale sans avoir avec lui les masses ; ayant en dehors de lui, une part considĂ©rable des influences actives, des notabilitĂ©s sĂ©culaires, des talents et des renommĂ©es illustres, sans sâappuyer sur les forces vives; ayant loin de lui, le sentiment religieux, les croyances antiques et leurs ministres, sans que pour cela lâĂ©cume des nations Ă laquelle seule cet Ă©tat de choses peut complaire, dorme calmĂ©e Ă ses pieds. Pour la premiĂšre fois, un gouvernement Ă pouvoirs Ă©lectifs et Ă presse libre, prĂ©tend vivre et fleurir avec lâhostilitĂ© ouverte, et presque dĂ©sirĂ©e, dâune partie notable du public Ă©clairĂ©, lettrĂ©, agissant, influent; et câest la partie de ce public qui possĂšde au plus haut degrĂ© lâesprit de gouvernement, le culte de la monarchie, le dĂ©pĂŽt des traditions, les loisirs nĂ©cessaires Ă la conduite des affaires, lâindĂ©pendance de situation et de fortune plus nĂ©cessaire encore, enfin tout ce quâil faut pour avoir un rĂŽle considĂ©rable, tout ce qui rend impossible de nâen avoir aucun, malfaisant et destructeur, si ce nâest utile et salutaire. Les questions posĂ©es sont celle-ci La royautĂ© de 1830, avec son origine, son esprit propre, celui de ses princes, a-t-elle en elle-mĂȘme ce quâil CONCLUSION. %9 faut pour mettre un terme Ă cette situation, ou pour y supplĂ©er? Pourra-t-elle Ă©largir ses bases, ou sâaffermir sur la base restreinte que les Ă©vĂ©nements lui ont donnĂ©e ? Ayant hors du cercle de son action , les autels , les chĂąteaux , quelquefois les chaumiĂšres, saura-t-elle ressaisir ces points dâappui naturels de tout ce quâil y a eu de gouvernements dans le monde, sans aliĂ©ner de soi les forces qui lâont inaugurĂ©e ; ou bien ces forces suffiront-elles Ă lui rendre possible sa tĂąche dâordre et de libertĂ©, par le concours rĂ©solu dâun corps Ă©lectoral dĂ©vouĂ© au trĂŽne nouveau et puissant sui- le pays ? Cette question revient Ă celle-ci la classe moyenne suffira-t-elle toujours Ă cette mission ? Lâadministration, qui est son unique lien, aura-t- elle la puissance de la tenir unie pour faire face Ă des pĂ©rils qui lâassiĂ©geront au-dessus, Ă cĂŽtĂ©, au-dessous dâelle ? Dans un pays tel que le nĂŽtre, toujours sĂ©vĂšre pour les pouvoirs qui ne sont pas absolus et redoutĂ©s, cette classe active, mĂȘme en restant unie, sera-t-elle toujours plus forte que tout ce quâelle prĂ©tend combattre et gouverner ? Enfin, eĂ»t-elle les forces que ce rĂŽle exige, aura-t-elle, comme lâaristocratie anglaise, le gĂ©nie, la passion , la persĂ©vĂ©rance qui y sont indispensables ? PrĂȘtera-t-elle main-forte au pouvoir partout et toujours, dans le jury, dans les Ă©lections, dans les conseils locaux, dans les assemblĂ©es na- 6oo CONCLUSION. tionales, dans la presse, dans le monde, dans le barreau, sur la place publique enfin, les armes Ă la main? Et cela sera nĂ©cessaire tous les jours, en tous lieux, en tous temps. On a vu quâune dĂ©faillance Ă Lyon ou Grenoble est la guerre civile. Ailleurs, ce peut ĂȘtre une rĂ©volution. VoilĂ les questions posĂ©es par la fortune. A notre avis, il nây a quâune alternative et quâune solution les rĂ©volutions en effet, les rĂ©volutions sans terme, Ă la maniĂšre des rĂ©publiques espagnoles, ou bien la rĂ©conciliation active, le concours sincĂšre, dĂ©vouĂ©, incessant de toutes les forces conservatrices que la sociĂ©tĂ© porte dans son sein. Nous disons la rĂ©conciliation des forces; car celle des personnes ne suffirait pas; câest celle des idĂ©es qui importe. Celle-lĂ seule, si jamais elle sâaccomplissait, serait solide et dĂ©cisive. 11 faut que le dĂ©chirement produit dâune part par les systĂšmes et les luttes de la restauration , de lâautre par les entraĂźnements et les passions de 1830, se terminent. Il faut que lâancien parti royaliste et celui des royalistes nouveaux , lesquels, frappant tĂ©moignage de lâinconsistance de nos idĂ©es et de la faiblesse de nos crĂ©ations, nâacceptent pas ce nom, tout en voulant la chose, en la voulant tant bien que mal, abjurent, Ă Paris, dans les provinces, partout, les prĂ©jugĂ©s contraires, les inimitiĂ©s, les envies rĂ©ciproques qui les divisent. Il le faut car aucun des deux partis, aucune des COfĂźCMJSION. 601 deux classes ne peut, au milieu de nos incessantes tempĂȘtes, seule tenir en main le gouvernail contre le grĂ© du reste de la nation. Les royalistes de 1814 viennent dâen faire lâĂ©preuve. Lâautre Ă©preuve commence; elle est dĂ©jĂ laborieuse ; elle le sera de plus en plus. Il nây a donc quâune ressource le rapprochement, lâunion , le bon accord ; les sacrifices communs dâopinion et de passion. Que les uns soient moins absolus et moins exclusifs; que les autres soient plus monarchiques , plus religieux, moins dĂ©mocratiques , moins ombrageux, moins partiaux. Les intĂ©rĂȘts rĂ©els et lĂ©gitimes sont identiques. Il nây a de divers que les prĂ©tentions. La propriĂ©tĂ©, la prospĂ©ritĂ©, la sĂ©curitĂ©, la libertĂ© , sont des biens communs Ă tous les ^Français. Ils existent aux mĂȘmes conditions pour tous , et il faut bien le savoir , la premiĂšre fois que la tempĂȘte sera dĂ©chaĂźnĂ©e, elle sĂ©vira contre tous en mĂȘme temps. Les comptoirs ne seront pas mieux traitĂ©s que les chĂąteaux. On nie quâil y ait encore une aristocratie parmi nous; les rĂ©volutionnaires sauront bien en trouver deux la bourgeoisie, si on en juge par leurs livres prĂ©sents, sera la premiĂšre quâils introniseront dans leurs proscriptions, ce qui nâempĂȘchera pas lâautre dâavoir son tour. Toutes les deux sont coupables des mĂȘmes crimes elles possĂšdent, elles ont des lumiĂšres; elles veulent lâordre. Pourquoi la communautĂ© inĂ©vitable de destinĂ©e dans 002 CONCLUSION. le danger ne peut-elle pas ĂȘtre un lien dans le calme et servir Ă former dâavance un seul faisceau ! La maxime tout ou rien, est toujours condamnĂ©e par le bon sens. En politique , elle lâest de plus par la justice. Aussi lâest-elle toujours dans lâhistoire par la Providence. Que ce soit la classe moyenne qui sây attache, câest-Ă -dire le parti dominant, ou bien lâancien parti royaliste, lâaristocratie dĂ©possĂ©dĂ©e, elle ne prĂ©parera Ă tous que de stĂ©riles regrets et un tardif repentir. En effet, lâesprit rĂ©volutionnaire nâaurait Ă©videmment quâun seul moyen de tirer parti des tempĂȘtes quâil rĂ©ussirait Ă soulever ce serait de renverser lâordre social que la rĂ©volution de 1 789 a laissĂ© aprĂšs soi. Tout le monde conçoit quâappeler les masses, une fois quâelles sont agitĂ©es, effervescentes et armĂ©es, au pillage des richesses publiques et privĂ©es, soit une maniĂšre de les dominer. Malheureusement, dans les temps calmes, quand les destinĂ©es publiques se dĂ©battent pacifiquement au-dessus de la multitude , quand lâanarchie serait obligĂ©e de plaider sa cause devant une nation laborieuse, paisible, propriĂ©taire, on se confie dans la puissance de la raison et de la justice. On a tort. Si la puissance des institutions et lâesprit mĂȘme de la sociĂ©tĂ© ne leur servent de boulevards, la raison et la justice elles-mĂȘmes flĂ©chiront Ă la longue, par la corruption des institutions et de la sociĂ©tĂ©, sous le joug de la force. CONCLUSION. 6o3 Certes, si la raison et la justice, ces divinitĂ©s protectrices des peuples fermes et sages, dĂ©cidaient seules des choses humaines, la sociĂ©tĂ© française , dans ce conflit avec les mauvaises passions , serait fondĂ©e mille fois Ă persister dans sa sĂ©curitĂ©. Lâordre social que la rĂ©volution nous a laissĂ©, nâest-il pas le plus propice au grand nombre qui se soit vu dans lâunivers ? Le droit seul le domine; lâĂ©galitĂ© y rĂšgne; cette Ă©galitĂ© sincĂšre et fĂ©conde y fait de tous les biens de la civilisation une loterie entre tous les hommes ; le travail, lâhonneur, le talent, y sont toujours sĂ»rs du gain. Que demandera-t-on dĂ©plus pour les masses? La domination et la propriĂ©tĂ©; car il nây a rien de plus. Câest forcĂ©ment sur ces deux points que portera tout lâeffort public ou occulte des factions. La domination, le pouvoir public ? Qui lâoserait? Elles nâaccepteraient pas ce funeste prĂ©sent. Lyon nous a fait voir que cpiand il leur est Ă©chu en chĂątiment de leur rĂ©volte, elles ne savent dĂ©sirer pour toute amnistie cpiâune seule grĂące, celle dâĂȘtre gouvernĂ©es. Reste la propriĂ©tĂ© câest une bien autre sĂ©duction. Mais elles peuvent obtenir la propriĂ©tĂ© par lâordre et le travail ! On voudra la leur faire acquĂ©rir parla force. Ce nâest rien de nouveau câest la loi agraire, mais universelle, furieuse, insensĂ©e, accusant bruyamment le dĂ©lire de ceux qui feront ce rĂȘve exĂ©crable. CONCLUSION. Go4 Quâest-ce quâattaquer la propriĂ©tĂ© dans un pays constituĂ© sur lâĂ©galitĂ© des partages ? câest non pas la rĂ©partir dâune façon nouvelle, mais lâabolir. Car, * ferez-vous des lots Ă©gaux entre tous ? aussitĂŽt le hasard des naissances, le mouvement de la population aura tout changĂ©. Il nâest pas de combinaison qui vous fasse Ă©chapper pour le lendemain Ă cette nĂ©cessitĂ© de compter encore des riches et des pauvres, de recommencer toujours ce tirage au sort du sol entier de la patrie. En dehors de lâordre social sur lequel tout repose aujourdâhui, il nây a donc que le saint-simonisme ou le babouvisme ; et, la propriĂ©tĂ© anĂ©antie , ce nâest pas seulement lâesprit de conservation qui sâĂ©vanouit; lâesprit de progrĂšs Ă©teint son flambeau; le travail cesse; la civilisation, la justice, Dieu mĂȘme se retire du milieu des hommes. Au sein de lâunivers sauvage et dĂ©sert, crĂ©ature dĂ©chue, lâhomme se sent orphelin. En dâautres termes, la rĂ©volution de 1789 est achevĂ©e; la pousser plus loin ne se peut. Plus loin, il nây a que des abĂźmes sans fond et sans retour. Câest Ă ces abĂźmes que lâesprit rĂ©volutionnaire nous pousse. La France y veut-elle aller ? Si elle ne le veut pas , ce nâest pas trop du concours de tous les hommes et de toutes les idĂ©es dâordre pour en prĂ©server lâavenir. Car, en terminant ce livre, on est obligĂ© de le redire. La rĂ©volution de 1830 nous a fait faire CONCLUSION. 6o5 dans la voie du bouleversement social des pas formidables. On parle dâaller plus loin. Plus loin, il nây a que lâanarchie, la subversion, le bas- empire, la ruinejpar nous-mĂȘmes ou peut-ĂȘtre par lâĂ©tranger. Non! non ! Il nâest plus cpiâune Ćuvre possible; mais celle-lĂ est lĂ©gitime, elle est nĂ©cessaire câest une rĂ©action contre les impossibilitĂ©s de la rĂ©volution prĂ©sente. La rĂ©volution de 1789 a voulu de plein saut, sans transition, en un jour, per fus et nef as, proclamer et accomplir lâĂ©galitĂ© civile, lâĂ©galitĂ© des hommes, des frĂšres, des citoyens, des classes; elle lâa fait au prix dâune gĂ©nĂ©ration dĂ©cimĂ©e. Elle lâa fait par la force dâabord, plus tard par le crime , et de lĂ vient qu'elle a Ă©tĂ© tout dâabord emportĂ©e au-delĂ de la carriĂšre quâelle entendait fournir, pour se voir ramenĂ©e dans de plus sages limites par une main et une intelligence puissantes. Aujourdâhui, de lâĂ©galitĂ© de droit, nous voulons conclure lâĂ©galitĂ© de fait; de lâĂ©galitĂ© civile, lâĂ©galitĂ© politique; du droit de chacun Ă la puissance, dans la mesure de ses droits et de ses lumiĂšres, lâappel dâuue seule classe Ă la puissance. AprĂšs lâabolition Ă perpĂ©tuitĂ© du vieux principe nobiliaire qui reposait sur lâimmobilisation des fortunes, des rangs et des honneurs, nous avons entendu Ă©tablir la mise Ă nĂ©ant du principe social rĂ©duit Ă ses prĂ©rogatives lĂ©gitimes, câest-Ă -dire au simple droit des lumiĂšres, des illus- 6o6 CONCLUSION. trations, des services, de tout ce qui est lâaliment des progrĂšs de la civilisation, de tout ce qui fait la nature, le besoin, la gloire de l'humanitĂ©. Câest ainsi encore quâaprĂšs le renversement irrĂ©vocable de la royautĂ© absolue, nous entendons prononcer lâabolition de toutes les pompes, de tous les privilĂšges de la royautĂ©. HĂ©las, aprĂšs la chute du systĂšme universel de la domination de lâEtat en fait de croyances, nâentendons-nous pas fonder, non point la libertĂ© des croyances, mais leur destruction et lâabandon de cette ancre tutĂ©laire qui rattache la sociĂ©tĂ© Ă son auteur, les lois humaines Ă la loi divine, la terre au ciel ! Tout cela est insensĂ© ; tout cela appelle les mĂ©diations des gens de bien ; tout cela demande un sĂ©rieux retour de la France sur elle-mĂȘme. Il sâaccomplira, fĂ»t-ce au prix des plus douloureuses expĂ©riences ; fĂ»t-ce au prix de dix rĂ©volutions ou câen serait fait, non pas seulement de lâordre, non pas seulement de la libertĂ©, mais de la France mĂȘme. Maintenant, par quels instruments, cette heureuse rĂ©sipiscence de lâesprit public et de toutes les tendances de nos lois sâaccomplira-t-elle ? Des hommes dâordre Ă©minents, dans leurs alarmes, des autoritĂ©s imposantes entre toutes, se rattachent chaque jour davantage Ă la classe moyenne comme Ă la planche de salut. Nous persistons Ă penser que, seule, elle nâest point de force Ă corccLUSicm. 607 soutenir lâĂ©difice qui doit comprendre tous les Français et s'appuyer sur tous. Nous nâhĂ©sitons pas Ă le lui dire Ă elle - mĂȘme pour le salut de lâavenir. Le flot, en bouillonnant, sâĂ©lĂšverait sans effort jusquâĂ elle pour lâentraĂźner elle-mĂȘme ou la dĂ©border. Ce livre nâa pas dâautre but que dâannoncer ce rĂ©sultat et de le conjurer. Pour le prĂ©venir, nous ne consentons pas Ă fixer notre champ de bataille sur cette pente rapide. Nous voudrions planter notre tente oĂč nous voyons la justice et la vĂ©ritĂ©. Ayons foi Ă ces gĂ©nies protecteurs du genre humain, et ne craignons pas, quels que soient les temps, de combattre Ă leur ombre. Tel de leurs champions peut ĂȘtre vaincu, mais eux en dĂ©finitive, ils ne le seront pas. Voyez si depuis vingt mois la classe moyenne, qui rĂšgne sans partage, a pu nous gouverner, a pu mĂȘme se dĂ©fendre. Les attaques incessantes Ă la propriĂ©tĂ© aussi bien quâĂ tous les intĂ©rĂȘts, Ă toutes les doctrines et Ă tous les sentiments qui constituent lâordre social, attestent deux choses Dâabord le facile entraĂźnement des passions mauvaises Ă se faire une arme des conquĂȘtes lĂ©gitimes pour en poursuivre dâiniques et de coupables ; Ensuite, la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de retrouver, au sein de notre Ă©galitĂ© dĂ©mocratique, des contre-poids qui rendent lâĂ©tat social inĂ©branlable Ă tous les assauts. 6o8 CONCLUSION. Lâentreprise nâest point surhumaine. Une fois, ces contre-poids nous ont Ă©tĂ© offerts , mais offerts moins le premier des biens, moins la libertĂ©. Discernant, avec son regard d'aigle, ce qui devait ĂȘtre ressaisi dans le naufrage du passĂ© pour donner Ă ce peuple innombrable un lien commun, une assiette solide , NapolĂ©on fit refleurir les maximes sans lesquelles il nây a rien de stable chez les hommes; il les fit refleurir, appropriĂ©es Ă notre sol nouveau. Ce quâil a fait, par le despotisme, nous avons Ă le faire par la libertĂ©, par la discussion , par le travail des esprits. La mission est plus difficile; elle est plus grande; puisse-t-elle ne passer ni le courage de nos hommes dâEtat prĂ©sents et Ă venir, ni la fortune de la France? Que fit NapolĂ©on ? U inaugura toute cette restauration sociale qui a fait sa grandeur, qui a fait sa popularitĂ© immense et profonde, en plaçant Dieu au faĂźte de lâordre reconstruit, en sâhonorant dâunir les pompes de la religion Ă celles de sa couronne, en osant avouer pour son sceptre et son Ă©pĂ©e le concours de la croix Ă©vangĂ©lique qui calme les passions des hommes, facilite et anno- blit leur obĂ©issance, donne au pouvoir son caractĂšre moral, auguste et sacrĂ©. Cependant, il nâavait pas affaire seulement, comme nous, Ă des esprits forts de collĂšge et dâarriĂšre-boutique que les Ă©ditions - Touquet de Voltaire et de Rousseau ont CONCLUSION. 609 formĂ©s, mais Ă des esprits et Ă des coeurs robustes que toute la philosophie du xvm e siĂšcle avait imprĂ©gnĂ©s et trempĂ©s, qui avaient hardiment combattu et Ă©crasĂ© XinfĂąme, qui nâavaient pas reculĂ© devant le sang des prĂȘtres plus que devant celui des rois; qui enfin avaient mis la barriĂšre de leurs fureurs entre eux et les autels, comme entre eux et la royautĂ© ! Il ne sâen inquiĂ©ta pas. Il courba ces hommes dâairain sous les bĂ©nĂ©dictions du vicaire de JĂ©sus-Christ. Il les conduisit Ă genoux sous les voĂ»tes de Notre-Dame. Il leur fit promener dans les rues de Paris la croix et la mule papales, tandis que notre gouvernement constitutionnel se voit contraint par la rĂ©volution Ă glorifier ses morts avec les choeurs de lâOpĂ©ra pour tout cortĂšge, et Ă cacher Dieu dans lâombre des sanctuaires, sans aller lui-mĂȘme lây honorer. VoilĂ pour le ciel. Sur la terre, NapolĂ©on prit la propriĂ©tĂ© pour la hase de son gouvernement. Elle est le point dâappui nĂ©cessaire des trĂŽnes; elle est le point dâappui, plus nĂ©cessaire encore, des institutions libres. Ă la propriĂ©tĂ©, il joignit hardiment ces autres pierres fondamentales de lâĂ©difice social le respect des traditions, le culte du passĂ©, qui font des gĂ©nĂ©rations Ă©coulĂ©es les gardiennes perpĂ©tuelles des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes ; le respect des noms et des souvenirs, sentiment populaire que le xvm e siĂšcle essaya de nier ou de dĂ©truire, que la 39 6io CONCLUSION. nature humaine maintiendra en dĂ©pit des folles thĂ©ories, parce que les noms sont aux yeux des hommes une gloire, une force et souvent un droit ; lâesprit de famille, et, avec ce levier puissant, un autre levier plus puissant encore, le droit de fonder une famille, droit auguste et sacrĂ©, qui satisfait les plus intimes besoins de lâĂąme humaine, Ă©pure les ambitions tout en les Ă©levant, et fortifient lâun par Vautre ces deux grands intĂ©rĂȘts sociaux , le prĂ©sent et lâavenir; enfin tous les ressorts qui tiennent Ă la nature morale de lâhomme, et sont pour ses institutions des principes conservateurs plus durables que lui-mĂȘme. En consĂ©quence, NapolĂ©on associa Ă lâempire le talent et lâillustration , ces gĂ©nies tutĂ©laires qui veillent Ă la garde des Ătats, un flambeau Ă la main. Il sut mener de front la sollicitude pour les supĂ©rioritĂ©s lĂ©gitimes avec ce mouvement ascendant, qui est lâhonneur, le besoin des temps prĂ©sents, et qui a créé le souvenir profond que le peuple garde de sa mĂ©moire. Sachons faire comme lui ! Le talent et la gloire appartiennent Ă moins de titres au despotisme quâĂ la libertĂ© ; la libertĂ© aime dâune Ă©gale passion et les renommĂ©es nouvelles, et les gloires antiques, tĂ©moin Rome et lâAngleterre. On peut faire avec tous les Français des soldats et mĂȘme des hĂ©ros. Il faut la grandeur des traditions et des exemples, les Ă©tudes de lâenfance et CONCLUSION. 6 I I de la jeunesse, lâapprentissage souvent des gĂ©nĂ©rations successives , pour donnera un grand peuple tout ce quâil doit consommer, Ă lâĂ©tat libre, de Pitts et de Foxs. NapolĂ©on joignit la pratique aux maximes. Il ne connut plus de bleus et de VendĂ©ens. Câest Ă Sainte-HĂ©lĂšne quâil en retrouva. Aux Tuileries, il nâen connaissait point. Dans ses conseils, dans ses tribunaux, dans ses armĂ©es, dans sa cour, il rapprocha , confondit, ressuscita les deux Frances. Toute sa politique consista dans ce mot de place de la Concorde substituĂ© Ă celui de place de la RĂ©volution, en disant que sa vraie gloire Ă©tait dâavoir rĂ©tabli la concorde entre les Français, et que tant quâelle subsisterait, nous serions le grand peuple. Ce quâil ne disait pas, câest quâil nâĂ©tait donnĂ© Ă son pouvoir glorieux, mais prĂ©caire, de fonder et de maintenir la concorde quâĂ lâaide de deux ministres terribles, lâesprit de conquĂȘte et le pouvoir despotique qui devaient tout perdre. La Charte de 1814 vint qui institua la conciliation des intĂ©rĂȘts etjdes esprits sur sa base rĂ©guliĂšre et lĂ©gitime, câest-Ă -dire sur le droit partout, dans la nation, par la libertĂ© publique, comme sur le trĂŽne par le retour au service des rois. Maintenant, elle est rompue. Elle a Ă©tĂ© violemment rompue par la rĂ©volution de 1830, plus violemment peut-ĂȘtre par la maniĂšre dont cette rĂ©volution, depuis quâelle est accomplie , a Ă©tĂ© comprise et dirigĂ©e. CONCLUSION. GI -2 Il faut la rĂ©tablir. Si le gouvernement de 1830 Ă©tait incapable de se proposer cette tĂąche ou de la rĂ©aliser, il pĂ©rirait Ă la peine ; car la stabilitĂ© de lâordre constitutionnel, de lâautoritĂ© royale et du repos public sont Ă ce prix. Nous savons bien la rĂ©ponse qui nous attend. NapolĂ©on , dont nous invoquons les exemples, pouvait tout! Français, nous ne serons dignes et capables dâinstitutions libres , que quand le bon sens pourra parmi nous tout ce quâa pu le pouvoir absolu. Nous serons sauvĂ©s quand lâesprit de NapolĂ©on au dedans sera lâesprit de la France. Nous nâavons par malheur que son esprit au dehors, deux raisons pour courir Ă notre ruine. Mais, sachons-le bien nos prĂ©jugĂ©s, nos haines dĂ©mocratiques passeront sous lâĂ©preuve des sĂ©vĂ©ritĂ©s du ciel, si ce nâest pas sous lâaction rĂ©paratrice des bonnes pensĂ©es du pays et des bons exemples du pouvoir. Car il faut que nous cessions de dĂ©molir, que nous veuillons enfin le otiurn cum dignitate nĂ©cessaire aussi aux nations ; pour cela, que nous revenions Ă lâĂ©quitĂ©, Ă lâautoritĂ©, au respect, Ă la foi. LâĂ©difice que nous Ă©tablirons, alors, sera plus fort que celui de NapolĂ©on ; car la place quâoccupait la force sera remplie par la justice et par la libertĂ©. La concorde alors sera rĂ©elle et stable car elle naĂźtra, non de la contrainte, mais de lâunion; de lâĂ©gale satisfaction de tous les intĂ©rĂȘts et de tous les droits, non de leur Ă©gale CONCLUSION. G I 3 servitude. Alors seulement, il sera manifeste que les rĂ©volutions de la France sont finies. Loin de nous de dĂ©sespĂ©rer de notre pays! Ce quâil a fait une fois par le bras dâun homme, il lĂ© fera quand lâheure sera venue, par la raison et la volontĂ© de tous. En traçant le tableau que nous prĂ©sentons Ă nos concitoyens ivres de fausse Ă©galitĂ©, de fausse libertĂ© , de fausse et mauvaise philosophie, ce qui est une ivresse comme une autre, mais plus fatale, nous avons voulu appeler de leurs passions Ă leur sagesse; leur faire voir quel torrent les pousse ; leur signaler lâabĂźme oĂč le courant les entraĂźne. Nous demandons Ă notre patrie de mĂ©diter sur ce qui a Ă©tĂ© fait depuis vingt mois ; de peser tous les principes dâordre qui ont Ă©tĂ© mĂ©connus; et on ne peut croire que la conscience nationale nâeti soit point frappĂ©e tĂŽt ou tard, quand on voit, dans le nombre de ces principes, ce quâil y a de plus français au monde lâattachement, Ă la foi civilisatrice qui a fondĂ© la France; la place rĂ©clamĂ©e, au foyer de la patrie , pour les supĂ©rioritĂ©s, filles du mĂ©rite, filles du travail, filles des services, filles du gĂ©nie ; les droits de la propriĂ©tĂ©; ceux des lumiĂšres, ceux de la gloire, et par-dessus tout ce besoin de rapprochement et dâunion entre tous les enfants de la grande famille française, que le sentiment des dangers publics, intĂ©rieurs tout ensemble et extĂ©rieurs , doit nourrir ou rĂ©veiller au cĆur de quiconque aime et honore la France. conclusion. 61 4 II y a longues annĂ©es, vers nos vingt ans, au lendemain des grandes adversitĂ©s de cette France bien aimĂ©e, quand la douleur nous instruisit Ă dire tout haut notre pensĂ©e, quand nous dĂ©fendions contre les coups de lâinvasion Ă©trangĂšre ou des rĂ©actions domestiques nos drapeaux insultĂ©s, la gloire nationale mĂ©connue, lâindĂ©pendance du pays compromise, nous plaçùmes notre pĂ©rilleux Ă©crit sous la protection dâune devise des vieux siĂšcles qui nous est chĂšre. Car elle comprend lâexact et touchant rĂ©sumĂ© de la tĂąche assignĂ©e , dans cette vie, Ă quiconque met au-dessus de tous les biens lâestime des hommes, et au- dessus de celui-lĂ sa propre estime. CâĂ©tait y ĂȘtre fidĂšle ,J que de plaider, pendant le cours entier de la restauration, contre un pouvoir aimĂ© et respectĂ©, la cause des seules maximes qui pussent lâaffermir; et on peut le dire aujourdâhui câĂ©tait un devoir douloureux que nous accomplissions. Nous lâaccomplissions, au pĂ©ril dâinjustices qui nous Ă©taient une affliction de chaque jour. Ce pouvoir est tombĂ© sous le poids des rĂ©sultats que nous avions redoutĂ©s. Nous voyons maintenant profaner les dieux de nos jeunes annĂ©es, la libertĂ© , la publicitĂ©, le systĂšme reprĂ©sentatif, le rĂšgne des lois ; nous voyons le dĂ©sordre frapper Ă toutes les portes , et envahir la sociĂ©tĂ© française par toutes les avenues. Depuis vingt mois, les pouvoirs nouveaux, que nous nâavons CONCLUSION. 615 pas faits, que nous avons acceptĂ©s comme des planches de salut, et que nous servirons loyalement dans le sens de nos maximes, nâont encore su faire que des ruines. Nous disons les fautes commises, les engagements mĂ©connus, les grands principes violĂ©s, la route Ă prendre, si on veut lâordre, et quâon ait foi Ă la libertĂ©. Nous dĂ©ployons enfin la vĂ©ritĂ© tout entiĂšre , telle quâelle nous apparaĂźt, aux regards de notre pays, comme nous avons fait, quinze ans, Ă ceux des rois* La seule diffĂ©rence est que maintenant il ne nous faut plus dâefforts ; nous sommes aguerri Ă la devise Fais ce que dois , advienne que pourba ! FIN. y, L'.;âą, . ' hv* Ăż.^'.i, g^rni' j a{h! - ;i->'I ' âą. t$4ĂčWâ J i*n ^ '> ĂšS''. 'v^.C' ' ' â ' â ĂŻfef,-. Wf, Mr JT mĂŻ' a tĂ©s-K Pour paraĂźtre prochainement Ă la mĂȘme Librairie VIE DE NAPOLĂON, par de Salvandy, 3 vol. in-8°. 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Buchbinderei = 2ĂRICH = '. * ' &*-, _ V 1 *, mâ , /r S»! tĂźjĂ !;^ I .^ â 1 "'. s *-âąâ'! â' 1 ^-'^._< ^ l_-S ~ â'ÂŁ*»*r '**' . v*' ,c '*^ "* ~ ^ C/
a chaque jour suffit sa peine parole